CA Douai, premier président, 22 février 2018, n° 17-03997
DOUAI
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Union des Groupements de Producteurs de Viande de Bretagne
Défendeur :
Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi des Hauts de France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Tapsoba-Chateau
Par ordonnance sur requête du 1er juin 2017, le juge des libertés et de la détention au Tribunal de grande instance de Lille a :
- autorisé, Monsieur Jean-Louis M., chef de pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts de France (DIRECCTE des Hauts de France) à procéder, avec des enquêteurs habilités que M. M. aura désignés, à faire procéder, aux visites et saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article L 420-1 du Code de commerce relevées dans le secteur de la production, du conditionnement et de la distribution d'oeufs coquille, ainsi que toute manifestation de ces comportements prohibés dans les locaux des entreprises suivantes :
L'Union des Groupements de Producteurs de Viande de Bretagne (UGPVB), sise [adresse] ;
CDPO, PGH Holding et JD Transports, sises Portes de Champagne, [adresse] et les sociétés du même groupe situées à la même adresse ;
Matines, sise [adresse] et les sociétés du même groupe situées à la même adresse ;
Matines et Avril PA, sises [...] et les sociétés du même groupe situées à la même adresse ;
Galline Frais et Holding Galline Frais, sises [adresse] et les sociétés du même groupe situées à la même adresse ;
Cette ordonnance précisait qu'elle serait caduque si les opérations de visite et saisie n'étaient pas effectuées avant le 31 juillet 2017.
Par ordonnance sur requête du 6 juin 2017, le juge des libertés et de la détention au Tribunal de grande instance de Lille a :
Dit que dans l'ordonnance du 1er juin 2017 prise par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Lille consécutivement à la requête du 30 mai 2017, il y a lieu de supprimer en page 6 de ladite ordonnance les mots suivants : " que l'Administration a par ailleurs, produit une version non anonyme des documents annexés au procès-verbal de déclaration'.
Par déclaration au greffe du Tribunal de grande instance de Lille du 21 juin 2017 de son avocat, l'Union des Groupements de producteurs de viande de Bretagne dite UGPVB a formé un recours contre l'ordonnance du 1er juin 2017 du juge des libertés et de la détention de Lille, autorisant la visite domiciliaire et les saisies en ses locaux.
Ce recours a été enregistré sous le numéro de répertoire général initial 17/3997.
Les opérations de visite et de saisie se déroulaient le 13 juin 2017 dans les locaux de l'UGPVB.
A l'audience du 18 janvier 2018 à laquelle cette affaire a été appelée et retenues
L'UGPVB demande à la présente juridiction
A titre principal,
- D'annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention près le Tribunal de grande instance de Lille du 1er juin 2017, dès lors que :
Les déclarations anonymes ne remplissaient pas les conditions exigées pour être retenues, alors que ce juge des libertés et de la détention n'avait été destinataire que de la seule déclaration anonyme qui ne lui avait pas permis de vérifier l'existence du déclarant, qu'il n'avait pu consulter aucune version non anonyme du procès-verbal de déclaration, que cette déclaration n'était corroborée par aucun autre élément, les annexes versées par le déclarant anonyme lui-même et rédigées par lui ne pouvant être retenus dès qu'elles ne constituaient pas des emails mais de simples déclarations anonymes.
Le juge des libertés et de la détention n'avait pas opéré un contrôle suffisant, la motivation de l'ordonnance reprenant mot pour mot les termes de la requête, alors que ceux-ci ne correspondaient pas à la réalité des pièces soumises au juge, qui notamment n'avait pas été destinataire d'une version non anonyme des documents annexés au procès-verbal de déclaration, contrairement à ce que l'ordonnance du 1er juin 2017 indiquait.
