CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 février 2018, n° 16-02263
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Showroomprivé.com (SARL)
Défendeur :
Coty France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Boccon Gibod, Utzschneider, Mussi, Guerre, Ponthieu
FAITS ET PROCÉDURE
La société Showroomprivé.com (ci-après " la société Showroomprivé ") est une société française qui édite un site de commerce électronique généraliste accessible à l'adresse www.showroomprive.com. La société Coty France est une filiale du groupe international Coty, l'un des plus gros producteurs mondiaux de parfums, dont les marques sont distribuées dans la plupart des pays du monde. Société de droit français créée en 1997, son objet social est notamment l'achat, la vente, et, plus généralement la commercialisation sous quelque forme que ce soit, de tous produits de cosmétiques et d'hygiène tant en France qu'à l'étranger.
En vue de préserver l'image de luxe attachée aux parfums qu'il commercialise, le groupe Coty a organisé, notamment en France mais aussi dans les pays de l'EEE, leur distribution dans le cadre de réseaux de distribution sélective.
La distribution sélective des parfums Coty en France est assurée par la société Coty France. La commercialisation des parfums de Coty, en France, repose donc sur une sélection de ses distributeurs, et sur la signature d'un contrat de distributeur agréé, qui a toujours impliqué la détention d'un magasin " physique ".
Au mois d'octobre 2009, la société Coty France a eu connaissance de la commercialisation, sur le site www.showroomprive.com, de certains de ses parfums de luxe de marque Calvin Klein, dans le cadre d'une vente privée à durée limitée, alors que la société Showroomprivé ne fait pas partie de ses distributeurs agréés. En conséquence, la société Coty France a fait constater cette commercialisation par acte d'huissier du 1er octobre 2009.
Le 2 octobre 2009, la société Coty France a mis la société Showroomprivé en demeure de cesser les commercialisations litigieuses, de lui communiquer le nom et les coordonnées du fournisseur lui ayant vendu les parfums de la marque Calvin Klein, et de lui adresser une proposition de dédommagement pour le préjudice subi. La société Showroomprivé a cessé de distribuer les produits litigieux, a indiqué les avoir achetés à une société de droit maltais (Incorp Ltd.) mais n'a toutefois pas proposé d'indemnisation au bénéfice de la société Coty France.
Au mois de juin 2010, la société Showroomprivé a demandé à être admise dans le réseau de distribution sélective de la société Coty France, ce que la société Coty France a refusé en raison de son absence de point de vente physique.
En novembre 2013, la société Coty France a, de nouveau, fait constater, par voie d'huissier, la vente, par la société Showroomprivé, de parfums de marques de son réseau de distribution sélective, Calvin Klein, Davidoff, Cerruti, Vera Wang, Vivienne Westwood et Jennifer Lopez, et ce dans le cadre de ventes privées à durée très limitée et à prix bradés.
C'est ainsi que le 19 décembre 2013, la société Coty France a assigné la société Showroomprivé en concurrence déloyale devant le Tribunal de commerce de Marseille, au visa des articles L. 442-6 du Code de commerce, 1382 du Code civil et du règlement UE n° 330/2010 aux fins d'obtenir l'indemnisation de son préjudice résultant de la violation de son réseau de distribution sélective et la cessation des commercialisations litigieuses.
Par jugement du 17 novembre 2015, le Tribunal de commerce de Marseille a :
- constaté que les marques Calvin Klein, Davidoff, Cerruti, Vera Wang, Vivienne Westwood et Jennifer Lopez sont commercialisées en France par la société Coty France par l'intermédiaire d'un réseau de distribution sélective,
- déclaré la société Coty France recevable en ses demandes,
- dit et jugé licite le réseau de distribution sélective de la société Coty France,
- déclaré valables les constats d'huissier dressés les 13 et 15 novembre 2013,
- pris acte que la société Showroomprivé.com n'est pas un distributeur agréé de la société Coty France,
- dit et jugé que la vente des parfums Calvin Klein, Davidoff, Cerruti, Vera Wang, Vivienne Westwood et Jennifer Lopez par la société Showroomprivé.com sur le site www.Showroomprivé.com sans l'autorisation de la société Coty France, est constitutive de concurrence déloyale et de publicité trompeuse,
- condamné la société Showroomprivé.com à payer à la société Coty France la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la violation du réseau de distribution sélective de la société Coty France et du préjudice moral qu'elle a subi, notamment au regard de l'atteinte à son image de marque, du fait des actes de concurrence déloyale et de publicité trompeuse commis par la société Showroomprivé.com,
- ordonné à la société Showroomprivé.com, ou à toute personne qu'elle se substituerait par la suite en qualité d'éditeur du site www.showroomprive.com, de publier la présente décision sur la page d'accueil du site internet www.showroomprive.com sur au moins le quart de la page d'accueil, dans les huit jours de la signification du présent jugement et pendant un délai d'un mois, et à défaut de ce faire dans ledit délai sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard et par jour manquant,
- constaté que les parfums de marques suivantes sont commercialisés au sein du réseau de distribution sélective de Coty France : Bottega Veneta, Balenciaga, Calvin Klein, Cerruti, Chloé, Chopard, Davidoff, Guess, Jil Sander, Jennifer Lopez, Joop, Lancaster, Marc Jacobs, Nikos, Roberto Cavalli, Sarah Jessica Parket, Vera Wang et Vivienne Westwood,
- ordonné à la société Showroomprivé de respecter le réseau de distribution sélective de la société Coty France, et en conséquence lui ordonner de ne pas commercialiser sur le site internet www.showroomprive.com ou de quelque autre manière que ce soit, les parfums des marques du réseau de distribution sélective de la société Coty France : Bottega Veneta, Balenciaga, Calvin Klein, Cerruti, Chloé, Chopard, Davidoff, Guess, Jil Sander, Jennifer Lopez, Joop, Lancaster, Marc Jacobs, Nikos, Roberto Cavalli, Sarah Jessica Parket, Vera Wang et Vivienne Westwood,
- condamné la société Showroomprivé.com à payer à la société Coty France la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Showroomprivé.com aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance, liquidés à la somme de 82,08 euros,
- conformément aux dispositions de l'article 515 du Code de procédure civile, ordonné l'exécution provisoire,
- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.
Par acte du 27 janvier 2016, la société Showroomprivé a interjeté appel du jugement du Tribunal de commerce de Marseille.
Les 26 mai et 27 novembre 2017, la société Coty France a versé aux débats deux nouveaux procès-verbaux de constat établissant la poursuite des agissements reprochés à la société Showroomprivé.
Le 8 juillet 2017, la société Coty France a sollicité auprès du conseiller de la mise en état, un sursis à statuer dans l'attente de deux arrêts de la Cour de cassation, appelée à se prononcer sur la licéité du réseau de distribution sélective de la société Coty France.
Par ordonnance du 10 octobre 2017, le conseiller de la mise en état a débouté la société Coty France de sa demande de sursis.
LA COUR
Vu l'appel de la société Showroomprivé et ses dernières conclusions signifiées le 8 janvier 2018 par lesquelles il est demandé à la cour de :
vu les articles 9, 31, 32, 32-1, 122 et suivants du Code de procédure civile, 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 et 17 du décret d'application du 29 février 1956,
vu le principe de loyauté dans l'administration de la preuve,
vu les articles 101§1 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce et L. 462-3 du Code de commerce,
vu le règlement UE n° 330/2010 du 20 avril 2010 et les lignes directrices sur les restrictions verticales,
- réformer en tout point le jugement du Tribunal de commerce de Marseille du 17 novembre 2015,
sur l'absence de qualité et intérêt à agir,
- dire que la société Coty France n'a ni intérêt ni qualité pour agir,
en conséquence,
- déclarer irrecevable son action,
sur l'absence de validité des constats d'huissier,
- dire que le procès-verbal de constat dressé le 1er octobre 2009 est nul,
- dire que le procès-verbal de constat dressé le 15 novembre 2013 est nul,
- dire que le procès-verbal de constat dressé le 26 mai 2017 est nul,
- dire que le procès-verbal de constat dressé le 27 novembre 2017 est nul,
en conséquence,
- écarter des débats lesdits procès-verbaux,
- dire que les faits allégués par Coty France ne sont pas établis,
sur l'illicéité du réseau de distribution sélective de Coty France,
à titre principal,
- dire que le réseau de distribution sélective de Coty France comporte plusieurs restrictions caractérisées de concurrence à ses articles 3.4.2, 3.4.3 et 3.4.3.3 ainsi que dans son annexe 2,
- dire que l'annexe IV " incidence des arrêts rendus par la Cour d'appel de Paris sur le contrat " (pièce adverse 37-A), le projet de courrier (pièce adverse 37-B) ainsi que les courriers signés et adressés à trois distributeurs (pièces adverses 37-C et 37-D) versés aux débats par Coty France ne constituent pas des avenants constitutifs d'une modification des contrats de distribution sélective de Coty France,
- dire que, dans le cas où la cour viendrait à considérer que les pièces produites par Coty France seraient de nature à modifier le contrat de distribution sélective de Coty France, les courriers produits comportent une restriction caractérisée de concurrence supplémentaire,
- dire que le réseau de distribution sélective de Coty France ne peut bénéficier de l'exemption par catégorie à raison des restrictions caractérisées de concurrence qu'il comporte,
- dire que le réseau de distribution sélective de Coty France comporte une restriction très sérieuse de concurrence à raison du critère du point de vente physique qui n'est pas nécessaire à la distribution des produits Coty,
- dire que dans le cas où la cour considèrerait que la validité du critère du point de vente dépend du seuil de parts de marché, que la restriction de concurrence constituée par le critère du point de vente physique ne peut bénéficier de l'exemption par catégorie dans la mesure où Coty France ne rapporte pas la preuve que le critère de 30 % de parts de marché est rempli,
- dire que la restriction de concurrence constituée par le critère du point de vente physique ne peut bénéficier de l'exemption par catégorie à raison de l'effet cumulatif généré par l'ensemble des contrats de distribution sélective,
à titre subsidiaire,
- saisir pour avis, l'Autorité de la concurrence sur le fondement de l'article L. 462-3 du Code de commerce sur la délimitation du marché pertinent ainsi que sur les parts de marché détenues par Coty France et les distributeurs, en particulier Sephora et Marionnaud sur le marché tel qu'il sera délimité, en 2013, 2014, 2015 et 2016,
- saisir pour avis, l'Autorité de la concurrence sur le fondement de l'article L. 462-3 du Code de commerce sur l'existence de la clause dite du point de vente physique dans les contrats de distribution sélective des parfums de luxe en France, et, par conséquent, sur l'existence d'un effet cumulatif des contrats de distribution sélective exigeant l'exploitation/la détention d'au moins un point de vente physique,
en conséquence,
- dire que le réseau de distribution sélective de Coty France est illicite,
- dire que Showroomprivé n'a commis aucun acte fautif,
sur l'action abusive de Coty France,
- dire que l'action engagée par Coty France est abusive,
en conséquence,
- condamner la société Coty France à verser à la Showroomprivé.com la somme de 120 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
en toute hypothèse,
