ADLC, 13 mars 2018, n° 18-D-05
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac en Isère
L'Autorité de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 16 décembre 2015 sous le numéro 15/0120 F, par laquelle le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac en Isère ; Vu le livre IV du Code de commerce et notamment son article L. 420-1 ; Vu la décision du rapporteur général du 11 octobre 2017 disposant que l'affaire fera l'objet d'une décision de l'Autorité sans établissement préalable d'un rapport ; Vu les décisions relatives au secret des affaires n° 17-DSA-346 du 24 août 2017 et n° 17-DSA-373 du 12 septembre 2017 ; Vu les observations présentées par la société Sécurité Vol Feu et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Sécurité Vol Feu, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 14 février 2018 ; Adopte la décision suivante :
Résumé1
Aux termes de la décision ci-après, lAutorité de la concurrence a infligé une sanction de 46 000 euros à lentreprise Sécurité Vol Feu pour avoir mis en œuvre une pratique concertée ayant pour objet de fausser la concurrence, prohibée par larticle L. 420-1 du code de commerce.
La décision rendue fait suite à une enquête réalisée par la DGCCRF dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac et à un refus de transaction de la part de la société Sécurité Vol Feu ayant entraîné la saisine de lAutorité.
La réglementation relative à laide à la sécurisation des débits de tabac conditionne le bénéfice de laide à une mise en concurrence des entreprises spécialisées dans la sécurisation des établissements.
Dans ce cadre, lentreprise Sécurité Vol Feu a établi des devis de couverture à la suite déchanges dinformations avec la société Millénium Sécurité concernant leurs clients respectifs du 14 mars 2013 au 30 avril 2014.
Faussant par cette pratique le processus de mise en concurrence exigé par la réglementation, la société Sécurité Vol Feu a, non seulement, enfreint les dispositions de larticle L. 420-1 du code de commerce, mais a également concouru à une mauvaise utilisation des fonds publics.
1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après
I. Constatations
A. RAPPEL DE LA PROCÉDURE
1. La Brigade interrégionale d'enquête de concurrence (ci-après " BIEC") de Lyon a réalisé un rapport administratif d'enquête le 28 mars 2014 constatant que plusieurs entreprises avaient mis en œuvre des pratiques de devis de couverture, contraires à l'article L. 420-1 du Code de commerce, dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac, essentiellement dans le département de l'Isère.
2. Ce rapport a été transmis par le ministre de l'Economie à la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité ") qui a informé ce dernier, par courrier en date du 4 juin 2014, qu'elle n'entendait pas proposer à l'Autorité de se saisir d'office de cette affaire.
3. Conformément aux dispositions de l'article L. 464-9 du Code de commerce, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (ci-après, " DGCCRF ") a engagé une procédure d'injonction et de transaction que les sociétés Millenium Sécurité, ATEC, ALTE et AITEC ont acceptée entre mai et octobre 2015, étant précisé que la société AITEC n'a fait l'objet que d'une mesure d'injonction, sa participation très limitée aux pratiques ayant cessé dès 2011.
4. Par un courrier du 28 octobre 2015, la société Sécurité Vol Feu a informé les services de la DGCCRF qu'elle ne souhaitait pas transiger.
5. Conformément à l'article L. 464-9 du Code de commerce qui dispose que " l'exécution dans les délais impartis des obligations résultant de l'injonction et de l'acceptation de la transaction éteint toute action devant l'Autorité de la concurrence pour les mêmes faits ", l'action a donc été éteinte pour les sociétés Millenium Sécurité, ATEC, ALTE et AITEC.
6. Par lettre enregistrée le 16 décembre 2015, le ministre de l'Economie a saisi, en application des articles L. 464-9 et R. 464-9-3 du Code de commerce, l'Autorité de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac en Isère concernant la société Sécurité Vol Feu, seule société n'ayant pas souhaité transiger. Cette saisine a été enregistrée sous le numéro 15/0120 F.
7. Par une décision du 11 octobre 2017, prise en application des articles L. 463-3 et R. 463-12 du Code de commerce, le rapporteur général a décidé que l'affaire serait examinée par l'Autorité sans établissement préalable d'un rapport.
8. Conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus, une notification des griefs simplifiée a été envoyée à la société Sécurité Vol Feu et au commissaire du Gouvernement le 18 octobre 2017.
B. LE SECTEUR ET L'ENTREPRISE CONCERNÉE
1. LE SECTEUR DE LA SÉCURISATION DES DÉBITS DE TABAC
9. En vertu de l'article 568 du Code général des impôts, " Le monopole de vente au détail du tabac est confié à l'administration qui l'exerce, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret, par l'intermédiaire de débitants désignés comme ses préposés et tenus à droit de licence, des titulaires du statut d'acheteur-revendeur mentionné au dernier alinéa, ou par l'intermédiaire de revendeurs qui sont tenus de s'approvisionner en tabacs manufacturés exclusivement auprès des débitants désignés ci-dessus ".
10. Les débitants de tabac doivent faire l'objet d'un agrément auprès de la Direction Générale des Douanes et Droits Indirects (ci-après, la " DGDDI "), chargée également de recouvrer les droits de licence précités.
11. Confrontés à un nombre croissant d'actes de délinquance, les débitants de tabac font régulièrement appel à des entreprises chargées de fournir des prestations destinées à sécuriser leur établissement.
12. Ils peuvent alors bénéficier d'une aide à la sécurisation de leurs débits de tabac, dont le dispositif est prévu par le décret n° 2006-742 du 27 juin 2006 portant création d'une aide à la sécurité des débits de tabac (cotes 24 à 26) complété par un arrêté du 27 juin 2006 fixant notamment les modalités de versement de l'aide à la sécurité des débits de tabac et définissant les matériels de sécurité ouvrant droit au bénéfice de ladite aide (cotes 34 à 37).
13. Le dispositif mis en place prévoit que les services des douanes peuvent prendre en charge une partie des travaux de sécurité engagés par les débitants de tabac, en contrepartie de la production par ces derniers de deux devis détaillés émanant de deux entreprises concurrentes.
14. L'aide est limitée à 80 % du montant de l'offre économiquement la plus avantageuse, la part restante étant à la charge du débitant. En fonction des montants des devis proposés, le directeur interrégional peut exiger du débitant la présentation d'un 3e devis.
15. L'aide à la sécurité peut être accordée tous les 3 ans et elle est versée à l'issue de la production de la facture d'installation par le débitant.
16. Le décret n° 2006-742 du 27 juin 2006 précité a été modifié par le décret n° 2012-1448 du 24 décembre 2012 relatif à la sécurité des débits de tabac (cotes 45-46), complété par un arrêté du même jour, qui a notamment porté à 15 000 euros le plafond de l'aide, auparavant fixé à 10 000 euros.
17. Le tableau ci-dessous indique les chiffres relatifs au nombre d'aides à la sécurisation versées et le montant total des subventions correspondantes pour les six dernières années dans le département de l'Isère (cote 11).
<TABLEAU>
2. L'ENTREPRISE CONCERNÉE
18. Comme indiqué précédemment, seule la société Sécurité Vol Feu est concernée par la présente décision, l'action étant éteinte pour les entreprises ayant accepté les mesures d'injonction et de transaction proposées par la DGCCRF.
