Livv
Décisions

CA Versailles, 12e ch., 6 mars 2018, n° 16-08054

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Optical Center (SAS)

Défendeur :

Atol (Sté), Optique Moderne (Sté), Optique 2G (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leplat

Conseillers :

M. Ardisson, Mme Muller

T. com Nanterre, 3ème ch. , du 20 oct. 2…

20 octobre 2016

Exposé du litige

La société par actions simplifiée Optical Center a pour activité la vente au détail d'équipements d'optique. Elle exploite, à ce titre, une centaine de magasins en France et dispose d'un réseau de franchises qui porte l'ensemble de ses points de vente à près de 800 magasins.

La société coopérative à forme anonyme à capital variable Atol SA, qui rassemble près de 550 opticiens adhérents sur le territoire national, exerce une activité identique. Sa centrale d'achat, Visatol, a été remplacée en 2008 par la société à responsabilité limitée Visatol Distribution. Ces sociétés ont été fusionnées pour donner naissance en 2009 à la société en nom collectif Atol Group.

Entre-temps, la société Optical Center a fait assigner par actes d'huissier délivrés à personne le 15 janvier 2008 la société Atol SA et la société Visatol, puis l'Eurl Optique du Lac, l'Eurl JMB, l'Eurl Optique 2G et la société Optique Moderne, exerçant sous l'enseigne Atol Les Opticiens, devant le Tribunal de commerce de Paris par actes d'huissier délivrés à personne les 23, 25 et 26 juin 2009, l'ensemble de ces instances étant jointes suivant jugement du 19 octobre 2010.

Au soutien de ces assignations, la société Optical Center reprochait aux parties défenderesses des pratiques constitutives de concurrence déloyale, par fausse facturation qui imputerait frauduleusement la charge maximale de l'achat des produits à la mutuelle complémentaire pour mieux convaincre le client d'acheter et l'attirer à son détriment.

Par ordonnances sur requête des 12 et 26 octobre 2007, la société Optical Center avait préalablement obtenu du président du Tribunal de grande instance de Lille et du président du Tribunal de grande instance de Strasbourg la désignation d'huissiers de justice afin de voir constater ces pratiques. Ces ordonnances ont cependant donné lieu à rétractation suite à des décisions devenues définitives de la Cour d'appel de Douai et de la Cour d'appel de Colmar.

La procédure au fond initiée devant le Tribunal de commerce de Paris a fait l'objet de la part de la société Atol SA d'une exception d'incompétence rejetée en première instance mais accueillie favorablement au profit du Tribunal de commerce de Nanterre par arrêt du 22 février 2011 de la Cour d'appel de Paris statuant sur contredit.

Par jugement du 22 juillet 2011 le Tribunal de commerce de Nanterre a prononcé, à la demande de la société Optical Center, le sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour d'appel de Douai intervenue le 19 septembre 2012.

Suite à des conclusions de reprise d'instance déposées à l'audience du 29 mai 2013, à des conclusions récapitulatives déposées à l'audience du 4 décembre 2013, à des conclusions récapitulatives numéro 2 déposées à l'audience du 4 juin 2014, à des conclusions récapitulatives numéro 3 déposées à l'audience du 2 septembre 2015, et par conclusions récapitulatives numéro 4 déposées à l'audience du 17 février 2016, la société Optical Center demandait au tribunal de :

Vu l'article 1382 du Code civil.

Constater que la société Atol a commis des faits de concurrence déloyale au détriment de la SAS Optical Center,

Lui faire injonction de cesser ces agissements, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée après le prononcé du jugement,

Au vu du dommage déjà réalisé :

Condamner la société Atol SA à verser la somme de 13,35 millions d'euros à la SAS Optical Center à titre de dommages intérêts pour le préjudice subi,

Ordonner la publication du jugement à intervenir dans 3 quotidiens nationaux au choix de la société Optical Center et aux frais de la société Atol SA, dans les publications professionnelles suivantes : Acuité, Bien vu et l'Essentiel de l'optique, toujours aux frais de la défenderesse, ainsi que sur la page d'accueil du site Internet Atol pendant un mois, et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter d'un mois après le prononcé du jugement,

Débouter la société Atol de toutes ses fins, demandes et conclusions,

Condamner les sociétés Optique du lac, Optique moderne et Optique 2G à verser chacune la somme de 50 000 euros à la société Optical Center en réparation des préjudices subis du fait de leurs agissements déloyaux,

Condamner la société Atol à verser la somme de 100 000 euros à la SAS Optical Center sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

Condamner les sociétés assignées aux dépens.

