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Décisions

CA Chambéry, 2e ch., 1 mars 2018, n° 17-00091

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Damart Serviposte (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thomassin

Conseillers :

MM. Madinier, Le Nail

TGI Chambery, du 5 déc. 2016

5 décembre 2016

Faits, procédure et prétentions des parties :

Madame X, née en novembre 1927, et âgée de 90 ans, veuve, réside au foyer Z à Chambéry où elle a reçu différentes sollicitations la conduisant, malgré une retraite modeste, à acheter de nombreux équipements et objets souvent inutiles. Elle a été placée sous curatelle simple confiée à Monsieur X.

Sur autorisation judiciaire, les consorts X ont fait constater par huissier de justice, le 26 mars 2014, l'importance de promesses de gains, ventes à distance, des objets commandés par Madame X.

Ils ont par la suite saisi le Tribunal de grande instance de Chambéry pour obtenir condamnation des sociétés Natura Cosmetic, Damart Serviposte, Global Mail Concept à payer à Madame X, sur le fondement de la responsabilité quasi contractuelle, des sommes équivalentes aux promesses de gain formulées.

Le juge de la mise en état, par ordonnance du 8 septembre 2015 a déclaré la juridiction incompétente pour statuer sur le litige concernant la société Natura Cosmetic et la Sasu Global mail Concept relevant de la juridiction de Grasse, disjoint les procédures en conservant le volet du litige concernant la société Damart Serviposte.

Par jugement du 5 décembre 2016, le Tribunal de grande instance de Chambéry a :

- déclaré non fondées les demandes formées par les consorts X,

- condamné Madame X et son curateur, Monsieur X à payer à la société Damart Serviposte la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens d'instance.

Il retenait que l'information avait été donnée de ce que Madame X ne pouvait se considérer comme gagnante de la somme à réception des documents, car il s'agissait du premier prix, et le volet accompagnant la lettre s'il la désignait gagnante, ne lui indiquait pas que c'était du premier prix.

Madame X a fait appel de la décision par déclaration au greffe en date du 13 janvier 2017.

Ses moyens et prétentions sont exposés dans des conclusions du 13 avril 2017, elle demande à la cour de :

- infirmer la décision en toutes ses dispositions,

- juger que les démarches de promesse de gains par la société Damart Serviposte constituent des pratiques commerciales trompeuses au sens des articles L. 120-1 et L. 121-1 du Code de la consommation,

- retenir sa responsabilité quasi contractuelle par l'engagement non équivoque d'attribuer les lots, sans mettre en évidence l'aléa existant,

- condamner la société Damart Serviposte à lui payer la somme de 7 000 € conformément à la promesse de gain du 25 juin 2013 et 7 500 € conformément à la promesse de gain du 25 juin 2012, avec intérêts à compter de l'assignation, le 21 janvier 2015,

- condamner la société Damart Serviposte à lui payer 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle expose trois conditions, selon la jurisprudence, pour qu'un organisateur de loterie publicitaire voie sa responsabilité engagée :

- engagement d'attribuer un lot à une personne dénommée,

- absence ou insuffisance de mise en évidence de l'aléa dans l'obtention du lot,

- croyance du consommateur en l'existence du gain.

Elle indique avoir été obnubilée par la croyance des gains promis, conséquence de l'altération de ses capacités de discernement. Démarchée depuis quelques années par des sociétés de démarchage et de vente à distance, âgée de 89 ans, et veuve, elle a passé de nombreuses commandes pensant en contrepartie gagner un chèque de valeur importante. Signant 4 à 6 chèques par jour, sans sortir de la maison de retraite, elle aurait en un an, dépensé la somme de 1 158,28 € auprès de la société Damart Serviposte, croyant ainsi accéder aux gains promis. Madame X évoque en particulier une jurisprudence de la Cour de cassation en date du 10 juillet 2013, pour une espèce où la confusion avait été créée entre le " règlement " d'un prix gagné et le " règlement " du jeu, qu'une première lecture, en raison de l'utilisation de caractères d'imprimerie beaucoup plus petits, ne permettait pas de dissiper.