19. La société Sécurité Vol Feu est une société à responsabilité limitée dont le siège social est à Romans (26100) et dont l'agence impliquée dans les pratiques faisant l'objet de la présente notification des griefs est située à Eybens (38320). Elle est spécialisée dans les services de l'installation et de la maintenance de systèmes de sécurité électronique et propose des prestations diverses telles que l'installation de système d'alarme, de détection d'intrusion ou encore l'installation de vidéosurveillance. À l'époque des pratiques, le gérant était M. X, et le responsable de l'agence, M. Y.
20. En 2016, la société Sécurité Vol Feu a réalisé un chiffre d'affaires de 5 433 040 euros, exclusivement en France.
C. LES PRATIQUES CONSTATÉES
21. Le rapport administratif d'enquête a mis en évidence des pratiques consistant pour les sociétés Millenium Sécurité et Sécurité Vol Feu à établir, à la suite d'échanges d'informations, des devis de " couverture " à l'occasion de prestations de sécurisation de débits de tabac en Isère. Ces pratiques se sont déroulées du 14 mars 2013 au 30 avril 2014.
22. Ainsi qu'indiqué précédemment, dans le cadre de la constitution de dossiers de demandes d'aide à la sécurité des débits de tabac, les débitants doivent fournir, conformément à l'article 1, alinéa 3 de l'arrêté du 27 juin 2006 précité, deux devis détaillés émanant de deux entreprises concurrentes. Il a été relevé que les sociétés Sécurité Vol Feu et Millenium Sécurité ont réalisé, sur l'ensemble des tabacs pour lesquels elles ont soumissionné, des devis " de couverture " à partir des informations échangées.
23. L'établissement de devis de couverture consiste pour une entreprise à solliciter auprès d'une autre entreprise, présentée comme concurrente, une offre d'un montant délibérément plus élevé, de façon à obtenir de façon certaine le marché en cause.
24. Ainsi, pour l'année 2013, Millenium Sécurité et Sécurité Vol Feu ont régulièrement échangé, par l'intermédiaire de courriels, des informations tenant aux prix et à la nature des prestations envisagées pour l'obtention de travaux de sécurisation avant le dépôt de leurs offres.
25. Il ressort plus précisément des éléments de l'enquête que lorsque l'une de ces deux sociétés souhaitait obtenir les travaux de sécurisation d'un débit de tabac, elle transmettait une offre de prix à ce débitant. Cette société faisait ensuite appel à l'autre entreprise en lui adressant, par voie électronique, une demande de devis en y joignant son propre devis ou le prix des prestations qu'elle entendait fixer. L'autre entreprise était chargée, enfin, de présenter une offre plus élevée que celle initialement adressée au débitant.
26. L'instruction a démontré l'existence de pratiques concertées de devis de couverture pour huit marchés :
- pour quatre marchés clairement identifiés, à savoir les débits de tabac Flober, Doléac, Giraud et Loytier, la pratique a été établie par l'existence de preuves directes (a) ;
- pour quatre autres marchés, à savoir les débits de tabac Fabre, Lesdiguières, Lussagnet et SNC Moi, la pratique a été établie au moyen d'un faisceau d'indices (b).
a) Les preuves directes démontrant l'établissement de devis de couverture pour quatre marchés
27. Le rapport administratif d'enquête a permis d'identifier quatre débits de tabac pour lesquels les sociétés Millenium Sécurité et Sécurité Vol Feu se sont alternativement adressé des demandes de devis de couverture, en y joignant leur propre devis ou en indiquant de manière explicite la proposition de prix qu'elles entendaient fixer pour la réalisation des travaux du débit de tabac.
28. Plusieurs courriels attestent que les sociétés Sécurité Vol Feu et Millenium Sécurité se sont mutuellement échangé leurs devis pour la réalisation de travaux de sécurisation de débits de tabac (voir cotes 862 à 869, 881, 909 à 920), se répartissant ainsi les travaux de sécurisation. La fréquence des courriels et le ton familier utilisé par ces sociétés attestent du caractère habituel de tels échanges.
29. La preuve de ces échanges est également rapportée par les déclarations du contrôleur gestionnaire départemental tabac du département de l'Isère. Lors de son audition, celui-ci a constaté l'existence d'une répartition de marchés entre les entreprises Sécurité Vol Feu et Millénium Sécurité :
" (...) mon service dispose de présomptions à l'encontre de la société Millenium Sécurité, qui répond régulièrement avec les mêmes entreprises, qui semblent fournir alternativement un second devis supérieur à celui de MILLENIUM. Les entreprises concernées sont ALDATEC, ALTE, AITEC, ATEC, STANLEY SOLUTIONS DE SECURITE. J'ai été amené à demander parfois un 3e devis au buraliste, notamment quand j'ai vu sur la page internet d'ATEC que cette société était 'partenaire MILLENIUM SECURITE'. A plusieurs occasions, lorsqu'un 3e devis a été demandé par notre service, le débitant a également transmis un nouveau devis MILLENIUM revu à la baisse par rapport au devis initial. Lorsque MILLENIUM répond avec une des sociétés précitées, les prix sont plus élevés que la moyenne. Par contre, nous n'avons pas rencontré la solution inverse, avec MILLENIUM répondant régulièrement à un prix plus élevé que les autres sociétés présentant les devis, sauf depuis 2013 avec SECURITE VOL FEU, les deux sociétés étant moins-disantes chacune à leur tour " [Soulignement ajouté] (PV d'audition du 30 octobre 2013, cote 12).
30. Les quatre débits de tabac concernés sont identifiés dans le tableau suivant :
<TABLEAU>
Le débit de tabac Flober
31. S'agissant du débit de tabac Flober, l'enquête rapporte que, dans un courriel du 21 mai 2013, Millenium Sécurité a demandé à Sécurité Vol Feu de lui fournir un devis. Ce courriel est rédigé ainsi : " Salut Y, J'ai besoin d'un devis en vidéo et du plan pour un client Je te joint mon devis et le plan. Merci d'avance. Z. " (cote 909). A ce courriel est notamment joint le devis réalisé par Millenium Sécurité (cotes 910 à 920).
32. Ces éléments sont confortés par les déclarations de M. Y, responsable d'agence de la société Sécurité Vol Feu qui a reconnu les faits suivants : " Concernant le Tabac Flober, Millenium m'a contacté par mail pour que je fournisse un devis d'un montant supérieur au sien. Je l'ai fait car M. Z...est un ami et, en échange, il nous renvoie des clients en télésurveillance. Cela représente une quinzaine de clients sur 3 ans soit un chiffre d'affaires de 4 000 . A l'origine j'ai accepté cette pratique pour aider Millenium à se développer " [Soulignement ajouté] (cote 859).
Le débit de tabac Doléac
33. S'agissant du débit de tabac Doléac, dans un courriel du 25 mars 2013 adressé à Millenium Sécurité et libellé comme suit " DEVIS FUMIGENE SNC DOLEAC COURS JEAN JAURES DEVIS PROTECT 1 100 + RADAR (environ 3 200 H.T) " (cote 881), la société Sécurité Vol Feu indique de manière explicite le prix des prestations qu'elle entend fixer pour ce débit de tabac, lui permettant ainsi de se voir attribuer le marché. L'analyse des devis permet de constater que, sur ce marché, Millenium Sécurité a établi un devis d'un montant supérieur à celui établi par Sécurité Vol Feu dans le courriel du 25 mars 2013 précité.
