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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. civ. A, 15 février 2018, n° 16-02918

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Labo France (SAS)

Défendeur :

X (Epoux), Y, Gan Assurances Département Construction Indemnisation Conseil (Sté), Maif (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boyer

Conseillers :

Mmes Almuneau, Faure

Avocats :

Mes Alliez, Bessière, Pouget, Sergent

TGI Mende, du 15 juin 2016

15 juin 2016

M. et Mme M. ont confié en 2009 à M. Christian P. sur la base d'un devis du 26 août 2009, des travaux de dépose du carrelage de leur maison sur une surface de 80 m² et la pose d'un nouveau carrelage, pour un coût de 7191 €.

Les joints en résine époxy ont noirci à partir de 2010, phénomène d'autant plus visible que les carreaux étaient de teinte blanche.

M. Christian P. a accepté de reprendre les joints. Les travaux de reprise se sont déroulés en octobre et novembre 2011.

Les joints de la salle de séjour ont été enlevés avec une disqueuse.

Pour les autres pièces du rez-de-chaussée, M. Christian P. a utilisé, après essai, un produit chimique de type Sol MP+10 K, fabriqué et commercialisé par la société Labo France, l'application de ce produit entraînant un ramollissement du joint époxy, ce qui permet de le détacher plus facilement de son support

Le produit en question a attaqué le revêtement de surface des carreaux sur lesquels des traces jaunâtres de forme circulaire sont apparues.

De l'expertise contradictoire organisée par l'assureur protection juridique de M. et de Mme M., en présence de l'expert de la société Gan, assureur de M. P. et de la société Labo France, il est ressorti que l'utilisation du produit était exclue sur la céramique.

Les travaux de reprise ont été évalués à la somme de 23 006,20 € sur la base de devis sollicités auprès de plusieurs entreprises.

Par actes des 22 novembre et 30 décembre 2013, la société Maif et M. et Mme M. ont assigné M. Christian P., la compagnie d'assurances Gan et la société Labo France en demandant leur condamnation in solidum au visa des articles 1384 alinéa 1er et 1382 du Code civil, à prendre en charge les conséquences financières du sinistre étant précisé que la société Maif a versé à ses assurés, la somme de 17 720,04 €.

Par jugement réputé contradictoire du 15 juin 2016, le Tribunal de grande instance de Mende :

- a dit que M. Christian P., sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil et la société Labo France, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, sont responsables in solidum de la dégradation du carrelage équipant la maison des époux M.,

- en conséquence, a condamné in solidum M. Christian P., sous la garantie de son assureur, le Gan et la société Labo France à payer à la Maif, la somme de 17 720,04 € d'une part et d'autre part aux époux M., la somme de 5 286,26 € à titre de dommages et intérêts,

- a dit qu'en tout état de cause, la garantie du Gan sera réduite par application de la franchise contractuelle à hauteur de 10 % du montant total des dommages, sans que celle-ci ne puisse cependant être opposée aux époux M.,

- a dit que la société Labo France devra relever indemne M. Christian P. ainsi que son assureur, le Gan, de l'ensemble des condamnations prononcées à leur encontre,

- a condamné in solidum M. Christian P., son assureur, le Gan ainsi que la société Labo France à verser à la Maif, une indemnité de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- a dit que la société Labo France devra également relever indemne M. Christian P. et son assureur de cette condamnation,

- a condamné M. Christian P., le Gan ainsi que la société Labo France aux entiers dépens de la présente instance et a dit que la société Labo France devra également sa garantie à l'égard de M. Christian P. et du Gan au titre des dépens.

Le 29 juin 2016, la société Labo France a interjeté appel du jugement rendu.

Vu les dernières conclusions signifiées le 26 septembre 2016 par la société Labo France et tendant à titre principal à ce qu'il soit dit et jugé que M. Christian P. est seul et entièrement responsable du préjudice subi par M. et Mme M. et à titre subsidiaire, que sa part de responsabilité ne dépasse pas 5 %,

Vu les dernières conclusions signifiées le 25 octobre 2016 par M. et Mme M. et par la Maif demandant la confirmation du jugement rendu,

Vu les conclusions de la société Gan signifiées le 21 novembre 2016 et tendant à sa mise hors de cause par absence de mobilisation de sa garantie,

Bien que régulièrement assigné à personne, M. Christian P. n'a pas constitué avocat.

Conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour l'exposé complet de leurs moyens.

La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 31 mars 2017 avec effet différé au 9 novembre 2017.

Ceci étant :

Sur les responsabilités du sinistre :

Au soutien de son appel, la société Labo France fait valoir qu'il appartient à M. et à Mme M. avec lesquels, elle n'a aucun lien contractuel de rapporter la preuve qu'elle a commis une faute en lien de causalité directe avec leur dommage et qu'ils échouent dans cette démonstration.