A titre subsidiaire :
- De réformer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention près le Tribunal de grande instance de Lille du 1er juin 2017 modifiée par ordonnance du 6 juin 2017 en ce qu'elle a autorisé les opérations de visite et de saisie dans leurs locaux, alors qu'il n'existait pas d'indices suffisants sérieux permettant de suspecter des pratiques anti-concurrentielles de sa part, les annexes 3,4 et 5 qui sont des communiqués de presse ou des articles de journaux n'ayant aucune valeur probante.
A titre infiniment subsidiaire,
de réformer cette ordonnance en raison du caractère disproportionné de la mesure ordonnée alors même que l'Administration disposait des pouvoirs d'enquête de l'article L. 450-3 du Code de commerce
En tout état de cause,
- D'ordonner la restitution immédiate des pièces saisies le 13 juin 2017 dans leurs locaux et d'interdire à l'Administration d'utiliser les pièces saisies dans leurs locaux en original ou en copie.
Le ministère de l'Economie et des Finances, représenté par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Nord-Pas-de-Calais-Picardie, pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie représentée par Mesdames Catherine R., Sophie G. et Sylvie L. a demandé dans le cadre des 17/3997 :
- de confirmer l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention de Lille le 1er juin 2017,
- de débouter l'UGPVB de la totalité de ses prétentions,
- de condamner l'UGPVB aux entiers dépens.
Il indiquait que c'était à tort que l'UGPVB faisait état des garanties procédurales des articles 706-58 du Code de procédure pénale inapplicables en l'espèce.
Il reconnaissait qu'une déclaration anonyme pouvait servir d'indice en matière de concurrence dès lors qu'elle était établie par un document écrit par les agents de l'Administration et signé par eux et qu'elle était corroborée par d'autres éléments d'information, mais précisait que ni les textes, ni la jurisprudence n'imposaient que le juge prenne connaissance d'une version non anonymisée des documents qui lui étaient soumis ; il ajoutait que les éléments communiqués au juge émanent d'un document établi par les enquêteurs et dont la teneur a pu être vérifiée lors de la phase d'enquête ; que l'ensemble des articles de presse professionnelle venaient corroborer les éléments remis à l'Administration par le déclarant anonyme.
Il soutenait que le contrôle opéré par le juge sur le bien-fondé de la requête était suffisant ; que la simple erreur de plume contenue dans l'ordonnance du 1er juin 2017 ne saurait remettre en cause sa validité et que les documents même rendus anonymes, le communiqué de presse de l'UGPVB du 4 septembre 2015 et les articles de presse permettaient de présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par diverses entités dont l'UGPVB ; que cette mesure était proportionnée dès lors que par essence, les ententes sont établies selon des modalités secrètes et que les dispositions de l'article L. 450-3 du Code de commerce n'étaient pas suffisantes.
Madame la procureure générale près la Cour d'appel de Douai a sollicité la confirmation de l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention de Lille le 1er juin 2017.
L'affaire a alors été mise en délibéré au 22 février 2018 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Lille du 1er juin 2017 a été rendue sur la base d'une part d'un procès-verbal de déclaration et de prise de copie de documents anonymes en date du 28 juillet 2016 recueillis par Mme R. inspecteur de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en poste à Lille, et de 23 documents rendus anonymes par ce déclarant et annexés à cette déclaration (cf annexe 2 de la requête) et d'autre part d'un communiqué de presse de l'UGPVB (annexe 3) et d'articles de presse (annexes 4 et 5).
Il résulte du procès-verbal de déclaration dressée par l'Administration le 28 juillet 2016 les éléments d'information suivants :
Le déclarant anonyme précise travailler pour une enseigne de GMS (grandes et moyennes surfaces) et avoir été victime d'un comportement concerté entre certains industriels-fournisseurs d'œufs et un syndicat agricole représentant des éleveurs, l'UGPVB, ce comportement consistant en un chantage à la rupture de livraison au détriment de son enseigne pour accepter de force une hausse des prix d'achat des œufs ; il précisait avoir reçu une demande de hausse de plusieurs fournisseurs (4 ou 5) (ceux-ci n'étant pas désignés dans la déclaration) à peu près à la même date fin décembre 2015 principalement sur les produits MDD (marque de distributeur) ; avoir reçu des demandes de la part de marques nationales, mais c'était moins marqué car il pense que l'autre volonté dans le cadre de cette demande est de combler la différence entre les prix des œufs de marque MDD et les prix des œufs de marque nationale.