34. Ces éléments sont confortés par les déclarations de M. Y qui a reconnu les faits suivants : " Concernant le tabac Doleac il s'agissait d'un complément d'équipement (Fumigène). Dans ce cas, les douanes demandent deux devis cependant ce n'est pas justifié puisqu'ayant fait l'installation de départ, nous avons les Codes maitres empêchant les concurrents de répondre. Nous avons donc demandé à Millenium un devis de couverture " [Soulignement ajouté] (cotes 859 à 860).
Le débit de tabac Giraud
35. S'agissant du débit de tabac Giraud, il ressort du rapport administratif d'enquête que, dans un courriel en date du 9 décembre 2013, la société Sécurité Vol Feu a adressé à Millénium Sécurité une demande de devis, en joignant au courriel son propre devis (cotes 863 à 865). Ce courriel du 9 décembre 2013 est rédigé ainsi : " Salut Thierry, Peut tu me faire 1 petit devis de concurrence. MERCI POUR TOUT " (cote 862).
36. Ces éléments sont confortés par les déclarations de M. Y qui a reconnu les faits suivants :
37. " Pour la maison de la presse le GrandLemps [tabac Giraud] de décembre 2013, j'ai demandé à Z...de me transmettre un devis de couverture car ce buraliste est un ami. C'était pour lui simplifier la procédure. " [Soulignement ajouté] (cote 859).
Le débit de tabac Loytier
38. S'agissant du débit de tabac Loytier, il ressort de l'enquête que, dans un autre courriel en date du 24 octobre 2013 adressé à Millenium Sécurité et libellé comme suit " DEVIS URGENT MERCI " (cote 866), la société Sécurité Vol Feu a adressé explicitement à Millenium Sécurité une demande de devis de couverture. Cette demande de devis est notamment accompagnée du devis que Sécurité Vol Feu a elle-même établi pour le tabac Loytier (cotes 867 à 869). Ce devis comprend la nature des prestations envisagées, à savoir, l'installation de vidéosurveillance mentionnant le détail du matériel ainsi que le montant total de ces prestations, soit 12 000 euros HT.
39. Ces éléments sont confortés par les déclarations de M. Y qui a reconnu les faits suivants :
" Il y a d'autres marchés comme le tabac Loytier pour lequel nous avons demandé un devis de couverture à Millenium " [Soulignement ajouté] (cote 860).
b) L'existence d'un faisceau d'indices démontrant l'établissement de devis de couverture pour quatre marchés
40. Il résulte des procès-verbaux d'audition de M. Y, salarié de la société Sécurité Vol feu, et de M. Z., gérant de la société Millenium Sécurité, que ces sociétés ont reconnu s'être concertées pour établir des devis de couverture.
41. Ainsi, M. Z., gérant de Millenium Sécurité, a admis, dans son procès-verbal du 12 février 2014, que :
" En ce qui concerne la sécurité Vol Feu, là aussi, je connais M. Y depuis la création de Millenium en 2000. Nous avons été amenés, sur plusieurs dossiers en 2013, à échanger des devis de complaisance.
Dans les cas précités, avec ces 4 confrères [ALTEC, AITEC, ALTE et Sécurité Vol Feu], les échanges se font en général par courrier, et en général nous communiquons à l'entreprise chargée de nous couvrir notre prix et les plans pour lui faciliter le travail, et lui éviter un déplacement auprès du buraliste. Dans tous ces cas, à partir de ces éléments, mes confrères ont établi leurs devis au nom de leur société et me les ont transmis, ce qui m'a permis de proposer 2 devis au débitant de tabac et de finaliser son dossier.
Hormis avec Vol Feu Sécurité, je n'ai jamais fourni de devis de complaisance à des confrères, même si j'ai parfois été sollicité en ce sens " [Soulignement ajouté] (cote 936).
42. Ces déclarations ont été confirmées par le représentant de Sécurité Vol Feu qui a reconnu les faits ci-dessous : " Depuis juillet 2013, j'ai dû réaliser au moins 6 offres de couverture pour Millenium en Isère et Haute Savoie. Millenium en a fait deux pour ma société sur la même période.
Je réalise davantage de devis de couverture pour Millenium qu'il n'en réalise pour moi. Cela ne me gêne pas car notre volume d'activité est amplement suffisant. Je fais ces devis de couverture pour lui rendre service et car, en échange, si j'ai besoin d'un devis de couverture il me le fournira.
Nous avons aussi cette pratique, dans une moindre mesure avec d'autres sociétés. Au moins une trentaine de sociétés nous a déjà demandé un devis de couverture. Personnellement j'ai demandé des offres de couverture uniquement à Millenium " [Soulignement ajouté] (cote 860).
43. Ces déclarations convergentes associées à l'analyse des devis réalisés par ces deux sociétés ainsi qu'aux déclarations de M. Y relatives aux marchés concernés constituent un faisceau d'indices attestant de la mise en place de devis de couverture par le biais d'échanges d'informations entre ces deux sociétés pour les quatre débits de tabac identifiés dans le tableau ci-dessous :
<TABLEAU>
Le débit de tabac Fabre
44. S'agissant du débit de tabac Fabre, il ressort du rapport administratif d'enquête que M. Y de la société Sécurité Vol Feu a réalisé, à la demande du gérant de Millenium Sécurité, un devis pour des prestations d'installation d'alarme d'un montant délibérément plus élevé que celui établi par Millenium Sécurité.
45. La société Sécurité Vol Feu a soumissionné sur la base d'un devis en date du 21 novembre 2012 contenant une offre de prix de 2 200 euros HT. Le 23 novembre 2012, Millenium Sécurité a, quant à elle, établi pour ce tabac une proposition de prix de 2 035 euros HT ayant pour objet des prestations similaires, lui permettant ainsi d'obtenir les travaux de sécurisation sur la base de son devis moins-disant.
46. Ces éléments sont confirmés par les déclarations de M. Y (procès-verbal en date du 11 février 2014) :
" Je réponds à des marchés de sécurisation des débits de tabac depuis que nous avons l'agrément, c'est-à-dire depuis une vingtaine d'années. Concernant l'Isère et la Savoie et Haute Savoie, cela date seulement d'une dizaine d'années. Nous ne démarchons jamais les débits de tabac, nous attendons d'être contactés par les buralistes. Ils sont parfois dirigés par M. A. des douanes, qui leur communique le nom de ma société.
Je suis le seul à établir des devis de ce type pour notre société concernant l'Isère et la Savoie. La société Millenium nous contacte régulièrement pour que l'on fournisse un deuxième devis en nous communiquant les plans, l'implantation des caméras, le cahier des charges (...) le devis de sécurisation concernant le débitant de tabac Fabre a été réalisé par mes soins, il me semble, à la demande de Millenium. " [Soulignement ajouté] (cote 859).
47. En outre, s'agissant du débit de tabac Fabre, M. Y a reconnu dans une demande de renseignements du 18 juillet 2017 :
" Ici également, par gentillesse, et ignorant que c'était illégal, je lui ai communiqué à sa demande, un devis. Si j'avais su que c'était illégal, je n'aurais jamais transmis ces devis " [Soulignement ajouté] (cote 1303).