Mais M. et Mme M. qui recherchent la responsabilité de la société Labo France sur la base de l'article 1240 du Code civil (ancien article 1382 du Code civil) peuvent se prévaloir d'une faute commise par la société Labo France, dans le cadre du contrat qui la liait à M. Christian P. dès lors que cette faute a entraîné le préjudice qu'ils subissent.

M. et Mme M. soutiennent que la société Labo France a été défaillante dans l'exécution de l'obligation d'information et dans le devoir de conseil qu'elle devait à M. Christian P., puisqu'elle ne démontre pas l'avoir averti de l'incompatibilité du produit avec le revêtement en céramique du carrelage, ni lui avoir fourni la fiche technique du produit et les informations nécessaires à l'utilisation du produit.

Si la société Labo France affirme avoir remis à M. Christian P., la fiche technique du produit qui aurait été également reproduite sur le bidon du produit vendu, elle ne le démontre pas.

La société Labo France fait aussi observer que l'obligation d'information et de conseil à l'égard de l'acheteur professionnel n'existe que si la compétence de cet acheteur ne lui permet pas d'apprécier les caractéristiques du produit, qu'en l'espèce, M. Christian P. était un carreleur professionnel qui pouvait mesurer les risques d'un produit décapant sur un support qu'il connaissait.

Pour autant, il n'est pas certain que M. Christian P. ait été informé de l'incompatibilité qui existait entre ce produit décapant et la céramique du carrelage.

La société Labo France fait valoir que le produit Sol MP + 10 K, qui est un produit incolore ne peut être à l'origine du jaunissement constaté.

Mais cet argument a été récusé par la société Saretec, expert mandaté par la compagnie d'assurances Gan, qui a précisé que les traces jaunes de forme circulaire observées sur les carreaux étaient la conséquence de l'agression chimique subie par le revêtement brillant des carreaux, que le corps poreux des carreaux n'étant plus protégé, l'eau de lavage chargée de particules sales, s'incrustait dans le carrelage et faisait apparaître des taches et auréoles de plus en plus marquées au fil du temps, que l'essai réalisé dans un placard, en présence d'un préposé de la société Labo France, avait provoqué une tache.

Cette analyse du désordre n'a pas été utilement contredite par la société Labo France qui n'a pas communiqué une autre analyse technique ou réclamé une expertise judiciaire.

La société Labo France, souligne que le produit Sol MP + 10 K a été pulvérisé, que M. Christian P. n'a pas suffisamment protégé les carreaux, que les traces visibles sur les photographies prises lors des réunions du Cabinet Eurexo démontrent un manque de soin.

La société Labo France produit en tout et pour tout deux photographies :

- sur la première apparaît la trace circulaire d'un pot dont il ne peut être affirmé qu'il s'agissait du bidon contenant le produit Sol MP + 10 K.

- sur la seconde, apparaîtraient des traces sur la cloison de la salle de bains (lesquelles sont très peu visibles) que la société Labo France attribue au travail peu soigné de M. Christian P. alors qu'en réalité le revêtement de céramique a été dégradé sur une majorité de carreaux au pourtour des joints, ce qui traduit non pas une exécution peu soigneuse de la part de M. C. ian P. mais bien une méconnaissance des caractéristiques physico chimiques du produit décapant vendu par la société Labo France.

C'est par une motivation que la cour adopte que le premier juge a considéré qu'il n'était pas établi que M. Christian P. avait une connaissance parfaite des caractéristiques du produit, que la société Labo France ne justifiait pas lui avoir remis une quelconque notice informative, susceptible d'avoir attiré son attention sur l'incompatibilité entre le produit chimique et les carreaux de céramique, que la société Labo France ne pouvait prétendre que le désordre était dû à une application défectueuse du produit dans la mesure où la partie de carrelage située à l'intérieur d'un placard, qui avait été traitée par les soins et sur les recommandations de l'un de ses préposés, présentait les mêmes dégradations que le reste de la surface du rez-de-chaussée (à l'exclusion de la salle de séjour), ce qui démontrait que seule l'utilisation du produit et non les conditions de sa mise en œuvre devait être retenue comme étant à l'origine du sinistre.

La société Labo France doit donc relever et garantir entièrement M. Christian P. des conséquences du sinistre.

En revanche, la société Labo France et M. Christian P. qui ont tous deux concouru à la réalisation du dommage, sont tenus in solidum de réparer les conséquences financières du sinistre à l'égard de M. et Mme M. et de la société Maif subrogée dans les droits de ces derniers, la société Labo France sur le fondement de l'article 1240 du Code civil et M. Christian P. sur le fondement contractuel de l'article 1231-1 du Code civil (ancien article 1147), pour n'être pas parvenu à exécuter des travaux exempts de vices et avoir employé un produit dont il ne maîtrisait pas les effets, les dispositions de l'article 1231-1 du Code civil se substituant à celles de l'article 1242 du Code civil (ancien article 1384 du Code civil).

