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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 février 2018, n° 15-06357

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dallmer GmbH & Co. KG

Défendeur :

Vente de Produits pour l'Habitat (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Regnier, Laget, Gätjens, Lallement, Menichelli

T. com. Lyon, du 12 nov. 2014

12 novembre 2014

Faits et procédure

La société allemande Dallmer est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de différents systèmes de raccordements sanitaires et en particulier d'évacuation de douches à l'italienne.

La société française VPH a pour activité le commerce de gros de vaisselle, verrerie et produits d'entretien.

La première commande de la société VPH auprès de la société Dallmer date du 30 septembre 2003.

Les échanges se sont poursuivis sans qu'un contrat ne soit formalisé entre les parties.

La société VPH est intervenue en France pendant dix années tant en qualité de distributeur des produits de la société Dallmer que d'agent commercial de celle-ci.

Par courrier du 27 juin 2012, la société Dallmer a notifié à la société VPH la rupture de leurs relations commerciales à effet au 30 septembre 2012, souhaitant mettre en place un réseau de distribution en France.

Par acte du 2 juillet 2013, la société VPH a attrait la société Dallmer devant le Tribunal de commerce de Lyon, sollicitant la condamnation de cette dernière à lui verser les sommes de :

- 115 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales établies,

- 4 200 euros au titre de l'indemnité de rupture de son mandat d'agent commercial,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 12 novembre 2014, le Tribunal de commerce de Lyon a :

- jugé que le Tribunal de commerce de Lyon est compétent pour trancher ce litige,

- jugé que le lien de connexité existant entre les différentes demandes impose la saisine d'une seule et présente juridiction,

- débouté en conséquence la société Dallmer de ses demandes au titre de l'exception d'incompétence,

- dit que les demandes de la société VPH sont fondées,

- condamné la société Dallmer à verser à la société VPH les sommes de :

* 73 795 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales,

* 4 011 euros au titre de l'indemnisation de la rupture du mandat d'agent commercial,

- débouté en conséquence la société Dallmer de l'intégralité de ses demandes,

- dit que l'exécution provisoire n'est pas justifiée.

La société Dallmer GmbH & Co a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 23 mars 2015.

La procédure devant la cour a été clôturée le 9 janvier 2018.

LA COUR

Vu les conclusions du 26 décembre 2017 par lesquelles la société Dallmer GmbH & Co KG, appelante, invite la cour, au visa des articles 5 et 23 du Règlement européen du 22 décembre 2000, L. 134-12 et L. 442-6, I, 5° du Code du commerce, 270 du Code civil allemand et 89 b du Code de commerce allemand, à :

- réformer le jugement entrepris en tous ses points,

statuant à nouveau :

à titre principal :

in limine litis, reconnaître qu'elle est bien fondée à soulever une exception d'incompétence au profit des tribunaux allemands, et plus précisément, au profit du tribunal d'instance d'Arnsberg, juridiction compétente dans le ressort de son siège social situé à Arnsberg,

- pour ce faire, reconnaître que, s'agissant de la demande d'indemnité de clientèle fondée sur l'article L. 134-12 du Code de commerce, il s'agit d'une demande autonome du contrat, devant s'exécuter au domicile du débiteur allemand, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation citée, et relevant de la compétence du tribunal d'instance d'Arnsberg (Allemagne),

- reconnaître que ses conditions générales de vente, reproduites dans les factures, confirmation de commandes et catalogues et tarifs de produits, ont été portées à la connaissance de la société française, dès avant même les premières commandes et tacitement acceptées par elle, en raison de l'ancienneté de leurs relations habituelles,

- reconnaître que s'agissant de la demande d'indemnisation fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, le tribunal compétent sera également le tribunal d'instance d'Arnsberg, conformément à la clause attributive de juridiction, telle que prévue à l'article 10 des conditions générales de vente de la société Dallmer,

- reconnaître également que cette clause attributive de juridiction est parfaitement valable et ne peut être mise en échec par la loi de police qui sert de fondement à la demande de la société française, en conséquence :

- se déclarer incompétente au profit du tribunal d'instance d'Arnsberg (Allemagne),

A titre subsidiaire,

sur le fond,

- reconnaître que, s'agissant de l'indemnité de clientèle réclamée à hauteur de 4 200 euros, elle ne saurait s'apprécier qu'en vertu du droit allemand, conformément à l'article 10.3 des conditions générales de vente précitées,

