CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 février 2018, n° 15-10648
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Mov'in (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mme Schaller, du Besset
Avocats :
Mes Bernabe, Jarrige
Faits et procédure
La société Mov'in est spécialisée dans l'accord de licences de marque de centres de remise en forme et propose notamment à ses futurs partenaires un contrat de licence de la marque " Fitness Park by Moving ", exploitée sous le modèle économique du " low cost ".
Lors d'un salon se tenant en mars 2012, M. X a rencontré la société Mov'in et s'est montré intéressé par le projet d'ouvrir un centre de fitness.
Par courrier recommandé AR du 4 avril 2012, reçu le 12 courant, la société Mov'in lui a donc adressé un " document d'information pré-contractuel - DIP ".
Puis, par acte sous seing privé du 10 juillet 2012, M. X a signé avec la société Mov'in un " contrat de réservation, Fitness Park by Moving (valant promesse synallagmatique de licence de marque) ", pour l'implantation d'un centre de fitness à " Versailles agglomération " valable pendant une période de 12 mois.
Aux termes de l'article 1 du contrat, la société Mov'in promettait de concéder à M. X une licence pour ce centre et s'interdisait d'en accorder une à tout tiers sur le territoire réservé.
Lors de la signature du contrat, M. X a versé à la société Mov'in la somme de 29 900 euros TTC, au titre selon le cas, de la redevance de réservation (article 4), laquelle serait ensuite affectée au droit d'entrée si le club ouvrait dans le délai d'un an (article 2), ou de l'indemnité d'immobilisation de l'exclusivité du territoire réservé, restant acquise au concédant à défaut d'ouverture du club, de réservation d'un local ou de signature du bail dans ledit délai (article 5).
Durant la période suivant la signature du contrat, la société Mov'in a proposé deux emplacements potentiels de locaux dont un sur la commune de Poitiers.
Par courriel du 12 décembre 2012, M. X a demandé à la société Mov'in de lui rembourser la somme de 29 900 euros versée, aux motifs qu'il avait trouvé un emploi au Canada débutant le 15 janvier 2013 qui était davantage en adéquation avec son domaine de compétence, et, concernant le projet de centre de fitness, que les frais relatifs à la location et la remise en l'état du local, ainsi qu'à la nature de l'activité, étaient beaucoup plus élevés que ses estimations et les déclarations de ses interlocuteurs et que Mov'in ne lui avait réellement proposé qu'un investissement trop important pour lui au regard de sa rentabilité potentielle et trop éloigné géographiquement (étant à Poitiers).
M. X a réitéré sa demande par courrier RAR de son avocat du 8 mars 2013, au motif que la société Mov'in n'avait pas rempli ses obligations. La société Mov'in a refusé de faire droit à cette demande.
Par suite, selon acte du 10 septembre 2013, M. X a assigné la société Mov'in afin de voir prononcer la nullité du contrat de réservation et d'obtenir la restitution des fonds versés.
Par jugement du 6 mai 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :
- débouté M. X de sa demande en nullité du contrat de réservation ;
- condamné la SAS Mov'in à payer à M. X la somme de 14 500 euros outre intérêts au taux légal à compter de la publication du présent jugement, déboutant pour le surplus ;
- rejeté la demande de la SAS Mov'in en dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamné la SAS Mov'in à payer à M. X la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
- condamné la SAS Mov'in aux entiers dépens.
Vu la déclaration d'appel du 26 mai 2015 de la société Mov'in ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 5 décembre 2017 par la société Mov'in par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu les articles L. 330-3 du Code de commerce, 1134 et 1184 du Code civil, le contrat et l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 18 juin 2010,
- dire et juger la société Mov'in recevable en son appel et en l'intégralité de ses demandes,
- débouter Monsieur X de l'intégralité de ses demandes ;
Y faisant droit,
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la société Mov'in avait respecté son obligation d'information précontractuelle, en conséquence, débouté Monsieur Y de ses demandes tendant à la nullité du contrat de réservation et de restitution de la somme de 29 900 euros TTC, et en ce qu'il a considéré que l'indemnité d'immobilisation ne revêtait pas le caractère de clause pénale, en conséquence, rejeté les demandes de réduction de son montant et de restitution de la somme de 23 650,01 euros ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Mov'in à rembourser à Monsieur X la moitié de l'indemnité d'immobilisation versée ;
Statuant à nouveau,
- dire et juger que la société Mov'in a respecté ses obligations contractuelles ;
- dire et juger que la rupture unilatérale du contrat par Monsieur X est fautive ;
- ordonner le remboursement au profit de la société Mov'in de la somme de 14 500 euros versée par cette dernière à Monsieur X ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Mov'in tendant au versement de dommages et intérêts pour procédure abusive et, statuant à nouveau, condamner Monsieur X à verser à la société Mov'in la somme de 15 000 euros à ce titre ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Mov'in fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile et, statuant à nouveau, condamner Monsieur X à verser à la société Mov'in la somme de 10 000 euros ;
En tout état de cause,
- condamner Monsieur X à payer à la société Mov'in une indemnité de 8 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions signifiées le 29 novembre 2017 par M. X, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu les articles 1108, 1109, 1110, 1116, 1226, 1229, 1152 et 1147 du Code civil dans leur version applicable à l'espèce ;
Vu l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;
Vu les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ;
- débouter la société Mov'in de l'intégralité de ses demandes ;
A titre principal,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur Y de sa demande tendant à la nullité du contrat de réservation valant promesse synallagmatique de licence de marque ;
Et statuant à nouveau,
- constater que le consentement de Monsieur Y a été vicié par dol et par erreur ;
- annuler le contrat de réservation du 10 juillet 2012 ;
- condamner en conséquence la société Mov'in à restituer à Monsieur Y la somme de 29 900 euros TTC ;
A titre subsidiaire,
- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a rejeté la demande de Monsieur Y tendant à la requalification de l'indemnité d'immobilisation en clause pénale ;
Et statuant à nouveau,
- requalifier l'indemnité d'immobilisation en clause pénale ;
- ramener le montant de l'indemnité d'immobilisation à la somme de 6 249,99 euros ;
- condamner la société Mov'in à restituer à Monsieur Y la somme de 23 650,01 euros ;
En tout état de cause,
- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de Monsieur Y ; Et statuant à nouveau,
- condamner la société Mov'in à verser à Monsieur Y la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
- condamner la société Mov'in à payer à Monsieur Y la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 décembre 2017.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Motifs :
Vu l'article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
L'article L. 330-3 du Code de commerce dispose :
" Toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause.
Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités.
Lorsque le versement d'une somme est exigé préalablement à la signature du contrat mentionné ci-dessus, notamment pour obtenir la réservation d'une zone, les prestations assurées en contrepartie de cette somme sont précisées par écrit, ainsi que les obligations réciproques des parties en cas de dédit.
Le document prévu au premier alinéa ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimum avant la signature du contrat, ou, le cas échéant, avant le versement de la somme mentionnée à l'alinéa précédent. ".
L'article R. 330-1 du même code précise :
" Le document prévu au premier alinéa de l'article L. 330-3 contient les informations suivantes :
1° L'adresse du siège de l'entreprise et la nature de ses activités avec l'indication de sa forme juridique et de l'identité du chef d'entreprise s'il s'agit d'une personne physique ou des dirigeants s'il s'agit d'une personne morale ; le cas échéant, le montant du capital ;
2° Les mentions visées aux 1° et 2° de l'article R. 123-237 ou le numéro d'inscription au répertoire des métiers ainsi que la date et le numéro d'enregistrement ou du dépôt de la marque et, dans le cas où la marque qui doit faire l'objet du contrat a été acquise à la suite d'une cession ou d'une licence, la date et le numéro de l'inscription correspondante au registre national des marques avec, pour les contrats de licence, l'indication de la durée pour laquelle la licence a été consentie ;
3° La ou les domiciliations bancaires de l'entreprise. Cette information peut être limitée aux cinq principales domiciliations bancaires ;
4° La date de la création de l'entreprise avec un rappel des principales étapes de son évolution, y compris celle du réseau d'exploitants, s'il y a lieu, ainsi que toutes indications permettant d'apprécier l'expérience professionnelle acquise par l'exploitant ou par les dirigeants.
Les informations mentionnées à l'alinéa précédent peuvent ne porter que sur les cinq dernières années qui précèdent celle de la remise du document. Elles doivent être complétées par une présentation de l'état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché.
Doivent être annexés à cette partie du document les comptes annuels des deux derniers exercices ou, pour les sociétés dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé, les rapports établis au titre des deux derniers exercices en application du III de l'article L. 451-1-2 du Code monétaire et financier ;
5° Une présentation du réseau d'exploitants qui comporte :
a) La liste des entreprises qui en font partie avec l'indication pour chacune d'elles du mode d'exploitation convenu ;
b) L'adresse des entreprises établies en France avec lesquelles la personne qui propose le contrat est liée par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée ; la date de conclusion ou de renouvellement de ces contrats est précisée ;
Lorsque le réseau compte plus de cinquante exploitants, les informations mentionnées à l'alinéa précédent ne sont exigées que pour les cinquante entreprises les plus proches du lieu de l'exploitation envisagée ;
c) Le nombre d'entreprises qui, étant liées au réseau par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée, ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant celle de la délivrance du document. Le document précise si le contrat est venu à expiration ou s'il a été résilié ou annulé ;
d) S'il y a lieu, la présence, dans la zone d'activité de l'implantation prévue par le contrat proposé, de tout établissement dans lequel sont offerts, avec l'accord exprès de la personne qui propose le contrat, les produits ou services faisant l'objet de celui-ci ;
6° L'indication de la durée du contrat proposé, des conditions de renouvellement, de résiliation et de cession, ainsi que le champ des exclusivités.
Le document précise, en outre, la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l'enseigne ou à la marque que la personne destinataire du projet de contrat engage avant de commencer l'exploitation. ".
