CA Versailles, 1re ch. sect. 2, 6 mars 2018, n° 16-06054
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Mercedes-Benz France (SAS), Mercedes-Benz Financial Services France (SAS), Madéa (SAS)
Défendeur :
Blugeon
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Portelli
Conseillers :
Mmes Brogly, Bonnet
Avocats :
Mes Debray, Vogel, Le Go, Carro, Pouget Courbières, Guttin, Haas
FAITS ET PROCÉDURE,
Le 14 avril 2008, la société Mercedes-Benz Financial Service France a conclu avec M. Blugeon un contrat de crédit-bail d'une durée de 48 mois portant sur un véhicule utilitaire Mercédès Benz Sprinter mis en circulation le 10 juin 2008. Le contrat a été soldé le 25 mai 2012 et M. Blugeon est devenu propriétaire du véhicule.
Le véhicule, tombé en panne le 22 octobre 2013, a été rapatrié vers la société Madéa qui, suivant facture du 14 novembre 2013, a procédé au remplacement du pont arrière et de l'essieu arrière pour la somme de 6 417,25 euros HT.
Une expertise amiable a été diligentée ; l'expert a déposé son rapport le 24 février 2014.
Au vu des conclusions de ce rapport d'expertise, M. Blugeon, par acte d'huissier du 5 mai 2015, a assigné la société Mercedes-Benz France, la société Mercedes-Benz Financial Service France et la société Madéa devant le Tribunal d'instance de Versailles afin d'obtenir leur condamnation in solidum des sommes suivantes :
- 6 417,25 euros hors taxes au titre des réparations effectuées,
- 3 000 euros pour résistance abusive,
- 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement contradictoire du 30 juin 2016, le Tribunal d'instance de Versailles a :
- déclaré recevables les demandes de M. Blugeon sur le fondement de l'article 1641 du Code civil,
- dit que la société Mercedes-Benz Financial Service France est hors de cause,
- déclaré la société Mercedes-Benz France responsable du vice caché affectant le véhicule Mercedes Sprinter neuf, immatriculé 852 ELS 78, acquis par M. Blugeon,
- condamné la société Mercedes-Benz France à payer à M. Blugeon la somme de 6 417,25 euros HT,
- rejeté la demande de M. Blugeon formulée à l'encontre de la société Madéa sur le fondement de son obligation de conseil,
- rejeté la demande de M. Blugeon formulée à l'encontre des sociétés Mercedes-Benz France, Mercedes-Benz Financial Service France et Madéa pour résistance abusive,
- rejeté la demande de la société Madéa à l'encontre de M. Blugeon pour procédure abusive,
- condamné la société Mercedes-Benz France à payer à M. Blugeon la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné M. Blugeon à payer à la société Madéa la somme de 150 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Mercedes-Benz France aux entiers dépens,
- prononcé l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration du 3 août 2016, la société Mercedes-Benz France a relevé appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions transmises le 19 septembre 2017, elle demande à la cour de :
- dire que toute action à son encontre est prescrite et irrecevable,
- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé recevables les demandes de M. Blugeon et en ce qu'il est entré en voie de condamnation à son encontre,
- débouter toutes parties de toutes leurs demandes dirigées à son encontre, en tout état de cause :
- condamner M. Blugeon à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner M. Blugeon aux entiers dépens, d'instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Debray, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions transmises le 29 septembre 2017, M. Blugeon demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Mercedes-Benz France à lui payer la somme de 6 417,25 euros HT,
- le réformer pour le surplus,
- dire que la vente est intervenue entre lui et la société Mercedes-Benz Financial Service France, le 25 mai 2012,
- dire que son action a été engagée par assignation du 5 mai 2015 soit dans le délai de 5 ans suivant la vente et de 2 ans suivant la découverte du vice,
en conséquence,
- le dire recevable en ses demandes,
- dire que les vendeurs successifs de la chose sont tenus de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue, qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine,
- dire que la réparation consistant en remplacement du pont, qui s'est élevé à la somme de 6 417,25 euros, a été nécessaire du fait de l'existence de ce vice,
en conséquence,
- condamner in solidum la société Mercedes-Benz France et la société Mercedes-Benz Financial Service France au paiement de la somme de 6 417,25 euros HT,
subsidiairement,
- dire que la société Madéa a commis une faute de nature à engager sa responsabilité,
en conséquence,
- condamner la société Madéa au paiement de la somme de 5 352,75 euros HT, correspondant au surcoût qu'il a supporté, au titre de la réparation entreprise,
- condamner in solidum la société Mercedes-Benz France, la société Mercedes-Benz Financial Service France et la société Madéa au paiement de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- condamner in solidum la société Mercedes-Benz France, la société Mercedes-Benz Financial Service France et la société Madéa au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions transmises le 21 novembre 2017, la société Mercedes-Benz Financial Service France conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il l'a mise hors de cause et sollicite la condamnation de la partie succombante aux dépens dont distraction au profit de Maître Guttin conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions transmises le 19 décembre 2016, la société Madéa demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de M. Blugeon formulée à son encontre et l'a condamné à lui verser la somme de 150 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Y ajoutant,
- condamner M. Blugeon à lui verser la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le montant sera recouvré par Maître Carro dans les termes de l'article 699 du Code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 21 décemrbe2017, jour de l'audience de plaidoiries.
Conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens soutenus par les parties, la cour se réfère à leurs écritures et à la décision déférée.
MOTIFS
1) Sur la prescription de l'action de M. Blugeon à l'égard de la société Mercedes-Benz France
Pour déclarer l'action en garantie de vices cachés introduite par M. Blugeon recevable, le tribunal a retenu que la découverte du vice remontait au plus tôt au jour de la panne du véhicule le 22 octobre 2013 et au plus tard au jour du dépôt du rapport d'expertise en février 2014 et que l'action avait introduite le 5 mai 2015 dans le délai de deux ans de l'article 1648 du Code civil.
La société Mercedes-Benz France soutient que le délai de deux ans de l'action en garantie des vices cachés, prévu à l'article 1648 du Code civil, est enfermé dans le délai de droit commun de cinq ans de l'article L. 110-4 du Code de commerce et ne se substitue pas à lui. Elle souligne que le véhicule litigieux a été mis pour la première fois en circulation le 10 juin 2008 et que l'assignation lui a été délivrée le 5 mai 2015 soit après l'expiration du délai de prescription de 5 ans.
SUR CE
Selon l'article L. 110-4 du Code de commerce, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
L'action en garantie des vices cachés, qui doit être engagée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice conformément à l'article 1648 du Code civil, ne peut être utilement invoquée qu'à l'intérieur de la prescription de droit commun de cinq ans de l'art. L. 110-4 du Code de commerce dont le point de départ, à l'égard du distributeur, se situe à la date de la vente au concessionnaire.
En l'espèce, M. Blugeon a agi à l'encontre de la société Mercedes-Benz France le 5 mai 2015 alors que la vente du véhicule entre la société Mercedes-Benz France et le concessionnaire Mercédès Benz VI Paris Sud, fournisseur du véhicule, était intervenue au plus tard le 10 juin 2008, date de la première mise en circulation. L'action est donc prescrite de sorte que M. Blugeon n'est pas recevable à agir à l'encontre de la société Mercedes-Benz France au titre de l'action directe.
La décision entreprise sera infirmée sur ce point et l'action de M. Blugeon dirigée contre la société Mercedes-Benz France déclarée irrecevable.
2) Sur l'action de M. Blugeon à l'égard de la société Mercedes-Benz Financial Service France
- sur la qualité de vendeur de la société Mercedes-Benz Financial Service France
Pour mettre hors de cause la société Mercedes-Benz Financial Service France le tribunal a fait application de l'article V du contrat de crédit-bail conclu entre M. Blugeon et la société Mercedes-Benz Financial Service France.
M. Blugeon prétend agir en qualité d'acquéreur à l'égard de la société Mercedes-Benz Financial Service France qui lui a vendu le véhicule le 25 mai 2012 après paiement de la dernière échéance du crédit-bail.
La société Mercedes-Benz Financial Service France répond que sa responsabilité ne peut être recherchée à quelque titre que ce soit compte tenu des dispositions de l'article V du contrat de crédit-bail.
SUR CE
L'article 1er du contrat de crédit-bail stipule que "locataire a choisi librement et sous sa pleine responsabilité son fournisseur et le ou les matériels dont il a déterminé les spécifications techniques et les modalités de livraison [...]. Le Locataire fait son affaire personnelle de tout recours contre le fournisseur concernant aussi bien l'annulation de la commande que la récupération des acomptes versés ainsi que toutes conséquences pécuniaires. Il renonce à tout recours contre le Bailleur qui aura la faculté de lui demander tous dédommagements correspondants à ses débours [...]" ;
et l'article V du même contrat prévoit au titre de la garantie : "le Locataire est subrogé en tant que de besoin par le Bailleur pour exercer en son nom, directement et à ses frais, et après l'en avoir informé, les droits conférés par la garantie du fournisseur. Le Locataire ne peut exercer aucun recours contre le Bailleur qui est exonéré de toute responsabilité ou engagement quant à la construction, l'installation et le fonctionnement du matériel. Si le matériel est atteint de vices qui le rendent impropre à l'usage auquel il le destinait, le Locataire pourra, après en avoir informé le Bailleur, agir directement et à ses frais contre le fournisseur. "
Ces clauses régissent les relations de la société Mercedes-Benz Financial Service France, crédit-bailleur, et M. Blugeon, locataire, pendant la durée du crédit-bail. Elles n'ont plus vocation à s'appliquer après le terme du contrat conclu pour une durée de 48 mois. En effet, au terme de la période de location, comme prévu au paragraphe "IV fin de location", la propriété du véhicule a été transférée à M. Blugeon après paiement de la dernière échéance le 25 mai 2012. Il y a eu transfert de propriété du véhicule entre la société Mercedes-Benz Financial Service France et M. Blugeon tel que cela résulte de l'attestation de la société Mercedes-Benz Financial Service France en date du 24 juin 2012.