- qu'en conséquence, cette indemnité ne saurait être supérieure à la somme de 2 005,96 euros, conformément à l'article 89 b du Code de commerce allemand,

- reconnaître que s'agissant de la demande d'indemnisation au titre de l'article L. 442-6, I, 5° du Code du commerce, la séparation n'a été ni brutale ni abusive puisqu'elle a été annoncée un an avant l'envoi de la lettre de résiliation du 27 juin 2012 à la société VPH dont le gérant était alors âgé de 69 ans,

- reconnaître également que la société VPH n'apporte pas d'élément de preuve sur l'existence d'une relation exclusive avec elle ni encore moins d'une dépendance économique à hauteur de 82 %,

- dire que les commandes ont été acceptées encore après l'expiration du délai de préavis de trois mois au 30 septembre 2012,

- dire qu'un préavis de dix mois pour de telles relations contractuelles ayant duré dix ans n'est pas conforme à l'état de la jurisprudence,

- reconnaître, au surplus, que les calculs avancés par la société VPH et repris par le jugement de première instance sont truffés d'incohérences et doivent être rejetés,

- en tout état de cause, la durée de préavis de trois mois qu'elle a effectivement accordée en 2012 à la société VPH doit être prise en compte,

- condamner la société VPH au paiement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société VPH aux entiers dépens ;

Vu les conclusions du 8 décembre 2017 par lesquelles la société VPH, intimée ayant formé appel incident, demande à la cour, au visa des articles 5 et 23 du Règlement (CE) du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2002, 46 et 48 du Code de procédure civile, L. 134-12 et L. 442-6, I, 5° du Code du commerce, de :

- constater que :

* les sociétés VPH et Dallmer entretenaient des relations commerciales depuis plus de dix ans,

* elle était le distributeur exclusif des produits Dallmer en France,

* la rupture brutale de ces relations commerciales constitue un abus exercé par la société Dallmer,

* la société Dallmer devra l'indemniser de son entier préjudice,

* elle était également agent commercial pour le compte de la société Dallmer,

* à ce titre, elle doit également être indemnisée pour la rupture de son mandat d'agent commercial,

* le lien de connexité existant entre ses différentes demandes impose la saisine d'une seule juridiction,

* le préjudice suite à la rupture de relations commerciales établies a été subi par elle en France,

* la société Dallmer ne justifie nullement de la communication des conditions générales de vente sur ses documents commerciaux,

* aucun échange ne s'est jamais effectué entre les parties en allemand,

* à ce titre, les conditions générales de vente de la société Dallmer n'ont jamais été acceptées par elle, et la clause attributive de compétence ne lui est pas opposable étant rédigée en allemand,

* la société Dallmer réaffirme qu'avec un préavis de 6 mois, le montant de son indemnisation serait de 44 277 euros et que son indemnité de clientèle serait tout au plus égale à la somme de 2 005,96 euros,

En conséquence,

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon du 12 novembre 2014 en ce qu'il s'est déclaré compétent et a condamné la société Dallmer à lui verser des dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales et une indemnisation de la rupture du mandat d'agent commercial,

statuant à nouveau,

in limine litis,

* dire que le Tribunal de commerce de Lyon était parfaitement compétent pour trancher le présent litige et que la cour sera dès lors compétente pour statuer sur l'ensemble du litige,

* dire que le préjudice a été subi en France par elle suite à la rupture des relations commerciales établies,

* dire que cette clause attributive de compétence des conditions générale de vente de la société Dallmer doit être réputée non écrite,

* dire que le lien de connexité existant entre ses différentes demandes impose la saisine d'une seule et présente juridiction,

- débouter la société Dallmer de ses demandes, fins et conclusions, en tout état de cause,

- condamner la société Dallmer à lui payer la somme de 91 294 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales établies,

- condamner la société Dallmer à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'indemnité de rupture de son mandat d'agent commercial,

- débouter la société Dallmer de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Dallmer à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Dallmer aux entiers dépens distraits au profit de Maître Lallement, avocat sur son affirmation ;

SUR CE

LA COUR se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur la compétence territoriale des juridictions françaises

La société Dallmer soutient qu'il convient de traiter distinctement d'une part, la demande adverse fondée sur l'article L. 134-12 du Code du commerce et relative à l'octroi d'une indemnité de clientèle à la société VPH en tant qu'agent commercial et, d'autre part, la demande en dommages et intérêts s'appuyant sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code du commerce, en cas de rupture de relations commerciales établies, la société VPH agissant aussi en tant qu'importateur. Elle explique que chaque élément de demande, sur le fondement contractuel ou délictuel, doit être envisagé distinctement du point de vue de la compétence. Elle précise que la demande en paiement de l'indemnité de clientèle de la société VPH agissant en qualité d'agent commercial, doit donc être considérée comme une demande autonome du contrat, qui ne se substitue pas à une obligation contractuelle, qui devra s'exécuter au domicile du débiteur allemand.

