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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 février 2018, n° 16-09874

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Ranbaxy Pharmacie Génériques (SAS)

Défendeur :

CERP de Rouen (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Darreau, Boccon Gibod, Pimont

T. com. Paris, du 29 mars 2016

29 mars 2016

FAITS ET PROCÉDURE

Vu le jugement rendu le 29 mars 2016 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :

- dit irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la société Compagnie d'exploitation et de répartition pharmaceutiques de Rouen (CERP Rouen),

- débouté la société Laboratoires Ranbaxy pharmacie génériques (Ranbaxy) de ses demandes de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies,

- débouté la société CERP Rouen de ses demandes de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies ainsi que de l'ensemble de ses autres demandes reconventionnelles,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamné la société Ranbaxy aux dépens ;

Vu l'appel relevé par la société Laboratoires Ranbaxy pharmacie génériques (Ranbaxy) et ses dernières conclusions notifiées le 4 janvier 2018 par lesquelles elle demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :

- débouter la société CERP Rouen de ses demandes,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société CERP Rouen de ses demandes reconventionnelles en dommages-intérêts,

- l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes et statuant à nouveau, condamner la société CERP Rouen à lui payer :

* la somme de 1 517 692 euros, à titre de dommages-intérêts, pour rupture brutale des relations commerciales établies,

* la somme de 15 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, - condamner la société CERP Rouen aux dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 19 décembre 2017 par la société Compagnie d'exploitation et de répartition pharmaceutiques de Rouen (CERP Rouen) qui demande à la cour de :

- dire mal fondé l'appel de la société Ranbaxy

- en conséquence, débouter cette société de toutes ses demandes,

- sur son appel incident, condamner la société Ranbaxy à lui payer :

* la somme de 132 820,53 euros outre la TVA en vigueur au jour de la décision à intervenir,

* la somme de 150 000 euros, à titre de dommages-intérêts, en raison de la discrimination dont elle a été victime,

* la somme de 150 000 euros, à titre de dommages-intérêt, en réparation du préjudice d'image subi du fait des agissements de la société Ranbaxy

- dire que l'ensemble des condamnations prononcées à son profit porteront intérêts à compter du 20 janvier 2016, date de sa première demande,

- condamner la société Ranbaxy aux dépens et à lui payer la somme de 15 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

SUR CE

Des relations commerciales établies existaient depuis 2006 entre la société Ranbaxy spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de médicaments génériques, et la société CERP Rouen, grossiste répartiteur de médicaments, notamment de médicaments génériques auprès des officines de pharmacie soumises aux dispositions de l'article L. 441-7 du Code de commerce, leurs relations étaient régies par des conventions annuelles.

Le dernier contrat-cadre a été signé entre les parties le 18 février 2013, à effet au 1er janvier 2013 jusqu'au 31 décembre 2013.

Il stipulait, en son article 2, les conditions commerciales suivantes accordées par la société Ranbaxy à la société CERP Rouen :

- 17 % sur l'ensemble des produits hors tarif forfaitaire de responsabilité tels que définis à l'article 2.1, cette remise s'appliquant sur le prix fabricant hors taxe,

- 2,5 % sur les produits non inscrits au répertoire des médicaments génériques et soumis au tarif forfaitaire de responsabilité ainsi que sur les spécialités médicales non remboursées, tels que définis à l'article 2.1, cette remise s'appliquant sur le prix fabricant hors taxe.

L'article 9 précisait que le contrat n'était pas reconductible par tacite reconduction mais que les parties s'engageaient à se rencontrer deux mois avant son expiration afin de négocier les conditions de renouvellement éventuel de celui-ci.

Un avenant n° 2 signé le 6 décembre 2013 a prorogé les effets du contrat jusqu'au 28 février 2014 ; puis une réunion s'est tenue entre les parties le 6 février 2014 mais aucun compte rendu n'a été rédigé.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 12 février 2014, la société Ranbaxy a revendiqué un préavis de 12 mois avec maintien du même niveau de commandes qu'auparavant en précisant à la société CERP Rouen :

" Nous faisons suite à notre entretien du 6 courant au cours duquel vous avez manifesté votre intention de ne pas poursuivre les relations commerciales existant entre nos deux sociétés au-delà du 28 février 2014. Comme vous le savez, cette annonce nous a fortement inquiétés, mais pour autant vous n'êtes toujours pas revenus vers nous depuis. Cette attitude laisse notre société dans la désorganisation et le flou le plus complet sur la position de CERP Rouen.