Par jugement entrepris du 20 octobre 2016 le Tribunal de commerce de Nanterre a :

Dit la notion d'unité économique inapplicable au cas d'espèce entre la coopérative Atol SA et ses adhérents commerçants indépendants, de même que la théorie de l'apparence et de celle de la confusion des patrimoines ;

Dit que les adhérents du réseau n'étaient pas des filiales d'Atol SA, de sorte que la théorie de l'imputabilité à la mère de la responsabilité des agissements de sa filiale était inopérante ;

Dit que Atol SA ne s'est pas immiscée dans la gestion des commerçants indépendants adhérents à la coopérative ;

Dit que les actions préventives et d'informations développées par Atol SA contre la pratique des arrangements de facture excluaient toute négligence fautive ;

Dit que la société Optical Center sous l'enseigne Atol les Opticiens ne rapportait la preuve d'aucun acte de concurrence déloyale personnellement imputable à la société Atol SA et Débouté en conséquence Optical Center de l'ensemble de ses demandes ;

Débouté Atol SA de ses demandes reconventionnelles en dommages et intérêts au titre de la procédure abusive et de la concurrence déloyale ;

Débouté Atol SA de sa demande de publication judiciaire ;

Condamné Optical Center sous enseigne Atol les Opticiens à payer, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, à Atol SA la somme de 20 000 euros.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu l'appel interjeté le 10 novembre 2016 par la société Optical Center;

Vu les dernières écritures signifiées le 6 décembre 2017 par lesquelles la société Optical Center demande à la cour de :

Vu l'article 1240 du Code civil,

Vu le jugement du 20 octobre 2016,

Infirmer le jugement,

Statuant à nouveau,

Constater que la société Atol a commis ou a été complice des faits de concurrence déloyale au détriment de la SAS Optical Center,

Subsidiairement,

Constater que la société Atol a montré une négligence fautive à l'égard des agissements frauduleux de ses associés-adhérents,

Dans tous les cas,

Lui faire injonction de cesser ces agissements, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée après le prononcé du jugement,

Au vu du dommage déjà réalisé :

Condamner la société Atol SA à verser la somme de 13 350 000 euros à la SAS Optical Center à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi,

Ordonner la publication du jugement à intervenir dans 3 quotidiens nationaux au choix de la société Optical Center et aux frais de la société Atol SA sans que chaque publication excède 25 000 euros, et dans les publications professionnelles suivantes : Acuité, Bien Vu et L'Essentiel de l'Optique, toujours aux frais de la défenderesse et dans les mêmes limites de 25 000 euros, ainsi que sur la page d'accueil du site internet Atol, dans un encadré de couleur rouge sur fond blanc, pendant trois mois, et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter d'un mois après le prononcé de l'arrêt,

Débouter la société Atol de toutes ses fins, demandes et conclusions,

Condamner les sociétés Optique du Lac, Optique Moderne et Optique 2G à verser chacune la somme de 50 000 euros à la société Optical Center en réparation des préjudices subis du fait de leurs agissements déloyaux,

Condamner la société Atol à verser la somme de 100 000 euros à la SAS Optical Center sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner les sociétés assignées aux dépens, dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître Bertrand R., AARPI - JRF Avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières écritures signifiées le 13 novembre 2017 au terme desquelles la société Atol SA demande à la cour de :

Vu les articles 2, 6, 9, 32-1, 122, 699 et 700 du Code de procédure civile,

Vu l'article 1240 du Code civil,

Vu les articles L. 124-1 et suivants du Code de commerce relatives aux sociétés coopératives de commerçants détaillants,

Vu les articles 121-1 et 121-4 du Code pénal,

Vu l'article 6.1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme,

In limine litis

ORDONNER le rejet des pièces n°16 à 19 communiquées par la société Optical Center à l'appui des conclusions signifiées le 7 février 2017 ;

RECTIFIER le jugement de la manière suivante

" dit qu'Optical Center ne rapporte la preuve d'aucun acte de concurrence déloyale personnellement imputable à Atol SA et déboute en conséquence Optical Center de ses demandes (...) ";

" déboute Optical Center de l'intégralité de ses demandes à l'encontre des sociétés Optique 2G, Optique Moderne sous enseigne Atol Les Opticiens et Optique du Lac " ;

" condamne Optical Center aux entiers dépens ".