- débouter la société Coty France de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner la société Coty France à verser à Showroomprivé.com la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Coty France aux entiers dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 4 janvier 2018 par la société Coty France, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :
vu les règlements n° 2790/99 du 22 décembre 1999 et n° 330/2010 du 20 avril 2010, ainsi que les lignes directrices y afférentes de la Commission européenne,
vu le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et notamment ses articles 101 (1) et 101 (3),
vu les articles 1382 du Code civil, L. 420-1 et L. 442-6 I 6° du Code de commerce, L. 121-1 du Code de la consommation, 42 et 46 du Code de procédure civile,
vu les pièces et les jurisprudences visées aux présentes,
- juger recevable et bien fondée la société Coty France en toutes ses demandes, fins et prétentions,
- y faire droit, et en conséquence,
- constater que la société Showroomprivé.com a commercialisé sur le site www.showroomprive.com des parfums de la société Coty France, notamment des marques Calvin Klein, Davidoff, Cerruti, Vera Wang, et Vivienne Westwood,
- constater que ces parfums sont commercialisés en France par la société Coty France par l'intermédiaire d'un réseau de distribution sélective,
- juger que la société Coty France a qualité et intérêt à agir en vue de protéger son réseau de distribution sélective,
- constater que le contrat de distribution sélective de la société Coty France ne tombe pas sous le coup des dispositions de l'article 101 (1) du TFUE,
- constater que le contrat de distribution sélective de la société Coty France ne comporte aucune restriction caractérisée,
- constater que le contrat de distribution sélective de la société Coty France a fait l'objet d'une décision d'exemption individuelle de la part de la Commission,
- dire licite le réseau de distribution sélective de la société Coty France,
- dire à tout le moins licite le réseau de distribution sélective de la société Coty France à compter de la modification du contrat opérée par voie d'avenant que Coty France a adressé à ses distributeurs au mois de mars 2017,
- prendre acte du fait que la société Showroomprivé.com n'est pas un distributeur agréé de la société Coty France,
- dire, en conséquence, que la vente des produits des marques Calvin Klein, Davidoff, Cerruti, Vera Wang et Vivienne Westwood par la société Showroomprivé.com sur le site internet www.showroomprive.com, sans l'autorisation de la société Coty France, est constitutive de concurrence déloyale et de publicité trompeuse,
- constater que la société Showroomprivé.com a poursuivi ses commercialisations illicites pendant le cours de l'instance aggravant ainsi le préjudice de Coty France,
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Marseille du 17 novembre 2015, sauf en ce qui concerne le quantum du préjudice subi par la société Coty France que le tribunal a évalué à 25 000 euros et que la société Coty France souhaite voir fixer à 500 000 euros,
- condamner, en conséquence, la société Showroomprivé.com au paiement de 500 000 euros au titre de la violation du réseau de distribution sélective de la société Coty France et du préjudice nécessairement subi par cette dernière, notamment au regard de l'atteinte à son image de marque, du fait des actes de concurrence déloyale et de publicité trompeuse commis par la société Showroomprivé.com,
- ordonner à la société Showroomprivé.com, ou à toute autre personne qu'elle se substituerait par la suite en qualité d'éditeur du site www.showroomprive.com, la publication de la décision à intervenir sur la page d'accueil du site internet Showroomprivé.com, sur au moins la moitié de la page d'accueil, dans les huit jours de sa signification et pendant un délai d'un mois, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par jour manquant,
- ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois magazines au choix de la société Coty France et aux frais exclusifs de la société Showroomprivé.com, ou de toute autre personne qu'elle se substituerait par la suite en qualité d'éditeur du site Showroomprivé.com et ce dans la limite de 20 000 euros,
- constater que les parfums des marques suivantes sont commercialisés au sein du réseau de distribution sélective de Coty France : Bottega Veneta, Balenciaga, Calvin Klein, Cerruti, Chloé, Chopard, Davidoff, Guess, Jil Sander, Jennifer Lopez, Joop !, Lancaster, Marc Jacobs, Nikos, Roberto Cavalli, Sarah Jessica Parker, Vera Wang et Vivienne Westwood,
- ordonner à la société Showroomprivé.com de respecter le réseau de distribution sélective de la société Coty France, et en conséquence lui ordonner de ne pas commercialiser sur le site internet Showroomprivé.com ou de quelque autre manière que ce soit, les parfums des marques présentes ou à venir du réseau de distribution sélective de la société Coty France, et à ce jour : Bottega Veneta, Balenciaga, Calvin Klein, Cerruti, Chloé, Chopard, Davidoff, Guess, Jil Sander, Jennifer Lopez, Joop !, Lancaster, Marc Jacobs, Nikos, Roberto Cavalli, Sarah Jessica Parker, Vera Wang et Vivienne Westwood, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- se réserver, le cas échéant, la liquidation des astreintes,
- condamner la société Showroomprivé.com, ou toute autre personne qu'elle se substituerait par la suite en qualité d'éditeur du site Showroomprivé.com, à payer à la société Coty France la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
SUR CE
Sur l'intérêt à agir de la société Coty France
La société Showroomprivé estime que l'action de la société Coty France à son encontre est irrecevable dans la mesure où la société Coty France ne justifie pas être titulaire des droits exclusifs prétendument violés par la société Showroomprivé.
La société Showroomprivé soutient en effet que la société Coty France ne produit pas d'éléments probants qui lui permettraient de justifier être titulaire des droits exclusifs qu'elle invoque s'agissant des marques Calvin Klein, Davidoff, Cerruti, Vera Wang et Vivienne Westwood, tels que des contrats lui conférant des droits exclusifs de commercialisation ou des contrats de licence de marque exclusive, mais se contente de produire des courriers des titulaires de marques en langues anglaise et allemande, traduits librement et faisant apparaître des incohérences et contradictions importantes.
La société Coty France estime quant à elle disposer d'un intérêt personnel et direct au succès de ses prétentions du fait de la violation du réseau de distribution sélective qu'elle a elle-même mis en place. Elle expose que la recevabilité de son action ne saurait être subordonnée à sa qualité de titulaire ou non des droits d'exploitation des marques et produits litigieux et qu'en tout état de cause, l'ensemble des documents qu'elle produit justifient ses droits sur les marques et les produits litigieux.
L'article 31 du Code de procédure civile dispose que " L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ". L'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé d'une action.
L'action de Coty France contre Showroomprivé ne saurait être subordonnée à sa qualité de titulaire ou non des droits d'exploitation des marques ci-dessus relevées dans la mesure où le litige ne porte pas sur la titularité des droits et leur utilisation, mais a pour objet, par la sanction des actes de concurrence déloyale qu'elle entend voir prononcer, de faire respecter son réseau de distribution sélective. Elle a ainsi qualité et intérêt à agir pour protéger ce réseau.
Au demeurant, il résulte des documents versés aux débats par la société Coty France que les titulaires des marques Calvin Klein, Davidoff, Cerruti, Vera Wang, Vivienne Westwood ont concédé à Coty Inc et à ses filiales, parmi lesquelles se trouve la société Coty France, les droits exclusifs d'utiliser leurs marques (pièces 24, 25 et 42 de Coty France).
La durée de ces droits exclusifs visée dans ces documents couvre largement la période des ventes litigieuses réalisées par Showroomprivé aux mois d'octobre 2009 et novembre 2013 et de l'introduction de l'instance, l'assignation de Coty France étant datée du 19 décembre 2013.
S'agissant des constats de 2017, Coty France démontre aussi qu'elle avait toujours le droit de commercialiser les produits susvisés, en vertu de ces mêmes documents, à l'exception des marques Calvin Klein (date expirant le 30 juin 2016) et Vera Wang (date expirant le 30 décembre 2015).
Sur la nullité des constats d'huissier versés à la procédure par la société Coty France
La société Showroomprivé demande que les constats d'huissier versés à la procédure par la société Coty France, sur lesquels reposent ses demandes, soient écartés, car ils ne remplissent pas les conditions de validité imposées par les textes législatifs et réglementaires, ainsi que par la jurisprudence, dès lors que l'huissier a procédé à des constats sur un site internet dont l'accès était restreint, sans autorisation judiciaire préalable, sans décliner son identité et qu'il ne s'est pas limité à de simples constatations techniques en ouvrant un compte pour accéder au site litigieux, caractérisant ainsi une manœuvre déloyale.
La société Coty France estime qu'il n'y a pas lieu d'écarter des débats les constats d'huissier en cause, dans la mesure où l'huissier de justice à l'origine desdits constats était dans l'impossibilité matérielle, par absence d'un cadre destiné à cet effet sur le site Showroomprivé, de décliner son identité, que ce soit en 2009 ou en 2013. Aucune démarche active de nature à enfreindre le principe de loyauté ne saurait lui être imputée, dès lors qu'il n'a procédé à aucun achat sur le site. En tout état de cause, la société Coty France expose que même si les constats d'huissier étaient déclarés irrecevables par la cour, la preuve des faits litigieux ne fait pas l'objet de débats dans le cadre de la présente instance, dans la mesure où la société Showroomprivé ne conteste pas avoir effectivement réalisé les ventes qui lui sont reprochées.
Il résulte de l'article 9 du Code de procédure civile qu'" Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ". Le principe de loyauté dans le recueil des preuves constitue un principe fondamental qui s'applique aussi en matière commerciale et qui doit se concilier avec le droit à la preuve consacré par la jurisprudence ainsi qu'avec l'effectivité du droit de la concurrence.
Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que les faits litigieux ne sont pas contestés dans le cadre de la présente instance, puisque la société Showroomprivé ne nie pas avoir effectivement réalisé les ventes qui lui sont reprochées. Par ailleurs, dans un courrier en réponse à la mise en demeure de cesser ses ventes de parfums Calvin Klein, envoyé le 5 octobre 2009 par le conseil de Coty, Showroomprivé reconnait elle-même avoir procédé à la première vente litigieuse de 2009 sur son site internet : " nous avons décidé d'interrompre la vente de Parfum Calvin Klein (...) [elle] n'aura duré que trois jours au lieu de six initialement prévus " (pièce n° 33 de Coty). Enfin, la société Coty France verse aux débats trois captures d'écran attestant que, le 29 décembre 2017 et le 5 janvier 2018 (pièces 49 à 51), les parfums de la société Coty France étaient encore exposés à la vente sur le site de Showroomprivé.
Ces trois documents ne sauraient en effet être écartés de plano, faute d'établissement des circonstances de leur établissement, la preuve étant libre en droit commercial et la matérialité des faits n'étant pas discutée.
S'agissant des constats des 1er octobre 2009 et 15 novembre 2013, ils ont été diligentés par Me Arnaud Roll, huissier de justice, qui a utilisé un identifiant numérique indiqué par la société Coty France pour procéder au constat du 1er octobre 2009, et a créé son propre compte pour procéder au constat du 15 novembre 2013.
