CA Nancy, 5e ch. com., 14 février 2018, n° 16-02136
NANCY
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Mercedes Benz (SA)
Défendeur :
Tat (SARL), Paul Kroely VI 54 (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Diepenbroek
Conseillers :
MM. Soin, Brisquet
Avocats :
Mes Souchal, Oziol, Vogel, Tassigny, Joffroy, Haigar, Bellaiche
Vu lappel déclaré le 22 juillet 2016 par la SA Mercedes Benz à lencontre du jugement prononcé le 20 juin 2016 par le Tribunal de commerce de Nancy, dans laffaire qui loppose à la SARL TAT et à la SAS Paul Kroely IV 54 ;
Vu le jugement entrepris ;
Vu les conclusions notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le :
- 5 juillet 2017 par la SA Mercedes Benz France, appelante à titre principal et intimée à titre incident,
- 27 juin 2017 par la SARL TAT, intimée à titre principal et appelante à titre incident,
- 8 septembre 2017 par la SAS Paul Kroely IV 54, intimée à titre principal et appelante à titre incident,
Vu lordonnance de clôture rendue le 13 septembre 2017 ;
Vu lensemble des éléments du dossier ;
Exposé du litige
La société TAT, entreprise de maçonnerie, a acquis le 15 avril 2008 un véhicule neuf de type Mercedes Benz modèle Sprinter auprès de la SARL Lorraine Vosges VI, devenue SAS Paul Kroely VI 54 (ci-après société Kroely).
Courant janvier 2010, le véhicule a subi un sinistre accident à 35 701 km, pour lequel les réparations ont été réalisées par la SARL Lorraine Vosges.
Le 20 avril 2010 à 36 285 km, un premier entretien a été effectué, dont une intervention sur le système d'embrayage.
Le 23 janvier 2012 à 73 357 km, il a été procédé au remplacement de la culasse complété par la vidange du moteur, prestation prise en charge à hauteur de 65 % par le constructeur, Mercedes Benz.
Le 19 septembre 2012, une intervention sur la direction a été effectuée et le 27 septembre 2013, le véhicule en panne, totalisant 123 454 km, a été transféré vers la société Kroely qui a relevé un défaut de compression sur le cylindre n° 4 et préconisé le remplacement par échange standard du moteur.
Missionnée par la MAAF, assureur de la SARL TAT, une expertise contradictoire amiable a été effectuée par la Sogetec Vivier le 6 septembre 2013, dans les locaux de la société Kroely. Le rapport d'expertise déposé le 2 mai 2014 a incriminé la SAS Mercedes Benz, estimant ainsi anormale la défectuosité du moteur, au regard du kilométrage parcouru par le véhicule.
Cette expertise a été suivie par l'échec d'une tentative de règlement amiable, proposée le 14 mai 2014 par la SARL TAT à la SAS Mercedes Benz France.
Par acte d'huissier daté du 16 octobre 2014, la société TAT a donc fait assigner la société Kroely devant le Tribunal de commerce de Nancy, aux fins d'indemnisation, et par acte d'huissier du 17 mars 2015, la défenderesse a fait assigner en intervention forcée et en garantie la société Mercedes Benz France.
Par jugement daté du 20 juin 2016, le Tribunal de commerce de Nancy a :
- déclaré la société Kroely irrecevable en sa fin de non-recevoir,
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par les sociétés Kroely et Mercedes Benz, au titre de la prescription,
- condamné la société Kroely à payer à la société TAT les sommes de 8 650,82 euros correspondant à l'échange standard du moteur du véhicule Mercedes type Sprinter, et de 102 euros à titre de remboursement des frais de dépannage,
- condamné la société Mercedes Benz France à garantir la société Kroely desdites condamnations,
- débouté la société TAT de sa demande de remboursement des quatre factures de réparations antérieures à l'immobilisation du véhicule litigieux, portant sur la somme de 3 943,34 euros, de sa demande de remboursement des frais de location d'autres véhicules pour un montant de 467,50 euros, ainsi que de sa demande en dommages et intérêts pour privation de jouissance liée au véhicule Mercedes Sprinter,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés par moitié par la société Kroely et par la société Mercedes Benz.