A titre principal

CONFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 20 octobre 2016 en ce qu'il a :

dit la notion d'unité économique inapplicable au cas d'espèce entre la coopérative Atol SA et ses adhérents commerçants indépendants, de même que la théorie de l'apparence et de celle de la confusion des patrimoines ;

dit que les adhérents du réseau ne sont pas des filiales d'Atol SA, de sorte que la théorie de l'imputabilité à la mère de la responsabilité des agissements de sa filiale est inopérante ;

dit que Atol SA ne s'est pas immiscée dans la gestion des commerçants indépendants adhérant à la coopérative ;

dit que les actions préventives et d'informations développées par Atol SA contre la pratique des arrangements de facture excluent toute négligence fautive ;

dit que la société Optical Center ne rapporte la preuve d'aucun acte de concurrence déloyale personnellement imputable à la société Atol SA et déboute en conséquence Optical Center de l'ensemble de ses demandes ;

condamné Optical Center aux entiers dépens ;

A titre subsidiaire

DIRE ET JUGER que les enquêtes médias et les déclarations sur lesquelles repose l'action de la société Optical Center ne visent ni ne mentionnent la société Atol SA ou même l'enseigne Atol ou des magasins du réseau Atol, et que ces éléments doivent être écartés des débats ;

DIRE ET JUGER que l'action de la société Optical Center ne peut pas reposer sur des attestations de salariés d'Optical Center, et que ces éléments doivent être écartés des débats ;

DIRE ET JUGER que les témoignages de " clients mystère " communiqués par la société Optical Center constituent des modes de preuve déloyaux qui ne sont pas admissibles à titre de preuve et doivent être écartés des débats ;

En conséquence :

DÉBOUTER la société Optical Center de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de la société Atol SA ;

A titre très subsidiaire :

DIRE ET JUGER que des arrangements de facture de complaisance ont été relevés dans le réseau d'Optical Center et que Les Opticiens en cause font encore partie du réseau Optical Center qui est dès lors mal fondé à agir en concurrence déloyale ;

En conséquence :

DÉBOUTER la société Optical Center de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de la société Atol SA ;

A titre infiniment subsidiaire :

DIRE ET JUGER que la condamnation d'Atol SA ne saurait être assise sur le chiffre d'affaires réalisé par l'ensemble des opticiens indépendants adhérant à la coopérative Atol ;

DIRE ET JUGER que la part des ventes qui est affectée par la pratique de l'arrangement de facture dans le réseau Optical Center doit être prise en compte dans le calcul du prétendu gain manqué de la société Optical Center;

DIRE ET JUGER qu'Optical Center ne peut subir un éventuel préjudice que dans les zones de chalandise où les enseignes Optical Center et Atol sont toutes les deux présentes et qu'il doit en être tenu compte dans le calcul du prétendu gain manqué de la société Optical Center ;

DIRE ET JUGER que la société Optical Center ne peut être personnellement indemnisée du manque à gagner éventuellement subi par ses franchisés ;

DIRE ET JUGER que les enseignes Atol et Optical Center sont des concurrents éloignés en matière de positionnement marketing et que le préjudice de la société Optical Center ne peut être constitué que par une perte de chance de réaliser des gains ;

En conséquence :

REJETER l'ensemble des demandes de réparation de la société Optical Center que ce soit au titre d'un prétendu préjudice matériel que moral ;

REJETER les demandes d'Optical Center au titre de la publication de l'arrêt à intervenir ;

A titre incident

INFIRMER le jugement du Tribunal de commerce du 20 octobre 2016 en ce qu'il a :

débouté Atol SA de ses demandes reconventionnelles en dommages et intérêts au titre de la procédure abusive et de la concurrence déloyale ;

débouté Atol SA de sa demande de publication judiciaire ;

condamné Optical Center sous enseigne Atol Les Opticiens à payer, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à Atol SA la somme de 20 000 euros ;

En conséquence :

DIRE ET JUGER qu'en insinuant depuis plus de dix ans que la société Atol SA fait l'objet d'une action en justice pour " fraude à la mutuelle " alors que cette action n'avait donné lieu à aucune décision définitive, la société Optical Center s'est livrée à des actes de dénigrement, à l'encontre de la société Atol SA, constitutifs d'une concurrence déloyale ;

