Livv
Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 21 mars 2018, n° 15-07957

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vins Bulles & Gourmandises (SAS)

Défendeur :

SDL (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chelle

Conseillers :

Mme Fabry, M. Pettoello

T. com. Libourne, du 20 nov. 2015

20 novembre 2015

FAITS ET PROCÉDURE

La société SAS Vins Bulles et Gourmandises (société VBG) est titulaire depuis le 30 septembre 2008 d'un contrat d'agent commercial de la SARL SDL (société SDL), lui affectant l'exclusivité de la diffusion des champagnes Lenoble sur les départements de Charente, Charente-Maritime, Gironde et Dordogne. Entre autres dispositions, le contrat précise que la société VBG reste autorisée à diffuser les produits que M. X, l'un des associés de la société VBG représente déjà. En annexe 2 du contrat est précisée la liste exhaustive de ces produits, dont les marques Bollinger et Jacquesson en ce qui concerne les champagnes.

Par courrier recommandé du 18 juillet 2014, la société VBG dénonçait "de nombreuses entorses au contrat et à la bonne foi qui doit présider aux relations entre les parties ".

Par courrier recommandé du 18 septembre 2014, la société SDL dénonçait le contrat lui-même, motivant sa rupture par une faute grave de la société VBG.

Par acte du 12 novembre 2014, la société VBG assignait la société SDL devant le Tribunal de commerce de Libourne pour demander la résolution judiciaire du contrat d'agent commercial.

Par jugement contradictoire du 20 novembre 2015, le Tribunal de commerce de Libourne a :

- Déclaré la société VBG recevable mais mal fondée,

- Débouté la société VBG de ses demandes,

- Débouté la société SDL de sa demande reconventionnelle,

- Condamné la société VBG à payer à la société SDL la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Dit qu'il n'a pas lieu à l'exécution provisoire,

- Condamné la société VBG aux entiers dépens, y compris le coût du présent jugement liquidé à la somme de 81,12 euro.

Par déclaration du 18 décembre 2015, la société SAS Vins Bulles et Gourmandises a interjeté appel de la décision.

La proposition de la cour en date du 28 janvier 2016 d'engager une mesure de médiation était rejetée par l'appelante, l'intimée n'y étant pas opposée.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions déposées en dernier lieu le 22 juin 2016, auxquelles il convient de se reporter pour le détail de ses moyens et arguments, la société VBG demande à la cour de :

Déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la SAS VBG.

Reformer le jugement entrepris.

En conséquence,

Constater que la SARL SDL a pris l'initiative de la rupture en violation des conditions du contrat d'intérêt commun faisant la loi des parties.

Dire et juger que la SARL SDL est à l'origine de la rupture par ses agissements fautifs.

Prononcer la résolution judiciaire du contrat du 30 septembre 2008 avec effet rétroactif au 1er octobre 2014 avec toutes conséquences de fait et de droit.

Condamner la SARL SDL à payer les commissions dues pour l'ensemble des affaires menées à bonne fin au 1er Octobre 2014 assorties des intérêts légaux jusqu'à parfait paiement.

Condamner la SARL SDL à réparer le préjudice subi par l'allocation de la somme de 60 000 euro à titre d'indemnité de rupture à la société VBG.

Condamner la SARL SDL à réparer le préjudice subi par l'allocation de la somme de 50 000 euro en raison des nombreuses fautes commises par elle dans l'exécution du contrat.

En tout état de cause débouter la SARL SDL de toutes ses demandes notamment d'indemnisation d'un quelconque préjudice.

Condamner la SARL SDL en 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et en tous les dépens.

L'appelante fait notamment valoir que pour faire obstacle à l'indemnisation liée à la rupture du contrat, il fallait démontrer l'existence d'une faute grave, et que les juges de première instance n'ont pas motivé leurs décisions concernant celle-ci ; que la société VBG n'a transgressé aucune des dispositions contractuelles et en tout état de cause la société SDL n'a subi aucun préjudice; que la diminution des commandes n'est pas due à l'implication de la société VBG ; que la rupture du contrat ne peut être imputée qu'aux multiples manquements de la société SDL, qui manquait à son devoir de loyauté et entravait l'activité de la société VBG.

Elle fait valoir la rupture abusive du contrat par la mandante, le prononcé de la résolution judiciaire du contrat au 1er octobre 2014, le paiement des commissions dues au titre de l'activité antérieure, le paiement de 60 000 euro au titre de l'indemnité de rupture et 50 000 euro au titre des fautes commises par la mandante dans l'exécution du contrat.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 17 mai 2016, auxquelles il convient de se reporter pour le détail de ses moyens et arguments, la société SDL demande à la cour de :

Voir constater que la moyenne de commissions sur les trois dernières années s'établit à la somme de 12 135 euro HT.