Le débit de tabac Lesdiguières
48. S'agissant du débit de tabac Lesdiguières, Millenium Sécurité a réalisé deux devis, l'un d'un montant de 7 220 euros HT ayant pour objet des prestations d'installation de vidéosurveillance et l'autre d'un montant de 2 630 euros HT pour des prestations d'installation de système anti-intrusion, soit un montant total de 9 850 euros HT. Sécurité Vol Feu a également soumissionné en établissant un devis incluant les deux types de prestations pour un montant total de 10 200 euros HT.
49. Il est constaté que l'attribution des prestations de sécurisation du débit de tabac Lesdiguières s'est faite au profit de Millenium Sécurité.
50. Ces éléments sont confirmés par les déclarations de M. Y ayant reconnu, dans son procès- verbal en date du 11 février 2014, les faits suivants :
" En ce qui concerne le tabac presse Lesdiguières, je n'ai pas effectué la visite des locaux et j'ai réalisé un devis et un plan d'implantation à partir du plan transmis par Millenium. J'ai adressé par la suite ce devis de couverture à Millenium. " [Soulignement ajouté] (cote 859).
51. Dans la demande de renseignements du 18 juillet 2017 précitée, M. Y précise :
" Millenium m'a contactée par téléphone, en me disant que les Douanes ne demandait plus des devis APSAD, donc il pourrait réaliser des devis à présent. Comme ce client était un très vieux client à eux, il m'a demandé de lui faire un devis pour ce client avec son plan. Par gentillesse, et ignorant que c'était illégal, je lui ai communiqué, seul, un devis à sa demande. Si j'avais su que c'était illégal, jamais je n'aurais transmis pareils documents " [Soulignement ajouté] (cote 1303).
Le débit de tabac Lussagnet
52. S'agissant du débit de tabac Lussagnet, Sécurité Vol Feu a établi le 14 mars 2013 deux devis pour des prestations d'installation d'alarme et de vidéosurveillance pour un montant total de 4 300 euros. Le même jour, Millenium sécurité a également réalisé, à la demande de Sécurité Vol Feu, deux devis pour des prestations similaires pour un montant supérieur de 7 410 euros HT.
53. Sécurité Vol Feu a ainsi obtenu les travaux de sécurisation de ce débit de tabac sur la base d'une proposition de prix moins-disante.
54. Ces éléments sont confirmés par les déclarations de M. Y qui a reconnu les faits suivants :
" Le buraliste B a démarché les sociétés Sécurité Vol feu et deux autres sociétés. Il souhaitait travailler avec nous. Il nous a demandé de lui fournir un autre devis. Je pense que nous étions plus chères que les autres et que les douanes remboursent à partir du devis le moins élevé. J'ai donc contacté Millenium pour qu'il me fournisse un devis de couverture. Le devis avait été cosigné par M. X peut-être en raison d'un copié collé ". [Soulignement ajouté] (cote 860).
55. M. Y a notamment précisé dans la demande de renseignements du 18 juillet 2017 : " J'ai demandé à la société Millenium de faire une proposition à M. B en lui envoyant le plan d'implantation du Tabac avec le listing du matériel à prévoir " (cote 1302).
Le débit de tabac SNC Moi
56. S'agissant du débit de tabac SNC Moi, Millenium Sécurité a réalisé le 14 octobre 2013 un devis d'un montant de 8 633 euros ayant pour objet l'installation d'un système anti-intrusion (cotes 772 à 791). Le 17 octobre 2013, à la demande de Millenium Sécurité, Sécurité Vol Feu a établi un devis pour des prestations similaires d'un montant délibérément supérieur à celui de Millenium Sécurité, soit un montant de 8 800 euros HT.
57. La société Millenium Sécurité s'est ainsi vue attribuer les travaux de sécurisation de ce débit de tabac.
58. Ces faits ressortent des déclarations de M. Y qui a précisé pour ces prestations les éléments suivants (demande de renseignements du 18 juillet 2017) :
" Millenium nous a transmis son devis en nous demandant de lui faire un devis pour aider son client qui n'avait pas le temps de s'en occuper. Par gentillesse, je lui ai alors réalisé un devis de couverture. J'ignorais vraiment que c'était illégal " [Soulignement ajouté] (cote 1304).
59. Au vu de ces éléments, il apparait que l'ensemble des pratiques mises en œuvre par Sécurité Vol Feu ont consisté à établir ou à fournir dans le cadre d'échanges réguliers d'informations, des devis de couverture simulant une proposition concurrente, en vue de l'octroi de prestations de sécurisation.
D. RAPPEL DU GRIEF NOTIFIÉ
60. Le 18 octobre 2018, le grief suivant a été notifié :
" Il est fait grief à la société Sécurité Vol Feu (RCS 24 02 2002) d'avoir échangé avec la société Millenium Sécurité, du 14 mars 2013 au 30 avril 2014, des informations confidentielles concernant leurs clients respectifs pour mettre en place, au bénéfice de l'une comme de l'autre, des devis de couverture.
Ces échanges sont intervenus entre entreprises en situation de se faire concurrence pour la réalisation de prestations de sécurisation de débits de tabac en Isère, qui ont ainsi directement et réciproquement bénéficié, grâce à cette concertation, d'informations sur la nature et le prix des prestations de sécurisation à réaliser, permettant ainsi à chacune d'anticiper le comportement commercial de sa concurrente sur ce marché.
Cette pratique concertée, qui a pour objet et a eu pour effet de fausser la concurrence sur le marché, est prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce ".
II. Discussion
A. SUR LE MARCHÉ PERTINENT
61. Il résulte de la pratique décisionnelle de l'Autorité et de la jurisprudence que lorsque les pratiques en cause sont examinées au titre de la prohibition des ententes ou des pratiques concertées, comme c'est le cas en l'espèce, il n'est pas nécessaire de définir le marché avec précision, dès lors que le secteur a été suffisamment caractérisé pour permettre de qualifier les pratiques observées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en place (décisions n° 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur du thon blanc, paragraphe 28 ; n° 12-D-02 du 12 janvier 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans s le secteur de l'ingénierie des loisirs, de la culture et du tourisme, paragraphe 65 et n° 16-D-20 du 29 septembre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations réalisées par les agences de mannequins, paragraphe 214).
62. En l'espèce, les pratiques sont observées sur le marché de la sécurisation des débits de tabac exclusivement dans le département de l'Isère, sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans une définition plus fine du marché.
B. SUR LE BIEN-FONDÉ DU GRIEF NOTIFIÉ
1. RAPPEL DE LA PRATIQUE DÉCISIONNELLE
63. L'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre les entreprises lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché.
64. Il résulte des termes de cet article ainsi que de la jurisprudence nationale et de l'Union que l'objet et l'effet anticoncurrentiels de telles pratiques sont des conditions alternatives pour apprécier si celles-ci peuvent être sanctionnées en application de ces dispositions (arrêts de la Cour de justice du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands BV e.a., C-8/08, points 28 et 30, Rec. ECLI:EU:C:2009:343, du 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires e.a., C-67-13, Rec. ECLI:EU:C:2014:2204, points 49-51 et de la Cour d'appel de Paris du 21 décembre 2017, La Banque postale e.a., n° 2015/17638, p. 44).