Sur le montant des conséquences financières du sinistre :

Les dégâts provoqués par le produit Sol MP + 10 K nécessitent des travaux et la fourniture de matériaux à hauteur de la somme de 23 006,30 € selon le décompte suivant, après obtention de devis :

- démolition, fourniture, pose de carreaux et plinthes dans le séjour + cuisine + chambre : 18 700 €

- démontage, remontage cuisine intégrée : 3 210 €,

- démontage, remontage poêle : 96,30 €,

- perte d'usage le temps des travaux : 700 €

- rabotage des menuiseries : 300 €

La société Labo France soutient que cette évaluation ne correspond ni à la réalité ni à l'étendue du préjudice, que la surface du séjour d'une superficie de 40 m² traitée avec la disqueuse a été englobée mais c'est à juste titre que M. et Mme M. font observer que le seul remplacement des carreaux détériorés, n'est pas envisageable en raison des nuances de teintes et de la patine différente des carreaux qui seraient laissés en place.

La société Labo France fait remarquer que le carrelage avait été acheté, le 10 septembre 2009, 35 € HT le m², soit 41,86 € TTC et la pose facturée 39 € le m², soit 80,86 € par m² alors que les devis du cabinet Eurexo, fixent le prix du m² en fourniture et pose de carrelage collé à 140 € le m², ce qui constitue une nette augmentation à la fois des prestations et des matériaux.

Le devis établi par M. Christian P. a été validé par l'expert d'assurance et la société Labo France qui disposait des métrages, n'a communiqué aucun autre devis estimatif.

Le cabinet d'expertises Saretec qui intervenait pour le compte de la société Gan, n'a émis aucune objection sur le chiffrage retenu par le cabinet Eurexo, de telle sorte que c'est par une exacte analyse des faits, que le premier juge a considéré que cette estimation devait être validée en l'absence d'éléments chiffrés susceptibles de la contredire.

Sur le recours en garantie dirigé contre la société Gan :

Le tribunal a considéré que la société Gan devait sa garantie à M. Christian P., pour les dommages corporels, matériels et immatériels causés aux tiers, en application de l'article 5 du titre II du chapitre 3 des conditions générales de la police d'assurance sur la responsabilité civile, relatif aux dommages imputables aux ouvrages ou travaux après achèvement et/ou aux matériels ou produits après leur livraison.

La compagnie d'assurances Gan fait valoir que le premier juge n'a pas tenu compte de l'exclusion de garantie figurant à l'article 8 du titre III qui écarte de la garantie, les dommages subis par les ouvrages ou travaux exécutés par l'assuré ou ses sous-traitants ainsi que les dommages subis par les produits, matériaux et composants livrés par l'assuré ou ses sous-traitants.

L'article 5 du titre II mentionne des dommages survenus après l'achèvement des ouvrages ou travaux et qui ont pour origine de la part de l'assuré ou de son personnel, une faute professionnelle ou une malfaçon technique ou résultent d'un vice de conception ou de fabrication des matériels et produits qu'il a fournis pour l'exécution de ses ouvrages ou travaux.

Cette disposition doit être interprétée comme conférant une garantie en cas de vice d'un produit utilisé par l'artisan dans le cadre de l'exécution de ses travaux, que tel est bien le cas en l'espèce.

Le jugement doit donc être approuvé en ce qu'il a dit que la compagnie d'assurances Gan devait sa garantie sous réserve de la franchise applicable, qu'elle même pouvait prétendre exercer un recours à l'encontre de la société Labo France dont le produit était à l'origine exclusive du dommage sans que les conditions de sa mise en œuvre par les soins de M. Christian P. aient pu jouer un rôle.

Les dispositions du jugement sont également confirmées sur la charge des frais irrépétibles et des dépens.

Par son appel, la société Labo France a contraint les sociétés Maif et Gan à engager de nouveaux frais de représentation en appel, ce qui justifie sa condamnation à leur payer à chacune la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les dépens de la procédure d'appel sont mis à la charge de la société Labo France.

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, en matière civile et en dernier ressort, Confirme le jugement rendu le 15 juin 2016 par le Tribunal de grande instance de Mende, avec substitution partielle de motifs en ce qui concerne le fondement contractuel de la responsabilité de M. Christian P. ; Y ajoutant, Condamne la société Labo France à payer à chacune des sociétés Maif et Gan, la somme de 1 500 € au titre de leurs frais irrépétibles d'appel. Condamne la société Labo France à prendre en charge les dépens de la procédure d'appel.