La société Mercedes Benz a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières écritures, elle demande à la cour, vu la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'article L. 110-4 du Code de commerce, les articles 122 et suivants du Code de procédure civile, et les articles 1641 et suivants du Code civil :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a écarté le moyen pris de la prescription et partant de constater dire et juger que toute action formée à l'encontre de la société Mercedes Benz France sur le fondement de la garantie des vices cachés se trouve aujourd'hui prescrite, s'agissant d'un véhicule de 2008,
- de débouter toute partie de l'ensemble de leur demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Mercedes Benz France,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a fait application de la garantie légale des vices cachés et partant, constater dire et juger que les conditions d'application de cette garantie ne sont pas réunies en l'espèce,
- de constater dire et juger qu'aucune condamnation ne peut être prononcée à l'encontre de la société Mercedes Benz France, sur la seule base du rapport d'expertise de l'expert de la société TAT, qui ne constitue pas une analyse technique contradictoire probante,
- de débouter toute partie de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Mercedes Benz France,
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société TAT de ses demandes indemnitaires lesquelles ne sont justifiées, ni dans leur principe, ni dans leur montant,
- en tout état de cause, de débouter la société Kroely de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Mercedes Benz France,
- de débouter toutes parties de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Mercedes Benz France,
- de condamner la partie succombante à verser à la société Mercedes Benz France la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de condamner la partie succombante aux entiers dépens, dont distraction au projet de Me Souchal en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Dans ses ultimes écritures, la société TAT demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Kroely à lui payer la somme de 8 650,82 euros correspondant à l'échange standard du véhicule Mercedes type sprinter acquis sur ladite société ainsi qu'au paiement de la somme de 102 euros en remboursement des frais de dépannage, de dire et juger l'appel incident régularisé par elle à l'encontre dudit jugement recevable et bien fondé et infirmant la décision dans la mesure utile, de :
- condamner la société Kroely à lui verser la somme de 3 943,24 euros en remboursement des factures, la somme de 467,50 euros en remboursement des factures de location et la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour privation de jouissance,
- condamner par ailleurs la société Kroely à lui verser une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et ce pour l'ensemble de la procédure,
- débouter tant les sociétés Mercedes Benz France que la société Kroely de toute autre demande plus ample ou contraire,
- condamner par ailleurs la société Kroely aux entiers dépens tant de première instance que d'appel et prononcer distraction en ce qui concerne ces derniers au profit de Me Jean-Luc Tassigny, avocat postulant devant la cour.
Dans ses dernières conclusions, la société Kroely demande à la cour, vu l'article L. 110-4 du Code de commerce, les articles 122 et 123 du Code de procédure civile, la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription, les articles 1315, 1641 et suivants du Code civil, d'infirmer à titre principal le jugement en ce qu'il a déclaré la fin de non-recevoir au titre de la prescription irrecevable et en conséquence, de déclarer l'action en garantie des vices cachés initiée par la société TAT irrecevable car prescrite, et à défaut dire et juger que l'action en garantie formée contre la société Mercedes Benz n'est pas prescrite.
A titre subsidiaire, de débouter la société TAT de son appel incident et plus généralement de toutes ses demandes, fins et conclusions, et en conséquence, de juger que la preuve de l'existence d'un vice caché n'est pas rapportée et que la responsabilité de la société Kroely n'est pas engagée.
A titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour entrerait en voie de condamnation à l'encontre de la société Kroely, de débouter la société TAT de l'ensemble de ses demandes indemnitaires tant mal fondées qu'injustifiées et à défaut les ramener à de plus justes proportions, de condamner la société Mercedes Benz France à la garantir intégralement de toutes condamnations prononcées à son encontre en ce compris les dépens et frais de procédure.
En toute hypothèse, la société Kroely sollicite la condamnation de la société TAT et de la société Mercedes Benz à lui régler la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre la condamnation des mêmes à supporter les entiers dépens.
Sur ce, LA COUR,
Sur la fin de non-recevoir
Les fins de non-recevoir pouvant être proposées en tout état de cause, il convient en premier lieu de déclarer recevable le moyen pris de la prescription, soulevé en première instance, tant par la société Kroely que par la société Mercedes Benz France, et d'infirmer en conséquence le jugement en ce qu'il a déclaré la société Kroely irrecevable en sa fin de non-recevoir, au motif erroné selon lequel la prescription n'a pas été soulevée par cette dernière, avant toute défense au fond.
