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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 février 2018, n° 15-06201

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Prodif Réunion (SARL)

Défendeur :

Juva Santé International (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Guerre, Toscani, Fisselier, Ruy

T. com. Paris, du 31 déc. 2014

31 décembre 2014

FAITS ET PROCÉDURE

La société Prodif Réunion, ci-après Prodif, est une société de distribution sur l'île de la Réunion.

La société Juva International Sri, ci-après Juva, exploite notamment les marques " Marie-Rose ", " Intimy ", " Mercurochrome ", " C'Clean ", " Juvamine ", " Juvabio " et intervient dans le domaine des premiers soins et du complément alimentaire.

En 2005, la société Juva International a fait appel à la société Prodif afin d'organiser la distribution de ses produits de marques sur le sol réunionnais. Leur relation commerciale s'est poursuivie jusqu'en 2010.

La société Juva a adressé à la société Prodif le 6 septembre 2010 la notification de la fin de la relation commerciale de distribution des produits Juva, avec un préavis de 6 mois, à effet au 6 mars 2011.

Par acte du 30 mai 2011, la société Prodif Réunion a assigné la société Juva International Sri devant le Tribunal de commerce de Saint Denis de la Réunion sur le fondement des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, et 1134 et 1382 du Code civil, en réparation de ses préjudices.

Le Tribunal de commerce de Saint Denis de la Réunion s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 31 décembre 2014, le Tribunal de commerce de Paris a débouté la société Prodif Réunion de l'ensemble de ses demandes et a condamné la société Prodif Réunion à verser à la société Juva International Sri la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La société Prodif Réunion a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 20 mars 2015.

La procédure devant la cour a été clôturée le 9 janvier 2018.

LA COUR

Vu les conclusions du 6 septembre 2017 par lesquelles la société Prodif Réunion, appelante, invite la cour, au visa des articles L. 442, 6, I du Code de commerce, les articles 1134 et 1382 du Code civil, à :

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris sur les prétentions présentées par elle,

statuant à nouveau :

à titre principal,

- dire que le préavis de 6 mois, de facto prolongé à 9 mois, était insuffisant en ce qu'il ne lui permettait pas de se reconvertir et que le délai de préavis raisonnable pour notifier la fin des relations établies était de deux années au regard des circonstances de la cause, ouvrant droit à réparation pour le préjudice subi par elle,

- dire que la rupture a été par ailleurs abusive du fait de la mauvaise foi de la société Juva dans l'exercice de son droit de rompre et engage la responsabilité contractuelle de la société Juva ouvrant droit à réparation,

à titre subsidiaire,

- dire que le contrat de distribution s'analyse en un contrat de commandement donnant droit à une indemnité légale en fin de contrat par analogie avec le contrat d'agent commercial de l'article L. 134-12 du Code de commerce,

à titre infiniment subsidiaire,

- dire que la société Juva s'est injustement enrichie du travail fourni par M. Maraud des Grottes et elle sans qui l'implantation et le développement des produits des marques de la société sur le territoire de la Réunion n'auraient pas été développés avec un tel succès,

en conséquence,

- condamner la société Juva à lui payer la somme de 125 000 euros correspondant à la perte de marge brute sur 15 mois supplémentaires, en complément du préavis de 9 mois exécuté,

- condamner la société Juva à lui payer la somme de 200 000 euros du fait de la mauvaise foi dont la société Juva a fait preuve dans l'exécution de sa prérogative contractuelle à son détriment,

à titre subsidiaire,

- condamner la société Juva à lui payer la somme globale de 200 000 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat de distribution, qui s'analyse comme un contrat de commandement, soumis, par analogie, à l'indemnité de fin de contrat d'agent commercial,

à titre infiniment subsidiaire,

- condamner la société Juva à lui payer la somme globale de 200 000 euros en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait de l'enrichissement sans cause dont a profité la société Juva,

en tout état de cause,

- dire que les intérêts légaux courront sur les sommes auxquelles la société Juva pourrait être condamnée, à compter de l'assignation,

- en tout état de cause, ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner la société Juva International à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Juva International aux dépens ;

Elle fait notamment valoir que :

- elle vendait exclusivement les produits de marques du Groupe Juva Sri dans le domaine des premiers soins et des compléments alimentaires,