65. L'Autorité de la concurrence a sanctionné à de nombreuses reprises des pratiques de même nature, en particulier dans le secteur du déménagement des personnels militaires (décisions n° 92-D-37 du Conseil de la concurrence du 2 juin 1992 relative aux pratiques anticoncurrentielles concernant le déménagement des marins de la marine nationale en Bretagne ; n° 99-D-50 du 13 juillet 1999 relative aux pratiques anticoncurrentielles concernant le déménagement des militaires dans la région de Vannes ; n° 02-D-62 du 27 septembre 2002 relative à des pratiques relevées dans le secteur du déménagement des personnels de la marine nationale en Bretagne ; n° 09-D-19 du 10 juin 2009 relative à des pratiques concernant le déménagement de personnels militaires relevant du CTAC de l'armée de terre à Nancy ; n° 14-D-16 du 18 novembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du déménagement des militaires affectés en Martinique).
66. Elle a considéré que le fait, pour des entreprises indépendantes, de se concerter ou d'échanger des informations en vue de produire des devis de couverture a pour objet et peut avoir pour effet de limiter l'exercice de la libre concurrence et de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché.
67. Dans la décision n° 99-D-50 du 13 juillet 1999 précité, le Conseil a retenu que " l'utilisation de devis de couverture constitue une pratique grave qui a pour objet et peut avoir pour effet de faire échec au processus de mise en concurrence des entreprises pour la réalisation d'une prestation dont, en définitive, les finances publiques supportent le coût " (p. 16).
68. Dans la décision n° 14-D-16 du 18 novembre 2014 précitée, l'Autorité a considéré que la pratique de devis de couverture a " pour objet de manipuler les prix et de répartir les clients, au lieu de laisser ces paramètres essentiels de la concurrence à la libre appréciation de chacune des entreprises, dans le cadre d'une détermination autonome de sa politique commerciale et de son comportement sur le marché " (paragraphe 92).
2. APPLICATION À L'ESPÈCE
a) Sur l'existence d'une concertation
69. En l'espèce, il résulte des constatations opérées aux paragraphes 21 à 59 que les sociétés Sécurité Vol Feu et Millenium Sécurité ont mis en œuvre des pratiques concertées consistant en des échanges d'informations confidentielles pour mettre en place, au bénéfice de l'une comme de l'autre, des devis de couverture.
70. L'existence d'une concertation entre les deux entreprises est donc établie, la société Sécurité Vol Feu précisant en outre dans ses observations en réponse à la notification des griefs n'avoir " jamais nié sa responsabilité " et qu'elle " n'entend pas minimiser sa responsabilité dans les 11 interventions susdites ".
b) Sur l'objet anticoncurrentiel
71. Les dispositions du décret n° 2006-742 du 27 juin 2006 précité prévoient que la prise en charge par l'État, dans une certaine proportion, des travaux de sécurisation des débits de tabac est subordonnée à la mise en concurrence, par le bénéficiaire de l'aide, des entreprises prestataires afin de provoquer les offres économiquement les plus avantageuses.
72. En l'espèce, les pratiques en cause visant à établir ou à obtenir des devis de couverture sont de nature à fausser le jeu de la concurrence dans la mesure où elles font directement obstacle à la libre fixation des prix et neutralisent la réglementation en vigueur qui exige une concurrence effective entre entreprises indépendantes en vue de l'attribution de ladite aide.
73. Informée des conditions tarifaires de son concurrent, la société Sécurité Vol Feu a renoncé à faire concurrence à d'autres entreprises en produisant des devis de couverture. Elle le faisait d'autant plus volontairement que les échanges d'informations fonctionnaient dans les deux sens. Comme l'a reconnu le représentant de la société Millénium, et comme le confirment les nombreux courriels, ces échanges d'information étaient réciproques, les entreprises concernées se " renvoyant l'ascenseur " pour l'établissement des devis contradictoires de leurs clients respectifs.
74. Ces pratiques ont été mises en œuvre de façon répétée pendant plus d'un an, du 14 mars 2013 au 30 avril 2014.
75. Comme il ressort de la pratique décisionnelle, les pratiques en cause ont eu pour objet de restreindre la concurrence sur le marché de la sécurisation des débits de tabac en Isère.
76. Ainsi que rappelé précédemment, il n'est pas nécessaire d'examiner si les pratiques ont eu pour effet de restreindre la concurrence dès lors que l'examen de ces pratiques révèle un objet anticoncurrentiel.
C. SUR LA DEMANDE DE CLASSEMENT SANS SUITE AU TITRE DE L'ARTICLE L. 464-6-1 DU CODE DE COMMERCE
77. La société Sécurité Vol Feu sollicite un classement sans suite au titre de l'article L. 464-6-1 du Code de commerce qui dispose que :
" L'Autorité de la concurrence peut également décider, dans les conditions prévues à l'article L. 464-6, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure lorsque les pratiques mentionnées à l'article L. 420-1 ne visent pas des contrats passés en application du Code des marchés publics et que la part de marché cumulée détenue par les entreprises ou organismes parties à l'accord ou à la pratique en cause ne dépasse pas soit :
a) 10 % sur l'un des marchés affectés par l'accord ou la pratique lorsqu'il s'agit d'un accord ou d'une pratique entre des entreprises ou organismes qui sont des concurrents, existants ou potentiels, sur l'un des marchés en cause ;
b) 15 % sur l'un des marchés affectés par l'accord ou la pratique lorsqu'il s'agit d'un accord ou d'une pratique entre des entreprises ou organismes qui ne sont pas concurrents existants ou potentiels sur l'un des marchés en cause ".
78. Elle soutient à cet égard que les contrats en cause n'ont pas été passés en application du Code des marchés publics, remplissant ainsi la première condition de l'article précité et que sa part de marché cumulée en France serait inférieure à 10 % remplissant ainsi la seconde condition de l'article précité.
79. Cependant, l'article L. 464-6-2 du Code de commerce exclut l'application des dispositions de l'article L. 464-6-1 du Code de commerce en présence de certaines restrictions caractérisées de concurrence :
" Toutefois, les dispositions de l'article L. 464-6-1 ne s'appliquent pas aux accords et pratiques qui contiennent l'une quelconque des restrictions caractérisées de concurrence suivantes :
a) Les restrictions qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulées avec d'autres facteurs sur lesquels les parties peuvent influer ont pour objet la fixation de prix de vente, la limitation de la production ou des ventes, la répartition de marchés ou des clients.
b) Les restrictions aux ventes non sollicitées et réalisées par un distributeur en dehors de son territoire contractuel au profit d'utilisateurs finaux ;
c) Les restrictions aux ventes par les membres d'un réseau de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché, indépendamment de la possibilité d'interdire à un membre du système de distribution d'opérer à partir d'un lieu d'établissement non autorisé ;
d) Les restrictions apportées aux livraisons croisées entre distributeurs à l'intérieur d'un système de distribution sélective, y compris entre les distributeurs opérant à des stades différents du commerce ".
80. La Cour d'appel de Paris a jugé à cet égard que l'article L. 464-6-2 du Code de commerce prévoit que les dispositions de l'article L. 464-6-1 ne s'appliquent pas aux accords et pratiques, tels que ceux qui, directement ou indirectement, ont pour objet la répartition de marchés ou des clients (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 20 janvier 2011, société Perrigault SA e. a, RG n° 2010/08165, p. 17).
