Cass. com., 7 mars 2018, n° 16-19.777
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Flor de Selva (SAS)
Défendeur :
S-Team Integral (Sté), SCP Brouard Daudé (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Rapporteur :
Mme Tréard
Avocat général :
M. Richard de la Tour
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 27 mai 2016), que la société Flor de Selva (la société de Selva) a renouvelé, le 10 juillet 2010, un contrat de référencement de son site internet auprès de la société S-Team Net Intégral (la société S-Team), dont M. Rophé était le gérant ; que le contrat stipulait un prix forfaitaire annuel d'un montant de 7 176 euros TTC ; que le 2 août 2012, la société S-Team a été mise en redressement judiciaire, M. Martin étant désigné administrateur, avec une mission d'assistance, et la SCP Brouard-Daudé, en la personne de Mme Daudé, mandataire judiciaire ; qu'après la vaine délivrance, le 5 août 2013, d'une mise en demeure de payer deux factures émises le 15 juillet précédent, correspondant aux prestations de référencement des périodes du 10 juillet 2012 au 9 juillet 2013 et aussi d'hébergement de l'année 2012 d'une part, et du 10 juillet 2013 au 9 juillet 2014 et d'hébergement de l'année 2013 d'autre part, totalisant la somme de 15 165,28 euros, la société S-Team a, le 29 septembre 2013, déposé une requête en injonction de payer à concurrence de la somme de 7 989,28 euros en principal, correspondant à la période 2012/2013, objet de la première facture n° 1463 ; que par une ordonnance du 7 octobre 2013, le président du tribunal a enjoint à la société de Selva de payer à la société S-Team la somme de 7 989,28 euros avec intérêts au taux légal ; que l'ordonnance a fait l'objet d'une opposition de la société de Selva qui a présenté une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts en réparation de défaillances dans la fourniture des prestations attendues ; que le 28 novembre 2013, le tribunal a arrêté le plan de redressement de la société S-Team ; que par un jugement du 15 octobre 2014, le tribunal a condamné la société de Selva à payer à la société S-Team la somme de 7 989,28 euros, outre intérêts, ainsi que celle de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie ;
Sur le premier moyen, délibéré par la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation après débats à l'audience publique du 11 juillet 2017, où étaient présents : M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller, M. Graveline, greffier de chambre : - Attendu que la société de Selva fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement sur la première facture sauf à en ramener le montant à la somme de 7 176 euros, de confirmer sa condamnation à payer des dommages-intérêts et de rejeter sa demande additionnelle au titre de la seconde facture alors, selon le moyen : 1°) que lorsqu'une société fait l'objet d'un redressement judiciaire et que l'administrateur se voit confier une mission d'assistance, cette société ne peut rester seule, et ne peut notamment pas mettre en œuvre la procédure d'injonction de payer sans l'assistance de son administrateur judiciaire ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la décision attaquée que la société S-Team a été placée en redressement judiciaire par jugement du 2 août 2012 du Tribunal de commerce de Paris, ayant désigné M. Martin en qualité d'administrateur judiciaire, avec mission d'assistance, et que la procédure de redressement était toujours en cours lorsqu'elle a formulé, seule, une requête en injonction de payer le 29 septembre 2013 et lorsque par ordonnance du 7 octobre 2013 le tribunal y a fait droit ; qu'en refusant de tirer les conséquences de l'irrecevabilité de la requête initiale au prétexte que la mission de l'administrateur judiciaire était limitée à la simple assistance du débiteur et qu'au jour du dépôt de la requête, l'instance au fond n'était pas encore liée, la cour d'appel a violé l'article L. 622-3 du Code de commerce ; 2°) que les fins de non-recevoir doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public ; qu'il est d'ordre public que lorsqu'une société fait l'objet d'un redressement judiciaire et que l'administrateur se voit confier une mission d'assistance, cette société ne peut rester seule, et ne peut notamment pas mettre en œuvre la procédure d'injonction de payer sans l'assistance de son administrateur judiciaire ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la décision attaquée que la société S-Team a été placée en redressement judiciaire par jugement du 2 août 2012 du tribunal de commerce de Paris, ayant désigné M. Martin en qualité d'administrateur judiciaire, avec mission d'assistance et que la procédure de redressement était toujours en cours lorsqu'elle a formulé, seule, une requête en injonction de payer le 29 septembre 2013 et lorsque par ordonnance du 7 octobre 2013 le tribunal y a fait droit ; qu'il appartenait dès lors à la cour d'appel de relever d'office cette fin de non-recevoir et d'en tirer les conséquences ; qu'en refusant cependant de le faire au prétexte que la société de Selva n'aurait formalisé ni moyen ni demande tirés du défaut de présence de l'administrateur judiciaire lors de la formulation de la requête en injonction de payer, la cour d'appel a violé les articles L. 622-3 du Code de commerce et 125 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt constate que la