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Décisions

Cass. com., 14 février 2018, n° 16-24.619

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Optical Center (SAS)

Défendeur :

Les Frères Lissac (SA) , Lissac enseigne (SAS) , Audioptic Trade Services (Sté) , Groupement d'achats des opticiens lunetiers (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

Mme Pénichon

Avocats :

SCP Boullez, Me Haas

Paris, pôle 5, ch. 1, du 6 sept. 2016

6 septembre 2016

LA COUR : - Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 6 septembre 2016 rectifié le 13 décembre 2016), que la société Optical Center a pour activité la vente au détail d'équipements optiques et exploite sous son enseigne des magasins, soit en succursale, soit en franchise ; que la société Gadol, titulaire de la marque "Optic 2000", est une coopérative de commerçants indépendants ayant pour activité la fourniture de produits et services nécessaires à la profession d'opticien ; que la société Les Frères Lissac exploite des magasins d'optique en succursale sous l'enseigne "Lissac" et que la société Lissac enseigne anime un réseau de franchise de magasins d'optique sous cette même enseigne ; que le GIE Audioptic Trade Services regroupe un ensemble de services dont des services administratifs, comptables, juridiques, logistiques et de stockage informatique mis en commun au profit de ses membres, dont les sociétés Gadol, Les Frères Lissac et Lissac enseigne ; que reprochant aux sociétés Gadol, Les Frères Lissac et Lissac enseigne et au GIE Audioptic Trade Services de pratiquer une fausse facturation consistant à augmenter le prix des verres et diminuer celui des montures, afin d'attirer les clients par la réduction du prix à régler directement, le solde étant pris en charge par les mutuelles, pratiques constitutives d'actes de concurrence déloyale, la société Optical Center les a assignés en réparation de son préjudice ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° R 16-24.619 : - Attendu que la société Optical Center fait grief à l'arrêt du 6 septembre 2016 de confirmer le jugement en ce qu'il a mis la société Lissac enseigne et le GIE Audioptic Trade Services hors de cause et d'écarter, en conséquence, son action en responsabilité formée à leur encontre alors, selon le moyen : 1°) qu'un acte de concurrence déloyale commis par une société filiale peut être imputé aux autres sociétés du groupe, quand bien même elles sont investies d'une personnalité morale distincte, dès lors que cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données sur le marché au point que les différentes sociétés du groupe forment entre elles une entité économique unique et qu'elles répondent de ce fait in solidum des agissements de chacune d'entre elles ; qu'en affirmant que la notion d'entité économique unique était étrangère au droit commun de la concurrence déloyale exprimé par l'article 1382 du Code civil qui sanctionne le fait personnel de l'auteur du dommage et que l'autonomie de chacune des personnes morales interdisait à la société Optical Center de rechercher la responsabilité d'une seule entité, sous couvert d'une confusion des patrimoines, quand il lui appartenait de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'imputabilité des actes de concurrence déloyale aux différentes personnes morales constituées pour l'exploitation de magasins d'optiques sous l'enseigne Lissac ou Optic 2000, ne justifiait pas de retenir la responsabilité in solidum de chacune d'entre elles en raison de leur appartenance à une entité économique unique leur dictant leurs agissements sur le marché de l'optique, sans que leur personnalité morale soit pour autant méconnue, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1842 du Code civil ; 2°) qu'en affirmant que la société Lissac enseigne était indépendante de ses franchisés dont elle ne devait pas répondre, au lieu de rechercher si l'existence d'une entité économique unique ne lui imposait pas de répondre des quatre autres sociétés du groupe, la cour d'appel a déduit un motif inopérant, en violation des articles 1382 et 1842 du Code civil ; 3°) que l'action en concurrence déloyale peut être mise en œuvre quel que soit le statut juridique de l'auteur de la faute alléguée, sans qu'il soit nécessaire de rapporter la preuve d'une situation de concurrence ; qu'en retenant, par un dernier motif, que le GIE Audioptic Trade Services est un groupement d'intérêt économique n'ayant aucune activité de vente de produits d'optique lunetterie auprès des consommateurs, la cour d'appel qui a déduit un motif inopérant, a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant énoncé exactement que la notion d'entité économique, propre au droit de la concurrence, ne trouve pas application en matière de responsabilité civile délictuelle de droit commun, fondée sur les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil, et que la responsabilité civile d'une personne juridique ne peut être retenue, sur la base de l'existence d'une entité économique, pour des actes commis par d'autres personnes, la cour d'appel en a exactement déduit que la société Lissac enseigne et le GIE Audioptic Trade Services devaient être mis hors de cause ;

