CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 7 février 2018, n° 12-07788
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Platek Srl (Sté)
Défendeur :
Etudéquipe (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Fourgoux, Cabanes, Fromantin, Michalon
FAITS ET PROCÉDURE
La société Platek Light fabrique des produits d'éclairage architecturaux.
En 2003, la société Etudéquipe, active dans le commerce de machines, équipements industriels, navires et avions, est devenue distributeur exclusif des produits de la société Platek Light pour la région parisienne, sans que les relations entre les deux sociétés n'aient été formalisées par un contrat écrit.
Au cours de l'été 2008, la société Platek Light a souligné les résultats commerciaux décevants de la société Etudéquipe.
Par courrier du 15 décembre 2008, la société Platek Light a notifié à son distributeur la fin de leurs relations commerciales et l'a informée qu'elle entendait travailler sur la région parisienne, à compter du 1er janvier 2009, avec la société ADS, qui serait chargée de la vente de ses produits et que la société Etudéquipe pouvait, si elle le souhaitait, se fournir en produits Platek Light auprès de ce nouveau distributeur à compter du 1er mars 2009. La prescription de ses clients lui était préservée jusqu'à la fin de l'année 2009.
Le 27 avril 2009, la société Etudéquipe a, par l'intermédiaire de son conseil, demandé à la société Platek Light des dommages et intérêts pour rupture abusive, une indemnité au titre du préavis et une indemnisation de son préjudice moral et de l'atteinte à sa réputation commerciale.
Le 21 mai 2009, la société Platek Light a saisi le Tribunal de Brescia, en Italie, aux fins de voir dire que sa relation contractuelle avec la société Etudéquipe avait régulièrement cessé et qu'elle n'était tenue d'aucun dédommagement du fait de cette cessation.
Le 17 mars 2010, la société Etudéquipe a assigné la société Platek Light devant le Tribunal de commerce de Versailles, pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Par jugement du 10 novembre 2010, le Tribunal de commerce de Versailles s'est déclaré incompétent et a renvoyé l'affaire devant le Tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 29 novembre 2011, le Tribunal de commerce de Paris a :
- rejeté l'exception de litispendance et s'est déclaré compétent,
- constaté que la société Platek Light a rompu brutalement des relations commerciales établies avec la société Etudéquipe et a engagé sa responsabilité,
- condamné la société Platek Light à payer à la société Etudéquipe la somme de 22 000 euros, à titre d'indemnité de préavis, déboutant pour le surplus,
- débouté la société Etudéquipe de ses autres demandes indemnitaires,
- débouté les parties des demandes plus amples et contraires,
- condamné la société Platek Light à verser à la société Etudéquipe la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,
- condamné la société Platek Light aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,17 euros TTC (TVA : 13,25 euros).
La société Platek Light a interjeté appel de ce jugement.
Par arrêt du 30 avril 2014, la Cour d'appel de Paris a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la compétence du Tribunal de Brescia, saisi par la société Platek Light, soit ou non établie.
Le 4 juin 2014, le Tribunal de Brescia a relevé son incompétence, au profit de la juridiction française et de l'application de la loi française.
Par arrêt du 21 octobre 2015, la Cour d'appel de Brescia a confirmé la compétence du juge français ainsi que l'applicabilité de la loi française au présent litige.