société de Selva ne déduit aucun moyen de défense, dans la motivation de ses écritures, du défaut de présence de l'administrateur judiciaire lors de la formulation de la requête en injonction de payer, ni n'articule, dans le dispositif de ses conclusions, de demande corrélative ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que la société S-Team était une société de services informatiques proposant des prestations de web marketing, référencement, et des solutions d'hébergement, que le contrat stipulait un prix forfaitaire annuel de 6 000 euros HT, et que la requête en injonction de payer avait été déposée afin de recouvrer une facture de prestations relative à la période 2012/2013 d'un montant de 7 176 euros TTC, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que le dépôt de la requête en injonction de payer litigieuse constituait un acte de gestion courante que la société S-Team pouvait accomplir sans l'assistance de l'administrateur, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, délibéré par la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation dans les mêmes conditions que le premier moyen : - Attendu que la société de Selva fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) que les juges du fond ne peuvent pas dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, la société de Selva contestait la réalisation par la société S-Team des prestations de référencement facturées le 15 juillet 2013 pour les périodes courant du 10 juillet 2012 au 9 juillet 2013 d'une part et du 10 juillet 2013 au 9 juillet 2014 d'autre part ; qu'en affirmant cependant que " l'appelante ne conteste pas véritablement que le référencement s'est poursuivi au-delà du 7 janvier 2013 " et, par motifs adoptés, que " dans ses écritures et au cours des débats, de Selva n'a pas contesté sa dette ni dans son quantum ni dans son principe ", la cour d'appel a méconnu le sens clair et précis des conclusions de la société de Selva et a violé l'article 4 du Code de procédure civile ; 2°) que tenus de motiver leur décision, les juges du fond doivent préciser l'origine de leurs renseignements ; qu'en l'espèce, la société de Selva contestait la réalisation par la société S-Team des prestations de référencement facturées le 15 juillet 2013 pour les périodes courant du 10 juillet 2012 au 9 juillet 2013 d'une part et du 10 juillet 2013 au 9 juillet 2014 d'autre part ; que cependant, la cour d'appel a condamné la société de Selva à payer la facture n° 1463 et à payer des dommages et intérêts après avoir tout au plus affirmé que " les prestations de référencement de la période du 10 juillet 2012 au 9 juillet 2013, étaient bien dues pour les échéances des 10 juillet 2012 et 10 janvier 2013 " ; qu'en retenant ainsi que la société S-Team aurait exécuté les prestations de référencement sans viser aucun élément de preuve de nature à justifier de cette exécution contestée par la société de Selva, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) que si celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver, il incombe réciproquement à celui qui se prétend libéré de justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ; qu'en reprochant en l'espèce à la société de Selva de ne pas rapporter la preuve que la société S-Team était à l'origine des interruptions d'accès de son site internet et des messageries associées, quand il appartenait au contraire à la société S-Team de rapporter la preuve qu'elle s'était acquittée des prestations auxquelles elle s'était engagée et de l'existence d'une cause, qui lui était étrangère, aux dysfonctionnements subis par la société de Selva, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil dans sa rédaction applicable au litige ; 4°) que la société de Selva établissait que par courrier du 5 août 2013, la société S-Team l'avait mise en demeure de régler deux factures du 15 juillet précédent sous la menace que " sans règlement de cette somme sous huitaine, nous suspendrons les services associés à votre site internet " et prouvait que dès le 16 août suivant, il était impossible d'accéder au site internet de de Selva et à tous les courriels associés ; qu'elle prouvait encore que ce n'est que le 27 août 2013 que son site internet et les courriels associés ont pu être remis en service grâce à l'intervention de la société Apiged ; qu'en affirmant cependant péremptoirement, sans viser ni analyser ces pièces, que la société de Selva ne rapportait pas la preuve que le blocage de son nom de domaine, de son site internet et de ses courriels était imputable à la société S-Team et qu'elle ne disposait pas des éléments (notamment les Codes) utiles pour rétablir immédiatement la situation, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 5°) que les juges du fond sont tenus par les limites du litige telles qu'elles sont fixées par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, la société de Selva se plaignait d'un blocage de son nom de domaine, de son site internet et de ses courriels jusqu'au 27 août 2013 et justifiait de la résolution des problèmes rencontrés à cette date grâce à l'intervention de la société Apiged ; qu'en retenant cependant, par motifs adoptés, que S-Team aurait pu utilement contribuer à la résolution du problème le 28 août 2013, soit après que les problèmes eurent été résolus sans son intervention, la cour d'appel a violé l'article 4 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant relevé que la société de Selva se bornait à prétendre que M. Rophé, ancien gérant de la société S-Team, qu'elle avait embauché à compter du 7 janvier 2013 puis dont elle avait rompu le contrat de travail pendant la période d'essai en avril suivant, était à même, dans ses nouvelles fonctions de salarié, d'assumer en interne la "gestion web" de l'entreprise aux lieu et place de la société S-Team, l'arrêt retient, sans dénaturation, que la société de Selva ne contestait pas que le référencement s'était poursuivi au-delà du 7 janvier 2013 ;