Elle relève que dès les premières commandes de la société VPH, elle a clairement indiqué l'applicabilité de ses conditions générales de vente, par une mention figurant, dès la première confirmation de commande du 28 octobre 2003 : " La commande est effectuée selon nos conditions de vente et de livraison ", cette mention étant reproduite sur la première facture du 29 octobre 2003 et les conditions générales de vente étant reproduites au verso. Elle fait valoir que le fait que le texte même des conditions générales soit rédigé en langue étrangère n'est pas un obstacle à leur opposabilité à l'égard d'un partenaire commercial de longue date et que même si la clause ne désigne pas une juridiction particulière elle est valable en ce que la seule référence au tribunal de son lieu de siège social, situé à Arnsberg, aboutit à la compétence du tribunal d'instance d'Arnsberg.

La société VPH explique au contraire que la société Dallmer ne rapporte pas la preuve de la communication et de l'acceptation par elle des conditions générales de vente motivant l'application d'une clause attributive de compétence. Elle relève que la société Dallmer ne fournit aucun document commercial recto/verso justifiant de la communication de ses conditions générales de vente à la société VPH, ni facture, ni bon de commande. De plus, elle souligne que les catalogues et les listes de prix en français, dont elle disposait, ne comportaient aucune liste des conditions générales de vente. Elle précise que dans son courrier de rupture, la société Dallmer entendait faire application du droit français. Elle fait aussi valoir que la loi applicable en matière de rupture de relations commerciales établies est loi du fait dommageable, soit celle de l'état dans lequel le dommage a été subi, c'est-à-dire en l'espèce la France. Elle précise notamment que son obligation a été exécutée en France par la livraison de la marchandise sur le territoire français par la société Dallmer afin qu'elle la vende à ses clients.

S'agissant de ses demandes formées sur la rupture des relations d'agent commercial, elle excipe que la société Dallmer a là encore reconnu appliquer les dispositions françaises particulières en la matière et qu'en raison de la connexité existant entre ses deux chefs de demandes, les juridictions françaises sont compétentes.

Sur la compétence des juridictions françaises sur la demande au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies

Sur l'exception d'incompétence du fait d'une clause attributive de juridiction

Il est constant que depuis 2003, les relations commerciales entre la société Dallmer et la société VPH ont été constituées, sans qu'un contrat-cadre ne soit formalisé, d'une succession de commandes par la société VPH de produits de la société Dallmer sur le territoire français et ce jusqu'au 20 septembre 2012, date à laquelle la société Dallmer a souhaité réorganiser la distribution de ses produits en France. La société VPH entend rechercher la responsabilité de la société Dallmer, de droit allemand, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Il y a lieu de se référer aux dispositions de l'article 23. 1. du Règlement CE du 22 décembre 2000 dont l'application n'est pas contestée en l'espèce par les parties, qui dispose que " Si les parties, dont l'une au moins à son domicile sur le territoire d'un Etat membre, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un Etat membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet Etat membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue : a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ou b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ou c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée ".

Il est de principe qu'en application de cet article, la clause invoquée doit avoir été acceptée par les cocontractants.

Il ressort des différentes factures produites par la société Dallmer en pièces 16 et 17, datées des années 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011 et 2012 que la mention en français " la commande est effectuée selon nos conditions de vente et de livraison " figure sur ces documents envoyés par la société Dallmer à la société VPH.

