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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 30 mars 2018, n° 15-12740

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Peronnet Distribution (Sasu)

Défendeur :

Société de Distribution et de Logistique Transport (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lis Schaal

Conseillers :

Mme Bel, M. Picque

Avocats :

Mes Etevenard, Merico, Durand, de Groote

T. com. Lyon, du 2 avr. 2015

2 avril 2015

Entreprise de transport public de marchandises située dans le département de la Loire, la SAS Peronnet Distribution (société Peronnet) sous-traitait depuis 2008, une partie de l'activité de ses agences d'Île-de-France à la SAS Société de Distribution de Logistique et de Transport - SDLT -, dont le siège est en Seine et Marne, les relations n'ayant pas fait l'objet d'un écrit. Faisant valoir ne plus recevoir d'ordres depuis le 16 novembre 2011 et estimant, en conséquence, avoir été victime d'une rupture brutale de la relation commerciale établie, la société SDLT a mis en demeure la société Peronnet, par lettre recommandée du 8 mars 2012, réitérée le 29 mars suivant par lettre recommandée AR de son conseil, de lui verser la somme de 66 663,36 euros HT (79 729,38 euros TTC) au titre d'un préavis de 3 mois dont elle estime avoir été privée.

Puis, le 29 janvier 2014, la société Peronnet n'ayant pas donné suite, la société SDLT l'a attrait devant le Tribunal de commerce de Lyon, au visa des articles L. 442-6, I, 5° et D. 442-4 du Code de commerce, aux fins de l'entendre la condamner à lui payer une indemnité d'un montant de 60 000 euros en réparation du préjudice résultant de la brutalité de la rupture, outre l'indemnisation de ses frais irrépétibles.

S'y opposant, en soutenant qu'en lui ayant notifié une augmentation de 4,2 % de ses tarifs par lettre du 12 décembre 2011 à effet dès le 1er janvier suivant, la société SDLT était le véritable auteur de la rupture, la société Peronnet, invoquant aussi tant la non application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce aux relations commerciales de transports publics routiers de marchandises, que la prescription annale résultant de l'article L. 133-6 du même code concernant le contrat de transport, a sollicité l'indemnisation de ses frais non compris dans les dépens.

Par jugement contradictoire du 2 avril 2015 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a condamné la société Peronnet à payer à la société SDLT la somme de 31 200 euros au titre de la rupture brutale et la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, en ayant essentiellement retenu que :

d'une part, la société Peronnet n'avait pas été en mesure d'expliquer l'interruption des commandes dès le 16 novembre 2011, d'autre part, que la rupture [brutale] des relations commerciales établies dans le cadre d'un contrat de transport n'est pas soumise à la prescription annale, outre que le préavis aurait dû être d'une durée de 3 mois en application du contrat-type de transport, le chiffre d'affaires mensuel moyen pris en compte par le tribunal étant de 26 000 euros HT et la marge brute étant de 40 %.

Vu l'appel interjeté le 16 juin 2015, par la société Peronnet et ses dernières écritures de fond télé-transmises le 29 décembre suivant réclamant la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles et poursuivant l'infirmation du jugement en sollicitant le rejet des demandes de la société SDLT :

à titre principal, aux motifs que, selon l'appelante, l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce instaurant une responsabilité de nature délictuelle, ne s'applique pas dans le cadre des relations commerciales de transports publics routiers de marchandises exécutés par un sous-traitant, lequel serait seulement fondé à se prévaloir de l'action contractuelle découlant de l'article 12-2 du contrat-type [de transport] annexé au décret du 26 décembre 2003, mais que cette action serait aujourd'hui prescrite, subsidiairement, aux motifs que la société Peronnet n'est pas à l'origine de la rupture des relations contractuelles et que la société SDLT ne justifie pas du préjudice qu'elle allègue, étant observé que la société Peronnet a aussi télé-transmis des conclusions de procédure le 22 février 2017 pour uniquement solliciter la fixation de l'affaire ;