DIRE ET JUGER que la société Optical Center a abusé de son droit d'agir en justice ;

CONDAMNER la société Optical Center à verser à la société Atol SA la somme de 2 000 000 euros pour concurrence déloyale ;

CONDAMNER la société Optical Center à verser à la société Atol SA la somme de 1 000 000 euros pour procédure abusive ;

ORDONNER la publication de la décision à intervenir, aux frais avancés de la société Optical Center, dans 3 quotidiens nationaux et 3 revues spécialisées, au choix et à l'initiative de la société Atol SA sans que le coût ne puisse excéder la somme de 25 000 euros hors taxes, et sur la page d'accueil du site internet d'Optical Center accessible en France, dans un encadré de couleur rouge sur fond blanc figurant sur le 1er écran de la page d'accueil, en police de caractère de taille 13, pour une durée minimum de trois mois ;

CONDAMNER la société Optical Center à payer à Atol SA la somme de 150 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais qu'Atol SA a engagé dans le cadre de la procédure de première instance ;

En tout état de cause :

CONDAMNER la société Optical Center à verser à la société Atol SA la somme de 120 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais qu'Atol SA a engagé dans le cadre de la procédure d'appel ;

CONDAMNER la société Optical Center aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue Paris-Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières écritures signifiées le 21 novembre 2017 par lesquelles l'Eurl Optique du Lac, l'Eurl JMB, la société Optique Moderne, exerçant sous l'enseigne Atol Les Opticiens et l'Eurl Optique 2G exerçant sous l'enseigne Atol Les Opticiens demandent à la cour de :

Vu l'article 1240 du Code civil,

Vu l'article 700 du Code de procédure civile,

(1) Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre en date du 20 octobre 2016 en ce qu'il a débouté la société Optical Center de l'intégralité de ses demandes à l'encontre des sociétés Optique du Lac, Optique Moderne et Optique 2G et condamné la société Optical Center aux entiers dépens au motif qu'il a été parfaitement démontré :

A titre principal :

- Que les éléments apportés par Optical Center à titre de preuve à l'encontre des sociétés Optique du Lac, Optique Moderne et Optique 2G sont irrecevables,

- L'absence de preuve à l'encontre de JMB compte tenu de la rétraction de l'ordonnance ayant autorisé le constat d'huissier de justice du 14 novembre 2007,

- L'absence de preuve d'aucun acte de concurrence déloyale imputable aux sociétés Optique du Lac, JMB, Optique Moderne et Optique 2G.

A titre subsidiaire :

- que les pratiques relevées sont isolées et le préjudice allégué par Optical Center n'est pas démontré.

En tout état de cause :

- que le préjudice allégué par la société Optical Center n'était pas démontré.

(2) A titre incident :

CONDAMNER la société Optical Center à payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à chacun des Opticiens défendeurs c'est-à-dire aux sociétés :

o Optique du Lac,

o JMB,

o Optique Moderne

o et Optique 2G.

Débouter la Société Optical Center de l'ensemble de ses demandes, et la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Franck L., Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par les parties et au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le rejet des pièces 16 à 19 communiquées par la société Optical Center :

La société Atol SA demande à la cour de rejeter les pièces n°16 à 19 que la société Optical Center communique dans ses conclusions signifiées le 7 février 2017 pour être des procès-verbaux d'huissier de justice obtenus en exécution d'ordonnances sur requête ayant été rétractées.

Mais la cour fait le constat que les dites pièces ont été cancelées par la société Optical Center dans le bordereau des pièces communiquées figurant au pied de ses dernières conclusions du 6 décembre 2017, de sorte qu'elles ne sauraient être évoquées par la cour.

Sur la rectification du dispositif du jugement entrepris :

Avant même de se prononcer sur le fond du litige, la cour, à la demande de la société Atol SA, ne peut que rectifier le dispositif du jugement entrepris en ce qu'il a mentionné la société Optical Center comme exerçant sous l'enseigne Atol Les Opticiens, ce qui constitue une erreur matérielle manifeste.

Sur les actes de concurrence déloyale imputés à la société Atol SA :

Pour voir infirmer le jugement entrepris et la société Atol SA condamnée pour agissements déloyaux, la société Optical Center lui reproche de pratiquer, dans son réseau, de fausses factures, visant à augmenter le prix des verres correctifs et minorer celui des montures de lunettes pour que la prise en charge mutualiste des remboursements soit à son maximum et le reste à charge supporté par le patient le plus minime possible ou bien encore à faussement déclarer des lunettes cassées, ce qui serait de nature à attirer la clientèle à son profit, au détriment de ses concurrents.