LA COUR
Vu l'appel de la société Platek Light et ses dernières conclusions signifiées le 28 avril 2016, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a considéré que le préavis courait sur une période de 15 jours alors qu'il a couru du 29 octobre 2008 au 1er mars 2009, soit sur une période de quatre mois et deux jours,
- dire que la rupture des relations commerciales exclusives entre Platek Light et Etudéquipe n'est pas brutale et n'ouvre aucun droit à indemnisation sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
- débouter en conséquence la société Etudéquipe de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme étant mal fondées,
- dire qu'en l'état d'une relation commerciale n'excédant pas 5 années, le préavis donné par Platek Light à Etudéquipe, d'une durée totale de quatre mois et deux jours, est amplement suffisant, au regard de la jurisprudence constante en la matière, la rupture elle-même étant clairement causée par le refus persistant d'Etudéquipe de développer le marché en procédant à certains investissements, corollaires des propres investissements réalisés par la société Platek Light,
- dire que l'action diligentée par la société Etudéquipe est abusive, et en conséquence, condamner la société Etudéquipe à payer à la société Platek Light, une somme de 15 000 euros en dédommagement du préjudice subi par elle,
- condamner également la société Etudéquipe à payer à la société Platek Light une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 14 juin 2016 par la société Etudéquipe, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :
vu les pièces versées aux débats suivant bordereau annexé, les articles et conventions internationales précitées, vu l'application du droit français,
- dire, en application du jugement rendu le 4 juin 2014 par le Tribunal de Brescia (Italie), confirmé par l'arrêt de la Cour d'appel de Brescia du 26 octobre 2015, que le juge français est seul compétent pour statuer sur le présent litige,
- dire n'y avoir lieu à sursis à statuer pour litispendance,
- confirmer, par conséquent, le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 29 novembre 2011 en ce qu'il s'est déclaré compétent,
- dire que la rupture, par la société Platek Light, de ses relations commerciales établies avec la société Etudéquipe est abusive et fautive,
- confirmer, par conséquent, le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 29 novembre 2011 en ce qu'il a jugé que la société Platek Light a rompu brutalement ses relation commerciales établies avec la société Etudéquipe,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Platek Light à payer à la société Etudéquipe la somme de 22 000 euros à titre d'indemnité de préavis,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Etudéquipe du surplus de ses demandes,
et statuant à nouveau,
- dire que la rupture brutale, abusive et fautive par la société Platek Light, de ses relations commerciales établies avec la société Etudéquipe a causé un préjudice à la société Etudéquipe,
- condamner, par conséquent, la société Platek Light à verser à la société Etudéquipe, à titre de dommages et intérêts, pour manquement à ses obligations :
* la somme de 15 000 euros au titre des frais de recherches et de promotions de la nouvelle carte,
* la somme de 128 508,75 euros au titre de la rupture brutale entraînant la perte et le détournement des clients,
* la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral et de l'atteinte à sa réputation,
- condamner la société Platek Light à payer à la société Etudéquipe la somme de 10 000 euros au titre de l'abus de droit d'ester en justice,
- condamner la société Platek Light à payer à la société Etudéquipe la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la même société aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel, les dépens d'appel étant distraits au profit de Maître Edmond Fromentin, membre de la SCP Bommart Forster Fromentin, avocat, sur son affirmation de droit ;
SUR CE
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
La société Platek Light soutient que lors d'un rendez-vous du 29 octobre 2008, les responsables de la société Platek Light ont explicitement informé la société Etudéquipe de la rupture des relations commerciales et que le courrier du 15 décembre 2008 ne faisait qu'expliciter la rupture, en précisant le terme du préavis, fixé au 1er mars 2009, permettant ainsi à la société de bénéficier d'un préavis de quatre mois et deux jours, largement suffisant, compte tenu de relations qui n'ont pas duré plus de cinq ans et d'un chiffre d'affaires réalisé par Etudéquipe avec Platek Light représentant moins de 10 % de son chiffre d'affaires global. La société Platek Light ajoute que, dans les faits, la société Etudéquipe a bénéficié d'un préavis de douze mois, puisque Etudéquipe a pu passer directement des commandes auprès d'elle jusqu'en octobre 2009, ainsi qu'en attestent trois factures versées aux débats.