Il ne peut être opposé à la société Coty la nécessité d'avoir obtenu préalablement aux opérations de constat une autorisation judiciaire. En effet, si le site internet Showroomprivé.com nécessite la création d'un compte client et s'il est ainsi impossible d'avoir connaissance des ventes en cours sur ce site sans s'être préalablement identifié, cette opération ne fait l'objet d'aucun contrôle préalable d'un webmaster, de sorte que le compte client est automatiquement ouvert sans tri ni sélection. Le site ne peut dès lors s'apparenter à un domicile privé, pour l'accès duquel une autorisation judiciaire serait requise. De la même façon que tout opérateur peut procéder à des relevés de prix dans un grand magasin en procédant à l'examen des produits vendus en rayon, tout internaute peut procéder au constat des prix des produits vendus sur un site tel que celui en cause, ouvert au public.
En outre, il ne peut être reproché à l'huissier de ne pas avoir décliné sa qualité, dès lors qu'il était dans l'impossibilité " technique " d'en faire état sur le site internet de Showroomprivé, qui ne prévoit aucun emplacement particulier pour ce faire (pièce n° 13, et pièce n° 41, lettre de Maître Arnaud Roll), seules les rubriques " Civilité : ", " Prénom : ", " Nom : ", " Adresse e-mail : ", " Confirmation e-mail : " et " Mot de passe : " y figurant. Toutefois, il a indiqué son mail professionnel : " huissier-justice.fr " faisant ainsi apparaître sa qualité sans aucune ambiguïté.
Aucune violation du principe de loyauté ne saurait résulter de l'usage, par l'huissier, d'un compte déjà existant ou de la création de son propre compte, aucune manœuvre ou stratagème déloyal n'en résultant en soi. Par ailleurs, les constats effectués constituent des actes passifs de description des pages du site internet et ne résultent pas d'une incitation active à commettre une pratique délictueuse.
La jurisprudence des juges du fond (cours d'appel et TGI) invoquée par la société Showroomprivé n'est pas pertinente en l'espèce, se référant à des achats de marchandises sur des sites filtrés par des " Webmasters ", qui opèrent un contrôle préalable des inscriptions.
Enfin, s'il incombe aux fournisseurs de veiller au respect de l'étanchéité de leur réseau de distribution sélective, sous peine d'engager leur responsabilité à l'égard de leurs distributeurs, cette tâche leur serait rendue impossible, à défaut de pouvoir faire constater ces violations par voie d'huissier se connectant aux sites, de sorte qu'une interdiction d'avoir recours à un tel dispositif rendrait ineffective l'application du droit de la concurrence.
Il n'y a donc pas lieu d'écarter des débats les deux constats ci-dessus, et pas davantage ceux réalisés selon le même modus operandi les 26 mai et 27 novembre 2017. Le premier fait état de 251 parfums de marques appartenant à Coty mis en vente pour une opération promotionnelle (Cerruti, Gucci, Boss, Lacoste, Davidoff, Guess), le second de 230 parfums (Cerruti, Gucci, Lacoste, Davidoff, Guess, Roberto Cavalli, Chopard, Joop! Et Nikos).
Il y a donc lieu de rejeter l'exception de nullité des constats soulevée par la société Showroomprivé et de confirmer le jugement entrepris sur ce point.
Sur la licéité du réseau de distribution sélective de la société Coty France
La société Showroomprivé soutient que le réseau de distribution sélective de la société Coty France est illicite en ce qu'il contient plusieurs restrictions caractérisées, ayant un objet anticoncurrentiel et le privant de l'exemption par catégorie du règlement UE 330/2010, dès lors que :
- l'article 3.4.2 du contrat de distributeur agréé de Coty France revient à interdire la vente aux agents d'achats agissant pour le compte des utilisateurs finals,
- l'article 3.4.3 du contrat prévoit l'interdiction de revendre à des distributeurs non agréés en des termes très généraux alors que la société Coty France ne rapporte pas la preuve en l'espèce que son réseau de distribution sélective couvre l'intégralité des territoires de l'Union européenne,
- l'article 3.4.3.3 du contrat qui interdit au distributeur de réaliser des ventes actives d'un nouveau produit dans un Etat membre de l'Union européenne où Coty n'a pas encore mis en vente ledit produit, et ce pendant un délai d'un an à compter de la date du premier lancement du produit dans un Etat membre, et ce sans aucune justification, aboutit à :
* entraîner une restriction des territoires et des clients auxquels l'acheteur peut vendre alors même que la société Coty France ne s'est pas réservée exclusivement ceux-ci,
* restreindre les ventes actives des membres d'un système de distribution sélective,
* et restreindre les fournitures croisées au profit des distributeurs agréés situés sur des territoires où le produit n'est pas en vente,
- l'annexe 2 du contrat interdit le recours à la vente internet par le biais de plateformes ou places de marché.
La société Coty France estime quant à elle que son réseau est licite, dès lors que :
- le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs, fixés de manière uniforme et appliqués de manière non discriminatoire,
- les produits en cause nécessitent la mise en place d'un tel réseau,
- et les clauses intégrées au contrat sont proportionnées aux objectifs poursuivis.
Chacune des clauses prétendument " noires " doit donc être, selon la société Coty France, examinée dans un premier temps au prisme de l'alinéa 1 de l'article 101 du TFUE, pour démontrer son éventuel caractère anticoncurrentiel, étape qui doit conduire la cour à déclarer licite le réseau de distribution sélective de Coty France. La deuxième étape consistant à exonérer les clauses au titre du règlement d'exemption est donc inutile, selon l'intimée.
A supposer les clauses incriminées anticoncurrentielles et non exemptables, la société Coty France fait valoir qu'elle a modifié ses contrats, à la suite des deux arrêts de la Cour d'appel de Paris des 25 mai et 29 juin 2016 et qu'ainsi, son réseau est désormais exempt de toute critique et les violations de la société Showroomprivé, constatées postérieurement à ces modifications, dûment constituées. La société Showroomprivé réplique sur ce point que la société Coty France ne rapporte pas la preuve de la modification effective desdits contrats.
Sur les clauses incriminées
Il convient de souligner, à titre liminaire, que les deux parties s'accordent sur l'application du droit de l'Union. Une restriction verticale anticoncurrentielle affectant un système de distribution sélective qui s'applique à la totalité du territoire national est présumée affecter sensiblement le commerce intracommunautaire, et entraîner, par voie de conséquence, l'application du droit de l'Union et donc de l'article 101 du TFUE.
Par ailleurs pour ce qui concerne la licéité du réseau, les faits à l'origine de la procédure ont eu lieu en 2009, puis en 2013. Il convient donc de se référer au règlement 2790/1999 du 22 décembre 1999, aux lignes directrices de 1999, en ce qui concerne les pratiques de 2009, puis au règlement 330/2010 du 20 avril 2010 et aux lignes directrices de 2010 (2010/C 130/01) pour les pratiques postérieures.
Toutefois, les deux parties s'accordent pour prendre comme fondement le second règlement, qui exonère les réseaux de distribution sélective ne contenant pas de " restrictions caractérisées ", sous réserve que fournisseur et distributeurs aient une part de marché inférieure à 30 %.
Un système de distribution sélective de produits de luxe visant, à titre principal, à préserver l'image de luxe de ces produits n'est pas contraire à l'article 101, paragraphe 1, TFUE, pour autant que le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d'une manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, et que les critères définis n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire. Si ces critères ne satisfont pas à ces conditions, le système de distribution sélective est exonéré, s'il ne contient aucune restriction caractérisée, et sous réserve que fournisseur et distributeurs aient une part de marché inférieure à 30 %. Si la part de marché du fournisseur ou des distributeurs excède 30 %, l'exemption ne joue pas.
Il n'est pas contesté, en l'espèce, que les parfums haut-de-gamme vendus par la société Coty France appartiennent au segment des produits de luxe.
Il convient donc d'apprécier la licéité, au regard de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, des clauses litigieuses. Une clause contractuelle particulière visant à préserver l'image de luxe des produits concernés est licite au regard de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, pour autant qu'elle remplit les conditions énoncées plus haut.
Il n'est pas contesté que les clauses litigieuses ont pour objet de préserver l'image de luxe des produits, sont fixées de manière uniforme et appliquées de façon non discriminatoire à l'égard de tous les distributeurs agréés.
Dès lors, il convient de vérifier si, dans des circonstances telles que celles en cause, ces clauses sont proportionnées au regard de l'objectif poursuivi, c'est-à-dire si ces restrictions sont appropriées pour préserver l'image de luxe des produits en cause et si elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
Sur l'article 3.4.2 du contrat de distributeur agréé de Coty France
Cette clause stipule :
" Article 3.4-1 : le distributeur agréé s'engage à ne vendre les produits sous leur présentation d'origine non modifiée ni altérée et en aucun cas au poids, à la capacité ou autrement. Le distributeur agréé procède à l'exposition et à la vente des produits uniquement dans les locaux visés par le contrat et s'interdit de recourir à la vente par correspondance et à la vente au déballage. Il pourra également vendre les produits par l'intermédiaire de son site Internet en respectant les conditions posées à l'annexe 2.
Article 3.4.2 : les dispositions qui précèdent (interdisant la vente par correspondance) ne font pas obstacle à la vente assortie éventuellement de réduction de prix décidée par le distributeur agréé à des membres de collectivités ou de comités d'entreprises justifiant leur appartenance, sous réserve que lesdits membres se déplacent pour effectuer personnellement et individuellement, en tant que consommateurs directs, leurs achats dans le (les) magasin(s) faisant l'objet du contrat et que les produits ne soient pas exposés en dehors des points de vente agréés ".
La société Showroomprivé se fonde sur deux arrêts de la cour de céans et reprend à son compte son raisonnement. La cour d'appel a précédemment jugé, en 2016, que cette clause, en ce qu'elle prévoit expressément la possibilité de vendre aux membres des comités d'entreprises ou des collectivités dès lors qu'ils se déplacent individuellement en tant que consommateurs directs dans les magasins pour effectuer les achats, tend à exclure la vente aux agents d'achats (comités d'entreprise, collectivités) agissant pour le compte des utilisateurs finaux, ce qui constitue une restriction caractérisée prévue par l'article 4 c) du Règlement, de nature à rendre le réseau illicite.
La société Coty France estime, en premier lieu, que la cour aurait dû, dans un premier temps, se livrer à l'examen de la clause au regard de l'alinéa 1 de l'article 101, ce qui impliquait d'établir l'objet ou l'effet anticoncurrentiel de celle-ci. En passant directement à la qualification de la pratique sous la catégorie des pratiques non exemptables, elle ne s'est pas livrée à l'examen concret du caractère anticoncurrentiel de ladite clause, méconnaissant ainsi son office. En deuxième lieu, la société Coty expose que, contrairement à ce que la cour a jugé, la clause prévoyant l'exclusion de la vente aux agents d'achats agissant pour le compte des utilisateurs finals n'a pas pour objet d'empêcher le jeu normal de la concurrence, mais justement d'aménager, dans le cadre d'un contrat de distribution sélective, le respect de la qualité de la distribution de produits de luxe et ce d'autant plus qu'elle a un effet économique quasi inexistant.