Elle entend étayer ses allégations par des attestations de clients mystère, antérieures à l'assignation, telles celles d'Emmanuel Biennier pour un achat à Valence (26000) le 21 septembre 2007 de verres blancs et solaires cumulés, de Sébastien B. pour un achat à Paris 12ème (commerce exploité par la société Optique 2 G) le 22 septembre 2007 de verres de vue et d'une paire de lunettes solaire cumulés, de Davis B. pour un achat à Chalons-en-Champagne (commerce exploité par la société Optique Guillaume, devenue Optique Moderne) le 20 septembre 2007 d'une paire de lunettes de vue cumulée à une paire de lunettes solaire pour son épouse.

La société Optical Center produit également des attestations postérieures à l'assignation, pour des faits de même nature que ceux rapportés précédemment, telles celles de Solange B. pour un achat effectué le 7 mai 2008 à Créteil (société Optique du Lac), de Marine C. pour un achat effectué le 24 janvier 2009 à Valence, de Delphine D. pour un achat effectué le 7 septembre 2009 à Lille, de Marina G. pour un achat effectué le 18 juillet 2011 à Bordeaux, Sofie D. pour un achat effectué le 6 août 2011 à Marseille (seuls des documents relatifs à cet achat étant produits), de Catherine K. pour un achat effectué le 20 octobre 2011 à Belfort et un autre le 22 novembre 2011 à Montbéliard, de Pascal H. pour un achat effectué le 19 janvier 2013 à Gentilly, de Marie-Noëlle Le Glou pour un achat effectué le 25 janvier 2013 à Villemonble, de Célia L. pour un achat effectué le 29 janvier 2013 à Créteil, de Nathalie C. pour un achat effectué le 20 août 2013 à Quimper, de Murielle D. pour un achat effectué le 5 mars 2013 à Neuilly sur Seine, de Pierre N. pour un achat effectué le 3 avril 2015 à Lyon, de Tiphaine L. pour un achat effectué le 4 juin 2015 à Créteil.

Elle soutient que ces attestations sont conformes aux exigences légales pour être débattues contradictoirement au cours de l'instance et n'utiliser aucun stratagème, traquenard, ni violer la vie privée, précisant que pour les visites mystères effectuées après l'assignation, elle a eu recours aux services de la société Qualivox, spécialisée dans les études marketing et le mystery shopping au travers de contrats de prestation de service des 15 janvier 2009 et 21 décembre 2012, mis aux débats ainsi que le briefing des clients mystère qui leur préconise de ne pas demander l'arrangement au commerçant testé, mais de lui laisser l'initiative de le proposer.

La société Optical Center produit, en outre, plus d'une trentaine d'attestations de ses salariés en boutique, faisant état d'une perte de clientèle à son détriment par refus des arrangements qu'elle dénonce comme étant pratiqués dans le réseau Atol.

Par la production de plusieurs coupures de presse ou d'extraits de reportages, elle ajoute que les médias ont donné un large écho à la pratique répandue de la fausse facturation par les opticiens, qu'elle qualifie de fraude à la sécurité sociale et d'abus de confiance à l'égard des mutuelles, constituant des infractions pénales.

Affirmant que les pratiques commerciales du groupe Atol sont unifiées et organisées au plus haut niveau, au travers des moyens de communication informatique, des formations et du contrôle exercé sur les chiffres, la société Optical Center considère que la société Atol SA est l'animatrice de ce réseau, dont l'interdépendance des sociétés le constitue en une entité économique unique, malgré son statut de société coopérative, ses statuts prévoyant notamment la fourniture à ses associés de tous produits, services et équipements nécessaires à leur profession, la fourniture à ses associés d'une assistance en matière de gestion technique, financière et comptable et toutes activités complémentaires, particulièrement la prise de participation dans toute entreprise et de reprendre les dispositions de l'article L. 124-1 du Code de commerce qui mentionne explicitement la définition et la mise en œuvre par tous moyens d'une politique commerciale commune propre à assurer le développement et l'activité de ses associés.

Soulignant la fiction de l'indépendance juridique alléguée des personnes constituant un groupe, la société Optical Center reproche à la société Atol SA ses agissements déloyaux, à tout le moins sa complaisance fautive face aux agissements frauduleux qu'elle dénonce de la part des adhérents à son réseau.

