Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 8 mars 2018, n° 15-18623

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

CAP Systems (SARL)

Défendeur :

Fibertex France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Grappotte-Benetreau, Pedersen

T. com. Paris, 1re ch., du 5 mai 2015

5 mai 2015

Faits et procédure

La société Cap Systems est une société qui commercialise un géotextile non tissé ayant pour fonction de protéger les câbles électriques des réseaux ERDF, ainsi que les canalisations enfouies. Elle vend notamment les produits fabriqués par la société danoise Fibertex (Nonwovens) A/S.

La société Fibertex France est une filiale de la société danoise Fibertex A/S qui vend également les produits fabriqués par sa société mère.

Courant 2008, la société Cap Systems soutenant être intervenue depuis 2004 comme mandataire de la société Fibertex France a estimé que celle-ci avait rompu brutalement cette relation commerciale et que la clientèle créée et développée par elle-même avait été détournée par la société Fibertex France.

C'est dans ce contexte que le 26 mars 2012, la société Cap Systems a assigné la société Fibertex devant le Tribunal de commerce de Pontoise afin de constater une rupture abusive des relations commerciales.

Par jugement du 18 septembre 2013, le Tribunal de commerce de Pontoise s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 5 mai 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit bien fondée la demande de la SARL Cap Systems envers la SARL Fibertex France ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- condamné la SARL Cap Systems aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 153,96 euros dont 25,22 euros de TVA.

Vu la déclaration d'appel du 17 septembre 2015 de la société Cap Systems

Vu les dernières conclusions signifiées le 15 mars 2016 par la société Cap Systems par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce, et subsidiairement les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce :

- confirmer le jugement rendu le 5 mai 2015 par le Tribunal de commerce de Paris (1re chambre) en ce qu'il a déclaré recevable la société CAP SYTEMS en son action à l'encontre de la société Fibertex France ;

- déclarer la société Cap Systems recevable et bien fondée en son appel ;

- réformer le jugement en ce qu'il a débouté la société Cap Systems de ses demandes indemnitaires formulées à l'encontre de la société Fibertex France ;

En conséquence, statuant à nouveau,

- constater que la société Fibertex France a abusivement rompu les relations commerciales établies avec la société Cap Systems ;

- condamner en conséquence la société Fibertex France à payer à la société Cap Systems la somme de 120 000 euros, à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice matériel résultant de la rupture abusive de leurs relations commerciales établies ;

- condamner la société Fibertex France à payer à la société Cap Systems la somme de 7 132 euros au titre des commissions lui restant dues à la date de rupture du contrat ;

- condamner la société Fibertex France à payer à la société Cap Systems la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts réparant l'atteinte à son image commerciale ;

Subsidiairement,

- condamner la société Fibertex France à verser les mêmes sommes à la société Cap Systems à titre d'indemnité de rupture abusive de contrat d'agent commercial imputable au mandant ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Fibertex France de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles, fins et conclusions ;

- débouter la société Fibertex France de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour appel abusif ;

- débouter la société Fibertex France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner enfin la société Fibertex France au paiement d'une somme de 7 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens, qui seront recouvrés par la SCP Grappotte Benetreau conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

Vu les dernières conclusions signifiées le 2 août 2017 par la société Fibertex France par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles L. 134-1 à L. 134-17 et L. 442-6 du Code de commerce, et les articles 1240-1242 du Code civil, et de :

- constater que Cap Systems SARL a été agent commercial de la société danoise Fibertex (Nonwovens) A/S de janvier 2005 à environ mars 2008 ;

- constater que Cap Systems SARL a (toujours) facturé les services rendus à son mandant la société danoise Fibertex (Nonwovens) A/S, qui lui a payé des commissions en contrepartie ;

- constater qu'aucun lien contractuel ni relation commerciale n'étaient établis entre Cap Systems SARL et Fibertex France SARL, qui entretenaient des liens de collaboration/coordination pour mieux servir leur mandant, la société danoise Fibertex (Nonwovens) A/S ;

- constater que Cap Systems SARL avait une connaissance parfaite du statut d'agent commercial de Fibertex France SARL, semblable au sien, par rapport à la société Fibertex (Nonwovens) A/S ;

- constater qu'aucune rupture brutale, ni même rupture non-brutale n'est intervenue à l'égard de la société Cap Systems SARL, ni même de la part de son véritable mandant Fibertex A/S, Cap Systems SARL ayant elle-même pris l'initiative de rupture par absence de commandes ;

