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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 20 mars 2018, n° 17-00016

REIMS

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

S. et Fils (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

Mmes Maussire, Lefort

T. com. Reims, du 18 oct. 2016

18 octobre 2016

Exposé du litige :

Le 15 septembre 2014, la Sarl S. et Fils a, pour les besoins de son activité de boulangerie-pâtisserie, acquis auprès de M. Francis B. sur le site d'annonces " Le Bon Coin " un matériel professionnel d'occasion présenté comme étant une tempéreuse à chocolat, pour un prix de 3 500 euros.

La Sarl S. et Fils s'est estimée lésée à réception de ce matériel, car elle a constaté que la machine ne disposait pas de la fonction de refroidissement automatique du chocolat et elle a essayé d'obtenir une réduction du prix, mais en vain.

Par exploit d'huissier de justice en date du 3 décembre 2016, la Sarl S. et Fils a fait assigner M. Francis B. devant le Tribunal de commerce de Reims aux fins de voir prononcer l'annulation de la vente, condamner M. Francis B. à lui rembourser la somme de 3 500 € avec intérêts au taux légal à compter du 15 septembre 2014, en contre-partie de la restitution de la machine litigieuse, et à lui payer les sommes de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts et de 1150 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. Francis B. a conclu au rejet des demandes de la Sarl S. et Fils et à sa condamnation au paiement de la somme de 1150 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 18 octobre 2016, le Tribunal de commerce de Reims a débouté la Sarl S. et Fils de ses demandes et l'a condamnée à payer à M. Francis B. la somme de 1 150 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que la Sarl S. et Fils reprochait à M. Francis B. de lui avoir vendu un appareil dépourvu de la fonction refroidissement, alors que l'annonce que M. Francis B. a fait paraître sur le Bon Coin n'indiquait pas cette fonction et qu'aucune manœuvre dolosive n'étant caractérisée à son encontre, l'annulation de la vente n'était pas encourue.

Par déclaration enregistrée le 4 janvier 2017, la Sarl S. et Fils a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions déposées le 2 avril 2017, elle demande à la cour d'infirmer entièrement le jugement rendu, d'annuler la vente, de condamner M. Francis B. à lui restituer la somme de 3 500€ correspondant au prix de vente, avec intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2014, date de la première réclamation, étant précisé qu'il appartiendra à M. Francis B. de venir chercher le matériel litigieux ou d'avancer les frais de livraison après avoir remboursé la somme précitée, de condamner M. Francis B. à lui régler la somme de 3 000 € de dommages et intérêts pour son préjudice financier et celle de 1 800 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'appui de son appel, la Sarl S. et Fils expose :

- que M. Francis B. a présenté sur le site Le Bon Coin l'appareil litigieux comme étant une tempéreuse à chocolat, alors qu'il s'agissait seulement d'une fontaine à chocolat puisque cette machine ne comporte pas la fonction de refroidissement par ventilation permettant d'effectuer le tempérage du chocolat,

- que les photos parues sur le Bon Coin ne permettaient pas de voir que cette machine avait une touche " chaud " mais pas de touche " froid ",

- qu'il n'y a pas eu rencontre de volontés sur la vente, puisqu'elle croyait acheter une tempéreuse à chocolat, alors que M. Francis B. vendait en réalité une fontaine à chocolat, de sorte que l'annulation de la vente doit être prononcée pour défaut ou vice de consentement, erreur voire dol,

- que M. Francis B., qui est lui-même boulanger-pâtissier, a voulu vendre plus vite cette machine en la qualifiant faussement de tempéreuse à chocolat,

- que M. Francis B. arguait dans son annonce de ce que cette machine permettait de développer la production de chocolat, alors qu'il n'en était rien, ce qui lui a occasionné un préjudice découlant de l'absence de production et de chiffre d'affaires attendu, préjudice financier qu'il estime à 3 000 euros.

Par conclusions déposées le 17 mai 2017, M. Francis B. demande à la cour de confirmer le jugement déféré dans l'ensemble de ses dispositions, de déclarer la Sarl S. irrecevable et mal fondée et de la condamner à lui payer une somme de 1 150 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.

M. Francis B. fait valoir :

- qu'il n'est pas intervenu dans cette vente à titre professionnel, puisqu'il n'est pas un professionnel de la vente de matériel de fonte ou de refroidissement de chocolat,

- que la machine qu'il a vendue porte l'indication " temperatrice ", mot italien qui signifie bien " tempéreuse ",

- qu'il n'a jamais indiqué que cette machine avait une fonction de refroidissement ou disposait d'une touche " froid ",

- que la machine litigieuse permet de maintenir le chocolat à la température voulue, avec possibilité de monter ou de descendre cette température,

- que lui-même, dans l'exercice de sa profession de boulanger-pâtissier-chocolatier, s'est servi de cette machine pour la fabrication de différentes sortes de chocolats en adaptant la température en fonction du chocolat à travailler,

- que la Sarl S. et Fils a l'utilité de cette machine puisque dans un premier temps elle n'a pas sollicité l'annulation de la vente mais la réduction du prix.

MOTIFS DE LA DECISION :

Vu les dernières écritures déposées par la Sarl S. et Fils et par M. Francis B.,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 9 janvier 2018.

Sur l'annulation de la vente

L'erreur est une cause de nullité de la convention lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.

L'erreur sur la substance est notamment celle qui porte sur les qualités substantielles de la chose en considération desquelles les parties ont contracté.