La société Atol SA, arguant de son statut de coopérative, se défend d'avoir réalisé des arrangements de factures, lesquels, s'ils étaient avérés, seraient le fait de commerçants indépendants, qui ne sont ni ses succursales, ni ses filiales. Elle fait en outre valoir les actions d'envergure, tant préventives que répressives qu'elle a mis en œuvre pour lutter contre de tels arrangements, excluant toute faute de sa part.

Elle rappelle que le droit de la responsabilité délictuelle exige la caractérisation d'une faute personnelle, qui n'est, en l'espèce pas établie, le fait d'autrui ne pouvant lui être reproché sans un fondement juridique le prévoyant expressément, les cas particuliers que la loi prévoit devant être strictement interprétés.

Elle entend voir écarter la notion d'unité économique qui ne lui est pas applicable, tout comme la théorie de l'apparence ou la confusion de patrimoines, qui n'est pas avérée et pointe la responsabilité de la SNC Atol Group que la société Optical Center entend mettre en œuvre, alors qu'elle ne l'a pas attraite dans la cause.

La société Atol SA souligne que la nature pénale des agissements dénoncés par la société Optical Center exclut toute imputabilité à faute à son endroit.

Elle se défend, en outre, de toute immixtion, supposant un acte positif de sa part, qui n'est pas caractérisé, alors que son activité se cantonne à concéder la marque Atol à ses adhérents et leur fournir une prestation de service logistique ou de communication, sans subordination juridique et sans détenir aucune participation au capital social de ses adhérents, cette indépendance de l'associé étant stipulée à l'article 4 du contrat d'adhésion au réseau, le traité de fusion entre les sociétés Atol SA et Atol Distribution rappelant, à cet égard que les adhérents coopérateurs sont des commerçants indépendants. Elle ajoute ne pas avoir accès aux documents établis par les opticiens, lesquels peuvent s'approvisionner hors réseau et fixer librement leurs prix.

La société Atol SA fait encore valoir qu'aucune faute autonome et distincte des agissements commis par des opticiens indépendants n'est caractérisée à son encontre. Elle affirme aussi avoir, dès 2007, informé les adhérents à son réseau quant à l'illicéité des arrangements de factures, en leur fournissant des affichettes, en rédigeant des articles sur ce sujet depuis mai 2006 dans la revue 12 dixièmes, interne au réseau, ce que corroborent plusieurs numéros mis aux débats et justifie encore de trois exclusions de son réseau en 2013, 2014 et 2016 pour des suspicions d'arrangements de factures.

À titre subsidiaire, la société Atol SA fait valoir que les attestations que la société Optical Center verse aux débats ne la mentionnent jamais, mais uniquement des opticiens indépendants, membres du réseau Atol, dénonçant, au surplus, le caractère déloyal de la preuve obtenue via des clients mystère dont elle pointe le manque d'impartialité dans le cadre de l'orchestration d'une provocation à l'infraction à laquelle la société Optical Center se serait livrée.

A cet égard, elle affirme que les attestations relatant des faits antérieurs à l'assignation émanent de personnes ayant eu des liens avec Marie-Laure C., alors directrice juridique de la société Optical Center et que les visiteurs mystère, salariés de la société Qualivox ne sont pas impartiaux.

Encore plus subsidiairement, la société Atol SA considère la société Optical Center mal fondée à agir en concurrence déloyale alors que des arrangements de factures ont été révélés dans son propre réseau.

Les agissements de concurrence déloyale que la société Optical Center dénonce à l'encontre de la société Atol SA se fondent exclusivement sur des attestations de clients dits mystère, soit directement dépêchés par elle, soit par l'intermédiaire de la société Qualivox auprès de plusieurs enseignes du réseau coopératif Atol.