81. En l'espèce, les pratiques examinées de devis de complaisance mises en œuvre par la société Sécurité Vol Feu, entrent dans le champ de l'article L. 464-6-2, a), du Code de commerce, dans la mesure où elles contiennent des restrictions caractérisées de concurrence qui ont pour objet la fixation de prix de vente et la répartition de marchés ou des clients, et sont ainsi exclues du bénéfice des dispositions de l'article L. 464-6-1 du Code de commerce.
82. La société Sécurité Vol Feu ne peut donc se prévaloir du bénéficie des dispositions de l'article L. 464-6-1 du Code de commerce pour dire qu'il n'y a pas lieu à poursuivre la procédure.
D. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES
83. Ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante, lorsque l'existence d'une infraction est établie, il convient de déterminer la personne physique ou morale qui était responsable de l'exploitation de l'entreprise en cause au moment où l'infraction a été commise, afin qu'elle réponde de cette infraction. L'infraction doit, ainsi, être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger la sanction.
84. En l'espèce, les pratiques concertées de devis de couverture ont été mises en œuvre par la société Sécurité Vol Feu.
85. Il y a donc lieu d'imputer ces pratiques à la société Sécurité Vol Feu en tant qu'auteure des pratiques.
III. Sur la sanction
86. Seront successivement abordés ci-après :
- les principes relatifs à la détermination de la sanction (A) ;
- la détermination du montant de base (B) ;
- la prise en compte des circonstances propres à l'entreprise concernée (C) ;
- les ajustements finaux (D).
A. PRINCIPES
87. Le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce habilite l'Autorité à imposer des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce.
88. Aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce " (s)i le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euros. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".
89. Par ailleurs, le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le (titre VI du livre IV du Code de commerce). Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".
90. L'article L. 464-5 du Code de commerce dispose que l'Autorité peut, lorsqu'elle met en œuvre la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 du Code de commerce, prononcer les sanctions prévues au I de l'article L. 464-2 de ce Code. Toutefois, la sanction ne peut excéder 750 000 euros pour chacun des auteurs des pratiques prohibées.
91. En l'espèce, l'Autorité appréciera ces critères légaux selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après " le communiqué sanctions ").
92. L'entreprise en cause dans la présente affaire a été mise en mesure de formuler des observations sur les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles, selon les services d'instruction, d'influer sur la détermination de la sanction pouvant lui être imposée, à la suite de la réception de la notification des griefs simplifiée. La présentation de ces différents éléments par les services d'instruction ne préjuge pas de l'appréciation du Collège sur les déterminants de la sanction, qui relève de sa seule délibération.
B. SUR LA DÉTERMINATION DU MONTANT DE BASE
1. SUR LA MÉTHODE UTILISÉE POUR LA DÉTERMINATION DU MONTANT DE BASE
93. Le point 23 du communiqué sanctions prévoit que : " Pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité retient, comme montant de base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou de services en relation avec l'infraction ou, s'il y a lieu, les infractions en cause. La valeur de ces ventes constitue en effet une référence appropriée et objective pour déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire, dans la mesure où elle permet d'en proportionner au cas par cas l'assiette à l'ampleur économique de l'infraction ou des infractions en cause, d'une part, et au poids relatif, sur le(s) secteur(s) ou marché(s) concerné(s), de chaque entreprise ou organisme qui y a participé, d'autre part. Elle est donc retenue par l'Autorité, à l'instar d'autres autorités de concurrence européennes, de préférence au chiffre d'affaires total de chaque entreprise ou organisme en cause, qui peut ne pas être en rapport avec l'ampleur de ces infractions et le poids relatif de chaque participant sur le(s) secteur(s) ou marché(s) concerné(s) ".
94. Ainsi, l'Autorité retient la valeur des ventes de l'ensemble des catégories de produits en relation avec l'infraction, effectuées par chacune des entreprises en cause, durant son dernier exercice comptable complet de participation à cette infraction, comme assiette de leur sanction respective.
95. Toutefois, cette méthode peut être adaptée [sic] " dans les cas de pratiques anticoncurrentielles portant sur un ou plusieurs appels d'offres ponctuels et ne relevant pas d'une infraction complexe et continue. En effet, la valeur des ventes ne constitue pas un indicateur approprié de l'ampleur économique de ces pratiques, qui revêtent un caractère instantané, et du poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y prend part, en particulier lorsque leur implication consiste à réaliser des offres de couverture ou à s'abstenir de soumissionner " (point 66 du communiqué sanctions).
96. Dans ce cas, l'Autorité considère que " le montant de base de la sanction pécuniaire résultera alors de l'application d'un coefficient, déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, au chiffre d'affaires total réalisé en France par l'organisme ou par l'entreprise en cause, ou par le groupe auquel l'entreprise appartient, en principe pendant l'exercice comptable complet au cours duquel a eu lieu l'infraction ou du dernier exercice comptable complet s'il en existe plusieurs. Ce coefficient tiendra compte du fait que ces pratiques, qui visent à tromper les maîtres d'ouvrage sur l'effectivité même de la procédure d'appel d'offres, se rangent par leur nature même parmi les infractions les plus graves aux règles de concurrence et sont parmi les plus difficiles à détecter en raison de leur caractère secret " (point 67 du communiqué sanctions).
97. L'Autorité a appliqué cette méthode de détermination de la sanction pécuniaire dans plusieurs décisions, confirmée par la Cour d'appel de Paris et la Cour de cassation (décisions n° 11-D-13 du 5 octobre 2011 relative à des pratiques relevées dans les secteurs des travaux d'électrification et d'installation électrique dans les régions Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Auvergne et limitrophes, paragraphe 406, confirmée sur ce point par l'arrêt de la cour d'appel du 28 mars 2013, Allez et Cie e. a., n° 2011/20125, p. 34-35 et du 21 janvier 2016, Inéo Réseaux Sud-Ouest S.N.C e.a., n° 2014/22811, p. 11-12 et par l'arrêt de la Cour de cassation du 27 septembre 2017, Spie Sud-Ouest e.a., n° 16-12.907, p. 7 ; n° 13-D-09 du 17 avril 2013 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la reconstruction des miradors du centre pénitentiaire de Perpignan, paragraphes 147-151, qui n'a fait l'objet d'aucun recours ; n° 16-D-02 du 27 janvier 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire par autocar dans le Bas-Rhin, paragraphes 169-175, confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 21 décembre 2017, Royer Holding SAS e. a., n° 16/06962 ; n° 16-D-28 du 6 décembre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de l'assistance foncière de l'établissement public foncier de l'Ouest Rhône-Alpes, paragraphes 152-154, confirmée sur ce point par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 octobre 2017, Caisse des dépôts et consignations e. a., n° 2017/01658, p. 16-17).
98. En l'espèce, le dispositif d'aide mis en place implique que les débitants de tabac mettent en concurrence les différents prestataires afin que l'aide soit calculée sur la base du devis économiquement le plus avantageux, suivant la logique d'une procédure d'appel d'offres.
99. Les pratiques mises en œuvre par la société Sécurité Vol Feu, consistant à réaliser ponctuellement des offres de couverture, revêtent également un caractère instantané.
