CA Lyon, 3e ch. A, 8 mars 2018, n° 16-09185
LYON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
JBC (SARL)
Défendeur :
Manufacturas Gre (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Esperbès
Conseillers :
Mme Homs, M. Bardoux
EXPOSE DU LITIGE
La société JBC SARL représentée par M. X exerce l'activité d'agent commercial.
Elle a été, de 2000 jusqu'au 7 janvier 2015 et pour la région Rhône-Alpes, l'agent commercial de la société de droit espagnol Manufacturas Gre dont l'activité est la fabrication et la commercialisation de piscines hors-sol ainsi que la commercialisation d'accessoires de piscine.
Le 7 janvier 2015, Manufacturas Gre a rompu la relation avec son agent pour faute grave, donc sans préavis ni indemnité, le grief étant constitué de la violation par ce dernier de ses obligations de loyauté et de non-concurrence du fait de sa représentation sans son accord de la société chinoise Bestway, concurrente.
Par lettre du 23 janvier 2015, la société JBC a pris acte de cette notification de rupture et a contesté formellement les motifs invoqués dès lors que les produits Bestway ne peuvent être qualifiés de produits concurrents et a mis en demeure Manufacturas Gre d'avoir à lui régler la somme de 16 800 à titre d'indemnité de préavis correspondant à trois mois de commissionnement ainsi que la somme de 134 400 à titre d'indemnité de clientèle correspondant à deux années de commissionnement.
En l'absence de réponse, JBC a assigné Manufacturas Gre devant le Tribunal de commerce de Lyon par actes des 5 et 23 juin 2015, en vue d'obtenir ces indemnités d'un total de 151 200 .
Par jugement du 12 décembre 2016, le tribunal a débouté JBC de ses demandes pour manquement de l'agent à son obligation de loyauté eu égard aux produits concurrents, en la condamnant à payer à Manufacturas Gre 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre entiers dépens.
Le 19 décembre 2016, JBC a interjeté appel de cette décision.
Par ses dernières conclusions du 11 juillet 2017 fondées notamment sur les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, la SARL JBC demande à la cour par voie de réformation :
- à titre principal, de juger :
- d'une part qu'au plan général, à l'époque de la rupture du contrat en janvier 2015, les produits de Manufacturas Gre n'ont pas été concurrencés par les produits de Bestway sur le territoire français, dès lors qu'il existait entre ces produits une absence d'identité de clientèle, de qualité, d'utilisation, de prix et d'image de marque telles que les deux catégories de produits relèvent de marchés distincts et sont non concurrentiels, - d'autre part, que s'agissant des seuls produits Bestway représentés par JBC à l'époque de la rupture du contrat en janvier 2015, ceux-ci ne sont pas concurrents des produits représentés pour le compte de Manufacturas Gre,
- de sorte que la rupture du contrat par cette dernière sans préavis ni indemnité (articles L. 134-11 et L. 134-12 du Code de Commerce) est fautive,
- subsidiairement, de juger :
- d'une part, que sa prospection commerciale accomplie pour les produits Bestway a généré un chiffre d'affaires infiniment moindre que celui dégagé par celle des produits Manufacturas Gre, de sorte que le caractère dérisoire d'une éventuelle concurrence entre les produits ne caractérise pas une faute d'une gravité telle qu'elle puisse justifier une rupture du contrat privative d'indemnité de clientèle,
- d'autre part, en toute hypothèse, que Manufacturas Gre, dans ses rapports avec ses agents commerciaux, n'a jamais fait de la représentation des produits Bestway un motif dirimant de rupture des relations contractuelles, et qu'au contraire, Manufacturas Gre a expressément admis la représentation de produits concurrents par certains de ses agents commerciaux, de sorte qu'elle ne peut prétendre avoir subi une faute d'une gravité telle qu'elle puisse justifier une rupture du contrat privative d'indemnité de clientèle,
- en conséquence :
- de juger que Manufacturas Gre n'était pas fondée à invoquer l'existence d'une faute grave et à se prévaloir de l'article 134-13 1er du Code de Commerce et qu'elle est, dès lors, redevable, au titre de la rupture du contrat :
* d'une indemnité de préavis de 16 800 correspondant à 3 mois de commissions sur la base d'un montant de 67 200 perçu en 2014,
* d'une indemnité compensatrice du préjudice subi de 134 400 correspondant à deux années de commissions calculées sur la même base,
- de condamner Manufacturas Gre à lui payer ces sommes, outre intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 23 janvier 2015,
- outre 5 000 de dommages-intérêts pour résistance abusive,
- 12 000 en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- avec charge des entiers dépens comprenant les frais de traduction.