Indépendamment des griefs formulés à l'encontre des attestations établies en 2007, émanant de personnes qui auraient pu avoir des liens avec la directrice juridique de la société Optical Center, celles rédigées par les clients mystère recrutés par la société Qualivox, dont il n'est pas argué qu'elle exerce un commerce illicite et qui a pris soin d'avertir ses salariés de ne pas provoquer aux agissements répréhensibles, ne sauraient être écartées au regard d'une prétendue déloyauté de la preuve, ces clients ayant effectué de réels achats, en présentant des ordonnances médicales dont la fausseté n'est pas alléguée, achats qui ont mis au jour des pratiques de factures insincères visant à une prise en charge faussée par l'assurance maladie ou les mutuelles du coût des verres et montures de lunettes, ce qui constitue autant de faits pénalement répréhensibles, qui ne peuvent ressortir que du fait personnel des personnes qui s'y sont livrés et en aucun cas d'un tiers, tel la société Atol SA, dont les éléments mis aux débats démontrent qu'elle n'a eu aucune passivité fautive face à des agissements largement dénoncés par les médias, qui pourrait permettre à la cour de retenir une prétendue complicité de sa part.

Dès lors, le jugement entrepris se verra confirmé en ce qu'il a écarté toute responsabilité de la société Atol SA dans les faits de concurrence déloyale dénoncés par la société Optical Center, laquelle a justement été déboutée de toutes ses demandes de ce chef à l'encontre de cette société.

Sur les actes de concurrence déloyale imputés à l'Eurl Optique du Lac, l'Eurl Optique 2G et la société anonyme Optique moderne :

Comme en première instance, la société Optical Center entend également poursuivre en concurrence déloyale l'Eurl Optique du Lac, l'Eurl Optique 2G et la société anonyme Optique moderne, toutes trois exerçant sous l'enseigne Atol Les Opticiens, sans articuler de moyens spécifiques les concernant, leur reprochant les mêmes agissements délictueux qu'à la société Atol SA.

Fortes de ce constat, ces trois sociétés entendent voir écartés par la cour des moyens de preuve qu'elles estiment irrecevables, ayant été obtenus par provocation.

Sur les éléments communs qui leur sont opposés, elles font valoir, d'une part, que les attestations des salariés de la société Optical Center se contentent de formulations générales visant la concurrence sans les nommer, d'autre part, que les déclarations des mutuelles, particulièrement celles du groupement Santéclair et de sa directrice, Marianne B., si elles évoquent la fraude, ne les mettent pas particulièrement en cause et, de troisième part, que les enquêtes médias produites par la société Optical Center ne les incriminent pas davantage.

Elles accusent la société Optical Center de pratiquer elle-même la fraude dans son réseau.

Comme la société Atol SA, elles mettent par ailleurs en avant la provocation à la preuve que la société Optical Center aurait mise en place avec de faux consommateurs, qui n'auraient pas adopté le comportement de consommateurs évoluant dans un contexte commercial courant, usant d'un stratagème pensé et organisé avec minutie, visé dans le briefing de la société Qualivox mis aux débats.

Mais la cour a déjà validé la pratique des clients mystère telle qu'opérée en l'espèce, en relevant que le briefing délivré par la société Qualivox avertissait expressément ses salariés de ne pas demander d'arrangement et donc de ne pas provoquer le comportement de l'opticien, la plupart des attestations démontrant que la proposition a été formulée spontanément par ce professionnel.

S'agissant des faits reprochés à l'Eurl Optique du Lac, à Créteil, le tribunal a justement écarté l'attestation de Solange S., épouse B. pour les faits du 7 mai 2008, alors qu'elle-même y déclare avoir agi pour rendre service à Marie-Laure C., dont il n'est pas contesté qu'elle était alors directrice juridique de la société Optical Center, ce qui est de nature à mettre son indépendance en cause.

Deux autres attestations sont mises aux débats la concernant : celles de Célia L., pour un achat effectué le 29 janvier 2013 et celle de Tiphaine L. pour un achat effectué le 4 juin 2015. Ces deux attestations de clients mystère établissent la fraude. Le tribunal n'a toutefois pas retenu de condamnation à l'encontre de l'Eurl Optique du Lac en considération d'actes isolés, insuffisants pour caractériser, selon lui, une pratique volontaire et organisée de détournement de clientèle.

Si de tels agissements, intervenus à plus de deux ans d'intervalle dans le même point de vente laissent envisager qu'ils ne sont pas isolés mais constituent une pratique frauduleuse courante, force est cependant de constater que la société Optical Center ne fournit aucune méthode de calcul de son préjudice, ne vise pas les sociétés de son groupe implantées en proximité de l'Eurl Optique du Lac, ni leurs comptes et n'établit pas que la perte éventuelle de clientèle que ces agissements ont pu générer lui ait directement préjudicié, d'autres opticiens de réseau ou indépendants ayant pu se trouver dans le périmètre de chalandise visé et souffrir de ces agissements ou, par ailleurs, en être à l'origine.