La société Etudéquipe réplique qu'après 5 années de collaboration fructueuse, la société Platek Light l'a informée de sa décision de rompre brutalement leurs relations commerciales, par courrier en date du 15 décembre 2008, lui indiquant qu'au 1er janvier 2009, la société ADS lui succéderait, lui faisant ainsi perdre son exclusivité sur la région parisienne pour la distribution des produits Platek Light, ainsi que le tarif préférentiel consenti par Platek Light. Ainsi, la société Etudéquipe estime avoir bénéficié d'un préavis de seulement 15 jours avant un important changement dans la relation commerciale, constitutif dès lors d'une brusque rupture des relations commerciales établies. Elle soutient qu'en aucun cas la rupture ne peut être considérée comme notifiée à la date de la réunion informelle du 29 octobre 2008, dès lors que l'incertitude était bien trop grande quant aux réelles intentions de la société Platek Light qui laissait au contraire augurer la continuation des relations commerciales. La société Etudéquipe ajoute que le choix de la société Platek Light de changer de partenaire repose, en réalité, sur un motif injustifié ou fallacieux, tenant à ses soi-disant mauvais résultats commerciaux, démontrant ainsi sa déloyauté dans la rupture.
Si, aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer. Par ailleurs, " les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".
Les parties ne s'opposent pas sur l'existence d'une relation commerciale établie, mais sur la date de notification du préavis et sur sa durée raisonnable.
Lors d'un rendez-vous du 29 octobre 2008, la société Platek Light dit avoir informé oralement la société Etudéquipe qu'elle entendait mettre fin à leur partenariat, de sorte que le point de départ du préavis doit être fixé à cette date.
Mais, il ressort de la pièce n° 4 de la société Platek Light que cette société est revenue sur sa décision, exprimée lors du 29 octobre 2008, semblant accepter la poursuite de la relation, de sorte que seule la lettre du 15 décembre 2008, manifestant sans ambiguïté la décision de rupture, doit être retenue comme point de départ du préavis.
La société Etudéquipe ne disposait plus de l'exclusivité de la distribution des produits Platek Light à compter du 1er janvier 2009 et ne pouvait plus acheter au tarif préférentiel des distributeurs Platek Light à compter du 1er mars, étant contrainte, à partir de cette date, de s'approvisionner auprès du nouveau distributeur désigné par le fournisseur pour la région parisienne. Il s'en déduit un préavis effectif, d'une durée de 15 jours, le préavis devant en effet s'exécuter dans les mêmes conditions que les relations commerciales établies, ce qui n'était plus possible à compter de l'installation du nouveau distributeur exclusif le 1er janvier 2009.
Or, la durée du préavis suffisant dépend du temps nécessaire au partenaire évincé pour trouver une solution alternative ; elle est donc fonction de la durée des relations commerciales établies, du pourcentage du chiffre d'affaires réalisé avec la société auteur de la rupture, du degré de dépendance économique et du montant des investissements irrécupérables investis dans la relation. Le délai de préavis suffisant s'apprécie au moment de la notification de la rupture, de sorte que ne peuvent être prises en compte, pour en modérer la durée, les factures des 5 mars, 20 avril et 12 octobre 2009, qui attestent seulement que la société Etudéquipe a pu se faire livrer des produits Platek directement de la part du fournisseur, pour des montants modestes respectifs de 1 041, 6 446 et 1 802 euros, sans, au demeurant, qu'il soit établi que ces livraisons correspondaient à des commandes postérieures à la rupture brutale.
En l'espèce, la société Etudéquipe réalisait moins de 10 % de son chiffre d'affaires avec la société Platek. Elle ne fait pas état de difficultés particulières pour trouver un partenaire de substitution dans de brefs délais à un fournisseur comme Platek Light, ni être dans un état de dépendance par rapport à cette société, ou avoir réalisé des investissements spécifiquement dédiés à cette relation, non amortis à la date de la rupture et non récupérables.
Compte tenu des circonstances de la rupture et de la durée des relations commerciales établies, de 6 ans, le tribunal de commerce a justement évalué la durée du préavis raisonnable à six mois, et calculé le préjudice de la société Etudéquipe sur une durée de cinq mois et demi.
Sur les préjudices de la société Etudéquipe
Sur le préjudice résultant de la rupture brutale
La société Etudéquipe sollicite à ce titre une indemnité de préavis égale à 5,5 mois de marge sur le chiffre d'affaires de l'année 2007, à l'exclusion de celui de l'année 2008, dont la chute est imputable à la société Platek Light, soit une somme de 22 000 euros.
