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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 février 2018, n° 16-16802

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est (Sasu)

Défendeur :

Électricité de France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Ortolland, Roche, Clapiès, Sammari

T. com. Paris, du 8 juin 2016

8 juin 2016

Faits et procédure

La société Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est ci-après la société CSME a pour objet la production et la commercialisation de sel. Elle exploite une mine de sel gemme dans l'un de ses principaux sites de production situé à Varangéville (54).

La société Électricité de France ci-après la société EDF est spécialisée dans la fourniture d'énergie.

A partir de l'année 2007, la société CSME a engagé un processus de reconversion énergétique de l'unité de production de Varangéville, en raison d'une augmentation des coûts relatifs à l'énergie dans son coût de production, ainsi que des contraintes induites par les obligations en matière d'effet de serre.

Dans ce cadre, la société CSME a envisagé un projet de remplacement de son unité de production, entrainant le passage d'une consommation d'énergie produite à partir de charbon à une consommation d'énergie électrique, fonctionnant par compression mécanique.

Après avoir consulté des bureaux d'études techniques sur la faisabilité et l'opportunité de ce projet, la société CSME s'est rapprochée de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et de la société EDF puisque les données économiques de son projet allaient être influencées par la législation récente sur les économies d'énergie.

Le 26 janvier 2010, la société CSME a conclu avec la société EDF deux conventions, à savoir :

- un " Accord sur la mise en œuvre d'un projet de maîtrise de la demande d'énergie " qui définit la participation financière de la société EDF en fonction du montant de mégawatt-heure d'énergie finale cumulée actualisés (MWh Cumac) attribué par la Direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie (DRIRE), soit 1,5 euro HT / MWh Cumac, plafonnée à 2 millions d'euros,

- une " Convention de répartition des CEE " qui attribue la totalité des CEE à la société EDF.

Le 19 avril 2010, une déclaration d'ouverture de chantier a été déposée par la société CSME et les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 22 avril 2011, puis réceptionnés définitivement sans réserve le 18 octobre 2012.

Par courrier du 12 mars 2012, la société EDF a déposé un dossier de demande d'attribution de CEE, certificats d'économies d'énergie, à laquelle il a été fait droit le 22 janvier 2013.

Par courrier du 24 janvier 2013, la société EDF a informé la société CSME qu'elle lui verserait au titre de sa contribution financière la somme de 2 000 000 euros HT, soit 2 392 000 euros TTC, dès réception de sa facture. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 mars 2013, la société EDF a réitéré sa demande.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 mai 2013, la société CSME a répondu à la société EDF :

- que les conventions avaient été signées sur des textes qui n'étaient plus en vigueur, que le cadre réglementaire était précisément en cours de négociation, ce que la société EDF ne pouvait ignorer de par sa position sur le marché de l'énergie,

- qu'elle avait failli dans son devoir d'information sur l'évolution de la valeur réelle des CEE,

- qu'elle découvrait que la valeur des CEE obtenus par la société EDF représentait 2,5 fois le montant de l'aide à l'investissement consentie par la société EDF à la société CSME.

C'est dans ces conditions que par acte du 21 mai 2014, la société CSME a saisi le Tribunal de commerce de Paris afin qu'il constate, à titre principal, l'existence d'un déséquilibre significatif au sein des conventions conclues avec la société EDF et, à titre subsidiaire, le manquement de la société EDF à son devoir d'information et de conseil et, en tout état cause, qu'il condamne la société EDF à lui payer la somme de 4 219 160,22 euros.

Par jugement du 8 juin 2016, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la SA Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est de sa demande de réparation au titre du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties des conventions signées le 26 janvier 2010,

- débouté la SA Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est de sa demande de dommages et intérêts en raison du manquement de la SA Électricité de France à son obligation d'information et de conseil précontractuelle en application de l'article 1382 du Code civil,

- condamné la SA Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est à payer 5 000 euros à la SA Électricité de France au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et la déboute du surplus,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires aux présentes dispositions,

- condamné la SA Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est CSME aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 81,90 euros dont 13,43 euros de TVA.

La société CSME a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 30 juillet 2016.

La procédure devant la cour a été clôturée le 16 janvier 2018.