Dire et juger que la rupture pour faute grave est justifiée.

Débouter la société VBG de l'intégralité de ses demandes.

Condamner la société VBG à payer à la société SDL une somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice par elle subi.

Condamner la société VBG à payer à la société SDL une somme de 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La condamner aux entiers dépens dont distraction est requise au profit de Maître L., Avocat aux offres de droit conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'intimée fait notamment valoir que la demande de résolution judiciaire du contrat d'agent commercial étant postérieure à la rupture de ce contrat, celle-ci est sans objet; que la faute grave est établie par le fait que la société VBG s'est intéressée à une entreprise directement concurrente (société H.) du mandant ; que cela a eu des conséquences préjudiciables et entraîné une baisse des ventes au cours de l'année 2014 pour la société SDL; que tout les reproches formés par la société VBG sont inexistants.

Elle fait valoir la rupture du contrat pour faute grave et forme une demande de 50 000 euro de dommages et intérêts au titre du préjudice qui en est résulté pour elle.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 janvier 2018.

EXPOSE DES MOTIFS

Les parties étaient liées par un contrat d'agent commercial en date du 30 septembre 2008. Celui-ci a été rompu par le mandant, la société SDL, qui invoquait une faute grave de son mandataire selon courrier du 1er octobre 2014.

Ainsi que l'ont relevé les premiers juges le débat est donc celui de la caractérisation ou non d'une faute grave du mandataire. Il s'en déduit que la demande tendant à la résolution judiciaire du contrat est sans objet, la résiliation étant d'ores et déjà effective. Il reste à apprécier la question de la faute grave du mandataire privative de son droit à indemnité compensatrice par application des dispositions de l'article L. 134-13 du Code de commerce.

Pour conclure à la réformation du jugement, l'appelante invoque en premier lieu un défaut de motivation du jugement en faisant valoir que les juges n'ont fait que présupposer une faute grave. La cour ne saurait suivre cette analyse. Si la motivation du jugement est certes concise, il n'en demeure pas moins que les premiers juges ont retenu que la société VBG avait commercialisé du champagne Charles H. au mépris de l'engagement contractuel et qu'il n'existait pas d'élément de nature à réduire la gravité de cette faute. Si le débat demeure ouvert en cause d'appel, ils n'en demeure pas moins que les premiers juges ont caractérisé une faute grave.

Sur la caractérisation de la faute, il est constant que c'est sur le mandant que repose la charge de la preuve. Il résulte des dispositions de l'article L. 134-3 du Code de commerce que l'agent commercial ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier. En l'espèce, le contrat comportait une annexe 2 listant au jour de la signature du contrat les produits distribués par le mandataire.

Le champagne Charles H. ne figure pas dans l'annexe 2. Il résulte des pièces produites par l'intimée et en particulier de sa pièce 4 que l'appelante commercialisait ces produits. Si l'appelante invoque un caractère plus prestigieux de cette maison de champagne par rapport aux champagnes Lenoble, il n'en demeure pas moins qu'il s'agissait bien de produits directement concurrents. L'intimée produit à ce titre des éléments de revues grand public faisant apparaître chacun des champagnes Lenoble et Charles H. dans des gammes de prix similaires aux côtés d'autres marques de champagne toutes concurrentes.

Une telle commercialisation est donc bien de nature à constituer une faute grave puisqu'il s'agit d'une atteinte à l'intérêt commun des parties par commercialisation d'un produit concurrent. Pour contester qu'il s'agisse en l'espèce d'une faute grave la société VBG fait valoir en premier lieu qu'elle était contractuellement autorisée à commercialiser les produits du château la Verrrerie et que celui-ci ayant racheté en 2011 la maison de champagne Charles H., ces produits sont naturellement tombés dans [son] escarcelle. Toutefois, ainsi que l'objecte l'intimée, si le propriétaire du château la Verrerie a racheté la maison de champagne Charles H., ce n'est qu'en 2014 qu'il a créé la société de diffusion CVH. Surtout, l'annexe du contrat stipulait certes le château La Verrerie au titre des produits distribués par la société VBG mais pour des côtes du Lubéron et non des champagnes. L'appelante ne saurait donc considérer que cette création de la société CVH lui conférait automatiquement l'autorisation de distribuer tous les produits de cette entité y compris quand ils étaient concurrents de son mandant et sans autorisation.