Et attendu, en second lieu, que l'arrêt relève qu'il ne résulte pas des propos et projets envisagés par les personnes physiques que les sociétés S-Team et de Selva auraient implicitement résilié le contrat en cours, que la société de Selva produit elle-même une attestation du 18 décembre 2013 établissant qu'elle gérait ses noms de domaine depuis le 30 juin 2004 et qu'elle n'apporte aucun élément de nature à démentir sa possession des codes d'accès ou démontrer qu'elle avait été victime d'agissements attribués à la société S-Team ; qu'il relève encore que, selon les stipulations contractuelles, le paiement du forfait annuel devait intervenir à raison de la moitié le 10 juillet et de l'autre moitié le 10 janvier suivant de chaque année ; qu'il retient enfin que la société de Selva ne démontre pas que la société S-Team serait à l'origine des dysfonctionnements dont elle a été victime du 15 au 27 août 2013 ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié la portée des éléments de preuve produits, a pu déduire, sans inverser la charge de la preuve, qu'au moment de l'établissement de la facture n° 1463 du 15 juillet 2013, les prestations de référencement de la période du 10 juillet 2012 au 9 juillet 2013 étaient bien dues ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen : - Attendu que la société de Selva fait grief à l'arrêt de la condamner à payer 5 000 euros de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie alors, selon le moyen : 1°) que l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce suppose la rupture brutale d'une relation commerciale établie, sans préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale ; qu'il ressort des constatations de la décision attaquée que dès le 13 décembre 2012, le dirigeant de la société S-Team était parfaitement informé que la rupture des relations contractuelles entre cette dernière et la société de Selva était envisagée puisqu'il se proposait lui-même d'exécuter à titre personnel les prestations réalisées jusque-là par la société S-team; qu'il s'en évinçait que la société S-Team ne pouvait légitimement s'attendre au maintien de ses relations avec la société de Selva depuis décembre 2012 et que la rupture des relations contractuelles n'était pas intervenue brutalement en août 2013 ; qu'en retenant, pour condamner la société de Selva à payer 5 000 euros de dommages et intérêts à la société S-Team pour rupture brutale de relations commerciales établies, que la société de Selva aurait notifié le 22 août 2013 l'arrêt immédiat des relations contractuelles sans justifier avoir observé un préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 2°) que le préjudice réparable sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce est celui résultant de la brutalité de la rupture ; que les dommages et intérêts sont donc déterminés en fonction de la conscience que les parties peuvent avoir des risques de rupture plus ou moins longtemps avant qu'elle n'intervienne ; qu'en fixant le chiffre des dommages et intérêts à 5 000 euros en retenant que la rupture notifiée le 22 août 2013 était intervenue immédiatement, sans tenir compte du fait que conformément à ses constatations, dès le 13 décembre 2012, le dirigeant de la société S-Team était parfaitement informé que la rupture des relations contractuelles entre cette dernière et la société de Selva était envisagée puisqu'il se proposait lui-même d'exécuter à titre personnel les prestations réalisées jusque-là par la société S-Team, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
Mais attendu, d'une part, que le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis ; qu'ayant constaté que la société de Selva avait notifié à la société S-Team l'arrêt immédiat de leurs relations d'affaires, sans justifier avoir observé un préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui ne pouvait déduire du fait que la rupture aurait été envisagée à une date antérieure, l'existence d'un préavis conforme aux exigences de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, a retenu la responsabilité de la société de Selva au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie ;
Et attendu, d'autre part, qu'en l'absence d'acte ayant fait courir un délai de préavis, le préjudice résultant de la brutalité de la rupture est intégralement réparable, peu important que la rupture ait pu être envisagée avant la date à laquelle elle a été notifiée ; qu'ayant constaté la notification, le 22 août 2013, de l'arrêt immédiat des relations nouées entre les parties depuis le 16 octobre 2002, c'est à bon droit que la cour d'appel, tenant compte de la durée de la relation et de sa nature, a indemnisé le préjudice né de cette rupture brutale après avoir fixé la durée du préavis qu'elle estimait nécessaire ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.