LA COUR

Vu les conclusions du 12 janvier 2018 par lesquelles la société CSME appelante, invite la cour, au visa des articles L. 442-6 du Code de commerce, 1154, 1382 et 1383 du Code civil, à :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau et y ajoutant,

à titre principal,

- constater l'existence d'un déséquilibre significatif entre leurs droits et obligations respectifs,

- dire que la société Électricité de France engage sa responsabilité à son égard,

en conséquence,

- condamner la société Électricité de France à lui verser la somme de 4 219 160,22 euros,

- assortir cette condamnation d'intérêts au taux légal à compter de la délivrance de la présente assignation,

- ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil,

à titre subsidiaire,

- constater que la société Électricité France a manqué à ses obligations d'information et de conseil,

- dire que la société Électricité France engage sa responsabilité à son égard,

en conséquence,

- condamner la société Électricité de France à lui verser la somme de 4 219 160,22 euros,

- assortir cette condamnation d'intérêts au taux légal à compter de la délivrance de la présente assignation,

- ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article du Code civil, en toutes hypothèses,

- débouter la société EDF de son appel incident tendant à voir infirmer le montant de l'article 700 qui lui a été alloué par le Tribunal de commerce de Paris,

- débouter la société EDF de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner la société Électricité de France à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Électricité de France aux entiers dépens de l'instance, distraits, pour ceux d'appel, au profit de Maître Élise Ortolland, avocat au barreau de Paris, sur son affirmation de droit ;

Elle fait notamment valoir que :

- l'existence d'un élément de coercition n'est pas requise par le texte et que l'appréciation du déséquilibre significatif ne doit pas se référer uniquement au contenu des clauses du contrat, mais doit prendre en compte les modalités et les circonstances de conclusion des conventions,

- il existe dans les contrats du 26 janvier 2010, conclus entre les deux sociétés, un déséquilibre significatif caractérisé par l'absence de contrepartie entre ses obligations et celles de la société EDF faisant perdre sa cause à l'engagement de l'appelante,

- le déséquilibre résulte du fait que l'opération ne présentait absolument aucun risque financier pour la société EDF l'appelante estimant avoir seule pris en charge le financement exclusif des études techniques préalables au projet de remplacement énergétique de son outil de production,

- ce déséquilibre n'a été possible que par le comportement de la société EDF qui ne lui aurait pas fourni avant la conclusion du contrat toutes les informations nécessaires,

- la société EDF ne l'a jamais informée ni du nombre de certificats d'économies d'énergies susceptibles d'être obtenus, ni de la valeur des certificats d'économies d'énergie sur le marché, ni des textes réglementaires en cours de rédaction sur les certificats d'économies d'énergie, ni de l'incidence de cette évolution sur le marché des certificats d'économies d'énergie en termes d'offre et de demande afférente,

- en sa qualité d'entreprise spécialisée dans le domaine de l'énergie, la société EDF ne pouvait pourtant pas ignorer ces éléments, et aurait dû lui donner toute information et tout conseil utile,

- elle a subi un préjudice financier correspondant à la perte de chance de pouvoir tirer un profit financier de la cession des droits aux certificats d'économies d'énergie,

- son préjudice s'élève à la somme de 4 219 160,22 euros, déduction faite de la subvention de 2 000 000 euros d'ores et déjà versée par la société EDF ;

Vu les conclusions du 11 janvier 2018 par lesquelles la société EDF intimée ayant formé appel incident, demande à la cour, au visa des articles 442-6 du Code de commerce et 1382 du Code civil, de :

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 8 juin 2016,

statuant à nouveau,

- débouter la société CSME de l'ensemble de ses demandes

- condamner la société CSME à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en première instance,

- condamner la société CSME à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés à hauteur d'appel,

- condamner la société CSME aux dépens de première instance et d'appel ; Elle explique notamment que :

- la société CSME ne démontre pas l'une des conditions requises par l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, à savoir la preuve d'une contrainte qu'elle aurait exercée,

- la société CSME en tant qu'acteur éligible, au cours de la première période du dispositif législatif, pouvait se voir directement attribuer des CEE ou passer par un autre " obligé ",

- l'opération envisagée devait faire l'objet d'une instruction spécifique pour que la demande de CEE ait des chances d'aboutir,

- elle a supporté en totalité les frais liés à cette instruction, sans avoir la garantie d'obtenir lesdits certificats,

- les conventions signées entre les deux sociétés ont été conclues en toute liberté et ne présentent aucun déséquilibre significatif,

- en raison de la nature de l'opération envisagée, à savoir une opération non standardisée, il lui était impossible de déterminer avec précision les économies d'énergie escomptées et le nombre de certificats d'économies d'énergie susceptibles d'être obtenus,

- les informations relatives à la valorisation des CEE ainsi qu'à l'avancée des travaux réglementaires étaient largement publiées, tant auprès du teneur de registre des certificats d'économies d'énergie " EMMY ", que sur le site de la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) qui met en ligne depuis 2009 les orientations qui allaient être prises pour la seconde période du dispositif d'attribution des CEE,

- elle n'était pas la seule détentrice de ces informations qui faisaient l'objet d'une large publicité et fait valoir que la société CSME a consulté, dès 2008, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) qui a pour mission d'apporter son concours aux entreprises qui souhaitent entreprendre des changements énergétiques ;

Sur ce

LA COUR se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur le déséquilibre significatif

La société CSME soutient d'abord que le déséquilibre significatif s'apprécie entre les droits et obligations des parties, au regard de l'économie générale de la convention et des circonstances de la conclusion de ladite convention. Elle explique que le déséquilibre résulte de l'absence de contrepartie entre les obligations d'EDF et les siennes, faisant perdre la cause à son engagement. Elle précise que l'opération ne présentait aucun risque financier pour la société EDF en ce que c'est elle qui a financé les études techniques préalables, aucun plancher de subvention n'était prévu, la société EDF n'a fait aucune avance de trésorerie, la société EDF avait un intérêt financier à la réalisation de cette opération quelles que soit les économies d'énergie réalisées, la société EDF pouvait estimer en amont les CEE qu'elle percevrait suite à l'opération de travaux qu'elle a menée. Elle reproche également à la société EDF de ne pas avoir fait de réelles préconisations techniques et de ne pas lui avoir donné d'informations sur les économies escomptées ni sur le nombre de CUMAC susceptibles d'être obtenus. Elle allègue aussi que la contribution de la société EDF est insignifiante et ne constitue pas une véritable prestation. Elle en conclut que les deux conventions du 26 janvier 2010, qui sont par ailleurs indissociables, étaient significativement déséquilibrées en faveur de la société EDF

La société EDF relève au contraire que la preuve, de ce qu'elle aurait imposé à la société CSME des conditions commerciales déséquilibrées en sa faveur, n'est pas rapportée. Elle explique que la société CSME n'était pas contrainte de faire appel à elle pour mener à bien son projet et que cette dernière a librement contracté avec elle. Elle soutient qu'en vertu de la législation en vigueur au moment de la conclusion des accords litigieux, la société CSME pouvait obtenir de tels certificats sans son concours, notamment en ce qu'elle n'était pas le seul " obligé " sur le marché. Elle précise que la société CSME qui, au cours de la première période du dispositif, était considérée comme acteur éligible, pouvait faire le choix de mener à bien son projet seule et de céder par la suite, de gré à gré, à un obligé les certificats d'économies d'énergie obtenus. Elle excipe que s'agissant d'une opération non standardisée, la délivrance des CEE n'étant pas garantie, la société CSME n'a pas souhaité supporter le risque. Elle ajoute qu'elle a constitué le dossier et qu'il s'agit d'un important travail.

Sur le dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE)

La loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique (dite loi " POPE ") a imposé un objectif triennal de maîtrise de l'énergie aux " obligés " et a créé dans ce cadre le dispositif des CEE.

Du 1er juillet 2006 au 30 juin 2009, étaient considérés comme " obligés ", les fournisseurs d'énergie au-delà d'un certain seuil de vente annuelle en gigawatt-heure (GWh), comme la société EDF

La société EDF devait justifier auprès de l'administration de la réalisation d'économie d'énergie, par la détention de CEE équivalents à ses obligations. Ainsi, elle a la possibilité de réaliser elle-même des opérations d'économies d'énergie en contrepartie desquelles lui sont délivrés des certificats d'économies d'énergie ou d'acquérir ces certificats auprès d'autres acteurs ayant mené des actions d'économies d'énergie, en particulier auprès des autres obligés ou des " éligibles " non obligés, à savoir des personnes menant des opérations d'économie d'énergie qui n'entrent pas dans le champ de leur activité principale et ne leur procurent pas de recettes directes.

Une période transitoire s'est ouverte entre le 1er juillet 2009 et le 31 décembre 2010, durant laquelle aucun objectif d'économies d'énergie n'a été fixé. Les conditions de délivrance des CEE étaient, pour cette période, identiques à celles applicables durant la première période.

Au-delà de cette période transitoire, les personnes morales, telles que la société CSME n'ont plus fait partie des " éligibles " et ne pouvaient plus, elles-mêmes, déposer une demande de CEE.

Sur le déséquilibre significatif

L'article L. 442-6 du Code de commerce dispose notamment que :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculé au répertoire des métiers, (...) :

2°) de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ".

Les deux éléments constitutifs de la pratique restrictive de concurrence sont en premier lieu la soumission ou la tentative de soumission et en second lieu l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.

L'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective des clauses incriminées, qui peut résulter de la circonstance que la prétendue victime a tenté, vainement, d'obtenir la suppression ou la modification des clauses litigieuses dans le cadre de négociations ou qu'aucune suite n'a été donnée aux réserves ou avenants proposés par elle. Elle peut également résulter d'une obligation de contracter, ne laissant aucune alternative à la personne soumise.

Les deux contrats signés le 26 janvier 2010 par les sociétés EDF et CSME [sic] essentiellement que :

- " dans le cadre de sa politique d'incitation à la maîtrise de l'énergie, EDF a préconisé à Client (la société CSME) de s'orienter vers des solutions permettant de réaliser des économies d'énergie sur son patrimoine. D'un commun accord, les parties ont retenu le programme d'opérations et la participation d'EDF suivants : (...)

* programme d'opérations : remplacement d'un séchage quintuple effet par une compression mécanique de vapeur,

* participation d'EDF : aide à l'investissement de 1,5 euros HT/MWh Cumac.

La contribution financière d'EDF sera due sur remise par le Client de la convention de répartition des certificats d'économie d'énergie dûment remplie et signée de la ou des attestation(s) de travaux conformes dûment remplie(s) et signée(s) pour " M " MWh Cumac, d'une facture d'aide à l'investissement accompagnée d'un RIB.

Le paiement d'EDF sera exigible le 30 du mois M+2 à compter de notification de la DRIRE de la délivrance par le préfet des certificats d'économie d'énergie relatifs aux opérations concernées et dont le dossier de demande aura été déposé par EDF en son nom. Ce montant est conditionné à la réalisation effective du programme du présent accord et à l'attribution par la DRIRE à EDF de " M " MWh Cumac. La contribution financière de EDF sera d'un montant égal à (1,5 euros HT/MWh x M) euros, plafonnée à 2 millions d'euros. "

- " les parties sont convenues de répartir entre elles les certificats d'économie d'énergie demandés pour (les) l'opération(s) susvisée(s), dans les conditions ci-après : (...)

Les parties conviennent expressément de répartir les certificats d'économie d'énergie de la manière suivante :

* type d'opération : non standard,

* clé de répartition en % : EDF : 100 %, client : 0 % ".

Il n'est pas contesté que :

- la société CSME a fait appel à des bureaux d'étude et à des maîtres d'œuvre pour réaliser son projet dès l'année 2008,

- la société CSME a pris contact au cours de l'année 2008 avec la société EDF dans le cadre de son projet de modification du procédé de séchage de sel en remplaçant le séchage quintuple effet,

- la société EDF n'était pas le seul " obligé " depuis 2004, les industriels pouvant faire appel à différents fournisseurs d'énergie concurrents.

Ainsi, il ressort des échanges entre les parties avant la conclusion des contrats litigieux du 26 janvier 2010, à savoir les procès-verbaux de réunions qui se sont tenues en 2008, et le courrier envoyé par la société EDF à la société CSME le 19 juin 2009, que cette dernière, dans le cadre de son projet, peut bénéficier d'un accompagnement d'EDF, notamment par une contribution financière de celle-ci. Ces échanges démontrent que la société CSME avait engagé seule ce projet de remplacement de son procédé de séchage de sel dès l'année 2007, dans le cadre d'une réflexion extérieure à la société EDF.

En outre, il n'est pas soutenu que la société CSME était tenue de faire appel à la société EDF dans le cadre de son projet et que celle-ci lui a imposé la signature de ses contrats tout comme les conditions qui y sont insérées.

Aucun élément du dossier ne démontre que, dans le cadre des négociations entre les parties, la société EDF a imposé les termes des deux contrats à la société CSME qui était libre de faire appel à la société EDF et de négocier avec elle les termes du contrat.

Dès lors, l'existence d'une soumission au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce de la société CSME à la société EDF dans le cadre de la signature des contrats litigieux n'est pas établie.

Dans ces conditions, à défaut de caractériser un état de soumission ou une tentative de soumission de la société CSME par la société EDF il y a lieu de rejeter la demande principale fondée sur le déséquilibre significatif formée par la société CSME

Le jugement doit être confirmé sur ce point.