Par substitution de motifs, le préjudice de la société Optical Center n'étant pas établi, la cour confirmera donc l'absence de condamnation de l'Eurl Optique du Lac, décidée par le tribunal.

En ce qui concerne les faits reprochés à la société Optique Moderne, à Chalons-en-Champagne, la société Optical Center produit la seule attestation de David B., pour un achat effectué le 20 septembre 2007, mais le rapprochement de sa pièce d'identité avec celle de Solange S., épouse B. montre qu'ils ont déclaré la même adresse, au 8 rue de la croix à Metz, ce qui accrédite le fait qu'il est l'époux de celle-ci et donc en proximité avec Marie-Laure C., alors directrice juridique de la société Optical Center, et remet en cause son indépendance par rapport à l'appelante.

Confirmant le jugement sur ce point, la cour écartera donc toute responsabilité de la société Optique Moderne dans les agissements déloyaux qui lui sont imputés à faute.

Enfin, à propos des faits reprochés à l'Eurl Optique 2 G, à Paris 12ème, la société Optical Center produit la seule attestation de Sébastien B., pour un achat effectué le 22 septembre 2007, mais il n'est pas contesté qu'il est l'époux de Gwenaëlle P., dont le rapprochement des pièces d'identité montre qu'ils déclarent tous deux demeurer 4-6 rue du demi-cercle à Montreuil, laquelle Gwenaëlle B., apparaît sur un extrait du site Internet copains davant mis aux débats, comme étant amie de Marie-Laure C., alors directrice juridique de la société Optical Center, ce qui remet en cause l'indépendance de l'attestant par rapport à l'appelante.

Confirmant le jugement sur ce point, la cour écartera donc toute responsabilité de l'Eurl Optique 2 G dans les agissements déloyaux qui lui sont imputés à faute.

Sur la demande reconventionnelle de la société Atol SA au titre du dénigrement :

Déboutée en première instance de sa demande indemnitaire à l'encontre de la société Optical Center au titre du dénigrement, la société Atol SA la maintient en cause d'appel à hauteur de 2 000 000 euros, outre une demande de publicité de la décision.

Elle fait valoir que la société Optical Center a insinué dans les médias pendant 8 ans qu'Atol SA avait fait l'objet d'une action en justice alors que cette action n'avait pas encore donné lieu à une décision.

Mais la société Optical Center lui oppose justement qu'à l'appui de ses dires, elle produit un seul article du magazine l'Opticien, daté du 30 mai 2008, qui écrit qu'elle annonce une offensive judiciaire pour la rentrée, douze enseignes et de nombreux indépendants ayant été visités, sans nommer expressément la société Atol SA. Y sont adjoints un extrait du site d'Europe 1 du 6 novembre 2015 informant laconiquement du fait que la société Optical Center a, notamment, agi contre la société Atol SA, sans lui prêter la paternité de cette information, et un autre du site du magazine Challenges du 10 juillet 2017 se contentant de relayer l'information de décisions de justice rendues et donc publiques, notamment du débouté de la société Optical Center à l'encontre de la société Atol SA en première instance, l'article étant intitulé : Fraude à la mutuelle, Optical Center range les armes.

Ces seuls éléments à caractère informatif, reflets de la presse économique, ne sont pas de nature à caractériser le dénigrement dont la société Atol SA se prévaut et c'est donc à bon droit que le tribunal l'a déboutée de sa demande de ce chef et de sa demande subséquente de publication de la décision, ce que la cour confirme.

Sur le caractère abusif de la procédure :

La société Atol SA forme une demande indemnitaire à hauteur de 1 000 000 euros à l'encontre de la société Optical Center pour procédure abusive.

L'article 32-1 du Code de procédure civile édicte que : Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Le droit d'ester en justice ne trouve sa limite que dans l'abus fait de celui-ci, avec malice, mauvaise foi ou bien lorsqu'il résulte d'une erreur équipollente au dol.

En l'espèce, la société Atol SA ne caractérise pas de la part de la société Optical Center, qui a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits en ayant mis au jour des faits délictueux, dont il s'avère, au travers des articles de presse mis aux débats, qu'ils sont largement répandus dans la profession, des agissements constitutifs d'un abus de droit.

La société Atol SA verra donc rejetée sa demande de dommages et intérêts formulée de ce chef, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.