Et attendu, en second lieu, que la cour d'appel n'ayant pas écarté la responsabilité du GIE Audioptic Trade Services au motif qu'il ne se trouvait pas en situation de concurrence avec les autres sociétés, le moyen, pris en sa troisième branche, manque en fait ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen de ce pourvoi : - Attendu que la société Optical Center fait grief à l'arrêt du 6 septembre 2016 d'écarter ses demandes formées sur le fondement de la concurrence déloyale alors, selon le moyen : 1°) que les sociétés coopératives de commerçants détaillants répondent de plein droit à l'égard des tiers des actes de concurrence déloyale commis par leurs associés-adhérents dans l'exercice des activités énumérées par l'article L. 124-1 du Code de commerce, sans que la victime soit tenue de rapporter la preuve de la complicité ou de la complaisance fautive de la société coopérative ; qu'en affirmant que la société Gadol, en sa qualité de coopérative, ne peut être tenue responsable a priori des agissements des membres de son réseau et qu'il appartient donc à la société Optical Center de rapporter la preuve d'une faute personnellement imputable à la société coopérative Gadol, la cour d'appel a violé les articles 1832 et 1842 du Code civil, ensemble la disposition précitée ; 2°) que la société coopérative de commerçants détaillants répond de plein droit à l'égard des tiers des actes de concurrence déloyale commis par ses associés-adhérents dans l'exercice des activités énumérées par l'article L. 124-1 du Code de commerce, sans qu'elle puisse s'exonérer de la responsabilité qu'elles encourent de leur fait par la preuve de son absence de faute ; qu'en retenant, pour dégager de toute responsabilité la société Gadol, qu'elle " avait initié des opérations d'envergure, d'information et de sanctions auprès de ses membres associés pour prévenir et au besoin faire cesser toute pratique illégale de surfacturation des verres et qu'ainsi aucune complicité ou complaisance fautive à l'égard de tels actes ne saurait lui être reproché ", la cour d'appel a violé les articles 1832 et 1842 du Code civil, ensemble la disposition précitée ; 3°) que les sociétés coopératives de commerçants détaillants tiennent de l'article L. 124-1, 3° bis, du Code de commerce, le pouvoir " d'organiser entre les associés une coopération financière, notamment à travers la constitution de sociétés, exerçant sous leur contrôle direct ou indirect et ayant pour finalité d'apporter par tous moyens un soutien à l'achat, à la création et au développement du commerce, dans le respect des dispositions propres aux établissements de crédit " ; qu'il s'ensuit qu'elles sont responsables de plein droit, au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil des dommages qu'elles causent à cette occasion aux tiers par des actes de concurrence déloyale ; qu'en affirmant que la société Gadol, en sa qualité de coopérative, ne peut être tenue responsable a priori des agissements des membres de son réseau et qu'il appartient donc à la société Optical Center, au soutien de son action en concurrence déloyale, de rapporter la preuve d'une faute personnellement imputable à la société coopérative Gadol, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société Gadol ne devait pas répondre des actes de concurrence déloyale accomplis par ses adhérents dont elle contrôlait les pratiques commerciales de jure et de facto en leur imposant de respecter des chartes de qualité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ; 4°) que les personnes tenues de répondre du fait d'autrui au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ne peuvent s'exonérer de la responsabilité de plein droit résultant de ce texte en démontrant qu'elles n'ont commis aucune faute ; qu'en retenant, pour dégager la société Gadol de toute responsabilité, qu'elle " avait initié des opérations d'envergure, d'information et de sanctions auprès de ses membres associés pour prévenir et au besoin faire cesser toute pratique illégale de surfacturation des verres et qu'ainsi aucune complicité ou complaisance fautive à l'égard de tels actes ne saurait lui être reproché ", la cour d'appel a violé la disposition précitée ; 5°) qu'en relevant in fine qu'aucun acte de concurrence déloyale n'était imputable aux 27 succursales exploitées par la société Les Frères Lissac, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si elle ne formait pas avec les quatre autres sociétés du groupe une entité économique unique justifiant de retenir leur responsabilité in solidum, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1842 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir retenu que la société Gadol, titulaire de la marque "Optic 2000" est une coopérative de commerçants indépendants, assurant, en qualité de centrale d'achat, la fourniture de produits et services nécessaires à la profession d'opticien, et qu'elle n'exploite pas personnellement de magasin d'optique, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elle ne peut, en sa seule qualité de coopérative, être tenue pour responsable des agissements des membres de son réseau ;

Attendu, en second lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des conclusions d'appel de la société Optical Center, que celle-ci ait fondé ses demandes sur la responsabilité du fait d'autrui ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit ;

Et attendu, en troisième lieu, qu'ayant estimé qu'aucune faute ne pouvait être personnellement imputée à la société Les Frères Lissac, la cour d'appel n'avait pas à effectuer la recherche inopérante invoquée à la cinquième branche ; d'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le moyen unique du pourvoi n° W 17-11.909, qui est recevable : - Attendu que la société Optical Center fait grief à l'arrêt du 13 décembre 2016 d'ordonner la rectification de l'arrêt du 6 septembre 2016 en ce qu'il a statué ultra petita à l'égard de la société Lissac enseigne et du GIE Audioptic Trade Services sur leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de rectifier cet arrêt en remplaçant la somme de 25 000 euros par celle de 10 000 euros alors, selon le moyen, que la cassation de l'arrêt rectifié du 6 septembre 2016, sur le pourvoi n° R 16-24.619, emportera l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt rectificatif du 13 décembre 2016 qui s'y incorpore, en application de l'article 625 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que le rejet des deux moyens du pourvoi n° R 16-24.619 rend le moyen sans portée ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois.