CA Douai, premier président, 22 février 2018, n° 17-03992
DOUAI
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Matines (SAS)
Défendeur :
Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi des Hauts de France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Tapsoba-Chateau
Avocats :
Mes Kasprzyk, de Mortillet, Reille, Terdjman
Par ordonnance sur requête du 1er juin 2017, le juge des libertés et de la détention au Tribunal de grande instance de Lille a :
- autorisé, Monsieur Jean-Louis M., chef de pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts de France (DIRECCTE des Hauts de France) à procéder, avec des enquêteurs habilités qu'il aura désignés, ou à faire procéder, aux visites et saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce relevées dans le secteur de la production, du conditionnement et de la distribution d'œufs coquille, ainsi que toute manifestation de ces comportements prohibés dans les locaux des entreprises suivantes :
L'union des Groupements de Producteurs de Viande de Bretagne (UGPVB), sise [adresse] ;
CDPO, PGH Holding et JD Transports, sises [adresse] et les sociétés du même groupe situées à la même adresse ;
Matines, sise [adresse] et les sociétés du même groupe situées à la même adresse ;
Matines et Avril PA, sises [adresse] et les sociétés du même groupe situées à la même adresse ;
Galline Frais et Holding Galline Frais, sises [adresse] et les sociétés du même groupe situées à la même adresse ;
Cette ordonnance précisait qu'elle serait caduque si les opérations de visite et saisie n'étaient pas effectuées avant le 31 juillet 2017.
Par ordonnance sur requête du 6 juin 2017, le juge des libertés et de la détention au Tribunal de grande instance de Lille a :
Dit que dans l'ordonnance du 1er juin 2017 prise par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Lille consécutivement à la requête du 30 mai 2017, il y a lieu de supprimer en page 6 de ladite ordonnance les mots suivants : " que l'Administration a par ailleurs, produit une version non anonyme des documents annexés au procès-verbal de déclaration ".
Par déclaration au greffe du Tribunal de grande instance de Lille du 22 juin 2017 de son avocate, la SAS Matines a formé un recours contre l'ordonnance rendue le 1er juin 2017, telle que modifiée par ordonnance rectificative en date du 6 juin 2017 par le juge des libertés et de la détention de Lille dans ses locaux de Bagnolet et Paris.
Ce recours a été enregistré sous le numéro de répertoire général initial 17/3991 avant d'être enregistré sous le numéro 17/4003 suivant procès-verbal rectificatif du 3 août 2017.
Les opérations de visite et de saisie se déroulaient le 13 juin 2017 dans les locaux de la société Matines et de la société Avril PA à Paris.
Le 22 juin 2017, la SAS Matines formait un recours contre le déroulement desdits opérations de visite et de saisie effectuées.
Ce recours a été enregistré sous le numéro de répertoire général 17/3992.
A l'audience du 18 janvier 2018 à laquelle ces deux affaires ont été appelées et retenues,
La SAS Matines a sollicité de la présente juridiction dans le cadre du dossier 17/4003 :
Dire et juger que l'Administration n'a pas respecté son obligation de respect du principe de loyauté dans la recherche de la preuve,
Dire et juger que l'enquête préalable de l'Administration ayant fondé la requête est irrégulière,
Dire et juger que la déclaration anonyme figurant en annexe n° 2 (y compris ses annexes 2.1 à 2.19) de la requête est dénuée de tout effet,
Dire et juger que l'ordonnance est entachée de nullité en l'absence d'éléments permettant d'apprécier la teneur de la déclaration anonyme recueillie de manière irrégulière par l'Administration et en l'absence d'autres éléments venant la corroborer, en méconnaissance des dispositions de l'article 6 de la CESDH ainsi que de l'article L. 450-4 du Code de commerce,
Dire et juger que l'ordonnance est entachée d'une erreur manifeste dans la mesure où elle se fonde sur des pièces non anonymes alors que seule une version anonyme de ces pièces a été présentée au juge,
Dire et juger que l'ordonnance a été rendue de manière injustifiée en l'absence de vérification par le juge du bien-fondé de la demande d'autorisation de l'Administration, en méconnaissance des articles 6 et 8 de la CESDH et de l'article L. 450-4 du Code de commerce,
Dire et juger que l'autorisation de visites et saisies accordée par l'ordonnance est manifestement disproportionnée au regard des indices fournis à l'appui de la requête de la DIRECCTE des Hauts-de-France, tant au regard du champ de l'enquête autorisée que des entreprises visées,
En conséquence,
Annuler l'ordonnance en date du 1er juin 2017 (telle que modifiée par l'ordonnance du 6 juin 2017) et, par suite, les opérations de visites et de saisies diligentées en exécution de cette ordonnance,
Condamner la DIRECCTE des Hauts-de-France aux entiers dépens.
Le Ministère de l'Economie et des Finances, direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Nord-Pas-de-Calais-Picardie, pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie représentée par Mesdames Catherine R., Sophie G. et Sylvie L. a demandé dans le cadre du dossier 17/4003 :
- de confirmer l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention de Lille le 1er juin 2017,
- de débouter la SAS Matines de la totalité de ses prétentions,
- de dire et juger que chaque partie assumera le sort de ses propres dépens.
Dans le cadre du dossier 17/3992, la SAS Matines demande à la présente juridiction de :
Dire et juger que les saisies informatiques ont été réalisées en méconnaissance des articles 6§ 1 et 8 de la CESDH, L. 450-4 du Code de commerce et 56 du Code de procédure pénale,
Dire et juger que l'ensemble des opérations de saisies informatiques sont irrégulières, en ce que :
La méthode de saisie globale utilisée par les enquêteurs s'agissant des messageries Gmail de Messieurs Wilfrid B. et Dany D. est injustifiée et disproportionnée,
Les éléments saisis constituent des saisies massives, indifférenciées et excédant manifestement les indices invoqués sur lesquels se fonde l'ordonnance d'autorisation du 1er juin 2017 (telle que modifiée par l'ordonnance du 6 juin 2017).
En conséquence,
A titre principal, déclarer nulles les opérations de saisies informatiques effectuées et ordonner la restitution de l'ensemble des fichiers informatiques saisis répertoriés dans le scellé placé en annexe n° 4 du Procès-Verbal de visite et de saisie du 13 juin 2017,
A titre subsidiaire, déclarer nulles les opérations de saisies informatiques globales effectuées sur les messageries électroniques de Messieurs Wilfrid B. et Dany D. et ordonner la restitution de l'ensemble des fichiers informatiques saisis sur ces deux messageries,
En toute hypothèse, condamner la DIRECCTE des Hauts-de-France aux entiers dépens.
Dans le cadre du dossier 17/3992, le Ministère de l'Economie et des Finances, direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Nord-Pas-de-Calais-Picardie, pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie représentée par Mesdames Catherine R., Sophie G. et Sylvie L. a demandé dans le cadre du dossier 17/3992 :
De rejeter le recours formé contre le déroulement des opérations de visite et de saisie autorisées par l'ordonnance rendue le 1er juin 2017 par le juge des libertés et de la détention d'après le Tribunal de grande instance de Lille.
De débouter la requérante de la totalité de ses prétentions
De dire et juger que chacune des parties assumera le sort de ses propres dépens.
Il convient de se référer expressément aux conclusions des parties pour l'exposé de leurs moyens.
Madame la procureure générale près la cour d'appel de Douai a sollicité la confirmation de l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention de Lille le 1er juin 2017 et le rejet des contestations des opérations de visite et saisie.
L'affaire a alors été mise en délibéré au 22 février 2018 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient tout d'abord d'ordonner la jonction de l'instance enrôlée sous les numéros de répertoire général 17/4003 avec la procédure enrôlée sous le numéro 17/3992.
L'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Lille du 1er juin 2017 a été rendue sur la base d'une part d'un procès-verbal de déclaration et de prise de copie de documents anonyme en date du 28 juillet 2016 recueilli par Mme R. inspecteur de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en poste à Lille, et de 23 documents rendus anonymes par ce déclarant et annexés à cette déclaration (cf. annexe 2 de la requête) et d'autre part d'un communiqué de presse de l'UGPVB (annexe 3) et d'articles de presse (annexes 4 et 5).
Il résulte du procès-verbal de déclaration dressée par l'Administration le 28 juillet 2015 les éléments d'information suivants :
Le déclarant anonyme précise travailler pour une enseigne de GMS (grandes et moyennes surfaces) et avoir été victime d'un comportement concerté entre certains industriels-fournisseurs d'œufs et un syndicat agricole représentant des éleveurs, l'UGPVB, ce comportement consistant en un chantage à la rupture de livraison au détriment de son enseigne pour accepter de force une hausse des prix d'achat des œufs ; il précisait avoir reçu une demande de hausse de plusieurs fournisseurs (4 ou 5) (ceux-ci n'étant pas désignés dans la déclaration) à peu près à la même date fin décembre 2015 principalement sur les produits MDD (marque de distributeur) ; avoir reçu des demandes de la part de marques nationales, mais c'était mois marqué car il pense que l'autre volonté dans le cadre de cette demande est de combler la différence entre les prix des œufs de marque MDD et les prix des œufs de marque nationale.
A sa connaissance, la demande provenait du syndicat breton UGPVB qui souhaitait une revalorisation des prix et à défaut les livraisons étaient bloquées.
Lors des échanges avec l'acheteur de l'enseigne, chacun des fournisseurs lui a indiqué connaître sa position vis-à-vis des autres fournisseurs (refus de la hausse) mais il n'avait pas de document écrit en ce sens.
Il ajoutait que suite au refus (un courrier a été adressé en ce sens aux fournisseurs) les fournisseurs (par exemple Matines) ont bloqué les livraisons, ce qui a entraîné des ruptures dans l'approvisionnement pendant une à deux journées.
Il concluait en indiquant que son enseigne avait été contrainte d'accepter une augmentation partielle des prix (plus de la moitié de ce qui avait été demandée), que cette augmentation partielle a été acceptée par l'UGPVB puisqu'elle a autorisé la reprise des livraisons.
Les 23 documents annexés à cette déclaration sont des résumés de courriers et/ou courriels, résumés réalisés par le déclarant lui-même anonymisés et remis par lui, dont cinq concernent la société Matines, selon lesdits résumés.
Tant l'appelante que l'Administration conviennent de ce qu'une déclaration anonyme peut être utilisée par le juge des libertés dès lors que cette déclaration lui est soumise au moyen d'un document établi par les enquêteurs et signé par eux et qu'il est corroboré par d'autres éléments d'information.
S'il n'existe pas de difficultés sur l'existence d'un document établi par les enquêteurs, dès lors que ceux-ci ont pris la précaution d'établir un procès-verbal de déclaration, l'existence d'autres éléments d'information pose question.
L'Administration ne peut légitiment soutenir dans le cadre de ses conclusions devant la cour que le juge pouvait s'appuyer sur cette déclaration et ces documents annexés dès lors qu'elle même avait pu à la fois vérifier l'identité du déclarant mais aussi la provenance des éléments produits à l'appui de la déclaration, dès lors qu'elle avait été destinataire par des courriels émanant du déclarant lui-même et de l'avocat représentant les intérêts de son employeur en date des 11 décembre et 9 mars 2016 des pièces en leur version intégrale.
Il est précisé que ces éléments soutenus dans le cadre de l'appel n'étaient nullement repris dans la requête.
Il résulte par ailleurs de l'ordonnance rectificative du 6 juin 2017 qu'aucune version non anonyme des documents annexés au procès-verbal de déclaration n'a été fournie au juge.
Or, si la loi impose à l'Administration de saisir le juge des libertés pour autoriser des visites domiciliaires c'est bien qu'elle attend de ce magistrat gardien des libertés qu'il puisse contrôler les éléments sur lesquels l'Administration base sa requête et non pas laisser à cette dernière un blanc-seing.
En l'espèce, ne peuvent être considérés comme d'autres éléments d'information que le procès-verbal de déclaration anonyme, les résumés anonymisés faits par le déclarant anonyme de courriers et courriels, dès lors que le juge des libertés n'a aucun moyen de s'assurer de la réalité de leur contenu.
Reste à déterminer si les autres documents à savoir les annexes 3, 4 et 5 sont suffisants pour corroborer les déclarations et résumés de documents réalisés par le déclarant anonyme relatifs au comportement de la SAS Matines.
L'annexe 3 qui comprend un communiqué de presse de l'UGPVB du 4 septembre 2015 et les annexes 4 et 5 comprenant des relevés d'articles de presse de septembre et octobre 2015 relatives aux actions de l'UGPVB et des producteurs d'œufs bretons pour dénoncer l'absence de dialogue sur les prix avec les enseignes de la grande distribution n'apportent aucun élément sur le comportement supposé d'entente prohibée sur les prix reproché à la SAS Matines.
La SAS Matines est en conséquence bien fondée à voir dire que la déclaration anonyme et son annexe 2 n'est corroborée par aucun autre élément et que sur ces seuls éléments, le juge des libertés de Lille ne pouvait autoriser la visite domiciliaire litigieuse et ce d'autant que l'existence d'une ordonnance rectificative sur un élément aussi important que l'absence d'une version non anonyme des documents annexés au procès-verbal de déclaration du 28 juillet 2016, documents pourtant expressément visés dans l'ordonnance du 1er juin 2017 du même juge, témoigne d'une absence de contrôle effectif du bienfondé de la requête par le juge des libertés.
Il sera donc fait droit à la demande d'annulation de l'ordonnance du 1er juin 2017 du juge des libertés et de la détention de Lille autorisant les opérations de visite et de saisies dans les locaux des sociétés Matines, sise [adresse] et les sociétés du même groupe situées à la même adresse ;
Matines et Avril PA, sises [adresse] et les sociétés du même groupe situées à la même adresse ;
et par là même à la demande d'annulation des opérations de visite et saisie réalisées suite à cette ordonnance, sans qu'il soit besoin d'analyser les motifs propres d'annulation de ces opérations au regard des conditions dans lesquelles les saisies informatiques avaient été opérées.
La DIRECCTE sera condamnée aux dépens de la présente instance.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement, Annulons l'ordonnance du 1er juin 2017 (telle que modifiée par l'ordonnance rectificative du 6 juin 2017) du juge des libertés et de la détention de Lille autorisant les opérations de visite et de saisies dans les locaux des sociétés Matines, sise [adresse] et les sociétés du même groupe situées à la même adresse ; Matines et Avril PA, sises [adresse] et les sociétés du même groupe situées à la même adresse ; Annulons les opérations de visite et saisie réalisées suite à cette ordonnance réalisées les 13 et 14 juin 2017 dans les locaux de la société Matines et Avril PA [adresse]. Condamnons la DIRECTTE aux dépens.