Ses moyens et prétentions étant exposés dans des conclusions en date du 9 juin 2017, la société Damart Serviposte demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- condamner solidairement Madame X et Monsieur X, curateur, à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle conteste les pratiques commerciales trompeuses qu'on insinue pour la discréditer et s'oppose à toutes les prétentions de son adversaire procédural. Les promesses de gains ne sont qu'une présentation attractive d'un tirage au sort mais l'aléa est visible par toute personne normalement diligente. De plus, il existait pour l'ensemble des gagnants destinataires des chèques de montant variable de 3 € pouvant être portés à 15 € en cas d'achat, tandis que l'identité du grand gagnant, pour le jeu à 7 000 € restait ignoré jusqu'à la clôture du jeu, même de la société Damart Serviposte. L'aléa de l'opération consistait entre tous les gagnants à se voir attribuer un chèque de 7 000 €, à savoir le premier prix attribué à " la grande gagnante " ou un chèque de 3 €.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 13 novembre 2017.

Motivation de la décision :

L'article L. 121-36 du Code de la consommation en sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 14 mars 2016, qui l'a abrogé dispose que " les pratiques commerciales mises en œuvre par les professionnels à l'égard des consommateurs, sous la forme d'opérations promotionnelles tendant à l'attribution d'un gain ou d'un avantage de toute nature par la voie d'un tirage au sort, quelles qu'en soient les modalités, ou par l'intervention d'un élément aléatoire, sont licites dès lors qu'elles ne sont pas déloyales au sens de l'article L. 120 ".

Aux termes de l'article L. 120-1 du Code de la consommation, applicable au dossier " les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère, ou est susceptible d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.

Le caractère déloyal d'une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d'une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s'apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe.

Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-1 et L. 121-1-1 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 122-11 et L. 122-11-13. "

Selon l'ancien article L. 121-1-1 du Code de la consommation, en ses dispositions susceptibles de s'appliquer au présent litige, se rattachant non pas aux caractéristiques du produit acheté ou proposé mais à l'organisation de loteries, jeux de hasard, sont réputées trompeuses au sens de l'article L. 121-1 les pratiques commerciales qui ont pour objet :

" 15° D'affirmer d'un produit ou d'un service qu'il augmente les chances de gagner aux jeux de hasard ;

18° D'affirmer, dans le cadre d'une pratique commerciale, qu'un concours est organisé ou qu'un prix peut être gagné sans attribuer les prix décrits ou un équivalent raisonnable ... "

Dans ses conclusions, Madame X rappelle aussi les dispositions applicables aux pratiques commerciales agressives. Il en sera rappelé la réglementation.

Selon l'article L. 122-11-1 du Code de la consommation, en sa rédaction applicable à l'époque des faits, sont réputées agressives au sens de l'article L. 122-11 ... les pratiques commerciales qui ont pour objet :

8° De donner l'impression que le consommateur a déjà gagné, gagnera ou gagnera en accomplissant tel acte un prix ou un autre avantage équivalent, alors que, en fait :

- soit il n'existe pas de prix ou autre avantage équivalent ;

- soit l'accomplissement d'une action en rapport avec la demande du prix ou autre avantage équivalent est subordonné à l'obligation pour le consommateur de verser de l'argent ou de supporter un coût.

De plus, par référence aux quasi-contrats, et sur la base de l'article 1371 du Code civil, l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige par ce fait, purement volontaire, à le délivrer.

Il sera en préalable souligné que les courriers adressés par la société Damart Serviposte ne sont pas ciblés particulièrement, au sens de l'article L. 120-1 du Code de la consommation, sur une catégorie particulière de population, de personnes vulnérables qui auraient justifié, comme le soutient Madame X dans ses écritures, d'une appréciation plus exigeante de la capacité de compréhension du lecteur. Aucun élément du dossier ne met en évidence que les destinataires avaient été choisis pour leur vulnérabilité ou que Madame X ait été connue par cette entreprise, Damart Serviposte, comme placée sous régime de protection et donc plus fragile. Ainsi la critique adressée au juge de première instance de n'avoir pas pris en compte l'altération non contestable des facultés de discernement de Madame X, ne peut être admise. L'appréciation doit se faire en considération d'un destinataire, lecteur normalement diligent et éclairé, d'une capacité intellectuelle moyenne par référence à la population.