A sa connaissance, la demande provenait du syndicat breton UGPVB qui souhaitait une revalorisation des prix et à défaut les livraisons étaient bloquées.
Lors des échanges avec l'acheteur de l'enseigne, chacun des fournisseurs lui a indiqué connaître sa position vis-à-vis des autres fournisseurs (refus de la hausse) mais il n'avait pas de document écrit en ce sens.
Il ajoutait que suite au refus (un courrier a été adressé en ce sens aux fournisseurs) les fournisseurs (par exemple Matines) ont bloqué les livraisons, ce qui a entraîné des ruptures dans l'approvisionnement pendant une à deux journées.
Il concluait en indiquant que son enseigne avait été contrainte d'accepter une augmentation partielle des prix (plus de la moitié de ce qui avait été demandé), que cette augmentation partielle a été acceptée par l'UGPVB puisqu'elle a autorisé la reprise des livraisons.
Les 23 documents annexés à cette déclaration sont des résumés de courriers et/ou courriels, résumés réalisés par le déclarant lui-même anonymisés et remis par lui, le juge des libertés et de la détention, pas plus que la présente juridiction n'ayant eu accès à la version non anonymisés de ces courriels.
Deux de ces courriels (annexe 2-9, 2-11 (repris à l'identique en 2-19) apparaissent émaner de Gilles G. qui transfère en 2015 des emails, le résumé de l'email qui apparaît dans un encadré étant suivi de la mention M. Yves-Marie B. président de la section œuf de l'UGPVB et de sa signature, ce qui n'est pas une pratique courante dans l'utilisation de l'email.
Les résumés indiquent que l'UGPVB a demandé aux différents centres d'emballage de revoir leur politique commerciale sur les marchés des œufs en grande distribution pour ne pas s'exposer à la colère des producteurs ; que l'UGPVB a noté que les centres d'emballage avaient fait leur possible pour revaloriser les prix d'achat d'œufs par les GMS ; dans la mesure où un acheteur refuse de prendre en considération ces demandes, l'UGPVB exige que les centres d'emballage arrêtent toute livraison d'œufs vers cet acheteur jusqu'à ce que cet acheteur revalorise ses prix d'achat, ce qu'il fera et ce qui entraînera une reprise des livraisons.
En annexe 2-10 apparaît cette fois-ci le document intégral d'un courrier adressé le 4 septembre 2015 par le même président de la section œufs de l'UGPVB adressé aux centres d'emballage pour leur demander de revoir en urgence leur pratique commerciale, dont la teneur est reprise dans un communiqué de presse de même date du même auteur. Les articles de presse en annexe 4 et 5 attestent eux aussi d'une volonté de l'UGPVB d'obtenir une revalorisation du prix d'achat des œufs coquille aux producteurs contre le pouvoir hégémonique des GMS, par la voie notamment d'actions dans des magasins où les œufs sont retirés des rayons et distribués gratuitement aux clients.
Tant l'appelante que l'Administration conviennent de ce qu'une déclaration anonyme peut être utilisée par le juge des libertés dès lors que cette déclaration lui est soumise au moyen d'un document établi par les enquêteurs et signé par eux et qu'il est corroboré par d'autres éléments d'information.
S'il n'existe pas de difficultés sur l'existence d'un document établi par les enquêteurs, dès lors que ceux-ci ont pris la précaution d'établir un procès-verbal de déclaration, l'existence d'autres éléments d'information relativement à des indices de pratiques anti-concurrentielles pose question.