- constater que Cap Systems SARL en sa qualité d'agent commercial devait fonder une demande sur l'article L. 134-1 et suivants, et non pas l'article L. 442-6 du Code de commerce, et donc que sa demande est sans fondement ;

- constater la prescription, faite seulement devant la cour d'appel, de la demande subsidiaire de Cap Systems SARL sur le fondement des articles L. 134-12 du Code de commerce, d'où une demande subsidiaire irrecevable ;

- constater en outre que Cap Systems SARL ne justifie d'aucun préjudice, mais qu'au contraire il se trouve qu'une amélioration de ses chiffres est prouvée dès 2008 ;

En conséquence,

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il déboute Cap Systems SARL dans l'ensemble de ses demandes ;

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il ne retient pas la procédure abusive par une action en mauvaise foi, et constater cette mauvaise foi ;

- condamner Cap Systems SARL à verser à la société Fibertex France SARL des dommages et intérêts pour procédure abusive conformément aux articles 1240- 1241 etc. du Code civil à hauteur de 7 000 euros ;

Subsidiairement,

- condamner Cap Systems SARL, pour la mauvaise foi de sa poursuite en appel contre Fibertex France SARL, à payer Fibertex France SARL 5 000 euros à titre de procédure abusive ;

En tout état de cause,

- condamner la société Cap Systems SARL à verser à Fibertex France SARL un article 700 du Code de procédure civile à hauteur de 8 000 euros pour couvrir les trois procédures ;

- condamner Cap Systems SARL à payer les entiers dépens.

La société Cap Systems soutient qu'elle avait une relation d'agent commercial avec la société Fibertex France qui a été rompue abusivement, qu'elle ne sollicitait pas ses instructions de la société danoise Fibertex A/S, mais uniquement de la société Fibertex France que la facturation effectuée à l'ordre de la société danoise Fibertex A/S l'était pour de simples raisons d'opportunité et n'opérait point novation, ne déchargeant pas Fibertex France de son obligation de mandant, sur la base d'une relation commerciale établie. Elle indique que c'est Monsieur X, Directeur de Fibertex France qui disposait de toutes délégations pour conclure les contrats de commercialisation en France, qui lui donnait des instructions.

La société Cap Systems soutient que la société Fibertex France a rompu brutalement la relation commerciale établie depuis plus de quatre ans, au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, que le préavis aurait dû être a minima de 18 mois et qu'elle a été victime d'un détournement de clientèle suite à une collusion entre la société Fibertex France et la société Mécaroute que cette rupture additionnée d'un état de dépendance économique a provoqué un préjudice pour la société Cap Systems qui se caractérise notamment par la perte de chance d'améliorer son chiffre d'affaires et d'une perte de chance de développer une clientèle nouvelle, d'autant que le potentiel de la commercialisation des produits de la société Fibertex par la société Cap Systems était très important.

En réponse,

La société Fibertex France fait tout d'abord valoir qu'il n'y a aucune relation commerciale entre la société Cap Systems et elle-même, que la société Cap Sytems était agent commercial de la société danoise Fibertex A/S uniquement, que les sociétés Fibertex France et Cap Systems entretenaient juste des relations cordiales entre elles en qualité d'agents commerciaux de la société danoise, héritant d'une relation ancienne entre MM. Y et Z qui n'ont jamais transféré la qualité de mandant de la société Fibertex AS à la société Fibertex France qu'aucune demande ne saurait prospérer à son encontre, que l'action est mal dirigée.

Subsidiairement, la société Fibertex France soutient qu'aucune faute ne peut lui être reprochée, que la prétendue rupture des relations est intervenue à l'initiative de la seule société Cap Systems qui a arrêté de passer des commandes à son mandant la société Fibertex A/S et qu'elle ne peut se prévaloir d'un détournement de clientèle dont serait responsable une société tierce Mécaroute, non mise en cause dans la présente instance mais dans une autre instance devant le tribunal de grande instance de Paris, qu'en outre l'action sur le fondement du contrat d'agent commercial est prescrite, et partant irrecevable.

La société Fibertex France ajoute que le chiffre d'affaires de la société Cap Systems est en constance augmentation depuis la prétendue rupture avec la société Fibertex A/S, que la durée de préavis proposée est déraisonnable, que le procès contre la société Mecaroute a déjà procuré à la société Cap Systems une réparation, que la demande au fond doit être confirmée.