Selon la société Showroomprivé, l'article 3.4.2 du contrat de distributeur agréé de Coty France revient à interdire la vente aux agents d'achats agissant pour le compte des utilisateurs finals, ce qui constituerait une restriction caractérisée, non exemptable, au sens du 4, c) du règlement, tel qu'explicité dans les lignes directrices, selon lesquelles " (...) aucune limitation ne peut être imposée aux distributeurs membres d'un système de distribution sélective, tel que défini à l'article 1er, paragraphe 1, point e), du règlement d'exemption par catégorie, quant au choix d'utilisateurs, ou d'agents d'achat agissant pour le compte de ces utilisateurs, auxquels ils sont autorisés à vendre, sauf pour protéger un système de distribution exclusive appliqué ailleurs " (point 56).
La société Coty expose que cet article est conçu comme une restriction à l'interdiction de vente par correspondance, prévue à l'article qui précède immédiatement l'article litigieux, qui dispose : " Article 3.4-1 : le distributeur agréé s'engage à ne vendre les produits sous leur présentation d'origine non modifiée ni altérée et en aucun cas au poids, à la capacité ou autrement. Le distributeur agréé procède à l'exposition et à la vente des produits uniquement dans les locaux visés par le contrat et s'interdit de recourir à la vente par correspondance et à la vente au déballage. Il pourra également vendre les produits par l'intermédiaire de son site Internet en respectant les conditions posées à l'annexe 2 ". Elle précise que l'interdiction de vente par correspondance ayant été jugée conforme au droit européen, et ayant des effets négligeables sur le fonctionnement de la concurrence, une clause en restreignant le champ ne peut pas a fortiori constituer une atteinte à la concurrence et ne peut également qu'avoir des effets négligeables sur la concurrence. En outre, la portée de cette clause n'est nullement d'interdire la vente groupée à destination d'agents d'achat (agissant pour le compte de comités d'entreprises ou de collectivités), mais d'en réglementer les modalités, en exigeant que chaque membre bénéficiaire se déplace personnellement.
La clause litigieuse autorise la vente par correspondance, et à des prix réduits, aux collectivités et aux comités d'entreprises, donc des ventes groupées, dès lors que les consommateurs concernés se déplacent personnellement pour venir rechercher leurs produits.
Elle aménage donc le principe d'interdiction de la vente par correspondance, par ailleurs validé par les autorités de concurrence, ce mode de vente étant de nature à porter atteinte à l'image de marque des produits de luxe, et autorise des ventes groupées par correspondance, à prix réduit. En ce sens, elle est plutôt pro-concurrentielle, dès lors d'une part qu'elle réduit le champ d'une restriction considérée comme licite, et d'autre part qu'elle bénéficie aux consommateurs finals.
En l'occurrence, le consommateur final bénéficie bien de la possibilité d'acheter les produits de Coty France par le biais d'un agent d'achat ou de son comité d'entreprise, mais à condition de se rendre lui-même dans le magasin d'un distributeur agréé. Par ce biais, Coty France fait bénéficier le consommateur des prix négociés par les comités d'entreprise, tout en préservant l'image de luxe attachée à ses produits et l'étanchéité de son réseau. Les commandes groupées effectuées sans aucun contrôle peuvent, en effet, alimenter des reventes sur des réseaux parallèles illicites.
Ces éléments permettent de considérer que conditionner la vente par correspondance à un comité d'entreprise ou à une collectivité au déplacement physique des membres intéressés ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver l'image de luxe desdits produits.
Cette limitation aux ventes groupées par correspondance est donc licite au regard de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, car elle est dépourvue d'objet et également d'effets anticoncurrentiels, la société Coty avançant, sans être sérieusement contredite par Showroomprivé, que les ventes aux collectivités et comités d'entreprise ne représentent qu'une part infime de ses ventes finales totales.
Contrairement aux allégations de la société Showroomprivé, cette disposition ne constitue pas une restriction " caractérisée " au sens du 4 c) du Règlement, assimilable à une pratique anticoncurrentielle par objet.
En vertu de l'article 4 du règlement de 1999, " l'exemption prévue à l'article 2 ne s'applique pas aux accords verticaux qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d'autres facteurs sous le contrôle des parties, ont pour objet : (...) c) la restriction des ventes actives ou des ventes passives aux utilisateurs finals par les membres d'un système de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché, sans préjudice de la possibilité d'interdire à un membre du système d'opérer à partir d'un lieu d'établissement non autorisé ".
Mais si le règlement prohibe l'interdiction absolue faite aux distributeurs de vendre à certains clients finals, tels les agents d'achat agissant pour le compte de plusieurs acheteurs finals, il admet les aménagements aux ventes groupées.
Selon le point 53 des lignes directrices sur les restrictions verticales de 1999 (2000/C 291/01) (repris au point 56 des lignes directrices de 2010), " La restriction caractérisée visée à l'article 4, point c), du règlement d'exemption par catégorie concerne la restriction des ventes actives ou passives aux utilisateurs finals, qu'il s'agisse d'utilisateurs finals professionnels ou de consommateurs finals, par les membres d'un système de distribution sélective. Cela signifie qu'aucune limitation ne peut être imposée aux distributeurs membres d'un réseau de distribution sélective, tel qu'il est défini à l'article 1er, point d), du règlement, quant aux utilisateurs, ou aux agents d'achat agissant au nom de ces utilisateurs, auxquels ils sont autorisés à vendre. (...) ".
De même, le point 56 des nouvelles lignes directrices précise : " Par conséquent, aucune limitation ne peut être imposée aux distributeurs membres d'un système de distribution sélective, tel que défini à l'article 1er, paragraphe 1, point e), du règlement d'exemption par catégorie, quant au choix d'utilisateurs, ou d'agents d'achat agissant pour le compte de ces utilisateurs, auxquels ils sont autorisés à vendre, sauf pour protéger un système de distribution exclusive appliqué ailleurs (voir le point 51) ".
Mais il est admis que puisse être limitée la quantité vendue à chaque acheteur, pour ne pas faciliter la revente hors réseau. " Par exemple, pour empêcher les ventes à des distributeurs non agréés, un fournisseur peut exiger de ses distributeurs désignés qu'ils ne vendent pas plus d'une certaine quantité de produits contractuels à un utilisateur final individuel " (§ 56 des lignes directrices de 2010).
Il résulte de ces textes qu'aucune vente aux utilisateurs ou consommateurs finals ne peut être exclue a priori ou interdite de façon absolue aux distributeurs agréés, mais que des aménagements peuvent être prévus, relatifs aux nombres de produits vendus par exemple, ou telle la restriction prévue dans l'article susvisé, qui rend plus difficile la vente groupée par correspondance effectuée au profit des comités d'entreprises ou des collectivités.
Cette clause ne rentre donc pas sous le qualificatif du 4 c) du règlement d'exemption.
Sur l'article 3.4.3
L'article 3.4.3 du contrat de distributeur agréé prévoit que : " le distributeur agréé, qui prend l'engagement de ne pas vendre les produits à des revendeurs non agréés, peut revendre les produits à tout autre distributeur agréé de Coty installé en France ou dans un autre pays de l'Union européenne ".
La société Showroomprivé estime que cette clause édicte une interdiction de vendre à des revendeurs non agréés et que si cette disposition est licite en ce qu'elle a pour objectif de protéger le réseau et d'en assurer l'étanchéité, en revanche, elle révèle son caractère restrictif prohibé lorsque le marché sur lequel évolue le distributeur non agréé n'est pas organisé en réseau de distribution sélective. Or, en l'espèce, Coty ne justifierait pas que son système de distribution sélective couvre tous les territoires des Etats membres, de sorte que la clause créerait une restriction illicite à la concurrence, au sens de l'article 4 b) du règlement de 1999.
La société Coty France réplique que la clause prévoyant l'exclusion totale de la revente à des distributeurs non agréés n'a pas pour objet d'empêcher le jeu normal de la concurrence mais qu'elle constitue l'essence même de la distribution sélective et souligne que la circonstance que son réseau de distribution sélective n'existe pas sur " tous les territoires ", ce qui n'est, au demeurant, pas exact, n'est pas de nature à rendre illicite son réseau de distribution sélective qui est bien étanche sur le territoire concerné, à savoir la France. Elle justifie à titre surabondant la mise en œuvre de réseaux de distribution sélective dans tous les Etats membres par une attestation de son vice-président Global Brand Protection du 20 décembre 2017 et la production de contrats-types. Elle soutient que l'obligation de ne revendre les produits qu'à d'autres distributeurs agréés ne peut à l'évidence s'appliquer qu'aux territoires où a été mis en place un système de distribution sélective, de sorte que la mention expresse selon laquelle cette obligation ne s'applique que sur ces territoires est inutile.
Il y a lieu de vérifier si, dans les circonstances telles que celles en cause, la clause litigieuse est proportionnée au regard de l'objectif poursuivi, c'est-à-dire si elle est appropriée pour préserver l'image de luxe des produits en cause et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. À cet égard, dans les affaires Yves Saint Laurent et Givenchy (TPICE, 12 décembre 1996, aff. T-19/92, Yves Saint Laurent, et T-88/92, Givenchy), le Tribunal de première instance a indiqué : " la notion de propriétés des cosmétiques de luxe (...) ne peut être limitée à leurs caractéristiques matérielles mais englobe également la perception spécifique qu'en ont les consommateurs et plus particulièrement leur aura de luxe ; il s'agit donc de produits qui, d'une part, sont d'une haute qualité intrinsèque et, d'autre part, possèdent un caractère de luxe qui relève de leur nature même ".
Le règlement (UE) n° 330/2010 définit la distribution sélective comme " un système de distribution dans lequel le fournisseur s'engage à ne vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, qu'à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs s'engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés dans le territoire réservé par le fournisseur pour l'opération de ce système " (article 1(1)(e)). Un tel système de distribution a pour conséquence de ne rendre les produits disponibles à la revente qu'auprès de distributeurs autorisés par le fournisseur, sur la base de différents critères d'agrément.
Seuls les distributeurs agréés peuvent vendre les produits à d'autres distributeurs agréés ou aux consommateurs finals.
L'interdiction de vente faite aux distributeurs agréés de vendre à des distributeurs non agréés constitue donc le fondement même de la distribution sélective. Elle protège assurément l'image de marque des produits en cause, puisqu'elle garantit l'absence de ventes hors réseau, dans des conditions dégradées et dévalorisantes. Proportionnée au but poursuivi, et objectivement justifiée, elle ne peut donc avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel. Toutefois, si l'interdiction de revente hors réseau était générale et s'appliquait même en dehors des marchés où un tel système est mis en œuvre, la clause pourrait revêtir un caractère disproportionné et anticoncurrentiel.
Le contrat soumis à la cour, concernant la distribution des produits Coty en France, interdit la vente à des distributeurs non agréés dans tous les marchés, mais ne mentionne pas expressément que cette interdiction vise les marchés où un tel système de distribution a été mis en œuvre.
La société Coty prétend que la clause garantissant l'étanchéité de son réseau a toujours été rédigée de cette façon, n'a jamais encouru de critiques, au motif qu'il est toujours sous-entendu que l'interdiction est limitée aux Etats où est mis en œuvre un tel système, de sorte qu'il ne peut être considéré que la clause en question tombe sous l'interdiction du 4 b.
Cet argument ne peut être retenu, les clauses devant être claires et dépourvues de toute ambiguïté, d'autant qu'elles définissent des interdictions de nature à porter atteinte à la concurrence.