- elle distribuait et promouvait tous les produits des marques Mercurochrome et Juvamine, distribuait toutes les marques du Groupe Juva Sri, était le représentant des marques de Juva International en concurrence des autres marques existantes sur le marché et ne distribuait aucune marque ou produit concurrent,

- au moment de la rupture, la relation entre le groupe Juva et elle était établie depuis 5 années,

- la durée de préavis de 6 mois qui lui a été accordée est insuffisante en raison de la stabilité de la relation depuis 2005 et de l'imprévisibilité de la fin du contrat pour elle, qui a au contraire été amenée à penser que la relation s'inscrivait dans le plus long terme, mais aussi compte tenu des particularités géographiques et économiques du département de la Réunion, en ce qu'une distribution exclusive de droit ou de fait, qui ne bénéficiait d'aucune antériorité localement, implique des difficultés de substitution plus grandes notamment quant aux produits vendus, aux capacités et aux moyens de production (réorganisation de l'entreprise), et un investissement matériel et financier (publicité, marketing, référencement, participation à une nouvelle promotion, poursuite de négociations...) plus important, nécessitant un délai de reconversion,

- elle est en état de dépendance économique à l'égard de la société Juva, au regard de la forte notoriété de ses produits, l'importance de leur part de marché et l'impossibilité de remplacer ces produits par d'autres,

- la société Juva a rompu de manière abusive, du fait du comportement déloyal adopté au moment de la rupture et de l'agissement constitutif de concurrence déloyale par l'usurpation du courant d'affaires développé par elle sur le territoire de la Réunion ;

Vu les conclusions du 26 décembre 2017 par lesquelles la société Juva Santé International, anciennement dénommée Société de Recherche Industrielle (S.R.I.), intimée, demande à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, 1134 et 1382 du Code civil, de :

- constater que les demandes de la société Prodif se heurtent au principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle,

- constater qu'elle a respecté les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

- constater que la cessation des relations commerciales n'a été ni abusive, ni brutale,

- en tout état de cause que les demandes indemnitaires de la société Prodif ne sont fondées ni en droit, ni en fait,

- débouter par conséquent la société Prodif de l'ensemble de ses demandes indemnitaires,

en conséquence,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 31 décembre 2014, dans l'ensemble de ses dispositions,

y ajoutant,

- condamner la société Prodif à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Prodif aux dépens d'appel, distraits au profit de Maître Alain Fisselier conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;

Elle explique notamment que :

- les parties se sont verbalement accordées quant à leurs relations et la société Prodif est ainsi devenue à compter de fin 2005 distributeur de ses produits,

- la société Prodif passait des commandes régulières auprès d'elle qui la livrait et lui laissait toute latitude quant à la revente des produits concernés, confiante dans l'expérience et l'expertise de M. Marraud des Grottes auprès de la grande distribution,

- elle ne s'est ainsi jamais interdite d'avoir recours à d'autres distributeurs sur le même territoire, ou d'assurer elle-même la distribution de ses propres produits, même si de fait, elle n'a pas fait appel à d'autres distributeurs,

- les demandes formées à son encontre sont irrecevables, étant simultanément fondées sur les articles 1382 et 1134 du Code civil,

- le délai de préavis de 6 mois qu'elle a alloué à la société Prodif est suffisant,

- la société Prodif n'était pas en état de dépendance économique à son égard, ses produits ne représenteraient que 25 % du chiffre d'affaires total de la société Prodif,

- la reconversion de la société Prodif n'est pas difficile, celle-ci pouvant aisément recourir à d'autres fournisseurs, nombreux dans le secteur de la cosmétique et de la pharmacie,

- l'activité de distribution effectuée par la société Prodif n'est pas spécifique,

- les investissements invoqués par la société Prodif ne sont pas spécifiques à la distribution de ses produits,

- elle n'a commis aucune faute à l'égard de la société Prodif, n'ayant pas à justifier les motifs de la rupture, n'ayant aucune obligation de cohérence, et aucune preuve n'étant rapportée de ce qu'elle a utilisé les linéaires mis en place par la société Prodif ;

SUR CE

LA COUR se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur la recevabilité des demandes principales formées par la société Prodif

La société Prodif reproche à la société Juva d'une part la brutalité de la rupture de leurs relations commerciales établies et d'autre part des actes déloyaux par sa mauvaise foi, par son absence de cohérence et par des actes de parasitisme. La société Juva soulève l'irrecevabilité de ces demandes principales formées l'une sur un fondement délictuel l'autre sur un fondement contractuel.