La société Dallmer soutient que les conditions générales de vente, ci-après CGV, figuraient au verso desdites factures. Or, il n'est pas établi que, sur les factures envoyées à la société VPH, les CGV et la clause attributive de compétence figuraient. En effet, d'une part, il n'est pas renvoyé à ces CGV au dos, et l'attestation de l'imprimeur ne peut suffire à établir que la société VPH ait reçu ces factures avec lesdites CGV en langue allemande au dos. En outre, les catalogues produits en langue allemande ne peuvent démontrer que la société VPH avait connaissance de la clause attributive de compétence figurant dans les CGV, aucune preuve de leur communication à la société VPH n'étant rapportée : les échanges de courriels faisant état d'envois de catalogues et de listes de prix démontrent qu'il est demandé des documents en langue française. Or, la société VPH établit avoir reçu des catalogues et des listes de prix en langue française, dans lesquels les CGV et notamment la clause attributive de compétence n'apparaissent pas. Ainsi, il n'est pas démontré que les catalogues évoqués dans les échanges de courriels entre les parties sont ceux communiqués en langue allemande par la société Dallmer, alors qu'il est prouvé que des catalogues en langue française étaient remis à la société VPH qui ne reproduisaient pas les CGV et notamment la clause attributive de compétence.

Il ressort également des échanges entre les parties que la langue allemande n'est jamais utilisée entre elles, ce d'autant que la société Dallmer a pris soin de traduire les factures de la société VPH en langue française et de lui envoyer les documents de présentation de la société en langue française.

Ces échanges ne mentionnent d'ailleurs pas davantage les conditions générales de vente.

Par suite, la société Dallmer échoue à démontrer que la clause d'attribution qu'elle invoque a été portée à la connaissance de la société VPH

Dès lors, il n'est pas démontré un accord entre les parties sur ce point.

La clause attributive de compétence ne peut donc être opposable à la société VPH, pour ne pas l'avoir acceptée. Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.

Sur l'application des articles 2 et 5.1 du Règlement CE du 22 décembre 2000

L'article 2.1. du Règlement CE du 22 décembre 2000 dispose que " 1. Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat membre ".

Par ailleurs, l'article 5 prévoit notamment que " Une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre :

1. a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée,

b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :

- pour la vente de marchandises, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

- pour la fourniture de services, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis,

c) la let. a) s'applique si la let. b) ne s'applique pas ; (...)

3. en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ".

L'action en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale alléguée des liens commerciaux, initiée par la société VPH sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, se rattache à la matière contractuelle, les relations étant établies de longue date entre les parties sur une base contractuelle tacite.

Il y a donc lieu de se référer pour ce qui la concerne à l'article 5 1) du règlement précité.

Les factures produites démontrent que la société Dallmer livrait en France les marchandises vendues à la société VPH. Ainsi, il apparaît que la prestation de la société Dallmer à l'égard de la société VPH consistait en la fourniture et la livraison de ses produits sur le territoire français.

En conséquence, les marchandises de la société Dallmer ayant été livrées sur le territoire français à la société VPH, les juridictions françaises sont compétentes pour juger le litige opposant les parties.

Sur la compétence des juridictions françaises sur la demande au titre de l'indemnité de clientèle commerciale

La société Dallmer invoque les dispositions de l'article 5 1) du règlement précité. Elle explique que le juge français n'est pas compétent pour trancher la demande d'indemnité de clientèle qui est une demande autonome du contrat. Elle en déduit que la prestation correspondant au paiement de l'indemnité d'agent commercial doit s'exécuter à son domicile en Allemagne.

La société VPH soutient au contraire que la société Dallmer entendait faire application du droit français au moment de la rupture. Elle explique également qu'au regard du lien de connexité entre les deux demandes principales, les juridictions françaises sont compétentes.

Il est de principe, non discuté par les parties, que le contrat d'agent commercial est un contrat de fourniture de services.

En vertu de l'article 5 1) b précité, dont l'application n'est pas discutée par les parties, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite, en matière de contrat de fourniture de service, devant le tribunal d'un autre Etat membre où les services sont fournis.

Or, il est constant en l'espèce que les prestations étaient exécutées par la société VPH sur le territoire français au titre du contrat d'agent commercial.

Ainsi, le contrat d'agent commercial liant la société Dallmer et la société VPH ayant comme lieu d'exécution la France, la demande en paiement d'indemnité de clientèle formée par la société VPH doit être formée devant les juridictions françaises.