Mais la société Coty prouve également avoir mis en place un système de distribution sélective de ses produits dans tous les Etats membres, ce qui vide la clause incriminée de tout objet ou effet anticoncurrentiels. Une attestation du 20 décembre 2017 de Monsieur Guido Baumgartner, vice-président Global Brand Protection, en charge de la protection des marques et des réseaux de distribution, indique ainsi : " 2. Le réseau de distribution sélective du groupe Coty est organisé depuis l'origine sur l'ensemble du territoire de l'Espace économique éuropéen (EEE). Les contrats de distribution sélective sont établis sur la base du modèle validé par la Commission européenne en date du 28 septembre 2001 (Case n° F-1/36.283 - Lancaster) et du 9 janvier 2002 (Case n° F-1/36.591 - Calvin Klein). Le courrier daté du 28 septembre 2001 (Case n° F-1/36.283 - Lancaster) m'est d'ailleurs personnellement adressé, en qualité de " Director International Market Control ".
Le réseau de distribution du Groupe Coty est organisé de la manière suivante : dans chaque pays de l'EEE où nous avons une filiale locale, un contrat de distribution sélective est signé entre cette entité et les distributeurs agréés sur la base du " modèle Groupe " ; dans les pays où nous n'avons pas de filiale locale, il revient à notre distributeur local de signer le même modèle de contrat avec chaque détaillant agréé " (pièce n° 46 de Coty France).
Cette clause d'étanchéité du réseau est donc licite au regard de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, car elle est dépourvue d'objet anticoncurrentiel et d'effets anticoncurrentiels, n'étant pas disproportionnée à la nécessité de protéger le réseau.
Contrairement aux allégations de la société Showroomprivé, cette disposition ne constitue pas une restriction " caractérisée " au sens du 4 b) du règlement de 1999, assimilable à une pratique anticoncurrentielle par objet.
En effet, selon l'article 4, b de ce règlement, " L'exemption prévue à l'article 2 ne s'applique pas aux accords verticaux qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d'autres facteurs sous le contrôle des parties, ont pour objet : (...) b) la restriction concernant le territoire dans lequel, ou la clientèle à laquelle, l'acheteur peut vendre les biens ou services contractuels, sauf (...) - la restriction des ventes par les membres d'un système de distribution sélective aux distributeurs non agréés (...) ".
Toutefois, selon l'article 52 des lignes directrices de 2000, " (...) sont autorisées la restriction des ventes d'un grossiste aux utilisateurs finals, la restriction des ventes, à tous les stades du commerce, d'un distributeur désigné, membre d'un système de distribution sélective, à des distributeurs non agréés dans les marchés où un tel système est mis en œuvre " (c'est la cour qui souligne).
De même, le règlement de 2010 précise-t-il en son article 4 b) iii) qu'est licite de " restreindre les ventes par les membres d'un système de distribution sélective à des distributeurs non agréés, dans le territoire réservé par le fournisseur pour l'opération de ce système " (c'est la cour qui souligne).
Une clause telle que celle des contrats Coty, d'interdiction générale, non limitée aux territoires couverts par la distribution sélective, constitue donc, au sens littéral, une restriction caractérisée au sens du règlement d'exemption de 2010. Mais placée dans le contexte rappelé plus haut où tous les territoires sont couverts par un système de distribution sélective, il n'y a pas lieu de la sanctionner comme telle.
Sur l'article 3.4.3.3
Cet article dispose qu'un distributeur agréé " ne doit pas faire de vente active d'un nouveau produit dans un Etat membre de l'Union européenne où Coty, ou une société appartenant au même groupe, n'a pas encore mis en vente ledit produit, et ce pendant un délai d'un an à compter de la date du premier lancement du produit dans un Etat membre ".
La société Showroomprivé prétend que cette clause contrevient à plusieurs titres à l'article 4 :
- elle entraîne une restriction des territoires et des clients auxquels l'acheteur peut vendre alors même que Coty France ne s'est pas réservé exclusivement ceux-ci ;
- elle restreint les ventes actives des membres d'un système de distribution sélective, ce qui est expressément interdit ;
- elle aboutit à restreindre les fournitures croisées au profit de distributeurs agréés situés sur des territoires où le produit n'est pas en vente.
La société Coty France réplique que cette clause ne relève pas non plus de l'article 101§1 du TFUE et qu'elle est économiquement justifiée dans la mesure où le distributeur qui met pour la première fois un nouveau produit sur le marché prend nécessairement un risque économique, qu'il serait dissuadé de prendre en l'absence d'une telle protection territoriale temporaire.
Les restrictions territoriales figurant dans un accord conclu entre un fournisseur et un distributeur peuvent ne pas relever de l'article 101, paragraphe 1, pendant une certaine période, si elles sont objectivement nécessaires pour que le distributeur puisse pénétrer sur un nouveau marché (CJCE, 30 juin 1966, Société Technique Minière (LTM) / Maschinenbau Ulm GmbH (MBU), 56-65).
Ainsi que le souligne la Commission européenne dans ses lignes directrices de 2000 (paragraphe 119, point 10) et de 2010 (paragraphes 61 et 62), " Les restrictions verticales liées à l'ouverture de nouveaux marchés de produits ou de nouveaux marchés géographiques ne restreignent généralement pas la concurrence. Cette remarque vaut pour les deux années qui suivent la date de première mise sur le marché du produit, et quelle que soit la part de marché de l'entreprise. Sont concernées toutes les restrictions verticales autres que les restrictions caractérisées et, dans le cas d'un nouveau marché géographique, les restrictions imposées aux acheteurs directs du fournisseur situés dans d'autres marchés en ce qui concerne les ventes actives et passives de ces acheteurs directs à des intermédiaires présents sur ce nouveau marché. Lorsqu'un nouveau produit fait l'objet d'essais commerciaux sur un territoire limité ou auprès d'une clientèle limitée, les distributeurs désignés pour vendre le nouveau produit sur le marché test peuvent être soumis à une restriction de leurs ventes actives en dehors du marché test pendant un délai maximal d'un an, sans que cela constitue une restriction contraire à l'article 81, paragraphe 1 ".
La clause litigieuse protège le distributeur agréé Coty qui lance un nouveau produit des marques Coty, des ventes actives d'autres distributeurs agréés Coty, pendant le délai d'un an. Cette clause s'avère nécessaire pour inciter le distributeur à réaliser des investissements pour développer le nouveau produit. En l'absence d'une telle protection, le distributeur ne serait pas incité à distribuer ce nouveau produit et à investir dans cette distribution, alors que la vente de nouveaux produits et l'élargissement de l'offre à destination des consommateurs finals constituent des facteurs pro-concurrentiels.
La durée de protection consentie en l'espèce, d'une année, n'est pas disproportionnée au regard de son objet.
La clause incriminée est donc proportionnée au regard de l'objectif poursuivi, c'est-à-dire qu'elle est appropriée pour préserver l'innovation et la distribution de nouveaux produits de luxe et qu'elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
Cette restriction territoriale de vente active, limitée à un an, ne relève pas de l'article 101, paragraphe 1, car elle est objectivement nécessaire pour que le distributeur puisse pénétrer sur un nouveau marché et n'est pas disproportionnée à la nécessité de protéger l'efficacité du réseau, qui vise à promouvoir, à destination du consommateur, de nouvelles marques, dans des conditions de présentation optimales. Par conséquent, cette clause, objectivement justifiée, ne peut avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel.
Cette clause ne peut davantage être qualifiée de " restriction caractérisée ", au sens des règlements de 1999 et de 2010.
Sur l'annexe 2
Le contrat de distribution de Coty France interdit le recours à la vente par le biais de plateformes ou places de marché : " 2. Le distributeur agréé n'aura le droit d'utiliser son site internet éventuel qu'aux fins de promouvoir, présenter et vendre les produits disponibles dans les points de vente autorisés. (...) 6. Le site devra proposer à la clientèle la même gamme de produits que ceux qui sont proposés à la vente dans le magasin " physique ", soit un minimum de 70 % du catalogue. (...). 8. Le distributeur agréé n'offrira et ne vendra les produits que sur le site convenu avec Coty. Le site ne contiendra pas de liens vers d'autres sites de vente de parfums et cosmétiques qui ne sont pas des points de vente internet agréés Coty ".
Selon la société appelante, cette interdiction de principe de la vente internet par le biais de plateformes ou places de marché constitue une restriction de concurrence caractérisée, exclue du bénéfice de l'exemption individuelle.
La société Coty France réplique que son contrat de distribution sélective n'interdit pas le recours aux ventes en ligne de manière générale et absolue, mais interdit simplement le recours à des plateformes tierces et impose la détention d'un magasin physique, ce qui ne constitue en aucun cas une restriction caractérisée. Elle cite à cet égard l'arrêt de la Cour de l'Union (6 décembre 2017, Coty Germany, C-230/16), qui vient de rappeler la licéité de cette clause au regard de l'alinéa 1 de l'article 101.
Cette clause permet, ainsi que l'a souligné la Cour, " au fournisseur de produits de luxe de contrôler que ses produits seront vendus en ligne dans un environnement qui correspond aux conditions qualitatives qu'il a convenues avec ses distributeurs agréés ", ce contrôle ne pouvant être effectué sur les plateformes qui ne sont pas cocontractantes de Coty. " Or, une vente en ligne de produits de luxe par des plateformes qui n'appartiennent pas au système de distribution sélective de ces produits, dans le cadre de laquelle le fournisseur n'a pas la possibilité de contrôler les conditions de vente de ses produits, comporte le risque d'une détérioration dans la présentation desdits produits sur Internet, qui est de nature à porter atteinte à leur image de luxe et, partant, à leur nature même ". La vente de produits de luxe aux côtés de tout type de produits, porte atteinte à l'image de luxe des produits auprès des consommateurs et, de ce fait, au maintien de l'une des caractéristiques principales de ces produits recherchées par les consommateurs.
Cette clause est donc appropriée pour préserver l'image de luxe desdits produits et ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi, car elle n'interdit pas de manière absolue aux distributeurs agréés de vendre sur Internet les produits contractuels.
Elle est donc licite au regard de l'article 101, paragraphe 1, TFUE.
Cette clause ne peut davantage être qualifiée de restriction caractérisée, au sens des règlements de 1999 et de 2010. La Cour a dit pour droit, dans son arrêt Coty Germany susmentionné, qu'aucune restriction de clientèle ou de ventes passives des distributeurs agréés aux utilisateurs finals n'en résultait, la distribution par internet étant toujours possible.
Contrairement ce que soutient la société Showroomprivé, la position de l'Autorité de la concurrence n'est pas contraire à celle des juridictions de l'Union, celle-ci, à la suite du Conseil de la concurrence, ayant toujours considéré que les restrictions apportées à l'usage des plateformes, qui ne constituent que des intermédiaires et non des distributeurs agréés, ne constituaient pas des restrictions caractérisées. En effet, si, pour certains produits non situés sur les marchés du luxe, l'intérêt pour les distributeurs de recourir aux plateformes est indéniable, car elles peuvent leur permettre de développer leurs ventes sans devoir créer des sites Internet propres, en disposant de facilités pour le paiement et les impayés ainsi qu'en profitant de la renommée de la plate-forme, l'Autorité a toujours admis que le fabricant à la tête d'un réseau de distribution sélective puisse avoir un droit de regard sur cet usage, afin de vérifier que les conditions de présentation des produits sur les plateformes soient conformes aux exigences de qualité du réseau et puissent interdire les ventes sur des plateformes tierces, dès lors que les garanties sur l'identité des vendeurs ne sont pas apportées.