Les parties s'accordent en l'espèce pour dire que le " contrat de réservation, Fitness Park by Mov'ing (valant promesse synallagmatique de licence de marque) " qu'elles ont conclu le 10 juillet 2012 se trouve soumis aux dispositions qui précèdent.
Or, M. X soutient à bon droit et démontre qu'il a n'a pas bénéficié d'une information pré-contractuelle conforme aux exigences posées par ces textes, en raison du caractère lacunaire, imprécis et erroné du document d'information pré-contractuelle (DIP) que lui a adressé Mov'in le 12 avril 2012, ce qui constitue non pas un dol de la part de Mov'in faute de preuve d'une intention trompeuse de la part de celle-ci, mais a eu pour effet d'induire en erreur M. X et a vicié son consentement, de sorte que le contrat est entaché de nullité.
En effet, la documentation alors fournie par le concédant, outre son caractère très général, s'avère :
- incomplète, en ce qu'elle ne comprend pas en annexe les comptes annuels de Mov'in de l'année 2011 (étant indifférent que ceux-ci soient publiés), seuls ceux des années 2009 et 2010 étant joints, ne précise nullement la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à la marque que M. X devra engager avant de commencer l'exploitation, et fait état d'informations anciennes (de 2004) concernant le marché local de l'agglomération de Versailles,
- imprécise et erronée, en ce qu'elle se réfère tout à la fois à la cession de marque et à la franchise, alors que ces deux modes d'exploitation sont très différents, les obligations du propriétaire de la marque envers l'exploitant étant beaucoup plus importantes lorsque il est franchiseur, avec en particulier des obligations de transmission du savoir-faire et d'assistance (technique et commerciale), plutôt que concédant, où il se limite en substance à autoriser l'utilisation de sa marque, ce, même si le contrat de réservation, en ses seules stipulations préliminaires in fine, prévoyait que le bénéficiaire agira " par ses propres moyens et/ou avec l'aide de ses conseils ", à savoir ceux de Mov'in,
Cette confusion a au surplus été entretenue par la remise, antérieurement à l'envoi du DIP, lors du salon du 19 mars 2012, d'une plaquette publicitaire se référant exclusivement à la franchise et mettant en exergue les prestations conséquentes d'assistance de Mov'in et, postérieurement à la signature du contrat de réservation, d'un livret d'accueil manifestement rédigé à destination des franchisés.
Par ailleurs, s'il est vrai que l'obligation d'établir un compte prévisionnel pesait sur M. X, il n'en demeure pas moins que cette obligation devait pouvoir se baser sur des informations préalables précises et sincères du concédant.
Enfin, il apparaît que l'erreur induite a été déterminante dans le consentement de M. X, eu égard, d'une part, à son caractère substantiel, et, d'autre part, à sa dénonciation récurrente par l'intéressé dans les mois qui ont suivi la signature du contrat, les pièces du débat mettant en évidence la méprise de l'intéressé sur les obligations respectives des parties, celui-ci indiquant par exemple au bailleur du local de Poitiers " Je pensais que Moving traitait directement avec vous " (mail du 19 octobre 2012), alors que c'était à lui d'effectuer les formalités utiles à la conclusion du bail, ou à Mov'in qu'il était " circonspect sur la manière dont se déroulent les différents points du dossier " ou " dans l'inconnu " ou " dans le flou, faute d'expérience et d'avis éclairé " sur les prévisions de vente (mail du 26 octobre 2012).
Il importe peu à cet égard que M. X, en annonçant à Mov'in son intention de rompre le contrat par son mail du 12 décembre 2012, ait invoqué parmi les motifs justifiant sa décision l'obtention d'un emploi plus conforme à son expérience, dès lors que ce motif n'est pas incompatible, ni contradictoire avec les autres avancés, faisant état de la distorsion entre ses prévisions résultant notamment des déclarations de ses interlocuteurs et la réalité.
M. X ne rapporte pas la preuve en revanche que Mov'in l'aurait trompé en l'incitant à contracter pour Versailles, dont elle aurait su le marché saturé, alors qu'elle avait dès l'origine l'intention de le ré-orienter vers Poitiers.
En conséquence, la nullité du contrat sera prononcée et Mov'in sera condamnée à restituer à M. X Perel la somme versée à titre de redevance/indemnité, le jugement dont appel étant infirmé.
Ce jugement sera confirmé toutefois en ce qu'il a débouté chaque partie de leur demande de dommages intérêts accessoires, M. X ne justifiant pas de son préjudice et Mov'in de la faute de ce dernier qui a gain de cause.
Il sera également confirmé sur la charge des dépens et l'indemnité allouée en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Mov'in supportera également les dépens de l'appel. L'équité commande d'allouer à M. X la somme supplémentaire de 4 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, infirme le jugement entrepris, excepté en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes de dommages intérêts, ainsi que sur les dépens et l'octroi d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Statuant de nouveau, prononce la nullité du contrat de réservation ; condamne, en conséquence, la société Mov'in à payer à M. X la somme de 29 900 euros TTC, à titre de restitution ; condamne la société Mov'in à payer à M. X la somme de 4 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; rejette toutes autres demandes ; condamne la société Mov'in aux dépens.