L'Administration ne peut légitimement soutenir dans le cadre de ses conclusions devant la cour que le juge pouvait s'appuyer sur cette déclaration et ces documents annexés dès lors qu'elle-même avait pu à la fois vérifier l'identité du déclarant mais aussi la provenance des éléments produits à l'appui de la déclaration dès lors qu'elle avait été destinataire par des courriels émanant du déclarant lui-même et de l'avocat représentant les intérêts de son employeur en date des 11 décembre et 9 mars 2016 des pièces en leur version intégrale.
Il est précisé que ces derniers éléments soutenus dans le cadre de l'appel n'étaient nullement repris dans la requête.
Il résulte par ailleurs de l'ordonnance rectificative du 6 juin 2017 qu'aucune version non anonyme des documents annexés au procès-verbal de déclaration n'a été fournie au juge, que cette version n'est pas davantage soumise en cause d'appel.
Or, si la loi impose à l'Administration de saisir le juge des libertés pour autoriser des visites domiciliaires c'est bien qu'elle attend de ce magistrat gardien des libertés qu'il puisse contrôler les éléments sur lesquels l'Administration base sa requête et non pas laisser à cette dernière un blanc-seing.
En l'espèce, ne peuvent être considérés comme d'autres éléments d'information que le procès-verbal de déclaration anonyme, les résumés anonymisés faits par le déclarant anonyme de courriers et courriels, dès lors que le juge des libertés n'a aucun moyen de s'assurer de la réalité de leur contenu.
Reste à déterminer si les autres documents à savoir les annexes 3, 4 et 5 sont suffisants pour corroborer les déclarations et résumés de documents réalisés par le déclarant anonyme relatifs au comportement de l'UGPVB
L'annexe 3 qui comprend un communiqué de presse de l'UGPVB du 4 septembre 2015 et les annexes 4 et 5 comprenant des relevés d'articles de presse de septembre et octobre 2015 relatives aux actions de l'UGPVB et des producteurs d'œufs bretons pour dénoncer l'absence de dialogue sur les prix avec les enseignes de la grande distribution n'apportent aucun indice probant sur l'existence de pratiques anti-concurrentielles de la part de l'UGPVB tel qu'énoncé dans la requête.
L'UGPVB est en conséquence bien fondée à voir dire que la déclaration anonyme et son annexe 2 ne sont corroborées par aucun autre élément et que sur ces seuls éléments, le juge des libertés de Lille ne pouvait autoriser la visite domiciliaire litigieuse et ce d'autant que l'existence d'une ordonnance rectificative sur un élément aussi important que l'absence d'une version non anonyme des documents annexés au procès-verbal de déclaration du 28 juillet 2016, documents pourtant expressément visés dans l'ordonnance du 1er juin 2017 du même juge, témoigne d'une absence de contrôle effectif du bien-fondé de la requête par le juge des libertés.
Il sera donc fait droit à la demande d'annulation de l'ordonnance du 1er juin 2017 du juge des libertés et de la détention de Lille, rectifiée le 6 juin 2017, autorisant les opérations de visite et de saisies dans les locaux de l'UGPVB, ce qui entraîne le bien fondé des demandes de restitution des pièces saisies le 13 juin 2017 dans leurs locaux, sur la base de cette ordonnance et de l'interdiction de leur utilisation par l'Administration.
La DIRECCTE sera condamnée aux dépens de la présente instance.
Par ces motifs, Statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement, Annulons l'ordonnance du 1er juin 2017 (telle que modifiée par l'ordonnance rectificative du 6 juin 2017) du juge des libertés et de la détention de Lille autorisant les opérations de visite et de saisies dans les locaux de l'UGPVB, Ordonnons la restitution des pièces saisies le 13 juin 2017 dans les locaux de l'UGPVB et faisons interdiction à l'Administration de les utiliser en original ou en copie. Condamnons la DIRECTTE aux dépens.