Il n'est pas remis en cause qu'alertée le 24 septembre 2013 par LRAR sur les difficultés de Madame X, par sa fille Josette X, la société Damart Serviposte a alors cessé ses envois à cette cliente, qui, a été placée sous curatelle simple, mais par décision postérieure, en date du 16 juin 2014.

En ce sens, la société Damart Servipost, si elle admet que ses produits sont majoritairement vendus à des femmes, et peut être par leur nature, à des femmes âgées, l'entreprise ayant fait sa réputation par la vente de vêtements efficaces contre le froid et confortables, souligne à juste titre, que son catalogue comporte des pages intéressant les hommes également.

Il doit aussi être relevé que les participations à ces loteries étaient gratuites et sans contrepartie imposée, puisqu'il était mentionné sur les documents " les clients peuvent renvoyer leur bon de participation sans commander, les chances de gagner avec ou sans commande sont identiques ". Les éléments d'une pratique commerciale agressive ne sont pas démontrés au dossier.

Dans un courrier daté du 25 juin 2012 (pièce 24), avec un vocabulaire certes attractif, et même volontairement plein d'emphase, s'agissant en réalité, pour la plupart des destinataires de gagner un chèque de 1 ou 2 €, il est indiqué à Madame X, qu'elle est " gagnante certifiée ", que le contenu du message est " confidentiel, ... strictement personnel ... " contient des informations " de la plus haute importance " et que pour procéder à la " transaction financière " il convient qu'elle respecte " soigneusement la procédure sécurisée " en prenant garde à ne communiquer " son numéro confidentiel de transaction... à aucun tiers ", ces " consignes ... étant l'assurance d'une transaction financière réalisée en toute sécurité... ". Mais la lecture normalement diligente, de ce type de courrier, régulièrement trouvé dans les boites aux lettres, permet sur le " document officiel de versement " de deux chèques bancaires, de lire distinctement, sur un bandeau bleu en bas de page, qu'il existe certes des chèques de 5 000 €, de 2 500 € mais aussi de 1 et 2 euros et que la valeur de 7 500 € est " une valeur potentielle maximale ". De même l'attestation d'un huissier de justice, traditionnellement et malheureusement associé à ces courriers prometteurs, vise l'émission de deux chèques bancaires " correspondant donc potentiellement au premier prix ". Le règlement du jeu, indique en son 3/ ou 4/ selon les jeux " aucun destinataire ne peut à réception des documents, avoir la certitude quant aux montants des deux chèques qui lui reviennent. "

Par un nouvel envoi du 25 juin 2013, la société Damart Serviposte par un bon de participation, accompagné d'un fac-similé de chèque, d'un montant de 7 000 € émis à son ordre, lui indiquait comme " cliente participante " qu'elle était " gagnante au grand tirage n° 1400 " et qu'existait un chèque à son profit, qu'une astérisque lui précisait, certes en caractères réduits mais parfaitement lisibles, que selon inventaire, il existait un chèque bancaire de 7 000 € et des chèques de 3 euros.

Il ressort de l'ensemble de ces écrits que la société Damart Servipost n'avait aucun engagement de verser le premier prix à Madame X, et qu'une lecture normalement diligente mettait en évidence le caractère aléatoire du gain, en tout cas en son montant, puisque certes des chèques d'un montant conséquent existaient pour la " grande gagnante ", au nombre de trois sur les deux loteries, de 5 000 €, 2 500 € et 7 000 € mais que la plupart des gagnants seraient destinataires de chèques de 1, 2, ou 3 € passant à 15 € en cas de commande, ce que des mentions en bas de page mais néanmoins lisibles, permettaient de constater.

Les conditions de mise en jeu de la responsabilité de la société Damart Servipost ne sont pas réunies.

Le jugement de première instance sera donc confirmé, à l'exception toutefois, pour des raisons tirées de l'équité, des frais irrépétibles. Il ne sera pas fait application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La partie perdante supporte les dépens, ils seront à la charge de Madame X qui succombe en toutes ses prétentions.

Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la Loi, statuant publiquement et contradictoirement, confirme le jugement déféré, en date du 5 décembre 2016, sauf en ce qui concerne les frais irrépétibles, Statuant à nouveau et y ajoutant, dit n'y avoir lieu à frais irrépétibles en première instance et en appel, condamne Madame X aux entiers dépens.