Il y a donc lieu de rejeter l'exception d'incompétence formée par la société Dallmer et de confirmer le jugement sur ce point.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société VPH explique que la rupture des relations commerciales établie est brutale, le préavis lui ayant été laissé par la société Dallmer étant insuffisant, au regard de la durée et de l'importance du partenariat liant les parties, son chiffre d'affaires avec la société Dallmer atteignant en 2012 85 % de son chiffre d'affaires total. Elle précise qu'elle était le distributeur exclusif de la société Dallmer, notamment pour la distribution de ses systèmes d'écoulement pour douche de sol. Elle souligne donc qu'elle était en état de dépendance économique à l'égard de son partenaire commercial. Elle estime que le délai de préavis dont elle aurait dû bénéficier est de 12 mois. Elle considère que les motifs de la résiliation invoqués par la société Dallmer sont infondés.

La société Dallmer explique que la rupture des relations commerciales avec la société VPH n'est pas brutale en ce que la séparation était prévisible, ayant été envisagée et annoncée plus d'un an avant l'envoi de la lettre de résiliation du 27 juin 2012. Elle précise que la société VPH lui a proposé dans un courriel du 30 juin 2011, des étapes pour arrêter progressivement son activité avec elle. Elle conteste l'exclusivité dont se prévaut la société VPH, aucune pièce ne démontrant qu'elle ait eu la volonté de lui accorder une telle exclusivité. Elle relève également que la dépendance économique alléguée n'est pas justifiée. Elle fait valoir que le délai de préavis a été suffisant. Elle conteste le préjudice invoqué par la société VPH.

Les parties s'accordent sur le caractère établi de leurs relations commerciales depuis 10 années. En revanche, elles s'opposent sur la brutalité de la rupture, le délai du préavis et l'indemnité due au titre du préjudice.

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Sur la brutalité de la rupture

Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé avec l'auteur de la rupture, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables dédiées à la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent.

Il est de principe que le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis.

Par courrier du 27 juin 2012, la société Dallmer a notifié à la société VPH la fin de leurs relations commerciales au 30 septembre suivant.

Il ressort des échanges entre les parties précédant l'envoi de la lettre de rupture et notamment des 30 juin et 25 juillet 2011, 18 et 19 janvier 2012, qu'elles échangeaient effectivement sur les modalités de leur future collaboration et de son éventuel arrêt. Par ailleurs, il ne peut être déduit de ces courriers et courriels que la société VPH souhaitait arrêter elle-même les relations commerciales, celle-ci proposant au contraire une évolution de ses missions pour accompagner la société Dallmer à se développer sur le territoire français, sans l'exclure.

Il est donc établi qu'avant le 27 juin 2012, les parties négocient sur les modalités d'une éventuelle poursuite de relations commerciales. Aucune décision précise d'arrêt des relations commerciales à une date déterminée n'a été préalablement notifiée par la société Dallmer à la société VPH, qui ne pouvait donc augurer de celui-ci.

Ainsi, la rupture a été annoncée pour la première fois à la société VPH par la société Dallmer par courrier du 27 juin 2012.

Les échanges entre les parties ne démontrent pas que la société VPH était le distributeur exclusif de la société Dallmer en France, cette affirmation ne ressortant que des courriels de la société VPH envoyés au cours de l'année 2011 et du début de l'année 2012. Dans ses réponses, la société Dallmer conteste les affirmations de la société VPH. Dès lors, faute d'éléments la corroborant, cette circonstance ne peut être retenue.

La société Dallmer conteste également les chiffres relatifs au flux d'affaires et à la dépendance économique invoquée par la société VPH. Toutefois, cette dernière communique en pièce 30 une attestation de son expert-comptable qui détaille sa démarche et ses vérifications des chiffres. Ainsi, à défaut pour la société Dallmer d'expliciter ses critiques, alors que la méthode décrite paraît sérieuse et probante, il y a lieu de retenir les chiffres avancés. Il convient donc de considérer que le chiffre d'affaires de la société VPH avec la société Dallmer est de 169 511 euros en 2010, de 307 467 euros en 2011 et de 301 098 euros en 2012.

Les bilans 2010 et 2011 (pièces 13 et 14) de la société VPH démontrent que son chiffre d'affaires total est de 228 163 euros et de 360 050 euros sur ces deux exercices.

Dès lors, la part du flux d'affaires avec la société Dallmer dans le chiffre d'affaires total de la société VPH est de 74,29 % en 2010 et de 85,39 % en 2011. Aucun élément comptable probant n'est apporté s'agissant du chiffre d'affaires total en 2012 de la société VPH, la seule pièce n° 16 ne pouvant être retenue, s'agissant d'une feuille rédigée par la société VPH pour chiffrer son préjudice. La part moyenne du flux d'affaires avec la société Dallmer dans le chiffre d'affaires total de la société VPH doit être fixée à 79,84 %.