Ainsi, dans sa décision n° 07-D-07 du 8 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, le Conseil, s'agissant de la distribution sélective des produits Caudalie, a-t-il émis, s'agissant de produits hors luxe, les réserves suivantes : " le Conseil estime que les craintes des fabricants de produits dermo-cosmétiques suscitées par ces pratiques illégales peuvent légitimer l'interdiction de ce canal de vente, tant que les plates-formes n'apportent pas de garanties supplémentaires sur la qualité et l'identité des vendeurs " (§ 104). " Pour ces raisons, le Conseil estime que les craintes des fabricants de produits dermo-cosmétiques suscitées par ces pratiques illégales peuvent légitimer l'interdiction de ce canal de vente, tant que les plates-formes n'apportent pas de garanties supplémentaires sur la qualité et l'identité des vendeurs " (§ 104). A fortiori en va-t-il pour la distribution sélective de produits appartenant au segment de marché des parfums haut de gamme.
La jurisprudence Caudalie de la cour d'appel, citée par Showroomprivé, n'est pas pertinente, l'arrêt cité ayant fait l'objet d'une cassation.
Sur le critère du point de vente physique
La société Showroomprivé estime que le contrat de distribution sélective de la société Coty France comporte une restriction très sérieuse de concurrence, en ce qu'il impose à ses distributeurs de disposer d'un point de vente physique, critère qui n'est, selon elle, pas nécessaire à la distribution des produits de la société Coty France, rendant ainsi le réseau illicite en l'absence d'exemption catégorielle. Excipant d'une étude économique du cabinet Microeconomix, elle indique en effet qu'une telle exigence n'est pas justifiée dans la mesure où :
- une part non négligeable de la demande de parfums est une demande de réassort pour laquelle le conseil en magasin revêt une moindre importance,
- un site internet peut offrir des prestations similaires à celles proposées en magasin,
- la société Coty permet à certains opérateurs de distribuer ses produits dans des pays autres que la France, directement sur internet, sans qu'il soit nécessaire de disposer d'un point de vente physique,
- le risque de parasitisme n'existe plus aujourd'hui.
La société Showroomprivé ajoute que le critère de détention d'un point de vente physique est en outre disproportionné s'agissant du secteur de la parfumerie et des exigences de la société Coty dans la mesure où :
- le maillage territorial des distributeurs agréés est déjà dense, laissant ainsi peu de place à un nouvel entrant,
- le taux de fréquentation des magasins de parfums est en baisse,
- la société Coty impose à chaque magasin agréé une surface de vente minimale, une largeur de gamme et un chiffre d'affaires minimal excessifs.
La société Showroomprivé estime que cette restriction de concurrence ne peut bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par le règlement UE 330/2010. En effet, elle indique qu'outre l'existence de restrictions caractérisées (lui faisant perdre le bénéfice de l'exemption catégorielle), la société Coty France ne rapporte pas la preuve que le seuil de 30 % de parts de marché n'est pas dépassé pour lui permettre de bénéficier de l'exemption catégorielle et soutient que ledit seuil de parts de marché est effectivement dépassé dans la mesure où la société Sephora, distributeur des produits de la société Coty France, a dépassé ce seuil en 2013.
La société Showroomprivé ajoute qu'en toute hypothèse, il ne peut y avoir d'exemption par catégorie compte tenu de l'effet cumulatif des contrats, dans la mesure où un grand nombre de fabricants de parfums et cosmétiques de luxe distribuent leurs produits dans le cadre d'un réseau de distribution sélective et subordonnent la revente de leurs produits sur internet à l'exploitation préalable par le distributeur d'un point de vente physique.
La société Coty France estime qu'il n'y a pas besoin de recourir au règlement UE n° 330/2010 puisqu'il ressort des jugements et décisions des juridictions et autorités de la concurrence qu'une telle clause ne peut pas être condamnée sur le fondement de l'article 101§1 du TFUE dans le cadre d'un réseau de distribution sélective, dès lors qu'elle est justifiée par la nature luxueuse des produits distribués.
À titre subsidiaire, la société Coty France estime que si la cour d'appel devait juger que le réseau de distribution sélective de la société Coty France tombe sous le coup de l'interdiction édictée à l'article 101§1 du TFUE, elle bénéficierait de l'exemption par catégorie du fait de l'absence de restrictions caractérisées et du non-dépassement du seuil de 30 % sur le marché des seuls parfums de luxe et en raison de l'absence d'effets cumulatifs des contrats.
La clause litigieuse vise à interdire la vente des produits Coty par des distributeurs vendant exclusivement leurs produits par internet et ne disposant pas de magasins physiques (ou " pure players ").
Dans une décision 06-D-24, du 24 juillet 2006, le Conseil de la concurrence a considéré, sur le marché des montres haut de gamme, " qu'en l'absence de ces circonstances particulières, s'il ne dépasse pas une part de marché de 30 %, un fournisseur peut sélectionner ses distributeurs en retenant notamment comme critère qu'ils disposent d'un magasin pour accueillir le public et exposer les produits contractuels, c'est-à-dire en excluant de son réseau les vendeurs " exclusivement Internet " (ou pure players). Dès lors qu'il est couvert par le règlement d'exemption n° 2790/1999, un tel fournisseur n'a pas à justifier ses choix en démontrant que dans son cas particulier une exemption est justifiée, c'est-à-dire que les effets positifs sur le marché l'emportent sur les effets négatifs, contrairement à ce qui pouvait être le cas avant l'entrée en vigueur de ce règlement, ou comme doit le faire un fournisseur dont la part de marché dépasse 30 % ".
Il a donc jugé que ce critère de sélection ne constituait pas une restriction caractérisée et rentrait dans le champ des exemptions automatiques des règlements. Les motifs de justification de cette clause reposaient sur la nécessité, pour les consommateurs, de tester les produits et de bénéficier de conseils sur place ainsi que sur la lutte cruciale contre le parasitisme, source de désincitation des distributeurs " en dur " à investir dans leurs locaux physiques et à employer des salariés spécialisés pour dispenser les conseils, et donc, à terme, de découragement de l'investissement, et de détérioration des services aux consommateurs. Les détaillants agréés, de par leurs investissements, participent à la promotion et au rayonnement de la marque et du réseau, investissements qu'un opérateur " pure player " ne serait pas amené à supporter s'il était admis dans le réseau, et dont il pourrait néanmoins profiter. Il en résulterait la déstabilisation du modèle économique du secteur et dès lors, des impacts en termes économique, d'image et d'emploi.
Le Conseil de la concurrence a ainsi estimé que " certains produits ou services dont tout ou partie des caractéristiques ne peuvent être facilement reproduites ou décrites se prêtent moins à la vente directe par Internet car il est préférable de les tester en magasin avant de les acheter (parfums, matériels hi-fi de luxe, ...) ". Il a également souligné que " lorsqu'elle vient en concurrence avec un réseau de distribution physique organisé, notamment un réseau de distribution sélective, la vente exclusive sur Internet pose la question de la prise en compte des coûts de constitution de réseau et du parasitisme, c'est-à-dire le fait pour une entreprise de tirer bénéfice des actions ou des efforts engagés par une autre, sans en partager les coûts. Le consommateur peut notamment se rendre dans les points de vente physiques où le produit est mis en valeur, peut être testé et peut faire l'objet de démonstration ou de conseils. Ces services à la clientèle sont le fruit d'investissements du point de vente ou du réseau. Le consommateur peut ensuite être tenté, une fois son choix arrêté, d'aller sur Internet où il est susceptible d'acquérir le produit à un prix plus attractif puisque le vendeur sur Internet n'a pas à supporter les investissements des points de vente physiques. Si elle est favorable, dans un sens, au consommateur dès lors qu'elle facilite la concurrence par les prix la vente sur Internet peut donc aussi être source de distorsions de concurrence entre vendeurs et, en étant susceptible d'entraîner indirectement la disparition ou la raréfaction de certains services, induire des effets moins positifs pour le consommateur ".
Cette analyse a été nuancée par l'avis de 2012 de l'Autorité de la concurrence cité par la société Showroomprivé. L'Autorité envisage le retrait possible d'une exemption par catégorie, dans les cas où les caractéristiques du produit ne nécessiteraient pas une distribution sélective ni l'application de critères, telle que, par exemple, l'obligation faite aux distributeurs de disposer d'un ou de plusieurs points de vente physiques, ou de fournir des services spécifiques, même dans l'hypothèse où les parts de marché seraient inférieures à 30 %, se référant au paragraphe 76 des lignes directrices de 2010 de la Commission.
Ceci étant rappelé, il y a lieu, comme la société Coty France le demande à la cour, d'analyser en premier lieu la clause in concreto au regard de l'article 101 alinéa 1 c'est-à-dire de dire si cette clause est, compte tenu de l'évolution du marché mise en avant par Showroomprivé, proportionnée au regard de l'objectif poursuivi, autrement dit si elle est appropriée pour préserver l'image de luxe des produits en cause et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
L'expertise de Microeconomix produite par Showroomprivé vise à démontrer que le critère de détention d'un point de vente physique, contenu dans le contrat de distributeur agréé de la société Coty, imposé aux distributeurs en ligne pour l'obtention d'un agrément, d'une part, n'est pas économiquement justifié par les caractéristiques de l'offre et de la demande et d'autre part, imposerait une obligation disproportionnée aux potentiels nouveaux entrants. Ce critère entraînerait en définitive des effets préjudiciables sur la concurrence.
La justification au regard de l'offre et de la demande
La société Showroomprivé expose que les services rendus aux consommateurs dans des magasins physiques peuvent aisément être rendus par des acteurs pure players, les acheteurs de parfums n'étant pas tous demandeurs de conseils et des échantillons pouvant être envoyés à domicile pour tester les produits, et qu'aucun risque de parasitisme n'existe plus en raison de l'évolution des services rendus sur les sites web.
Elle expose en premier lieu qu'une part non négligeable de la demande de parfums est une demande de réassort pour laquelle le conseil en magasin revêt une moindre importance.
Mais si l'étude Microeconomix fait état d'une part " non négligeable ", cette part représentée par les demandes de réassort des consommateurs n'est pas indiquée.
Il demeure que les consommateurs ne recherchent pas le même service en ligne et en magasin : si en magasin, ils attendent avant tout un service, un conseil et la possibilité de retirer le produit immédiatement, en ligne, en revanche, les consommateurs sont motivés avant tout par le prix, et ne peuvent tester le produit ni l'obtenir immédiatement.
