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Décisions

Cass. com., 21 mars 2018, n° 16-15.423

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Syndicat National des Dermatologues-Vénérologues Guinot (SAS) , Mary Cohr (SAS)

Défendeur :

Max Maryne (Sté) ; Pernaud (ès qual.) , MFB Provence (SARL) , Confédération Nationale de l'Esthétique Parfumerie , Union des Marques du Matériel , Beauty Tech (SARL) , Oxann (SARL) , ADL Esthétique (SARL) , Corpoderm (SARL) , Eurofeedback (SAS) , Derma Scientifics (SARL) , Mondial beauté (SARL) , Dermeo (SAS) , Leo's distribution Talabi (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Darbois

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Hémery, Thomas-Raquin, SCP Gadiou, Chevallier, SCP Spinosi, Sureau

Paris, pôle 5, ch. 4, du 24 févr. 2016

24 février 2016

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 février 2016), tel que rectifié par deux arrêts du 13 avril 2016, que la société Guinot, qui approvisionne des esthéticiennes indépendantes en méthodes, produits et machines destinés à l'épilation, reprochant aux sociétés Dermeo, Derma Scientifics, Corpoderm, MFB Provence (MFB), Léo's distribution Talabi (Léo's distribution), Beauty Tech, ADL Esthétique, Eurofeedback, Oxann Esthefrance (Oxann) et Mondial beauté, ainsi qu'à M. Pernaud, en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Max Maryne, de vendre du matériel d'épilation à lumière pulsée permettant aux instituts d'user de méthodes illégales et désorganisant le marché de l'épilation, les a assignés en concurrence déloyale ; que la société Mary Cohr, filiale de la société Guinot, est intervenue volontairement à l'instance, de même que le Syndicat national des dermatologues-vénérologues (le SNDV), qui, soutenant que la commercialisation à des personnels non médecins de ces appareils constituait une faute à l'égard de la profession qu'il représente, a demandé réparation de son propre préjudice ; que la Confédération nationale de l'esthétique-parfumerie (la CNEP) et l'Union des marques du matériel (l'UMM) sont intervenues volontairement à l'instance ;

Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés Guinot et Mary Cohr et le SNDV font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes alors, selon le moyen : 1°) que commet une faute qui engage sa responsabilité l'opérateur économique qui ne respecte pas la réglementation applicable ; qu'en application de l'article 2-5° de l'arrêté ministériel du 6 janvier 1962 et de l'article L. 4161-1 du Code de la santé publique, la pratique de l'épilation par lumière pulsée est, pour des impératifs de santé publique, interdite à toute personne autre que les docteurs en médecine ; que commet donc une faute engageant sa responsabilité le fabricant ou distributeur qui vend, à des esthéticiennes et des instituts de beauté, des appareils permettant l'épilation par lumière pulsée, en sachant que, même si ces appareils peuvent servir à un autre usage, ils vont être utilisés par leurs acquéreurs pour pratiquer illégalement des épilations ; qu'en retenant au contraire que, dès lors que les lampes à lumière pulsée n'ont pas pour seul usage la pratique de l'épilation mais également des soins de rajeunissement et que la vente de tels appareils est libre et peut s'adresser à tous, particuliers, professionnels non médecins et médecins, les sociétés Dermeo, Derma Scientifics, Corpoderm, MFB, Léo's distribution, Beauty Tech, ADL Esthétique, Eurofeedback, Oxann et Mondial beauté, ainsi que la société Max Maryne, représentée par M. Pernaud, ès qualités, ne commettent aucune faute en vendant lesdits appareils à des personnes dont elles " n'ignorent pas les activités " et ne s'octroient aucun avantage commercial illicite au détriment des sociétés Guinot et Mary Cohr à l'égard desquelles elles n'ont pas à répondre de l'utilisation des appareils faite par leurs acquéreurs en violation de la réglementation en vigueur, sans constater que ces sociétés ignoraient, lorsqu'elles vendaient les appareils litigieux, que ceux-ci seraient utilisés par leurs acquéreurs non médecins à des fins illicites, contraires à des impératifs de santé publique, constatant même au contraire qu'elles n'ignoraient pas les activités des acquéreurs, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) que l'existence d'une situation de concurrence directe et effective n'est pas une condition de l'action en concurrence déloyale qui exige seulement l'existence de faits fautifs générateurs d'un préjudice ; qu'en retenant en l'espèce que les appareils " multifonctions ", qui permettent à la fois l'épilation et la " réjuvénation ", commercialisés par les sociétés Dermeo, Derma Scientifics, Corpoderm, MFB, Léo's distribution, Beauty Tech, ADL Esthétique, Eurofeedback, Oxann et Mondial beauté, ainsi que la société Max Maryne, représentée par M. Pernaud, ès qualités, n'assurent pas exactement les mêmes services que les cires mises en vente par les sociétés Guinot et Mary Cohr, que ces sociétés n'évoluent donc pas sur le même marché et ne sont donc pas en situation de concurrence, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, en violation de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève, d'abord, que la vente des appareils à lumière pulsée est libre et s'adresse tant aux particuliers et professionnels non médecins qu'aux médecins ; qu'il relève, ensuite, que les dispositions de l'arrêté du 6 janvier 1962 et des articles L. 1152-1, L. 1151-3 et L. 4161-1 du Code de la santé publique ne s'appliquant pas à ces ventes, les sociétés poursuivies ne méconnaissent aucune contrainte réglementaire ni ne s'octroient d'avantage concurrentiel illicite au détriment des sociétés Guinot et Mary Cohr ; qu'il retient, en outre, que les sociétés venderesses des appareils aux fins d'épilation à lumière pulsée n'ont pas à répondre envers les sociétés Guinot et Mary Cohr de leur utilisation par des acquéreurs professionnels non titulaires du diplôme de médecin ; qu'il retient, enfin, s'agissant des actes invoqués par le SNDV, que, même si les fournisseurs n'ignorent pas l'activité exercée par les acquéreurs, la vente des appareils en question ne peut être fautive, dans la mesure où il appartient aux instituts et esthéticiens professionnels de connaître les limites à leur utilisation, notamment la prohibition de procéder à des actes que seul un médecin peut faire en application de l'article 5-2 de l'arrêté du 6 janvier 1962, compte tenu des risques que ces pratiques épilatoires peuvent faire courir pour la santé ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a déduit l'absence de faute commise par les vendeurs du matériel litigieux, la cour d'appel, qui n'a pas fait de l'absence de concurrence directe ou effective des parties une condition de l'action en concurrence déloyale, a pu considérer que, même si les sociétés poursuivies mettent sur le marché de l'épilation des appareils qui sont utilisés en violation de la réglementation, elles ne commettent pas d'actes de concurrence déloyale au détriment tant des sociétés Guinot et Mary Cohr que du SNDV ; que le moyen, qui manque en fait en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le second moyen : - Attendu que les sociétés Guinot et Mary Cohr et le SNDV font grief à l'arrêt de condamner la société Guinot à payer des dommages-intérêts pour procédure abusive et les sociétés Guinot et Mary Cohr ainsi que le SNDV à payer des dommages-intérêts pour appel abusif alors, selon le moyen : 1°) qu'en condamnant la société Guinot pour procédure abusive et appel abusif, motif pris que celle-ci savait parfaitement quel était l'état du droit en la matière et que la vente de ces appareils est libre ; qu'elle a agi témérairement et abusivement en engageant la procédure actuelle dont elle ne pouvait ignorer l'issue et que cette procédure n'a eu pour seul objectif que de chercher à nuire aux sociétés Léo's distribution, MFB Provence, Dermeo, ADL Esthétique, Beauty Tech, Mondial beauté, Eurofeedback, à la CNEP et à l'UMM, tout en constatant que " la pratique de l'épilation grâce à un appareil à lumière pulsée par des non médecins pose une problématique de santé publique et relève d'enjeux économiques importants ; que des décisions judiciaires condamnent les esthéticiennes pour exercice illégal de la médecine [...] ; que des décisions judiciaires annulent la vente des appareils à lumière pulsée consentie à des professionnels non médecins ; que des réflexions sont en cours depuis de nombreuses années ; que la société Guinot, qui n'approuvait pas la position de la CNEP-UME, a démissionné de cette Confédération et de cette Union selon courrier du 5 octobre 2011 " ; que dans le cadre de l'instance ayant abouti à l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 28 mars 2013, " le rapporteur public indiquait qu'il appartiendrait, s'il le jugeait utile, au ministre de la santé de procéder aux modifications nécessaires ; que, plus récemment encore, le 18 septembre 2014, le président de la Commission de sécurité des consommateurs faisait savoir au président du SNDV : " S'agissant des prestations d'épilation par des professionnels, la Commission recommande aux pouvoirs publics de mettre fin à l'incohérence consistant à tolérer, de fait, l'usage par des personnes non titulaires du diplôme de médecine, d'appareils d'épilation à lumière pulsée alors que cette pratique est interdite par la loi " et expliquait le 3 décembre à la présidente de la CNEP que " la décision dans un sens ou dans un autre relève du politique et de l'administration " ", constatations dont il résulte que la vente d'appareils d'épilation à lumière pulsée à des professionnels non médecins posait un sérieux problème, notamment de santé publique, dont il n'apparaissait pas anormal ou illégitime de saisir le juge judiciaire, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser une faute de la société Guinot de nature à faire dégénérer en abus son droit d'ester en justice et d'exercer une voie de recours et a, par là même, violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) que l'appel de la société Mary Cohr et du SNDV étant ainsi jugé abusif à raison du caractère prétendument abusif de l'action de la société Guinot, la cassation du chef de l'arrêt jugeant abusive l'action de la société Guinot entraînera par voie de conséquence, en application de l'article 624 du Code de procédure civile, la cassation de ses chefs jugeant abusif l'appel de la société Mary Cohr et du SNDV qui sont dans sa dépendance ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que la société Guinot, qui savait parfaitement quel était l'état du droit en la matière et que la vente des appareils à lumière pulsée était libre, avait obtenu l'autorisation de saisir des documents comptables des sociétés, avant qu'elle ne lui soit retirée, puis engagé la procédure de façon téméraire, qu'elle avait assigné la société Mondial beauté, qui ne vendait pas le matériel dont elle dénonçait l'utilisation, et, enfin, qu'elle avait démontré un acharnement, y compris en poursuivant la procédure en appel sans développer d'autres moyens, la cour d'appel, nonobstant les considérations d'ordre général faites sur la problématique de santé publique tenant à la pratique de l'épilation par un appareil à lumière pulsée par des personnes non titulaires du diplôme de docteur en médecine, a pu en déduire que la société Guinot avait abusé du droit d'agir en justice et de faire appel ;

Et attendu, d'autre part, que le rejet du premier moyen rend le moyen, pris en sa seconde branche, tiré d'une cassation par voie de conséquence, sans portée ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.