100. Compte tenu des circonstances de l'espèce, il y a donc lieu d'appliquer la méthode prévue aux points 66 et 67 du communiqué sanctions, la valeur des ventes ne constituant pas un indicateur approprié en l'espèce.
101. Conformément à la méthode exposée, le montant de base de la sanction pécuniaire résultera de l'application d'un coefficient, déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, appliqué au chiffre d'affaires total réalisé en France par l'entreprise en cause pendant le dernier exercice comptable complet au cours duquel a eu lieu l'infraction.
102. Si, dans son ensemble, l'infraction a perduré pendant 13 mois, du 14 mars 2013 au 30 avril 2014, soit une période supérieure à un an, sa mise en œuvre ne correspond à aucun exercice comptable complet. Il y a ainsi lieu de retenir une moyenne des chiffres d'affaires de la société Sécurité Vol feu sur les exercices 2013 et 2014, soit 5 116 914 euros.
103. Par conséquent, le montant de base de la sanction pécuniaire sera déterminé par l'application d'un coefficient tenant compte de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, appliqué à la moyenne du chiffre d'affaires total réalisé en France par l'entreprise en cause pendant les exercices 2013 et 2014, soit 5 116 914 euros.
2. SUR LA GRAVITÉ DES FAITS ET L'IMPORTANCE DU DOMMAGE CAUSÉ À L'ÉCONOMIE
a) Sur la gravité des faits
104. La société Sécurité Vol Feu a participé à la mise en œuvre d'une pratique concertée avec la société Millénium Sécurité consistant en des échanges d'informations confidentielles portant sur des devis de couverture à l'occasion de prestations de sécurisation des débits de tabac en Isère, faisant ainsi échec à toute mise en concurrence entre elles.
105. Ces pratiques ont eu pour objet à tout le moins de se répartir les clients, au lieu de laisser ces paramètres essentiels de la concurrence à la libre appréciation de chacune des entreprises, dans le cadre d'une détermination autonome de sa politique commerciale et de son comportement sur le marché.
106. Conformément au point 26 du communiqué sanctions, pour apprécier la gravité des faits, l'Autorité tient notamment compte des éléments suivants, en fonction de leur pertinence :
- la nature de l'infraction ou des infractions en cause et des faits retenus pour la ou les caractériser (entente entre concurrents, qui peut elle-même revêtir un degré de gravité différent selon qu'il s'agit, par exemple, d'un cartel de prix ou d'un simple échange d'informations ; entente entre deux acteurs d'une même chaîne verticale, comme une pratique de prix de revente imposés par un fournisseur à des distributeurs ; abus de position dominante, qu'il s'agisse d'abus d'éviction ou d'exploitation), ainsi que la nature du ou des paramètres de la concurrence concernés (prix, clientèle, production, etc.) et, le cas échéant, leur combinaison ; ces éléments revêtent une importance centrale dans le cas des pratiques anticoncurrentielles expressément visées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 101 et 102 du TFUE, en considération de leur gravité intrinsèque ;
- la nature des activités, des secteurs ou des marchés en cause (activité de service public, marché public, secteur ouvert depuis peu à la concurrence, etc.) et, le cas échéant, leur combinaison ;
- la nature des personnes susceptibles d'être affectées (petites et moyennes entreprises [PME], consommateurs vulnérables, etc.) ; et
- les caractéristiques objectives de l'infraction ou des infractions (caractère secret ou non, degré de sophistication, existence de mécanismes de police ou de mesures de représailles, détournement d'une législation, etc.).
107. Au cas d'espèce, il convient d'évoquer successivement la nature des infractions en cause et la nature du secteur et des services concernés.
108. S'agissant, en premier lieu, de la nature des infractions en cause, il y a lieu de rappeler que l'Autorité de la concurrence a pu considérer, dans toutes les décisions antérieures portant sur des pratiques identiques, que l'utilisation de devis de couverture constituait une pratique grave qui a pour objet et peut avoir pour effet de faire échec au processus de mise en concurrence des entreprises (voir par exemple la décision n° 99-D-50, p. 16 et la décision n° 14-D-16 précitée, paragraphe 95).
109. La société Sécurité Vol Feu ne saurait donc prétendre que la pratique en cause constitue un simple " échange sporadique d'informations " et qu'elle se serait légitimement méprise sur l'interdiction d'une telle pratique en raison de la prétendue nouveauté du marché et du mode de fonctionnement qu'il sous-tend.
110. Concernant, en deuxième lieu, la situation du marché dans lequel sont intervenues les pratiques, il convient de relever que les conditions réglementaires d'octroi de l'aide à la sécurité des débits de tabac prévoient une mise en concurrence effective entre les prestataires, le montant de cette aide étant proportionné au devis le moins élevé. Cette mise en concurrence est donc destinée à réduire la charge financière qui pèse sur le budget de l'État, dans la mesure où le versement de l'aide est calculé sur le montant de l'offre la moins-disante.
111. Par ailleurs, le fait que l'entente prenne appui sur une règlementation spécifique est de nature à en accroitre la gravité (voir en ce sens la décision n° 11-D-17 du 8 décembre 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lessives et la décision n° 14-D-16 précité, paragraphe 97).
112. Ainsi, le Conseil de la concurrence a considéré, dans sa décision n° 94-D-51 du 4 octobre 1994 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du déménagement, que " la gravité des pratiques de devis de couverture est d'autant plus importante qu'elles avaient pour objet de faire échec à une réglementation conçue pour faire jouer la concurrence ". De même, la Cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 11 mai 2010 sur le recours exercé contre la décision n° 09-D-19, confirmant la position déjà prise dans son arrêt du 25 février 2009 sur le recours exercé contre la décision n° 07-D-48, a jugé que " la pratique des devis de complaisance était grave parce qu'elle a anéanti le processus de mise en concurrence voulu par l'administration militaire, qui est le client final, payeur de la prestation de déménagement au moyen de deniers publics ".
113. En faussant, par l'établissement et l'utilisation régulière de devis de couverture, le processus de mise en concurrence exigé pour la réalisation des prestations de sécurisation en Isère, la Société Sécurité Vol Feu a non seulement violé les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, mais est également responsable d'une mauvaise utilisation des deniers publics en cherchant à faire échec à une réglementation visant à minimiser la dépense publique.
114. L'infraction en cause visait donc, par sa nature même, à manipuler des paramètres essentiels de la concurrence dans le marché visé. Elle constitue une des infractions les plus graves aux règles de concurrence, dans la mesure où elle ne peut tendre qu'à confisquer, au profit des auteurs de l'infraction, le bénéfice que les consommateurs et l'administration sont en droit d'attendre d'un fonctionnement concurrentiel de l'économie.
b) Sur l'importance du dommage causé à l'économie
115. Il est de jurisprudence constante que l'importance du dommage causé à l'économie s'apprécie de façon globale pour les pratiques en cause, c'est-à-dire au regard de l'action cumulée de tous les participants, sans qu'il soit besoin d'identifier la part imputable à chacun d'entre eux pris séparément (décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-D-09 du 17 avril 2013 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la reconstruction des miradors du centre pénitentiaire de Perpignan, paragraphe 162, arrêts de la Cour de cassation du 18 février 2004, CERP e. a., n° 02-11.754 et de la Cour d'appel de Paris du 17 septembre 2008, Coopérative agricole l'Ardéchoise, n° 2007/10371, p. 6).