Une part tout aussi notable des consommateurs achètent les parfums en cadeau et se rendent dans les magasins pour se faire conseiller et pour les tester. Leur préoccupation essentielle est de se faire remettre le produit immédiatement et les considérations de prix ne sont pas primordiales s'agissant de parfums haut de gamme ou de luxe.
Ils y trouvent un environnement conforme à l'image de luxe des parfums vendus, difficilement comparable à celui offert par les sites des pure players généralistes, tels Showroomprivé, où l'électroménager côtoie un bon de réduction pour restaurant ou de dentifrice et où les opérations de " ventes privées ", sous forme de bradages de prix sont incompatibles avec l'aura des produits de luxe.
Si Showroomprivé prétend qu'elle peut consacrer des pages spécialement dédiées aux produits de luxe, celles qu'elle verse aux débats ne sont guère convaincantes, puisque s'y côtoient des produits appartenant à des marchés haut de gamme différents, parfums, vêtements.
Dans son arrêt du 6 décembre 2017 cité plus haut, la Cour de l'Union a clairement énoncé qu'il convenait de tenir compte de la nature luxueuse des produits dans l'analyse des clauses du contrat de distribution sélective : " la qualité de tels produits résulte non pas uniquement de leurs caractéristiques matérielles, mais également de l'allure et de l'image de prestige qui leur confèrent une sensation de luxe, que cette sensation constitue un élément essentiel desdits produits pour qu'ils soient distingués, par les consommateurs, des autres produits semblables, et que, dès lors, une atteinte à ladite sensation de luxe est susceptible d'affecter la qualité même de ses produits " (point 25). Le caractère généraliste de l'offre de Showroomprivé semble, en l'état, peu compatible avec cette perception.
Par ailleurs, la demande de conseils des acheteurs peut également viser des nouveaux produits.
Enfin, la clientèle peut, à l'occasion d'une visite pour du réassort, décider de changer de parfum. Pour tous ces besoins, la dispensation de conseils est utile. La circonstance que le taux de fréquentation des distributeurs de parfums (parfumeries indépendantes et chaînes nationales) soit en baisse ne suffit pas à démontrer leur inutilité au regard des services prodigués aux consommateurs rappelés plus haut.
Il n'est pas non plus établi que l'envoi d'échantillons par les pure players puisse remplacer l'essai des différents parfums dans un magasin physique, pour tous les consommateurs.
Enfin, les consommateurs disposent de la possibilité de s'approvisionner en produits sur les sites internet des distributeurs agréés par Coty France ; ils ne sont donc pas privés d'un approvisionnement de réassort (ou non) sur internet s'ils ne souhaitent pas bénéficier des prestations fournies en magasins physiques. Aucune atteinte à la diversité des choix des consommateurs ne peut donc s'inférer de la clause litigieuse.
La société Showroomprivé prétend que la circonstance que la société Coty permette à certains distributeurs agréés de distribuer leurs produits dans des Etats autres que la France, directement grâce à leur site internet, sans disposer d'un point de vente physique dans ces Etats membres, démontre l'inutilité de la clause.
Mais les opérateurs cités par Showroomprivé ne sont pas dans la même situation que les pure players : la société Birchbox commercialise, par voie d'abonnement, des miniatures de produits cosmétiques à ses clientes sous forme de " box " mensuelles, hors distribution sélective.
La société Feelunique vend par Internet les produits Coty en Angleterre sans détenir de magasins physiques sur ce territoire ; elle en détient cependant en France (pièce n° 27 de Showroomprivé) et fait partie des distributeurs sélectionnés par Coty France. Elle n'est donc pas un pure player, mais un distributeur doté en France de magasins en dur et d'un site internet qui vend dans d'autres Etats membres.
De même, Showroomprivé ne démontre pas que Coty France laisserait Sephora opérer en tant que " pure player " (pièce 26). En effet, il n'est pas contesté que si Sephora n'a pas de magasins physiques en Belgique, elle en dispose en France.
La circonstance que ces deux distributeurs réalisent des ventes par internet dans des pays où ils ne disposent pas de magasins physiques ne saurait démontrer, contrairement à ce que soutient la société intimée, l'inutilité de ces magasins. D'une part, la proportion représentée par ces opérateurs dans les chiffres d'affaires nationaux de Coty et la part de leurs propres chiffres d'affaires réalisée sur les marchés où ils n'ont pas de magasins par rapport à leur chiffre d'affaires total ne sont pas indiquées, d'autre part, les marchés géographiques ne sont pas nécessairement comparables quant aux attentes des consommateurs, et enfin, aucun grief ne peut être fait à Coty France de permettre à ces distributeurs de répondre passivement et activement aux demandes d'Internautes belges et anglais, à peine de se voir reprocher d'interdire les ventes passives et actives.
Enfin, en second lieu, compte tenu de la nature des produits en cause et des caractéristiques inchangées de la demande, le risque de parasitisme existe toujours aujourd'hui.
Le fait qu'un nombre important d'internautes prépare ses achats sur Internet avant de les acquérir en magasins ne suffit pas à exclure les risques de parasitisme rappelés plus haut. Dans une part notable de cas en effet, en l'état du marché, les consommateurs testent les produits en magasins. Dès lors, la distribution dans les magasins physiques et la distribution par les sites internet apparaissent toujours plus complémentaires que substituables, en l'état des éléments produits par la société Showroomprivé, de sorte qu'autoriser les pure players à vendre les produits Coty risquerait toujours de décourager les investissements réalisés par les distributeurs dans l'aménagement de leurs magasins et la qualité des services rendus aux consommateurs, nécessaires à la préservation de l'image haut de gamme ou de luxe des produits.
Sur l'obligation imposée aux nouveaux entrants
La société Showroomprivé expose que le maillage territorial serait déjà dense, laissant ainsi peu de place à un nouvel entrant et que le foncier éligible à la distribution sélective est rare. Seul le développement de la distribution par les pure players permettrait dès lors de stimuler la concurrence.
La société Showroomprivé cite l'avis de l'Autorité (§ 337) pour en déduire le caractère anticoncurrentiel de la clause litigieuse : " Or, dans certains secteurs, des conditions d'agrément exigeant l'exploitation d'un magasin physique pour vendre les produits sur Internet peuvent entraver l'entrée ou le développement de la vente sur Internet. Tel est le cas si, d'une part, les produits des fabricants imposant cette condition d'agrément présentent, individuellement ou de façon cumulative, une attractivité ou une part de marché qui rend leur référencement indispensable, sinon déterminant, pour les détaillants et si, d'autre part, l'ouverture d'un magasin physique est particulièrement longue, coûteuse ou incertaine. De fait, dans certains secteurs, des réglementations spécifiques, la rareté du foncier commercial éligible, des contraintes logistiques spécifiques (approvisionnement des magasins, gestion des stocks, etc.) ou encore la saturation des zones de chalandise, peuvent rendre l'ouverture, la détention ou l'exploitation d'un point de vente physique particulièrement longue ou incertaine. A l'inverse, dans d'autres situations de marché, la condition de détention d'un magasin physique n'est pas de nature à limiter la concurrence, soit parce qu'elle émane d'un opérateur dont les produits ne représentent qu'une faible part du marché, soit parce qu'elle peut être aisément respectée par les revendeurs jusqu'alors présents exclusivement sur Internet ".
Mais il n'est pas démontré que le marché ne serait pas concurrentiel du fait de la clause litigieuse, et aurait par conséquent besoin d'être stimulé, les éléments résultant de l'étude du cabinet Microeconomix mettant surtout en avant le rôle joué par les chaînes de distribution Sephora et Marionnaud. Par ailleurs, la potentialité d'animation de la concurrence par les pure players doit se mesurer aux effets du parasitisme rappelé plus haut, de nature à entraîner une baisse de satisfaction des consommateurs.
Enfin, le propre de la distribution sélective est la limitation du nombre des distributeurs agréés à ceux qui disposent d'un magasin répondant à certains critères, sans que les distributeurs pure players non agréés puissent tirer arguments de la saturation des points de vente pour demander leur agrément.
C'est une condition inhérente à la distribution sélective qualitative, telle que celle de Coty France, de n'exister que dans des lieux correspondant à des critères définis, ce qui par définition limite le nombre de lieux éligibles, compte tenu de la nécessité de préserver l'image de luxe des produits.
L'analyse de l'Autorité de la concurrence au paragraphe cité ci-dessus ne s'applique pas au cas d'espèce. Showroomprivé ne décrit pas le marché où la clause litigieuse ferait sentir ses effets anticoncurrentiels. Elle ne démontre pas que les pure players généralistes réaliseraient une part importante de leur chiffre d'affaires dans les parfums et que leur référencement par Coty serait indispensable à leur activité. Il n'est d'autre part pas démontré que l'ouverture d'un magasin physique serait particulièrement longue, coûteuse ou incertaine, et serait hors d'atteinte pour les pure players tels que Showroomprivé.
Sur les solutions alternatives
La société Showroomprivé expose à titre subsidiaire que des solutions alternatives, moins attentatoires à la liberté commerciale, existeraient, consistant à taxer les pure players, pour compenser les effets du parasitisme, si la cour les estimait constitués.
Mais, il y a lieu de rappeler d'une part qu'il n'est pas démontré que cette taxation aurait le même effet que la clause litigieuse et serait de nature à compenser tous les effets du parasitisme, et d'autre part, que la clause n'a pas pour seul objet de lutter contre le parasitisme, mais aussi de préserver l'aura de prestige des produits en cause. Cet argument ne peut donc être retenu par la cour.
Sur les critères imposés par Coty aux magasins physiques
La société Showroomprivé prétend que les critères de largeur de la gamme et de chiffre d'affaires minimal, sont excessifs et disproportionnés par rapport à l'objectif poursuivi, ce qui renforce le caractère restrictif de la clause de détention de magasins.
En effet, Coty France exige de ses distributeurs agréés qu'ils proposent à la vente au moins 70 % du catalogue des produits Coty et qu'ils maintiennent un stock composé d'au moins des deux tiers des références de chacune des lignes de produits et au moins trois produits de chacune de ces références pour chacune des gammes.
Mais il n'est pas démontré que ces critères soient inappropriés ou disproportionnés et conduisent, par la superficie des locaux nécessaire et au volume de stock exigé, à rendre complexe et coûteuse l'ouverture d'un magasin physique pour un nouvel entrant.
De même, il n'est pas établi que l'obligation de chiffre d'achats annuel minimum, qui ne peut être inférieur à 40 % du chiffre moyen d'achat réalisé, l'année précédente, par l'ensemble des points de vente agréés présents sur le territoire concerné, soit excessif, même au regard d'une baisse alléguée des ventes de parfums de 2 % en décembre 2015.
Il n'est, par ailleurs, pas exigé que le candidat à la distribution sur Internet exploite plusieurs points de vente physiques.
Enfin, la société Coty souligne à juste titre que la clause imposant la détention d'un magasin physique a exactement le même effet et la même portée que la clause interdisant le recours à des plateformes tierces ou market places. En effet, il s'agit de lier un magasin physique et sa propre vitrine électronique, dans le cadre d'une appartenance à un réseau et du respect des règles de ce réseau. Or, cette clause a été validée par l'arrêt de la Cour de justice dans l'arrêt cité plus haut.