Pour conclure à la prescription de toute demande dirigée à son encontre, la société Mercedes Benz France soutient que le point de départ du délai de prescription de droit commun prévu par l'article L. 110-4 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, ne saurait se situer à une autre date que celle de la première mise en circulation du véhicule, soit le 15 avril 2008, cette seule date lui étant ainsi opposable. Elle ajoute que le délai de deux ans de l'action en garantie des vices cachés, prévu par l'article 1648 du Code civil, est enfermé dans ce délai de droit commun de cinq ans, et ne se substitue pas à lui.
S'agissant de la prescription de la demande dirigée par la société TAT à son encontre, la société Kroely invoque, de la même manière que la société Mercedes Benz France, les dispositions de l'article L. 110-4 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008. Elle estime en conséquence que la demanderesse aurait dû impérativement intenter son action en garantie des vices cachés, avant le 19 juin 2013.
S'agissant par ailleurs de la recevabilité de l'action récursoire intentée par elle à l'encontre de la société Mercedes Benz, la société Kroely expose qu'en considération de la maxime " contra non valentem agere non currit praescriptio ", signifiant que la prescription ne court pas ou est suspendue au profit de celui qui est dans l'impossibilité d'agir, le point de départ du délai de prescription ne saurait se situer au jour de la vente initiale, mais au jour de l'assignation délivrée par le client final, sous-acquéreur.
En réponse, la société TAT soutient que dans ses rapports avec la seule partie qu'elle a attrait en justice, à savoir la société Kroely, la prescription ne lui est pas opposable, en vertu de la rédaction de l'article 2233 du Code civil, issue de la loi du 17 juin 2008.
Elle estime ainsi que le point de départ de la prescription doit être envisagé à compter de la survenance du fait dommageable susceptible de voir mises en cause les règles concernant la garantie, en l'occurrence celle des vices cachés.
A titre liminaire, il convient de constater la non-application au présent litige des dispositions de l'article 2233 du Code civil, les dispositions spéciales du Code de commerce dérogeant en effet aux dispositions générales du Code civil, étant rappelé à cet égard que les obligations de la société Kroely vis-à-vis de la société TAT sont bien nées du commerce entre ces deux personnes morales, en leurs qualités de commerçants.
Par ailleurs, si l'action en garantie des vices cachés doit, en application de l'article 1648 du Code civil, être engagée dans les deux ans de la découverte du vice, elle doit également être engagée avant l'expiration du délai de droit commun fixé par les dispositions de l'article L. 110-4 du Code de commerce.
Le véhicule en litige ayant été vendu le 15 avril 2008, soit avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, la prescription décennale prévue par l'article L. 110-4, dans sa version en vigueur du 21 septembre 2000 au 19 juin 2008, était en cours au moment de l'entrée en vigueur de cette loi, et il y a lieu en conséquence de trancher la fin de non-recevoir opposant les parties, à l'aune du régime transitoire prévu par l'article 26 II de la loi précitée.
Le délai de prescription de cinq ans prévu par l'article L. 110-4 du Code de commerce, dans sa version applicable en l'espèce, commençant à courir au jour de l'entrée en vigueur de la réforme, soit le 19 juin 2008, c'est en conséquence à bon droit que la société Kroely fait valoir que la société TAT avait jusqu'au 19 juin 2013 pour intenter son action en responsabilité.
L'assignation ayant été délivrée à la société Kroely le 16 octobre 2014 et la société TAT ne justifiant d'aucun acte interruptif de prescription, la cour ne peut donc que déclarer prescrite l'action engagée par l'acheteur à l'encontre du revendeur et constater que l'appel en garantie de ce dernier à l'encontre de l'importateur est devenu sans objet.
Le jugement doit en conséquence être infirmé en ce qu'après avoir écarté la fin de non-recevoir soulevée tant par la société Kroely que par la société Mercedes Benz, il a examiné les demandes au fond.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera également infirmé dans ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance.
La société TAT, partie perdante, doit être condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'appelante et la société Kroely ayant exposé des frais irrépétibles afin de faire valoir leurs droits, il convient de leur allouer chacune la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, sans que la société TAT puisse prétendre à une telle indemnité.
Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile, Infirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 20 juin 2016 par le Tribunal de commerce de Nancy. Statuant à nouveau, Déclare irrecevable comme prescrite l'action intentée par la société TAT à l'encontre de la société Paul Kroely VI, Constate en conséquence que l'appel en garantie de la société Paul Kroely VI, dirigé à l'encontre de la société Mercedes Benz France, est devenu sans objet, Condamne la société TAT à payer à chacune des sociétés Paul Kroely VI et Mercedes Benz France la somme de 2 000 (deux mille euros), au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.