En l'espèce, la Sarl S. et Fils s'est portée acquéreur de la machine que M. Francis B. vendait sous l'intitulé " Tempéreuse chocolat Pomati ". L'annonce publiée sous ce titre sur le site Le Bon Coin décrivait comme suit la machine mise en vente :

" Vend tempéreuse chocolat Pomati - Fiable et robuste année 2009 - capacité de fonte 20 kg - Triphase - dosage volumétrique à pédale - nettoyage et changement de chocolat facile - Prix : 3 500 - Parfaite pour les personnes souhaitant augmenter leur capacité de production ou développer leur chocolat ".

Une tempéreuse à chocolat est une machine qui permet de moduler la température du chocolat qui doit être travaillé : cette machine doit permettre de chauffer le chocolat pour le faire fondre, puis de le refroidir rapidement en maîtrisant la courbe de température. Un tempéreuse comporte donc nécessairement deux fonctions : une fonction " réchauffement " et une fonction " refroidissement ".

Or, il est constant que la machine que M. Francis B. a vendue à la Sarl S. et Fils ne comporte pas de fonction de refroidissement. Il apparaît très clairement sur les photographies qui illustrent le procès-verbal de constat établi le 10 août 2015, notamment sur les gros-plans du tableau de commandes, que la machine n'est pourvue que d'une fonction de réchauffement.

La machine que M. Francis B. a vendue n'est donc pas une tempéreuse, mais une trempeuse à chocolat, qui permet seulement de chauffer le chocolat et de le garder chaud (par exemple pour l'utiliser en fontaine à chocolat).

Cette constatation est confirmée par les explications que la société Spiral France, importateur en France des machines de marque Pomati, a données à la Sarl S. et Fils :

" La machine que vous possédez est du format " Guaranda " ou T20. Pour autant et sur la base des photos que vous nous présentez, il ne s'agit pas d'une tempéreuse, mais d'un modèle dit " ICE " qui est en fait une fontaine à chocolat. Comme on peut le constater sur le panneau de commande, il n'apparaît pas de touche " froid " permettant de commander le refroidissement indispensable pour effectuer la courbe de température nécessaire au tempérage du chocolat... Nous n'avons jamais vendu ce modèle ICE qui était réservé en Italie aux glaciers où il sert de fontaine à chocolat pour les cornets ".

Dès lors, quand bien même le fabricant italien a-t-il fait figurer sur sa machine le mot italien " températrice ", la Sarl S. et Fils a été induite en erreur sur les qualités substantielles de la machine qu'elle a achetée : elle croyait acheter une tempéreuse, dotée d'une fonction refroidissement, indispensable pour travailler le chocolat dans de bonnes conditions, alors qu'elle n'achetait qu'une trempeuse, dépourvue de cette fonction de refroidissement. Cette erreur est excusable, même si elle a été commise par un professionnel du chocolat, car l'annonce était bien intitulée " tempéreuse à chocolat " et non " trempeuse à chocolat " ou " fontaine à chocolat " et les deux photos qui figuraient sur l'annonce n'étaient pas des gros-plans suffisants pour qu'il apparaisse clairement que le tableau de commandes était dépourvu de touche " froid ". En outre, aucune des explications littérales qui constituaient l'annonce ne permettait de suspecter l'absence de la fonction refroidissement, même si elle n'était pas évoquée explicitement. Enfin, l'erreur a été déterminante du consentement de la Sarl, qui exerce une activité de chocolatier, puisqu'en l'absence de sa fonction refroidissement la machine ne permet pas de travailler le chocolat.

Par conséquent, le consentement de la Sarl S. et Fils a été vicié et l'annulation de la vente doit être prononcée. M. Francis B. sera condamné à rembourser à cette Sarl le prix de vente, soit 3 500 euros et il devra restituer à cette société la machine litigieuse.

Il n'est pas contestable que cette erreur a causé un préjudice d'exploitation à la Sarl S. et Fils, puisqu'elle n'a jamais pu utiliser cette machine aux fins de production de chocolats pour lesquelles elle l'avait acquise. Ce préjudice a été causé par la faute de M. Francis B. qui a présenté sa machine comme étant une tempéreuse à chocolat, alors qu'elle n'en était pas une. Il doit donc réparation des conséquences de cette faute. M. Francis B. sera condamné à indemniser le préjudice d'exploitation de la Sarl qui s'établit, au vu des éléments produits, à hauteur de 1 000 euros.

Le jugement déféré sera infirmé sur tous ces points.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

M. Francis B., qui est la partie perdante, supportera les dépens et sera débouté de sa demande de remboursement de ses frais de justice irrépétibles. En outre, il est équitable qu'il soit condamné à payer à la Sarl S. et Fils la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, déclare l'appel recevable, infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, annule la vente d'une machine de marque Pomati, modèle " Guaranda T20 ", année 2009, que la Sarl S. et Fils a achetée à M. Francis B. en 2014, En conséquence, condamne M. Francis B. à rembourser à la Sarl S. et Fils le prix de vente, soit 3 500 euros en principal, avec intérêts au taux légal à compter du 13 mars 2015, date de la première lettre recommandée de mise en demeure de rembourser l'intégralité du prix de vente, et ordonne à la Sarl S. et Fils de laisser cette machine à la libre disposition de M. Francis B. qui pourra venir la récupérer lui-même (ou toute personne expressément mandatée par lui à cette fin) à Petit Redesching dès qu'il aura effectué le remboursement précité, condamne M. Francis B. à payer à la Sarl S. et Fils la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en compensation de son préjudice d'exploitation, déboute M. Francis B. de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne M. Francis B. à payer à la Sarl S. et Fils la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne M. Francis B. aux dépens de première instance et d'appel.