Vu les dernières conclusions télé-transmises le 9 novembre 2015, par la société SDLT intimée, réclamant la somme de 5 000 euros également, au titre des frais non compris dans les dépens et poursuivant la confirmation du jugement sauf, en formant appel incident, sur le montant de l'indemnité allouée en réclamant de le porter à hauteur de la somme de 60 787 euros, correspondant, selon l'intimée, à sa marge brute sur la durée du préavis de trois mois, dont elle a été privée ;

SUR CE,

Considérant que la société Peronnet soutient :

d'une part, que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce n'est pas applicable, dès lors (selon elle) qu'à défaut de stipulations contractuelles, les rapports du sous-traitant et de l'opérateur de transport sont régis par le contrat-type institué par la LOTI, en application de l'article L. 1432-4 du Code des transports, l'article 12-2 du contrat-type (annexé au décret du 26 décembre 2003) prévoyant un préavis de trois mois, d'autre part, que l'article L. 133-6 du Code de commerce, disposant que toutes les actions auxquelles peut donner lieu le contrat de transport, sont prescrites dans un délai d'un an, pour en déduire que la prescription annale s'applique aux actions née de la rupture du contrat de transport, la société SDLT n'ayant pas agi avant fin décembre 2012 ;

Mais considérant que la rupture d'une relation commerciale ne correspond pas à la rupture d'un contrat, les relations visées par l'article précité pouvant être établies même si les deux sociétés concernées ne sont pas liées par une convention, de sorte que la rupture brutale de relations commerciales établies, fussent-elles nées d'un contrat de transport, n'est pas soumise à la prescription annale de l'article L. 133-6 du Code de commerce ;

Qu'il résulte de la combinaison de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de l'article 8-II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 (dite LOTI) et du contrat-type de transport routier approuvé par le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003, que les usages commerciaux visés au premier de ces textes, en ce qui concerne la détermination de la durée de préavis de rupture de la sous-traitance de transport, doivent s'apprécier en fonction de la durée prévue au contrat-type dont dépendent les professionnels concernés, soit, en l'espèce, une durée de trois mois ;

Considérant, par ailleurs, que la société Peronnet, faisant état de la lettre du 12 décembre 2011 de la société SDLT lui annonçant une augmentation de ses tarifs de 4,2 % à compter du 1er janvier 2012, sans concertation préalable, prétend que c'est la société SDLT qui est en réalité l'auteur de la rupture en faisant état d'échanges téléphoniques et de courriels en vue de trouver un accord sur un tarif, et en affirmant que la société SDLT n'y aurait pas donné suite ;

Mais considérant qu'il n'est pas véritablement contesté que les parties entretenaient une relation stable et continue depuis 2008, qu'en ne produisant pas aux débats les courriels prétendument échangés postérieurement à la lettre du 11 décembre 2011 sur la discussion de nouveaux tarifs, en reconnaissant elle-même ne pas les avoir conservés, et que, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, la société Peronnet n'explique pas l'arrêt brutal des passations d'ordres de transport à partir du 16 novembre 2011, alors qu'il ressort des relevés de factures du 24 octobre au 16 novembre 2011 [pièce intimée n° 4] et du " listing " des factures de 2011 [pièce intimée n° 11] qu'antérieurement les ordres étaient passés plusieurs fois par semaine, de sorte qu'il apparaît que, dès avant la notification de l'augmentation tarifaire du 11 décembre 2011, la société Peronnet a brutalement interrompu le 16 novembre 2011, la relation commerciale établie avec la société SDLT, sans le lui avoir préalablement notifié par écrit et sans respect d'un préavis au sens de l'article L. 442-6 précité ;

Considérant qu'en prétendant que les chiffres d'affaires globaux réalisés par la société SDLT au cours des exercice sociaux 2011 et 2012, sont demeurés sensiblement constants, la société Peronnet en déduit que la société SDLT n'a pas subi de préjudice consécutif à l'arrêt des relations commerciales entre les parties à l'instance ;