M. Blugeon est donc fondé à agir à l'encontre de la société Mercedes-Benz Financial Service France, son vendeur, sur le fondement de la garantie des vices cachés.
- sur la garantie des vices cachés
Le tribunal a retenu l'existence d'un vice caché remontant à la fabrication du véhicule.
La société Mercedes-Benz Financial Service France n'a pas conclu sur ce point.
SUR CE
Aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. L'article 1642 précise que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même. Selon l'article 1644 du même Code, dans le cas de l'article 1641, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.
Il résulte du rapport d'expertise amiable, dont les conclusions ne sont pas discutées par la société Mercedes-Benz Financial Service France, que la destruction du roulement de pignon d'attaque du pont, responsable de l'avarie du 22 octobre 2013, est imputable à un manque de lubrification du fait du défaut d'étanchéité du joint à lèvres du pont, qui a généré une fuite d'huile ne permettant plus l'apport nécessaire de lubrifiant au roulement. Selon l'expert, ce défaut d'étanchéité du joint à lèvres de pont constitue un vice de fabrication, existant dès l'origine sur le véhicule, qui serait en outre connu du constructeur.
Il résulte en effet des éléments recueillis par l'expert relatifs à l'entretien du véhicule que les opérations de contrôle dès juillet 2009, à 26 502 km, ont nécessité la mise à niveau de lubrifiant du pont arrière. Il en a été de même lors des entretiens réalisés en mai 2011 à 64 973 km, en avril 2012 à 86 510 km, en août 2013 à 115 200 km, ce qui a nécessité le remplacement du joint de spy de pont arrière par les établissements Ares en septembre 2013.
L'existence d'un vice antérieur à la vente est ainsi démontrée. Il n'a été révélé à l'acquéreur qu'à l'occasion des opérations d'expertise. Ce vice rend le véhicule impropre à sa destination puisqu'il a entraîné une panne à 118 400 km, ce qui est anormal pour un véhicule de ce type et de cette marque.
La société Mercedes-Benz Financial Service France, qui a vendu le véhicule à M. Blugeon, est tenue de la garantie à raison des défauts cachés de la chose.
Il convient en conséquence de condamner la société Mercedes-Benz Financial Service France à payer à M. Blugeon la somme de 6 540,65 euros HT représentant le coût de la facture de réparation, et ce au titre d'une restitution d'une partie du prix.
La décision entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande de M. Blugeon dirigée à l'encontre de la société Mercedes-Benz Financial Service France doit donc être infirmée.
Il n'y a pas lieu de statuer sur la responsabilité de la société Madéa dès lors que M. Blugeon ne formule des demandes à son encontre qu'à titre subsidiaire.
3) Sur les demandes accessoires
M. Blugeon sollicite la condamnation des sociétés Mercedes-Benz France, Mercedes-Benz Financial Service France et Madéa au paiement de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive sans motiver sa demande.
Cette demande est irrecevable à l'égard de la société Mercedes-Benz France compte tenu de la prescription. A l'égard de la société Mercedes-Benz Financial Service France et de la société Madéa cette demande n'apparaît nullement fondée. La décision entreprise en ce qu'elle a rejeté cette demande sera confirmée.
Le jugement ayant été infirmé sur le fond, il le sera également en ce qu'il a condamné la société Mercedes-Benz France aux dépens et à payer à M. Blugeon la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Il le sera aussi en ce qui concerne la condamnation prononcée à l'encontre de M. Blugeon en faveur de la société Madéa.
La société Mercedes-Benz Financial Service France, partie perdante, supportera les dépens de première instance et d'appel. Et elle devra régler en outre à M. Blugeon une indemnité de 2 000 euros pour les frais irrépétibles exposés en première instance et en appel. Les autres demandes formées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile sont rejetées.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, et contradictoirement, Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le rejet de la demande de M. Blugeon formulée à l'encontre des sociétés Mercedes-Benz France, Mercedes-Benz Financial Service France et Madéa pour résistance abusive, Statuant de nouveau : Dit que l'action de M. Blugeon dirigée contre la société Mercedes-Benz France est prescrite et la déclare irrecevable, Dit que la société Mercedes-Benz Financial Service France est tenue de garantir le vice caché affectant le véhicule Mercedes Sprinter, acquis par M. Blugeon, Condamne la société Mercedes-Benz Financial Service France à payer à M. Blugeon la somme de 6 417,25 euros HT, Condamne la société Mercedes-Benz Financial Service France aux dépens de la procédure d'appel lesquels pourront être recouvrés directement par Maîtres Debray et Carro conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la société Mercedes-Benz Financial Service France à payer à M. Blugeon la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette les autres demandes.