L'appelante se prévaut de cet accord et soutient que la situation était notoire et n'a jamais fait l'objet de la moindre difficulté. C'est toutefois à elle de rapporter la preuve d'un tel accord qu'elle invoque sous la forme d'une tolérance de l'intimée. Or, aucun élément ne permet de caractériser la connaissance par l'intimée de la commercialisation d'un produit concurrent avant la télécopie du 23 juillet 2014 (télécopie de VBG à la société SDL faisant apparaître une commande de champagne Charles H.). Aucune connaissance ne saurait être déduite de la modification des liens capitalistiques des sociétés, fût-elle connue de la société SDL puisque le contrat en son annexe 2 faisait bien état d'une liste de produits.

On ne saurait considérer qu'il existe un silence valant tolérance de la part de l'intimée dès lors que suite à la télécopie du 23 juillet 2014, qui constitue le premier élément de connaissance par l'intimée de la commercialisation litigieuse, c'est par courrier du 18 septembre 2014 que la société SDL a invoqué cette faute, soit un délai de réaction inférieur à deux mois.

Toute l'analyse de l'appelante procède en réalité d'une chronologie qu'elle considère comme lui étant favorable dans la mesure où elle estime que le courrier du 18 septembre 2014 est une réponse à son courrier du 18 juillet de la même année, lequel était donc antérieur à ce qu'elle qualifie de gaffe (envoi de la télécopie à la société SDL faisant apparaître une commande de champagne Charles H.). Toutefois, cette chronologie n'est pas établie. En effet la date du 18 juillet 2014, qui ferait considérer que l'appelante a en réalité exposé ces propres griefs avant toute difficulté, ne peut être considérée comme certaine. Au contraire, la société SDL produit l'enveloppe du courrier recommandé faisant apparaître une date d'envoi, non pas au 18 ou au 19 juillet 2014, mais au 1er août 2014 soit après que la commande de Charles H. ait été adressée par erreur à la société SDL.

De l'ensemble de ces éléments, la cour retient que l'intimée rapporte la preuve de ce que l'appelante a commercialisé des produits concurrents sans que cette dernière ne puisse se prévaloir d'un accord même tacite. L'appelante ne démontre pas que ceci soit la conséquence de manquements de la société SDL à ses propres obligations contractuelles. En effet, si la société VBG argumente sur des incidents qui auraient émaillé la relation contractuelle, ce qui apparaît quelque peu inévitable sur la durée, il n'est pas donné d'éléments faisant apparaître une quelconque réclamation avant l'envoi de la télécopie du 23 juillet 2014 puisque le courrier, daté du 18 juillet, est en réalité postérieur. Ceci est bien caractéristique d'une faute grave au sens des dispositions susvisées. En effet, pour que la cour puisse considérer que le manquement de l'appelante à ses obligations contractuelle trouve son origine dans la propre attitude de l'intimée encore faudrait-il que celle-ci ait été interpellée, quelqu'en soit la forme, par le mandataire avant la constatation de sa propre faute. C'est cette chronologie qui fait défaut de sorte que les éventuels manquements de l'intimée ne peuvent en l'espèce justifier le manquement établi de l'appelante.

Il s'en déduit que c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que cette faute était privative de l'indemnité compensatrice. La société VBG ne pouvait donc qu'être déboutée de sa prétention à la somme de 60 000 euro à titre d'indemnité de rupture. Il n'y avait pas davantage lieu à l'indemnisation à hauteur de 50 000 euro en réparation de manquements de la société SDL étant observé que le préjudice à ce titre n'est ni établi, ni même véritablement argumenté.

Formant appel incident, la société SDL reprend sa demande indemnitaire à hauteur de 50 000 euro soutenant que la faute de la société VBG lui a causé un préjudice commercial. La cour observe que la société SDL est particulièrement laconique sur la démonstration de son préjudice qu'elle calcule au demeurant non sur une perte de marge mais sur une perte de chiffre d'affaires, ce qui ne saurait être admis. De surcroît, elle n'établit pas que la baisse du chiffre d'affaires qu'elle invoque soit en lien de causalité avec la faute de la société VBG. Cette faute est certes privative d'indemnité compensatrice mais ne saurait donc de surcroît donner lieu à des dommages et intérêts.

Le jugement sera ainsi confirmé en toutes ses dispositions.

L'appel étant mal fondé, la société VBG sera condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Libourne du 20 novembre 2015, Y ajoutant, Condamne la SAS Vins Bulles et Gourmandises à payer à la SARL SDL la somme de 3 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SAS Vins Bulles et Gourmandises aux dépens et dit qu'il pourra être fait application par maître L. qui le demande des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile au titre des dépens d'appel.