Elle sollicite des dommages et intérêts pour procédure abusive ajoutée à une mauvaise foi manifeste.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'à titre préliminaire, la cour est saisie de la recevabilité de l'action engagée par la société Cap Systems contre la société Fibertex France le tribunal l'ayant déclarée "bien fondée à attraire" celle-ci devant le Tribunal de commerce de Paris, mais l'ayant déboutée au fond ;

Que sur le fond, la cour est saisie à titre principal au visa de l'article L. 442-6, I, 5° et à titre subsidiaire au visa des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, d'une demande d'indemnisation de la rupture brutale d'un contrat d'agent commercial ;

Que toutefois la rupture, même brutale, des contrats d'agents commerciaux est régie par les seules dispositions spéciales des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce ;

Qu'en l'espèce, la société Cap Systems soutenant qu'elle était liée à la société Fibertex France par un contrat d'agent commercial, sa demande d'indemnisation de la rupture brutale dudit contrat n'est soumise qu'aux articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, à supposer l'existence dudit contrat établie ;

Considérant qu'au regard de la recevabilité de ladite action sur ce fondement, il y a lieu de rappeler que le statut d'agent commercial, d'ordre public, ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans un contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée et de la réalité du pouvoir de négociation et de représentation ;

Qu'il appartient à celui qui se prévaut de ce statut d'en établir la réalité, sur la base des éléments susrappelés ;

Mais considérant que l'existence même d'une relation contractuelle, qu'elle puisse ou non être qualifiée de contrat d'agence commerciale, fait débat en l'espèce entre la société Cap Systems et la société Fibertex France ;

Qu'en effet, la preuve de l'existence même d'un quelconque contrat fait défaut ;

Que d'une part, nonobstant l'absence de tout contrat écrit conclu entre la société Fibertex France et la société Cap Systems il ne résulte d'aucune pièce du dossier que la société Cap Systems ait, à un quelconque moment, été liée à la société Fibertex France par une relation commerciale quelle qu'elle soit, ni a fortiori qu'elle ait négocié des contrats au nom et pour le compte de la société Fibertex France ;

Que d'autre part, la société Cap Systems qui était l'agent commercial de la société danoise Fibertex A/S, ainsi que cela résulte des factures de commissions adressées par la société Cap systems à la seule société danoise qui les réglait, n'a jamais allégué que la société danoise payait pour le compte de sa filiale française ;

Qu'il apparait que si la société Fibertex France et la société Cap Systems étaient toutes deux chargées d'assurer la commercialisation des produits de la même société Fibertex A/S, ces deux sociétés étaient des agents commerciaux distincts, travaillant chacune pour la société danoise Fibertex A/S, mais n'étaient pas l'agent commercial l'un de l'autre ;

Que les deux sociétés françaises avaient des échanges cordiaux et de bonne entente de façon totalement autonome, mais que leur relation n'était pas commerciale et ne conférait pas la qualité de mandant à la société Fibertex France ni d'agent à la société Cap Systems ;

Qu'il est indifférent à cet égard que Fibertex France soit une filiale de la société Fibertex A/S, ce qui ne lui conférait pas plus le statut de mandant ;

Que le fait qu'ils aient des clients communs est inopérant au regard de l'existence d'un lien contractuel ;

Qu'en conséquence, en l'absence de tout contrat entre la société Cap Systems et la société Fibertex France cette dernière doit être purement et simplement mise hors de cause ;

Qu'elle est en effet dénuée de toute qualité à défendre à cette action ;

Que l'action de la société Cap Systems est, partant, irrecevable ;

Qu'ainsi, c'est à tort que, statuant sur la mise hors de cause de Fibertex France les premiers juges ont considéré que la société Cap Systems était "bien fondée à attraire" la société Fibertex France devant le Tribunal de commerce de Paris, - ce qui signifie "recevable à agir", tout en la déboutant au fond en l'absence de rupture abusive d'un quelconque contrat et en l'absence de qualité à défendre sur la demande en paiement de commissions ;

Qu'il y a lieu par conséquent d'infirmer la décision des premiers juges en toutes ses dispositions, y compris au fond, par motifs propres, les demandes dirigées contre la société Fibertex France étant en effet dès lors sans objet ;

Considérant que ni les circonstances du litige, ni les éléments de la procédure ne permettent de caractériser à l'encontre de la société Cap Systems une faute de nature à faire dégénérer en abus, le droit d'agir en justice ;

Qu'il ne sera pas fait droit à la demande de dommages-intérêts formée à ce titre ;

Considéant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation de la société Fibertex France au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Qu'il convient de condamner aux dépens la société Cap Systems ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau, met la société Fibertex France hors de cause, déclare la société Cap Systems irrecevable à agir à l'encontre de la société Fibertex France déboute les parties du surplus de leurs demandes, condamne la société Cap Systems à payer à la société Fibertex France la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Cap Systems aux dépens.