Sur le manquement à l'obligation d'information et de conseil

La société CSME reproche à la société EDF de ne pas l'avoir informée :

- du nombre de certificats d'économies d'énergies susceptibles d'être obtenus,

- de la valeur des certificats d'économies d'énergie sur le marché,

- des textes réglementaires en cours de rédaction sur les certificats d'économies d'énergie,

- de l'incidence de cette évolution sur le marché des certificats d'économies d'énergie (offre et demande).

La société EDF réplique qu'au regard de la nature de l'opération, celle-ci n'étant pas standardisée, elle ne pouvait déterminer les économies d'énergie escomptées ni le nombre de CEE susceptibles d'être obtenus. Par ailleurs, elle précise que l'ensemble des informations étaient disponibles.

La société CSME fait grief à la société EDF d'avoir perçu une somme nettement supérieure aux 2 millions correspondant à la contribution financière qui lui aura été finalement versée.

En l'espèce, la société CSME a engagé un projet de remplacement d'un séchage quintuple effet par une compression mécanique de vapeur de manière autonome. Elle a choisi une solution technique après avoir recueilli l'ensemble des conseils qu'elle a sollicités dans le cadre de son projet. Elle a ainsi décidé de profiter des dispositions législatives précitées et donc de bénéficier d'une contribution financière de la société EDF Cette contribution est fonction du nombre de CEE attribués par l'administration, en proportion des économies d'énergie effectivement réalisées.

Or, l'aide financière, relative à l'investissement qu'elle a seule décidé et mené, est fonction des économies réalisées dans le cadre du projet. Par ailleurs, il n'est pas contesté que l'opération litigieuse n'était pas standardisée, et qu'elle devait faire l'objet d'une instruction spécifique menée par l'administration. Ainsi, le nombre de CEE susceptibles d'être obtenus est fonction du résultat effectif suite à la réalisation des travaux, le dossier ne pouvant être déposé qu'une fois les travaux réceptionnés sans réserve et non pas sur la seule base du projet. Ainsi, le calcul des estimations de CEE n'a été réalisé qu'après la réalisation des travaux, dans le cadre du dépôt de la demande de CEE du 12 mars 2012. Il n'est pas établi qu'à la date de la signature des contrats le 26 janvier 2010, la société EDF était en mesure d'estimer les économies d'énergie générées et donc d'informer la société CSME sur les économies d'énergie escomptées et le nombre de CEE susceptibles d'être obtenus, la subvention étant attribuée sur la base des résultats effectifs d'économie d'énergie réellement observés une fois les travaux réalisés.

En outre, les extraits du rapport de la Cour des comptes du mois d'octobre 2013 relatif aux certificats d'énergie communiqués par les parties démontrent que " le prix du marché que l'on peut suivre sur le registre EMMY ne présente pas une grande fiabilité (page 97) ". En outre, la somme versée par la société EDF constitue une contribution financière, correspondant à une subvention que la société CSME pouvait choisir de solliciter directement auprès de l'administration, à la date de la signature du contrat avec la société EDF au 26 janvier 2010. Or, la société CSME a fait le choix de ne pas procéder elle-même à l'élaboration du dossier à soumettre. La société CSME ne peut également reprocher utilement à la société EDF d'avoir fixé le montant de la subvention à 0,15 centimes d'euros par kWh Cumac, au regard du prix de cession moyen le 26 janvier 2010, de 0,37 centimes d'euros par kWh Cumac, alors qu'il n'est pas établi que ce chiffre était connu à la date de signature des contrats, ce montant étant déterminé a posteriori dans le rapport de la Cour des comptes en 2013.

Enfin, il n'est pas démontré que la société EDF connaissait le 26 janvier 2010 les termes de la loi du 12 juillet 2010 entrée en vigueur le 14 juillet 2010, par sa seule participation au Conseil supérieur de l'énergie, consulté dans le cadre de la rédaction de ces nouveaux textes et que de manière générale, elle avait connaissance des informations réclamées aujourd'hui par la société CSME à la date de signature des contrats litigieux.

Il n'est donc pas établi que la société CSME a conclu les contrats du 26 janvier 2010 sans avoir l'ensemble des informations nécessaires, dont seule la société EDF en qualité de sachant, était dépositaire et que celle-ci a donc manqué à son obligation de conseil et d'information. La demande de dommages et intérêts de la société CSME doit être rejetée.

Il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société CSME partie perdante, doit être condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société EDF la somme supplémentaire de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la société CSME

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement ; Y ajoutant, condamne la société CSME aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société EDF la somme supplémentaire de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; rejette toute autre demande.