Par ses conclusions du 10 juillet 2017, la société Manufacturas Gre sollicite :
- principalement, le débouté de JBC de toutes ses demandes et la confirmation du jugement en toute ses dispositions,
- reconventionnellement, la condamnation de JBC à lui verser 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- outre charge des entiers dépens.
Vu l'ordonnance de clôture du 14 novembre 2017.
SUR CE
L'article L. 134-3 du Code de commerce dispose que " L'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants. Toutefois, il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier. "
L'article L. 134-12 du même Code mentionne que " En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ", tandis que l'article L. 134-13 du même Code exclut notamment la réparation " si la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial. "
Sur la faute
L'obligation incombant à l'agent commercial d'absence de représentation de produits concurrents sans accord de l'autre mandant est corrélée à l'obligation de loyauté liant les parties, dans le cadre du contrat d'intérêt commun qu'est la convention d'agence commerciale.
En l'espèce, il résulte de l'examen des moyens et productions des parties que Manufacturas Gre échoue dans la preuve qui lui incombe.
En effet, il est constant que JBC a représenté sur son territoire des produits Bestway, durant les années 2013 et 2014 année précédant la rupture initiée par Manufacturas Gre le 7 janvier 2015, puisque son expert-comptable dans son attestation du 12 octobre 2015, comptabilise le montant des commissions Bestway pour 4 020,74 euros HT au titre de l'année 2013 et celui de 4 839,97 euros HT au titre de 2014.
Le grief de concurrence ne peut toutefois être reproché à JBC que s'il a représenté des produits Bestway venant en concurrence avec ceux de Manufacturas Gre, c'est-à-dire, ainsi que le définit l'expert M. K. dans son rapport amiable unilatéral versé au débat par Manufacturas Gre, des produits destinés aux mêmes consommateurs, montrés sur les mêmes réseaux de distribution, dans des plages de prix comparables pour des produits similaires ou comparables, et/ou des produits substituables.
L'analyse comparative opérée par M. K. des sites internet des deux marques, des catalogues de produits et des sites internet marchand des grandes surfaces, pour instructive qu'elle soit, est inopérante dès lors que cette analyse a été réalisée en avril 2016, c'est-à-dire plus d'une année après la rupture. Le rapport n'a donc pas pu considérer la période précédant la résiliation, au cours de laquelle Manufacturas Gre dit avoir constaté la concurrence alléguée.
De plus, cette analyse ne tient pas compte des produits Bestway effectivement commercialisés par JBC, dont Manufacturas Gre ne dit rien de précis. La lettre de rupture est taisante sur ce point.
Manufacturas Gre tient pour acquis que les faits de représentation reprochés sont parfaitement établis ou encore flagrants et déterminés, au motif que JBC ne nierait pas avoir représenté Bestway, ce qui est insuffisant à faire la preuve de faits concurrentiels. Si JBC admet avoir représenté des produits Bestway, en 2013 et 2014 comme dit précédemment, il les limite aux piscines hors sol à parois PVC telles que figurées dans sa pièce 17, ce sur quoi Manufacturas Gre n'apporte pas de preuve contraire.
Au demeurant, la production des catalogues des deux marques, inutile pour les années 2015 et 2016 postérieures aux faits reprochés sauf à voir l'évolution des gammes, permet pour les années 2013 et 2014 de constater que les produits de Manufacturas Gre sont des produits hauts de gamme, à savoir pour les piscines hors sol (hormis les piscines enterrées) essentiellement des piscines avec parois acier, tandis que les produits Bestway sont plus diversifiés et plus axés pour ce qui concerne les piscines sur des piscines hors sol constituées de piscines gonflables autoportantes ainsi que de piscines tubulaires, donc sans parois métalliques.
Contrairement à l'appréciation du premier juge, les deux marchés sont distincts. Aucun élément démontre que JBC a représenté des piscines hors sol concurrentes de celles représentées pour Manufacturas Gre, particulièrement des piscines rigides aux parois acier, constituant le produit essentiellement incriminé. Manufacturas Gre est aussi mal fondée à affirmer sans démonstration que toutes les piscines hors sol, souples ou rigides, autoportantes, tubulaires, acier, etc. sont des produits concurrents des piscines hors sol acier, ce qui est inexact en termes de clientèle visée.
JBC fait au contraire la preuve que sur la période incriminée 2013-2014 et en tous cas jusqu'à la rupture du 7 janvier 2015, il n'a pu représenter de piscine acier Bestway à l'époque des faits reprochés. Il produit utilement l'attestation émanant de M. P. du 10 mars 2016 et l'écrit rédigé par ce dernier à l'attention de Manufacturas Gre à la suite d'une réunion du 28 septembre 2016 nouvellement produit en cause d'appel.