Les griefs invoqués par la société Prodif à l'égard de la société Juva sont distincts selon les deux fondements de la demande. Par ailleurs, la société Prodif formule deux postes de préjudice distincts, un pour chaque fondement. Ainsi, la demande formée au titre de la brutalité de la rupture sort du champ d'application du contrat, alors que la société Prodif reproche aussi à la société Juva son absence de loyauté contractuelle dans le cadre de la rupture de leur relation contractuelle.

Dès lors, la société Prodif invoquant des faits distincts et formant deux demandes séparées, les demandes principales de cette dernière ne sont donc pas irrecevables.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société Prodif soutient qu'elle entretenait depuis 5 années des relations commerciales établies avec la société Juva. Elle relève que la rupture a été brutale, la fin de contrat n'étant pas prévisible et le délai de préavis de 6 mois ayant été insuffisant pour réorganiser son activité, notamment au regard de son état de dépendance économique à l'égard de la société Juva, eu égard à la notoriété de ses marques, de la spécificité du territoire concerné, des investissements qu'elle a réalisés, notamment le changement d'entrepôt en 2005 pour gagner en capacité de stockage.

La société Juva soutient que la rupture de leurs relations commerciales n'est pas brutale, le délai de 6 mois, prolongé dans les faits à 9 mois, qu'elle a donné à la société Prodif étant suffisant, au regard de l'ancienneté de leurs relations commerciales, soit 5 années, de la faible dépendance économique à son égard de la société Prodif. Elle explique que la reconversion de la société Prodif était aisée, le marché n'étant pas spécifique.

Les parties s'accordent sur le caractère établi de leurs relations commerciales et sur la durée de celles-ci, à savoir 5 années. Elles s'opposent en revanche sur le caractère brutal de la rupture, la durée du préavis et sur le préjudice subi par la société Prodif.

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Il est constant que par courrier du 6 septembre 2010, la société Juva a notifié à la société Prodif la fin de la relation commerciale de distribution des produits Juva qui durait depuis 5 années, avec un préavis de 6 mois, à effet au 6 mars 2011.

Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° précité que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures.

L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé avec l'auteur de la rupture, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables dédiées à la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent.

L'effectivité du préavis de 6 mois n'est pas contestée, étant même précisé que les parties conviennent que dans les faits la société Prodif a bénéficié d'un préavis de 9 mois. Il convient donc de vérifier si le préavis de 6 mois est suffisant à la société Prodif pour réorganiser son activité. En effet, la brutalité de la rupture s'apprécie à la date à laquelle la rupture des relations commerciales est notifiée au partenaire commercial.

La société Prodif invoque diverses circonstances à l'appui de sa demande. Toutefois, le caractère total du déréférencement ne peut être retenu comme circonstance de l'espèce, en ce que ce déréférencement caractérise la rupture totale des relations et non pas sa brutalité. S'agissant des investissements spécifiques réalisés par la société Prodif, notamment le changement d'entrepôt au cours de l'année 2005, cet élément n'est pas établi et ne peut donc davantage être pris en compte. De même, concernant la spécificité du marché, à savoir la zone de chalandise insulaire et la grande difficulté de substitution de fournisseurs dans le marché des premiers soins et du complément alimentaire, la société Prodif ne l'établit par aucune pièce. Cette circonstance ne peut donc être prise en compte pour apprécier la brutalité de la rupture.

La société Prodif fait état également d'un état de dépendance économique à l'égard de la société Juva, au motif que les marques de la société Juva sont notoires, que ses parts de marché national sont de 35 %, que son chiffre d'affaires avec la société Juva correspond à 24,75 % de son chiffre d'affaires total, et que dans le secteur des premiers soins et des compléments alimentaires les produits de la société Juva représentent 100 % de son activité.