Nous sommes toutefois contraints de considérer qu'il s'agit d'une décision définitive dans la mesure où vous semblez avoir en réalité préparé votre décision de longue date puisque :

- nos délégués commerciaux ont des retours du terrain en ce sens, via vos directeurs d'agence qui demandent à nos clients d'abandonner Ranbaxy au profit d'un autre génériqueur car ils ne détiendront plus les stocks après le 1er mars,

- curieusement, nous avons constaté une brusque diminution de vos commandes sur la fin de l'année 2013 et vos commandes sur les mois de janvier et début février 2014 restent à un niveau inférieur à votre moyenne habituelle,

- vous nous avez annoncé lors de notre discussion que votre conseil d'administration avait d'ores et déjà validé la décision de ne pas renouveler le contrat avec Ranbaxy.

Lors de notre discussion, vous avez admis que le délai que vous nous laissiez jusqu'au 28 février était trop court et vous avez vous-même proposé de revenir vers nous avec un plan de désengagement. ".

Dans sa réponse du 14 février 2014, la société CERP Rouen a contesté les termes de la lettre envoyée par la société Ranbaxy lui a rappelé que depuis 2009 le chiffre d'affaires réalisé dans le cadre du partenariat s'était dégradé de 26 % alors que le marché avait progressé de plus de 48 % et a indiqué que cette détérioration la conduisait à s'interroger sur la pérennité de leur relation. Elle précisait que la baisse du chiffre d'affaires 2013 de la société Ranbaxy en recul de 39 % comme déclaré par elle lors de la réunion du 6 février, et le flux qu'elle dédiait à la répartition, seulement de 33 % contre 77 % pour le direct, aggravaient les effets négatifs impactant son activité. Elle ajoutait :

" Lors de notre rencontre du 6 février 2014, nous vous avons proposé une fin de partenariat au 30 avril 2014. Nous sommes prêts à prolonger notre relation et à vous proposer une poursuite de notre partenariat jusqu'au 30 juin 2014. Par contre, comme les demandes des pharmaciens ont fortement chuté, nous devons nécessairement adapter nos approvisionnements (...). Si notre proposition vous convient, nous vous adresserons dans les prochains jours un nouveau projet de contrat de partenariat. "

Par lettre du 26 février 2014, la société Ranbaxy a répliqué que la proposition de poursuivre le partenariat existant jusqu'au 30 juin 2014, soit pendant 4 mois, était trop courte, mais qu'elle acceptait de discuter d'un nouveau projet de contrat de partenariat sous réserve de son droit de solliciter la réparation du préjudice subi résultant de la brutalité de la décision intervenue.

Après échanges ultérieurs entre les parties, la société CERP Rouen, par lettre du 8 avril 2014, a donné son accord à la société Ranbaxy sur un préavis d'un an à compter du 6 février 2014 ou du 14 février 2014. La société Ranbaxy lui a répondu le 15 avril 2014 que l'exécution de ce préavis n'était plus possible, son point de départ ne pouvant être fixé rétroactivement et l'interruption de la relation commerciale rendant tout préavis non viable ; elle a maintenu sa demande d'indemnisation de son préjudice.

Les parties ne trouvant pas d'accord, la société Ranbaxy a fait assigner la société CERP Rouen, par exploit du 11 juillet 2014, devant le Tribunal de commerce de Paris afin de l'entendre condamner à des dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies. La société CERP Rouen a formé des demandes reconventionnelles en dommages-intérêts, notamment pour rupture brutale de leur relation. Le tribunal, par le jugement déféré, a débouté chacune des parties de leurs demandes.

Sur la demande de la société Ranbaxy pour rupture brutale de la relation commerciale établie

La société CERP Rouen, pour s'opposer à cette demande, soutient :

- qu'à aucun moment lors de la réunion du 6 février 2014, elle n'a indiqué à la société Ranbaxy qu'elle mettait fin à leurs relations à la date du 28 février 2014,

- que le tribunal a justement retenu que la rupture était intervenue par sa lettre du 14 février 2014 mentionnant un préavis de 4 mois et demi, soit jusqu'au 30 juin 2014.