116. Ce critère légal ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale que ces pratiques sont de nature à engendrer pour l'économie (voir, par exemple, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 octobre 2008, SNEF, n° 2007/18040, p. 4).
117. L'Autorité, qui n'est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie, doit procéder à une appréciation de son existence et de son importance en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques en cause (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 juin 2011, Orange France, n° 2010/12049, p. 5, confirmé sur pourvoi par l'arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, n° 11-22144, et l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International e. a., n° 2010/23945, p. 89). L'existence du dommage à l'économie ne saurait donc être présumée.
118. En se fondant sur une jurisprudence établie, l'Autorité tient notamment compte, pour apprécier l'incidence économique de la pratique en cause, de l'ampleur de l'infraction telle que caractérisée entre autres par sa couverture géographique ou par la part de marché cumulée des parties sur le secteur concerné, de sa durée, des conséquences conjoncturelles ou structurelles, ainsi que des caractéristiques économiques pertinentes du secteur concerné (voir, par exemple, l'arrêt de la cour d'appel du 30 juin 2011, Orange France précité, et du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord, n° 2011/03298, p. 70). Les effets tant avérés que potentiels de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2005, Novartis Pharma, n° 04-13.910).
119. Au cas d'espèce, il y a lieu de rappeler que la pratique de devis de complaisance a pour effet d'entraîner une répartition artificielle du marché entre les entreprises et de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence. À cet égard, dans son arrêt précité du 25 février 2009 concernant la décision du Conseil de la concurrence n° 07-D-48, la Cour d'appel de Paris a indiqué que le dommage à l'économie résulte notamment de ce que les pratiques des devis de complaisance " aboutissent à une répartition de marché, mais encore provoquent une hausse artificielle des prix qui ne sont pas établis par référence à la réalité des coûts ".
120. Toutefois, comme le Conseil puis l'Autorité de la concurrence l'ont rappelé dans les décisions n° 07-D-48 et n° 14-D-16 précitées, dans les affaires de déménagement, " le dommage à l'économie dépend également du nombre de déménagements dans lesquels une pratique de devis de couverture a été constatée, ainsi que du montant des opérations concernées ". Dans le cas présent, au vu du faible nombre de devis de couverture réalisés et du faible montant des opérations concernées, le dommage à l'économie causé par les pratiques reprochées à la société Sécurité Vol Feu demeure donc limité.
c) Conclusion sur la proportion du chiffre d'affaires retenue au titre de la gravité et du dommage à l'économie
121. Compte tenu de l'appréciation qu'elle a faite ci-dessus de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie dans le secteur concerné, l'Autorité retiendra, pour déterminer le montant de base de la sanction, une proportion de 0,9 % de la moyenne du chiffre d'affaires total réalisé en France par la société Sécurité Vol Feu sur les exercices 2013 et 2014, soit un montant de base de la sanction de 46 052 euros.
C. SUR L'INDIVIDUALISATION DE LA SANCTION
122. L'Autorité s'est engagée à adapter les montants de base retenus au regard du critère légal tenant à la situation individuelle de chacune des parties en cause, qu'il s'agisse d'organismes ou d'entreprises, appartenant le cas échéant à des groupes plus larges.
123. À cette fin, et en fonction des éléments propres à chaque cas d'espèce, elle peut prendre en considération différentes circonstances atténuantes ou aggravantes caractérisant le comportement de chaque entreprise dans le cadre de la mise en œuvre des infractions en cause, ainsi que d'autres éléments objectifs pertinents relatifs à sa situation individuelle. Cette prise en considération peut conduire à ajuster la sanction tant à la hausse qu'à la baisse.
124. En l'espèce, la société Sécurité Vol Feu soutient qu'il conviendrait de tenir compte de l'absence de réitération des pratiques litigieuses, soulignant n'avoir jamais été sanctionnée par l'Autorité et avoir cessé toute activité d'entente dès connaissance de sa contravention à la législation.
125. A cet égard, les dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoient que l'Autorité peut prendre en compte la réitération de pratiques anticoncurrentielles au titre des critères aggravants de la sanction, mais la circonstance que l'entreprise n'a jamais été sanctionnée pour avoir enfreint les dispositions du titre II du livre IV du Code de commerce constitue un comportement régulier que la loi ne retient pas au titre de l'atténuation de la sanction encourue (voir, en ce sens, les arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6/89, point 295, et du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof Kartongesellschaft, T-347/94, point 370).
126. Il n'y a donc pas lieu en l'espèce de tenir compte de circonstance atténuante ou aggravante.
D. SUR LES AJUSTEMENTS FINAUX
1. SUR LA VÉRIFICATION DU RESPECT DU MAXIMUM LÉGAL
127. Conformément au I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, lorsque le contrevenant est une entreprise, le montant maximum de la sanction pécuniaire est de 10 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante.
128. Aux termes de l'article L. 464-5 du Code de commerce : " L'Autorité, lorsqu'elle statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3, peut prononcer les mesures prévues au I de l'article L. 464-2. Toutefois, la sanction pécuniaire ne peut excéder 750 000 euros pour chacun des auteurs de pratiques prohibées ".
129. La société Sécurité Vol Feu ayant réalisé un chiffre d'affaires d'un montant de 5 602 743 euros au cours de l'exercice comptable 2015, le montant maximal de la sanction pécuniaire encourue est de 560 274 euros.
130. La sanction encourue par la société Sécurité Vol Feu est donc inférieure au plafond légal de l'entreprise en cause.
2. SUR LA SITUATION FINANCIÈRE DE L'ENTREPRISE
131. Au titre des éléments propres à la situation de chaque entreprise ou organisme en cause, l'Autorité s'est en dernier lieu engagée à apprécier les difficultés financières particulières de nature à diminuer la capacité contributive dont les parties invoquent l'existence, selon les modalités pratiques indiquées dans le communiqué du 16 mai 2011 précité.
132. Il appartient en effet à l'entreprise de justifier l'existence de telles difficultés en s'appuyant sur des preuves fiables, complètes et objectives attestant de leur réalité et de leurs conséquences concrètes sur sa capacité contributive (voir, en ce sens, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, précité, p. 73).
133. En l'espèce, la société Sécurité Vol Feu n'invoque aucune difficulté particulière et n'a pas produit d'éléments financiers et comptables permettant de démontrer l'existence de difficultés financières affectant sa capacité à s'acquitter de la sanction que l'Autorité envisage de lui infliger.
3. SUR LE MONTANT FINAL DE LA SANCTION
134. Au vu de l'ensemble des éléments généraux et individuels tels qu'exposés ci-dessus, le montant de la sanction infligée à la société Sécurité Vol Feu est fixé à la somme arrondie de 46 000 euros.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que la société Sécurité Vol Feu a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 : Il est infligé une sanction pécuniaire de 46 000 euros à la société Sécurité Vol Feu.
Délibéré sur le rapport oral de Mme Melynda Matoura, rapporteure et lintervention de M. Nicolas Deffieux, rapporteur général adjoint, par M. Emmanuel Combe, vice-président, président de séance, Mme Élisabeth Flüry-Hérard et M. Thierry Dahan, vice-présidents.