Mais considérant que, quel que soit l'activité développée par ailleurs par la société SDLT avec ses autres partenaires, que l'article L. 442-6, I du Code de commerce dispose que l'agent économique concerné engage sa responsabilité qui l'oblige à réparer le préjudice causé, dès lors qu'il a rompu brutalement une relation commerciale établie, le préjudice indemnisé concernant la rupture considérée de la relation commerciale établie sans égard aux autres activités développées par ailleurs par la victime de la brutalité de la rupture ;

Considérant que, pour critiquer la marge brute de 40 %, retenue par le tribunal, la société Peronnet affirme, en se référant à la Fédération Nationale des Transport Routiers (FNTR), que la marge brute bénéficiaire, prenant en compte l'ensemble des charges directes de production dans son secteur d'activités, est en moyenne de 5,8 % ;

Mais considérant, outre que la société Peronnet n'a pas produit aux débats la documentation de la FNTR qu'elle invoque, qu'il apparaît qu'elle fait état de la marge bénéficiaire finale et non pas de la marge brute ;

Que, sans critique particulière de la société Peronnet, la société SDLT a versé au dossier notamment la liasse fiscale de ses comptes sociaux de l'exercice 2011 en attestant qu'ils ont été établis dans le respect des principes de prudence, de la continuité de l'exploitation, de la permanence des méthodes comptables d'un exercice à l'autre, de l'indépendance des exercices et conformément aux règles générales d'établissement et de présentation des comptes annuels [pièce intimée n° 9] ;

Qu'en fonction des éléments comptables figurant au dossier il apparaît que l'estimation de la marge brute retenue à hauteur de 40 % du chiffre d'affaires par le tribunal doit être confirmée ;

Que la société SDLT fait valoir cependant que le chiffre d'affaires mensuel moyen antérieurement réalisé avec la société Peronnet s'élève à hauteur de la somme de 50 655,68 euros en prenant en compte le chiffre d'affaires réalisé sur la période effective de 10,5 mois du 1er janvier au 16 novembre 2011 et en faisant état des encaissements intervenus jusqu'en février 2012 du montant correspondant des factures ;

Qu'en effet, il apparaît, à l'analyse du compte de la société Peronnet dans l'extrait du grand livre des comptes de la société SDLT, lequel n'a pas fait l'objet de critiques de la part de l'appelante, que, suite aux facturations émises du 1er janvier au 16 novembre 2011, celle-ci a enregistré avec la première des mouvements d'un montant total de 444 824 euros en 2011 [pièce intimée n° 12] et de 87 060,72 euros [pièce intimée n° 13] du 1er janvier au 29 février 2012, soit au total la somme de 531 884,72 euros, conduisant à une moyenne mensuelle sur 10,5 mois de 50 655,68 euros ;

Mais considérant qu'aucune précision n'ayant été donnée sur le montant HT ou TTC de ces mouvements, il convient de retenir qu'ils sont établis en TTC, de sorte que le montant HT s'établit à hauteur de 444 719,67 euros, soit en moyenne sur 10,5 mois, la somme mensuelle de 42 354,25 euros HT ;

Que dès lors il convient d'évaluer l'indemnisation de la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie, sans préavis écrit et sans observer un préavis qui aurait dû être d'une durée de trois mois, à hauteur de la somme arrondie de 50 825 euros 50 825,10 ;

Considérant que succombant dans son recours, l'appelante ne saurait prospérer dans sa demande d'indemnisation de ses frais irrépétibles, mais qu'il serait, en revanche, inéquitable de laisser à la charge définitive de l'intimée, ceux supplémentaires qu'elle a dû exposer en cause d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Réforme le jugement uniquement du chef du montant de l'indemnité allouée et statuant à nouveau, Condamne la SAS Peronnet Distribution à payer à la SAS Société de Distribution et de Logistique Transport - SDLT - la somme de 50 825 euros au titre du préavis de rupture de la relation commerciale, Confirme le jugement pour le surplus, Condamne la SAS Peronnet Distribution aux dépens d'appel et à verser à la SAS Société de Distribution et de Logistique Transport - SDLT - la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, Admet Maître Jean-Patrice de Groote avocat, au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.