Elle allègue que la société Ranbaxy ne pouvait refuser d'exécuter ce préavis en faisant valoir :

- que dans son rapport, M. X, expert-comptable/commissaire aux comptes et expert près la Cour d'appel de Rouen, a constaté que dès le début de l'année 2014, il y avait eu une baisse des commandes mensuelles des pharmaciens pour les produits Ranbaxy entraînant une diminution des commandes auprès de la société Ranbaxy,

- que c'est par souci de donner une information correcte sur l'état de leurs relations commerciales qu'elle a prévenu la société Ranbaxy que le chiffre d'affaires ne pourrait être maintenu au niveau antérieur, en raison de la baisse des commandes ayant généré un sur-stock et nécessitant l'écoulement des médicaments en stock - non repris par la société Ranbaxy - pour éviter leur péremption,

- que si certains de ses salariés non habilités ont donné aux pharmaciens des informations relatives à la fin du partenariat, ces faits commis en décembre 2013 dans une zone géographique restreinte et à l'encontre desquels elle a pris toutes dispositions afin de les faire cesser n'ont eu aucune incidence sur le montant de ses commandes auprès de la société Ranbaxy en décembre 2013, janvier et février 2014,

- que le préavis n'était pas incertain puisque fixé au 30 juin 2014,

- que si la société Ranbaxy était en droit de refuser le préavis de 12 mois proposé dans un cadre transactionnel et saisir le tribunal, elle ne pouvait refuser d'exécuter le préavis initialement notifié le 14 février 2014 au 30 juin 2014,

- que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne permet pas à la victime d'une rupture brutale de refuser le préavis accordé et de fixer unilatéralement la fin des relations, comme le fait la société Ranbaxy au 28 février 2014, tout en sollicitant une indemnisation de son préjudice en raison de l'insuffisance du préavis.

La société CERP Rouen prétend que la société Ranbaxy a rendu impossible l'exécution du préavis à compter du 1er mars 2014 ; elle en veut pour preuve :

- que la société Ranbaxy a pris contact avec les pharmaciens qui étaient ses clients pour les informer de la cessation de leurs relations commerciales à effet au 28 février 2014,

- qu'elle a indiqué à ces pharmaciens qu'à compter du 1er mars 2014 ils ne pourraient plus bénéficier des remises fabricants de 17 % ou 2,5 %, ces remises ne s'appliquant qu'en cas de commande directe ou par l'intermédiaire des autres grossistes répartiteurs,

- qu'elle leur a encore indiqué qu'ils ne bénéficieraient plus des remises complémentaires calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par eux avec CERP Rouen.

Selon la société CERP Rouen, la baisse de ses commandes auprès de la société Ranbaxy n'est pas liée à une rupture brutale des relations commerciales sans préavis suffisant mais à un ajustement des commandes de pharmaciens par rapport au stock existant, puis par l'impossibilité de pratiquer des remises aux pharmaciens.

La société CERP Rouen ajoute que sa proposition amiable d'un préavis d'un an ne peut valoir reconnaissance que le préavis aurait dû être de cette durée ; elle considère qu'un préavis de 4 mois était suffisant eu égard à l'ancienneté des relations - 8 ans - et au fait que la société Ranbaxy ne réalisait avec elle que 10 % de son chiffre d'affaires total.

Mais il convient de préciser que l'avenant au contrat n° 2, signé le 6 décembre 2013, précisait que les parties souhaitaient proroger les effets du contrat-cadre 2013 jusqu'au 28 février 2014, dans l'attente de pouvoir éventuellement conclure un nouveau contrat-cadre applicable à compter du 1er mars 2014.

La société Ranbaxy souligne à juste raison que le contrat-cadre pour 2014 devait être conclu avant le 1er mars 2014 par application de l'article L. 441-7 du Code de commerce. Or c'est seulement le 14 février 2014, en réponse aux demandes de la société Ranbaxy que la société CERP Rouen lui a notifié par écrit la rupture de leur relation en proposant une poursuite des relations jusqu'au 30 juin 2014, la diminution de ses approvisionnements compte tenu de la chute des demandes des pharmaciens et, si cette proposition lui convenait, l'envoi d'un nouveau projet de contrat de partenariat.