Il résulte de ce qui précède que la clause litigieuse est proportionnée au regard de l'objectif poursuivi, c'est-à-dire qu'elle est appropriée pour préserver l'image de luxe des produits en cause et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Elle n'enfreint donc pas l'article 101, alinéa 1 du TFUE.
Sur l'effet cumulatif des contrats
La société Showroomprivé soutient à titre subsidiaire que cette clause verrouille le marché, par l'effet cumulatif des contrats de distribution sélective qui la prévoient. La plupart des fabricants du secteur conditionnant la vente en ligne de leurs produits à la détention par le distributeur d'un point de vente physique agréé, l'entrée d'opérateurs pure players sur le marché est par définition exclue. A cet égard, elle cite les lignes directrices de la Commission européenne qui indiquent que " [l] Lorsque le règlement d'exemption par catégorie s'applique à des réseaux individuels de distribution sélective, le retrait de l'exemption par catégorie ou l'exclusion du champ d'application du règlement d'exemption par catégorie peuvent être envisagés en cas d'effets cumulatifs " (§ 179).
Mais, outre que la société Showroomprivé n'étaye pas son assertion, ni ne mentionne le marché affecté, elle ne démontre pas que l'effet cumulatif de contrats de distribution sélective, qui empêchent les pure players d'être agréés, au motif qu'ils ne sont pas susceptibles de vendre les produits en question de manière adéquate à leur image de luxe, serait anticoncurrentiel. Comme il a été souligné plus haut, il n'est pas démontré que l'acquisition d'un point de vente serait rendue irréalisable par ce critère ni que les pure players seraient indispensables à l'animation concurrentielle du marché des parfums haut de gamme ou de luxe.
Sur la demande de saisine de l'Autorité
Si la société intimée demande la saisine de l'Autorité pour avis sur la question d'un possible effet cumulatif, la cour estime disposer des éléments nécessaires pour juger ce point, sans recourir à l'expertise de l'Autorité.
Le réseau de la société Coty France est donc conforme à l'article 101, alinéa 1 du TFUE. Le jugement entrepris sera donc confirmé.
Sur la violation du réseau de distribution sélective
La société Showroomprivé prétend que le réseau de distribution sélective invoqué par la société Coty France est manifestement illicite et que par conséquent, il ne saurait lui être reproché d'avoir violé ce réseau et d'avoir commis des actes de concurrence déloyale.
La société Coty France estime qu'à défaut d'avoir été autorisée par elle à commercialiser les parfums faisant l'objet d'une distribution sélective, la société Showroomprivé a porté atteinte de façon directe à son réseau de distribution sélective et a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce.
La société Coty France entend en outre rechercher la responsabilité de la société Showroomprivé pour parasitisme puisqu'elle s'est placée dans le sillage du réseau mis en place par la société Coty France et a bénéficié de la notoriété des produits, acquise grâce aux investissements réalisés par l'ensemble du réseau. Elle estime en outre que la société Showroomprivé a engagé sa responsabilité pour atteinte à son image de marque et au caractère luxueux de ses produits. Enfin, elle soutient que la société Showroomprivé s'est rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses en se présentant comme un distributeur agréé et en réalisant des annonces de réduction de prix illicites.
En conséquence, elle sollicite, outre des mesures de publication de l'arrêt à intervenir, une indemnisation à hauteur de 500 000 euros au titre de son préjudice.
Sur l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce
L'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce prévoit qu' : " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers [...] de participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables au droit de la concurrence " .
Il résulte des pièces versées aux débats que la société Showroomprivé a mis en vente des produits des marques de la société Coty :
- du 1er octobre 2009 à 7 heures au 7 octobre 2009 à 23 heures des produits de marque Calvin Klein à 50 % de réduction,
- du 15 au 18 octobre 2013 des produits de marques Calvin Klein, Cerruti, Davidoff, Vivienne Westwood, Vera Wang et Jennifer Lopez vendus, pour les parfums femme avec une réduction comprise entre 40 % et 66 % et pour les parfums homme avec une réduction comprise entre 41 % et 67 %,
- du 26 au 29 mai 2017, des produits de marques Cerruti, Gucci, Boss, Lacoste, Davidoff et Guess,
- 27 au 28 novembre 2017, des produits des marques Guess, Cerruti, Gucci, Roberto Cavalli, Lacoste, Davidoff, Chopard, Joop ! et Nikos.
La société Showroomprivé n'avait pas la qualité de distributeur agréé et n'a pu justifier de son approvisionnement régulier. Elle a donc enfreint l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce.
Sur le parasitisme
La mise en vente des produits des marques concernées est constitutive de parasitisme, Showroomprivé étant consciente du caractère illicite de cette activité, et s'étant affranchie des contraintes pesant sur les membres du réseau de distribution sélective, dont l'étanchéité était préservée à grands frais par la société intimée, tout en bénéficiant, sans bourse délier, de leurs investissements et de leurs efforts pour assurer le renom de la marque.
Sur l'atteinte à l'image de marque
Les produits Coty étaient commercialisés dans des conditions portant atteinte à leur image de marque, ceux-ci étant vendus sur le site de Showroomprivé à proximité de produits incompatibles avec cette image, sans permettre la dispensation de conseils et en dehors d'un point de vente agréé.
La page d'accueil du site de Showroomprivé, qui ne respecte pas la charte graphique de Coty, présente en effet les différentes " ventes privées " accessibles à une même période, sans aucune distinction selon le standing des produits. C'est ainsi que les " ventes privées " des produits de Coty France ont été présentées aux consommateurs :
- entre une vente de chaussures de sport et de vêtements pour enfants pour la vente de 2009 (pièce n° 13A de Showroomprivé),
- entre une vente de claquettes, de produits pour animaux et de produits de préparation culinaire pour la vente de 2013 (pièce n° 13B de Showroomprivé).
La faute est donc également constituée sur ce fondement.
Sur les pratiques commerciales trompeuses
En commercialisant les produits de Coty France reproduisant la mention : " ce produit ne peut être vendu que par les distributeurs agréés ", alors qu'elle n'était pas membre de son réseau de distribution sélective, Showroomprivé a usurpé la qualité de distributeur agréé de Coty France sous laquelle elle s'est présentée, et s'est rendue coupable d'actes de publicité trompeuse, susceptible d'altérer, de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard de ces produits et donc de concurrence déloyale à l'égard de Coty.
Sur le préjudice subi par la société Coty France
La société Coty France caractérise son préjudice par :
- le manque à gagner résultant des nombreuses commercialisations illicites de Showroomprivé,
- la violation de son réseau de distribution sélective et la désorganisation consécutive,
- le discrédit auprès de ses détaillants, envers lesquels Coty a une obligation de préserver l'étanchéité de son réseau,
- le discrédit auprès des titulaires des marques de luxe dont Coty est le licencié,
- l'atteinte à son image de marque auprès des consommateurs.
Il s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale un trouble commercial constitutif de préjudice, fût-il seulement moral.
Il convient de prendre en considération que les pratiques litigieuses ont été constatées à quatre reprises, dont deux après le jugement déféré déclarant ces ventes illégales et portaient sur un nombre élevé de produits.
Compte tenu de la réitération des pratiques litigieuses, de la désorganisation du réseau de distribution sélective entraînée nécessairement par celles-ci, de la notoriété du site showroomprive, de l'atteinte portée à l'image de luxe des marques et du discrédit jeté auprès de leurs titulaires, de la tromperie des consommateurs, et des frais engagés par Coty pour la défense de son réseau, il convient d'évaluer à 300 000 euros le préjudice subi par la société Coty France du fait de la concurrence déloyale et à 200 000 euros pour le parasitisme.
Le jugement entrepris sera donc infirmé sur le quantum alloué.
Sur la demande d'interdiction de commercialiser
La société Coty France demande à la cour d'ordonner à la société Showroomprivé.com de respecter son réseau de distribution sélective, et en conséquence, de lui ordonner de ne pas commercialiser sur le site internet Showroomprivé.com ou de quelque autre manière que ce soit, les parfums des marques présentes ou à venir du réseau de distribution sélective de la société Coty France, et à ce jour : Bottega Veneta, Balenciaga, Calvin Klein, Cerruti, Chloé, Chopard, Davidoff, Guess, Jil Sander, Jennifer Lopez, Joop !, Lancaster, Marc Jacobs, Nikos, Roberto Cavalli, Sarah Jessica Parker, Vera Wang et Vivienne Westwood, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir.
Il résulte des deux constats d'huissier réalisés les 26 mai et 27 novembre 2017 que la société Showroomprivé mettait en vente sur son site en ventes promotionnelles 251 parfums des marques Cerruti, Gucci, Boss, Lacoste, Davidoff et Guess, puis 230 parfums des marques Cerruti, Gucci, Lacoste, Davidoff, Guess, Roberto Cavalli, Chopard, Joop ! et Nikos.
La vente par Showroomprivé de marques appartenant à Coty persiste donc, de sorte qu'il y a lieu d'enjoindre à la société Showroomprivé de cesser cette commercialisation, sans toutefois assortir cette condamnation d'une astreinte.
Sur les demandes de publication
Le préjudice est suffisamment réparé par l'allocation des dommages-intérêts ci-dessus et par la publication du jugement déféré, d'ores et déjà exécutée et qu'il convient de confirmer, sur la page d'accueil du site www.showroomprive.com, dans les huit jours de sa signification et pendant un délai d'un mois, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par jour manquant, sans qu'il soit justifié d'ordonner la publication du présent arrêt sur le site et sur des magazines.
Sur la procédure abusive
La société Showroomprivé estime que l'action de la société Coty France est abusive et justifie l'octroi, à titre reconventionnel, d'une somme de 120 000 euros à son profit.
Mais l'action fructueuse de protection de son réseau menée par la société Coty France devant les juridictions ne peut caractériser un abus de son droit d'ester en justice. La demande reconventionnelle de la société Showroomprivé doit donc être écartée.
Sur les dépens et frais irrépétibles
La société Showroomprivé, succombant, sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la société Coty France la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré, sauf sur les dommages-intérêts alloués à la société Coty France, L'infirme sur ce point, et, statuant à nouveau, Condamne la société Showroomprivé.com au paiement à la société Coty France de la somme de 300 000 euros au titre de la pratique de concurrence déloyale résultant de la violation de son réseau de distribution sélective et celle de 200 000 euros au titre du parasitisme, y ajoutant, Dit que la clause du contrat de distribution sélective de Coty France imposant la détention d'un point de vente physique n'est pas contraire à l'article 101, alinéa 1 du TFUE, Dit qu'il n'est pas démontré que l'effet cumulatif de telles clauses dans les contrats des principaux fabricants de parfums est anticoncurrentiel, Dit n'y avoir lieu à saisir l'Autorité de la concurrence sur ce point, Rejette la demande de publication de l'arrêt sur le site de Showroomprivé et sur trois magasines, Enjoint à la société Showroomprivé de cesser de commercialiser les marques de la société Coty France, Rejette la demande de la société Showroomprivé pour abus du droit d'ester en justice, Condamne la société Showroomprivé aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la société Showroomprivé à payer à la société Coty France la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.