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, à la durée de 9 ans des relations commerciales et du temps nécessaire pour que la société VPH puisse se ré-organiser et re-déployer son activité, le préavis aurait dû être de 9 mois.

En conséquence, il apparaît que la rupture des relations commerciales établies par la société Dallmer avec la société VPH est brutale, cette dernière n'ayant bénéficié que d'un préavis de 3 mois.

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privé et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

Il ressort de l'attestation de l'expert-comptable en pièce n° 30, que la marge de la société VPH sur la vente des produits Dallmer est de 35 % en 2010, de 36 % en 2011 et de 33 % en 2012. La marge moyenne, qui tient compte des variations de stocks comme le précise l'expert-comptable, doit donc être fixée à 34 %.

La société VPH réalise un chiffre d'affaires annuel moyen avec la société Dallmer de 259 358 euros ([169 511 + 307 467 + 301 098] /3), correspondant à un chiffre d'affaires mensuel de 21 613 euros.

Le préavis de 3 mois ayant été exécuté, la société VPH a été privée de 6 mois supplémentaires de préavis, qui correspondent à la perte de marge de la société VPH à hauteur de la somme de 44 090 euros (34 % de [21 613 x 6]), constitue son préjudice à la suite de la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Dallmer.

Il y a donc lieu de condamner la société Dallmer à payer à la société VPH la somme de 44 090 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Le jugement doit être infirmé en ce qu'il a condamné la société Dallmer à verser à la société VPH la somme de 73 795 euros sur ce fondement.

Sur la fin du contrat d'agent commercial

La société VPH soutient qu'elle doit être indemnisée de la rupture du contrat d'agent commercial à hauteur de 2 années de commission.

La société Dallmer soutient que le droit allemand est applicable en l'espèce, se référant aux dispositions de l'article 89 b du Code de commerce allemand sur le paiement d'une indemnité de clientèle qui dépend du point de savoir si l'agent a acquis de nouveaux clients et si le mandant a pu en retirer des avantages à l'issue de la fin des relations contractuelles, ce qui n'est pas établi par la société VPH. Elle souligne qu'en tout état de cause, seule une indemnité qui ne peut être supérieure à la somme de 2 005,96 euros pourrait être allouée à l'intimée à ce titre.

Aux termes de l'article L. 134-12 du Code de commerce, " En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ".

La loi allemande n'est pas applicable en l'espèce, les conditions générales de vente dans lesquelles figure la clause désignant la loi allemande n'étant pas opposables à la société VPH en l'espèce.

Conformément à l'article 4 du règlement 593/2008 du 17 juin 2008, le contrat d'agent commercial est régi par la loi du pays dans lequel le prestataire de service a sa résidence habituelle, soit la France en l'espèce. L'article L. 134-12 précité du Code de commerce est donc applicable.

Il ressort de l'attestation de l'expert-comptable de la société VPH que les commissions perçues par la société VPH étaient de 2 702,19 euros en 2010, de 3 309,60 euros en 2011 et de 2 033,19 euros sur 9 mois en 2012.

Dès lors, le préjudice de la société VPH doit être fixé aux deux dernières années pleines de commissions, soit 2 702,19+3 309,60 = 6 018,79, ce qui justifie d'allouer la somme de 6 000 euros telle que sollicitée.

Ainsi, la société Dallmer est tenue de verser à la société VPH la somme de 6 000 euros à titre d'indemnité de perte de clientèle.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Dallmer à verser à la société VPH la somme de 4 011 euros au titre de l'indemnisation de la rupture du mandat d'agent commercial.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société VPH, partie perdante en cause d'appel, doit être condamnée aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Dallmer la somme supplémentaire de 6 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la société VPH.

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société Dallmer à verser à la société VPH les sommes de : - 73 795 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales, - 4 011 euros au titre de l'indemnisation de la rupture du mandat d'agent commercial ; L'infirmant sur ces points ; Statuant à nouveau, condamne la société Dallmer à payer à la société VPH la somme de 44 090 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies ; condamne la société Dallmer à verser à la société VPH la somme de 6 000 euros au titre de l'indemnisation de la rupture du mandat d'agent commercial ; condamne la société VPH aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Dallmer la somme supplémentaire de 6 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; rejette toute autre demande.