La divulgation par des salariés de la société CERP Rouen d'informations relatives à la fin du partenariat au 1er mars 2014 et le silence gardé par la société CERP Rouen entre le 6 décembre 2013 et le 14 février 2014 ont laissé la société Ranbaxy dans l'incertitude sur la poursuite ou non de leurs relations pour l'année 2014.

Le préavis proposé par la société CERP Rouen, de façon tardive, était insuffisant eu égard aux délais légaux fixés pour la conclusion d'un contrat-cadre et à l'ancienneté des relations entre les parties. Le délai de prévenance aurait dû être, non de 12 mois comme revendiqué par la société Ranbaxy mais de 6 mois pour permettre à la société Ranbaxy de réorganiser son activité. La société CERP Rouen qui a fixé un préavis insuffisant, est mal fondée à reprocher à la société Ranbaxy d'avoir refusé de l'exécuter ou encore d'avoir rendu impossible son exécution.

Il résulte de l'attestation, non sérieusement contestée, du commissaire aux comptes de la société Ranbaxy que celle-ci a réalisé avec la société CERP Rouen un chiffre d'affaires moyen de l'ordre de 3 000 000 euros au cours des années 2011, 2012 et 2013, dégageant des marges nettes de 1 458 071 euros en 2011, de 1 584 089 euros en 2012 et de 1 510 915 euros en 2013. Au regard de ces éléments, le préjudice résultant de la brutalité de la rupture sera fixé à 758 845 euros.

Sur les demandes de la société CERP Rouen

En premier lieu, la société CERP Rouen demande la somme de 132 820,53 euros, montant de sa marge brute pendant 4 mois, pour rupture brutale de la relation commerciale établie, subsidiairement sur le fondement de la responsabilité contractuelle et, à titre infiniment subsidiaire, par application de l'article 1382 du Code civil. Elle reproche à la société Ranbaxy :

- de ne pas avoir exécuté le préavis,

- d'avoir divulgué de fausses informations à ses clients pharmaciens sur la date à partir de laquelle ils ne pourraient plus commander des médicaments Ranbaxy par son intermédiaire,

- d'avoir supprimé ses remises pendant la durée du préavis.

La société Ranbaxy réplique à juste raison que la rupture de la relation est imputable à la société CERP Rouen et qu'elle n'a pas commis de faute en refusant d'exécuter un préavis insuffisant.

En deuxième lieu, la société CERP Rouen demande la somme de 150 000 euros en réparation de pratiques discriminatoires imputées à la société Ranbaxy Sur ce point elle lui fait grief :

- d'avoir contacté directement ses clients en leur fournissant de fausses informations,

- d'avoir supprimé unilatéralement les remises, lui laissant le choix soit de vendre à perte, soit de ne plus vendre les produits Ranbaxy,

- dès le mois de mars 2014, d'avoir transféré le chiffre d'affaires réalisé avec elle, soit par l'intermédiaire d'autres grossistes-répartiteurs (OCP et Phoenix) avec lesquels des contrats de partenariat était en cours, soit grâce à des commandes directes passées auprès d'elle.

Mais le partenariat avec la société CERP Rouen ayant pris fin le 28 février 2014, la société Ranbaxy n'a pas commis de faute.

En troisième et dernier lieu, la société CERP Rouen allègue qu'elle a subi un préjudice d'image en raison des fausses informations divulguées par la société Ranbaxy Cependant elle ne démontre en aucune façon l'existence du préjudice par elle invoqué.

En conséquence, toutes les demandes de dommages-intérêts de la société CERP Rouen seront rejetées.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

La société CERP Rouen, qui succombe en ses prétentions, doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

En application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme de 10 000 euros à la société Ranbaxy et de débouter la société CERP Rouen de sa demande de ce chef.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la société Compagnie d'exploitation et de répartition pharmaceutiques de Rouen (CERP Rouen) de toutes ses demandes ; L'infirme en toutes ses autres dispositions ; statuant à nouveau : Condamne la société Compagnie d'exploitation et de répartition pharmaceutiques de Rouen (CERP Rouen) à payer à la société Laboratoires Ranbaxy pharmacie génériques : * la somme de 758 845 euros, à titre de dommages-intérêts, par application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, * la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Compagnie d'exploitation et de répartition pharmaceutiques de Rouen (CERP Rouen) aux dépens de première instance et d'appel.