Concernant le préjudice invoqué, la société Platek Light estime que la société Etudéquipe est mal fondée à se baser sur le chiffre d'affaires de 2007, seul, pour estimer son préjudice.
Mais il y a lieu d'approuver les premiers juges, qui ont justement évalué le préjudice subi par la société Etudéquipe à la somme de 22 000 euros, la moyenne des chiffres d'affaires réalisés en 2006 et 2007, à laquelle s'applique un taux de marge non sérieusement contesté de 33 % donnant un chiffre supérieur à celui demandé par la société intimée. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur l'anéantissement des efforts promotionnels
La société Etudéquipe sollicite le remboursement des frais de recherche qu'elle a engagés pour la promotion de sa nouvelle marque à hauteur de 15 000 euros.
Mais il convient d'approuver les premiers juges en ce qu'ils ont estimé que l'indemnité de préavis de 22 000 euros a précisément pour objet de couvrir ces frais de reconversion. Il ne saurait donc être alloué une somme complémentaire à la société Etudéquipe sur ce fondement.
Sur la perte de clientèle
La société Etudéquipe demande au titre de la rupture brutale une indemnisation à hauteur de 12 850,75 euros, correspondant à la perte de clientèle qu'elle a subie, dès lors que c'est elle qui a créé un portefeuille de clients, malgré un marché de plus en plus difficile, au profit de la marque Platek Light qui, avant 2003, n'avait pas d'activité, ni de client significatif sur la région parisienne.
Mais la perte de clientèle résulte de la rupture elle-même et non de sa brutalité. Cette clientèle n'est, en tout état de cause, pas attachée au distributeur, en dépit de tous ses efforts pour la constituer au fil des années et seule la démonstration d'une rupture abusive pourrait éventuellement ouvrir un droit à indemnisation de la société Etudéquipe. En outre, la société Platek Light rappelle à juste raison qu'elle possédait un établissement en France, jusqu'en 2002, et que si sa clientèle a naturellement été dévolue à la société Etudéquipe à compter de 2003, cette dernière ne saurait prétendre avoir créé l'intégralité de son portefeuille clients. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur le préjudice moral et d'atteinte à la réputation commerciale
La société Etudéquipe sollicite une indemnisation à hauteur de 10 000 euros au titre de son préjudice moral et de l'atteinte à sa réputation commerciale.
Mais elle ne verse aux débats aucun élément de nature à fonder ces préjudices, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement déféré également en ce qu'il a rejeté ce poste de demande.
Sur la procédure abusive
La société Etudéquipe sollicite enfin la condamnation de la société Platek Light au paiement d'une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice du fait de l'abus du droit d'ester en justice commis par la société Platek Light, manifesté par sa saisine dilatoire, du juge italien, manifestement incompétent, qui a allongé indûment la procédure de quatre années supplémentaires.
Mais, le droit de saisir un juge étant un droit fondamental, garanti par la CEDH, il ne saurait y être porté une atteinte excessive. Dès lors, en l'absence de démonstration d'une saisine manifestement irrecevable, intentée uniquement dans le dessein de nuire à l'adversaire, il ne saurait être reproché à la société Platek Light d'avoir saisi le juge italien, même si cette saisine a eu pour effet de rallonger la procédure diligentée en France.
Cette demande sera donc rejetée.
Sur la demande de la société Platek Light pour procédure abusive
La société appelante ne démontrant pas que l'action de la société Etudéquipe serait manifestement dépourvue de fondement, celle-ci ayant, au contraire, triomphé dans ses prétentions pour rupture brutale, cette demande sera également rejetée.
Sur les dépens et frais irrépétibles
La société Platek Light, succombant au principal, sera condamnée à supporter les dépens, ainsi qu'à payer à la société Etudéquipe la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, y ajoutant, Déboute la société Platek Light de sa demande pour procédure abusive, Condamne la société Platek Light aux dépens de l'instance d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la société Platek Light à payer à la société Etudéquipe la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.