Pour apprécier l'état de dépendance économique au sens de l'article L. 442, 6, I, 5° du Code de commerce, il convient de se référer à la part du chiffre d'affaires réalisé par la société Prodif avec la société Juva sur son chiffre d'affaires total. Il convient d'abord de relever que le chiffre de 24,75 % correspond au prévisionnel de l'année 2011 établi artificiellement sur les 3 derniers mois de préavis, en ce que les parties conviennent que les commandes de la société Prodif ont été exceptionnellement élevées sur ce trimestre afin qu'elle constitue un stock pour faire face, après la fin du préavis, aux commandes de ses clients. Il ressort des chiffres comptables de la société Prodif, non contestés par la société Juva, qu'au cours des années 2009 et 2010, la part de chiffre d'affaires de la société Juva dans le chiffre d'affaires total de la société Prodif est de 19 %, pour un flux d'affaires entre les deux parties de 177 462 euros en 2009 et de 171 277 euros en 2010. Dès lors, la notoriété des marques de la société Juva, tout comme les parts de marchés avancées, par ailleurs non établies, ne peuvent caractériser un état de dépendance économique, alors que sa part dans le chiffre d'affaires total de la société Prodif est inférieure à 20 %.

Enfin, la société Prodif indique, sans le justifier d'ailleurs, être contrainte de recommencer son travail avec un autre fournisseur de produits de premiers soins et de compléments alimentaires, ne pouvant réutiliser ses outils publicitaires, capitaliser sur l'acquis commercial ni argumenter sur une autre marque sans perdre en crédibilité.

Dès lors, eu égard à l'ensemble de ces éléments et du temps nécessaire pour que la société Prodif puisse se ré-organiser et re-déployer son activité, le préavis de 6 mois laissé par la société Juva à la société Prodif apparaît suffisant. Dans ces conditions, la rupture des relations commerciales établies n'est pas brutale.

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Prodif de ce chef.

Sur la rupture abusive des relations commerciales

La société Prodif allègue que la société Juva a commis des fautes à son égard en ayant manqué à la bonne foi dans l'exécution de sa prérogative contractuelle de résilier leurs relations. Ainsi, elle soutient que la société Juva s'est montrée déloyale à son égard en faisant état d'un motif non pertinent et d'une cause de résiliation artificielle pour justifier la rupture, et en ayant l'intention dissimulée d'installer un autre distributeur de ses produits sur l'île de la Réunion. Elle fait également valoir que la société Juva a manqué à son obligation de cohérence lui laissant croire à la poursuite de leurs relations commerciales et ce d'autant que ses commandes d'achat de produits des marques Mercurochrome et Juvamine à la Réunion progressaient fortement depuis plusieurs années.

La société Juva conteste avoir commis une faute en changeant de partenaire commercial, ayant cette liberté. Elle souligne qu'elle n'est pas tenue de justifier auprès de son partenaire commercial sa décision. Elle précise qu'elle a pris le soin de notifier la rupture bien avant la période annuelle de négociation des accords commerciaux avec la grande distribution et que les accords conclus par la société Prodif avec la grande distribution étaient postérieurs à la notification de la rupture, celle-ci ayant ainsi profité de la commercialisation de ses produits pendant toute la période de l'année civile 2011, permise par des commandes exceptionnelles passées pendant la période de préavis. Elle relève enfin qu'aucune preuve de comportements déloyaux n'est rapportée par l'appelante.

En vertu du principe de la liberté contractuelle, un acteur économique peut choisir de changer de distributeur, à la condition de respecter ses obligations contractuelles, et notamment son obligation de loyauté et de bonne foi.

La société Prodif reproche d'abord à la société Juva d'avoir résilié leur contrat, alors qu'elle était satisfaite d'elle et qu'elle l'a donc maintenue dans la croyance légitime d'une pérennité de la relation contractuelle. Toutefois, elle ne démontre pas que la société Juva lui avait laissé croire que leurs relations commerciales s'inscrivaient dans une durée plus longue, alors que d'une part aucun contrat écrit n'était signé entre les parties, qu'aucune procédure contractuelle de résiliation n'était mise en place ni d'engagement minimum de durée n'était pris par les parties et que donc, à défaut de caractériser le caractère brutal de la rupture comme évoqué supra, elle ne peut faire grief à la société Juva d'avoir résilié leur contrat et d'avoir changé de distributeur sur le territoire de l'île de la Réunion.