Ces documents justifient de l'impossibilité pour JBC de concurrencer les produits Manufacturas Gre par suite de l'obligation contractée par M. P. - représentant des produits Bestway en France - à l'égard de Manufacturas Gre en 2013 lors de la cession par ce dernier de la société de droit français Gre Pools au groupe Manufacturas Gre. Lors de cette cession, M. P. qui était directeur commercial de Bestway depuis fin 2013 était tenu d'une obligation contractuelle de non-concurrence attachée aux seules piscines parois acier, ce qui interdisait jusqu'à l'expiration de la période visée par la clause à savoir avril 2015, la commercialisation en France de piscines parois acier Bestway, et donc la représentation de tels produits.
Manufacturas Gre n'est pas fondée à soutenir, pour contester ces écrits, le caractère autonome de l'obligation de non-concurrence imposée à M. P. par rapport à l'obligation de loyauté incombant à JBC.
Ces écrits ne sont pas plus contredits par l'attestation de M. Piera L. produite par Manufacturas Gre laquelle ne vise non plus à l'égard de M. P. aucun fait précis de concurrence.
A noter que les autres attestations versées au débat par les parties, non circonstanciées, sont jugées inopérantes, en raison de leur contradiction avec des témoignages opposés par l'autre partie ou des liens économiques des témoins avec Manufacturas Gre.
Par voie de conséquence, la preuve de la représentation par JBC de produits concurrents à Manufacturas Gre, ou d'autre fait contraire à la loyauté, manque aux débats.
Par ailleurs, JBC affine à bon droit son analyse de l'exacte situation de non-concurrence, en soutenant, ce dont il atteste par l'écrit de son expert-comptable déjà visé, que son chiffre d'affaires apporté par les produits Bestway était sans proportion (8 %) avec celui résultant de la représentation des produits de Manufacturas Gre.
A supposer même que les faits de concurrence aient été établis, ce qui n'est pas avéré, cette disproportion leur enlevait le caractère de gravité qui seul pouvait légitimer la brusque rupture subie par JBC.
Sur la réparation
L'indemnité de cessation de contrat a pour objet de réparer le préjudice subi par l'agent commercial, ce qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties.
JBC calcule l'indemnité de préavis et l'indemnité compensatrice qu'il sollicite sur la base des commissions perçues en 2014, année complète précédant la rupture.
L'application du principe visé ci-dessus et l'usage constant appliqué par le juge conduit à prendre plutôt pour référence la moyenne des trois années antérieures 2012, 2013 et 2014, chiffrée par Manufacturas Gre sans contestation de l'appelant à la somme de 54 690,74 relevée d'après les factures de commissions communiquées par celle-ci.
Il sera alloué en conséquence à JBC une indemnité de préavis de 13 672,68 correspondant à 3 mois de commissions.
Quant à l'indemnité de clientèle, qui ne peut être impactée par l'affirmation de JCB non étayée par des documents probants selon laquelle la rupture l'a privée du 1/4 de son chiffre d'affaires, elle sera majorée par rapport aux principes ci-dessus pour tenir compte, ce qui n'est pas discuté par l'intimée, du fait que JBC a créé la clientèle prospectée à partir de l'an 2000, date de ses premières factures de commissions, avec un chiffre d'affaires nul qui s'est vu porté en 2014 à 1,4 millions d'euros.
L'indemnité compensatrice, qui se chiffre à 109 381 correspondant à deux années de commissions, est donc portée à 120 000 euros pour tenir compte de ce préjudice complémentaire.
Les intérêts au taux légal sont dus à compter du prononcé du présent arrêt s'agissant d'une créance indemnitaire.
Sur les dommages-intérêts
JBC ne démontre aucun fait susceptible d'être retenu contre Manufacturas Gre pouvant caractériser un abus dans la contestation des demandes formées par l'appelante.
La demande de cette dernière en dommages-intérêts pour résistance abusive est rejetée.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens
Il est fait application de la disposition sus-visée au profit de JBC et à la charge de Manufacturas Gre qui supportera en outre les entiers dépens, hors tous frais de traduction non justifiés et non judiciaires qui en tous cas ne figurent pas dans la liste de l'article 695 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré, sauf sur le rejet de la demande de JBC en dommages-intérêts pour résistance abusive de la part de Manufacturas Gre, Statuant à nouveau sur le surplus, Juge l'absence de faute grave de la part de JBC susceptible de fonder la rupture sans préavis ni indemnité du contrat d'agent commercial, En conséquence, condamne Manufacturas Gre à verser à JBC pour rupture abusive du contrat : - l'indemnité de préavis de 13 672,68 , - l'indemnité de réparation de préjudice de 120 000 , - avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt, Y ajoutant, Condamne Manufacturas Gre à verser à JBC une indemnité de procédure de 6 000 euros, Dit que les dépens de première instance et d'appel sont à la charge de Manufacturas Gre.