La société Prodif fait également grief à la société Juva d'avoir manqué à son obligation de cohérence en invoquant des motifs erronés pour justifier la rupture. Or, la société Juva n'a pas à motiver cette décision, en vertu du principe de liberté du commerce évoquée ci-dessus. Ainsi, quels que soient les arguments avancés ultérieurement à la lettre de rupture pour expliquer à la société Prodif sa décision, elle ne peut se voir reprocher la rupture, dès lors qu'elle n'est pas brutale et qu'elle respecte les modalités contractuelles de résiliation, à la condition que celles-ci soient définies, ce qui n'est pas le cas en l'espèce comme déjà jugé supra. Le désaccord de la société Prodif avec les explications avancées par la société Juva ne caractérise pas en soi la mauvaise foi de cette dernière, ce d'autant qu'elle ne justifie pas que les motifs justifiant la rupture sont erronés ou fautifs. Il a en effet déjà été indiqué que l'intention de la société Juva de changer de distributeur ne peut être fautive.

Enfin, la société Prodif reproche au nouveau distributeur de la société Juva d'avoir investi les linéaires mis en place par elle, d'avoir prospecté ses clients pendant la durée du préavis et au nouveau distributeur d'avoir profité de ses investissements pour distribuer les produits de la société Juva sur l'île de la Réunion. Or, les seules photographies produites, dont la valeur probante est contestée, ne sont pas probantes sur la responsabilité que pourrait encourir la société Juva pour avoir mis en place sur certains rayonnages des produits litigieux dans des magasins, en ce que ni la date, ni le lieu ni les circonstances dans lesquelles ces photographies ont été prises ne sont justifiés. En outre, il convient de relever qu'à la fin du préavis la société Prodif a commandé des quantités supérieures à celles habituelles afin de poursuivre les ventes après la fin du préavis, les parties s'étant mises d'accord sur ce point avec le nouveau distributeur de la société Juva. Par ailleurs, la société Prodif ne démontre pas que la société Juva ait commis les actes allégués.

Il y a donc lieu de débouter la société Prodif de sa demande de ce chef. Le jugement est donc confirmé sur ce point.

Sur la demande sur le fondement de la rupture du contrat de commandement

La société Prodif soutient qu'elle peut prétendre au versement par la société Juva d'une indemnité de fin de contrat en sa qualité de distributeur, pour avoir représenté la marque du fournisseur et lui avoir constitué une clientèle, que la société Juva a récupérée en l'espèce, par application analogique avec le contrat d'agent commercial.

La société Juva soutient que le régime juridique du mandat d'intérêt commun ne peut s'appliquer dans le domaine de la distribution. Elle relève qu'elle n'a jamais eu accès à la clientèle de la société Prodif. Elle soutient que dans l'hypothèse où la résiliation du contrat de distribution aurait une incidence quelconque sur la clientèle, il était ainsi compris que ce risque est accepté par le distributeur, à raison de la nature de son contrat.

En l'espèce, aucun contrat écrit entre les parties n'a été signé. Il est établi que les relations commerciales entre les parties portaient sur des commandes d'un distributeur, la société Prodif, à un fournisseur, le tout dans le cadre d'une activité indépendante. La société Prodif ne démontre aucun intérêt commun entre les parties, alors qu'elle agissait en qualité d'opérateur économique indépendant. Il n'est pas plus justifié que la société Prodif ait agit au nom et pour le compte de la société Juva pendant les cinq années de relations commerciales entre les parties. La société Prodif est seulement intervenue en qualité de distributeur exclusif de la société Juva.

Il y a donc lieu de rejeter la demande de ce chef. Le jugement doit être confirmé sur ce point.

Sur la demande à titre infiniment subsidiaire sur le fondement de l'enrichissement sans cause

La société Prodif invoque l'enrichissement injustifié de la société Juva qui, en évinçant son partenaire distributeur, a bénéficié, sans contrepartie, d'une diffusion de la marque au niveau local de l'île de la Réunion, acquis par ses seuls efforts et grâce à son travail, son savoir-faire, sa connaissance du marché et ses investissements.

La société Juva conteste cette demande.

Pour les motifs déjà exposés supra, la société Prodif ne peut reprocher à la société Juva d'avoir changé de distributeur, ce remplacement ne pouvant en soi caractériser un détournement de clientèle.

En outre, aucun enrichissement indû de la société Juva n'est établi par la société Prodif.

Il y a donc lieu de débouter la société Prodif de sa demande de ce chef.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Prodif Réunion, partie perdante, doit être condamnée aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Juva Santé International la somme supplémentaire de 15 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la société Prodif Réunion.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement ; Y ajoutant, Condamne la société Prodif Réunion aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Juva Santé International la somme supplémentaire de 15 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Rejette toute autre demande.