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Décisions

CA Dijon, 2e ch. civ., 22 mars 2018, n° 16-01622

DIJON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Groupama Grand Est (Sté)

Défendeur :

Claas Réseau Agricole (SAS), Claas Tractor (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vautrain

Conseillers :

M. Wachter, Mme Dumurgier

TGI Mâcon, du 1er juill. 2016

1 juillet 2016

Le 15 avril 2010, M. X a acquis auprès de la SAS Claas Réseau Agricole un tracteur agricole d'occasion Renault Celtis 456 RX, qui avait été fabriqué par la SAS Claas Tractor.

Le 3 mars 2011, alors qu'il était utilisé à des travaux d'ensemencement d'une parcelle agricole, le tracteur a pris feu et a été détruit par l'incendie.

Selon quittance subrogative du 28 avril 2011, la compagnie Groupama Grand Est, assureur de M. X, a indemnisé celui-ci des dommages consécutifs à l'incendie de son tracteur pour un montant de 32 400 €.

Par exploit du 27 mai 2013, la compagnie Groupama a fait assigner les sociétés Claas Réseau Agricole et Claas Tractor devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Mâcon aux fins de voir désigner un expert judiciaire.

Il a été fait droit à cette demande par ordonnance du 14 juin 2013 qui a désigné M. A en qualité d'expert. Celui-ci a déposé le rapport de ses opérations le 20 janvier 2015, lequel conclut que le sinistre a pour origine une fuite d'huile sur un flexible de circulation d'huile hydraulique à l'intérieur du capot moteur, qui ne résultait pas d'une erreur de conception.

Par exploits des 7 et 15 avril 2015, la compagnie Groupama Grand Est a alors fait assigner les sociétés Claas Réseau Agricole et Claas Tractor devant le Tribunal de grande instance de Mâcon aux fins de condamnation solidaire à lui payer la somme de 39 223,01 €, outre intérêts à compter du 15 novembre 2011. Elle a fait valoir au soutien de sa demande que l'hypothèse de la fuite d'huile retenue par l'expert judiciaire n'était pas envisageable en l'absence d'anomalie hydraulique signalée par le conducteur et en l'absence de traces d'huile sur la route et les attelages, alors qu'à l'inverse la présence de débris végétaux ainsi que l'absence de protection thermique de l'échappement permettaient de confirmer l'hypothèse d'une mise à feu par projection de micro-particules incandescentes, phénomène sériel connu sur ce type de véhicule. Elle a considéré en conséquence que le tracteur était affecté d'un vice caché antérieur à la vente. La demanderesse a ajouté que même à supposer que l'origine de l'incendie puisse être trouvée dans une fuite de flexible hydraulique, la responsabilité des défenderesses n'en resterait pas moins engagée du fait d'un vice caché de cet organe, dès lors que les flexibles avaient été changés en 2005 et le véhicule entièrement révisé en 2009, soit antérieurement à sa vente à M. X. A titre subsidiaire, la compagnie Groupama a invoqué le défaut de livraison conforme, le manquement du réparateur à son obligation de résultat, et la responsabilité du fait des produits défectueux.

Les sociétés Claas Tractor et Claas Réseau Agricole se sont opposées aux demandes formées à leur encontre, au motif que l'expert judiciaire avait écarté l'hypothèse d'une auto-inflammation de débris végétaux dans la zone de l'échappement, et que le flexible dont la fuite était à l'origine de l'incendie ne figurait pas parmi ceux qui avaient été remplacés avant la vente, lesquels équipaient le circuit d'alimentation de la direction.

Par jugement du 1er juillet 2016, le tribunal, rappelant que l'expert judiciaire avait imputé l'incendie à une fuite fortuite sur un flexible hydraulique, a écarté l'hypothèse d'une inflammation de matières végétales au contact de l'échappement au motif qu'elle n'était pas techniquement démontrée en l'espèce. Il a considéré qu'en l'absence de preuve de l'existence d'un défaut de conception à l'origine du sinistre, la garantie des vices cachés ne pouvait trouver application. Il a par ailleurs rejeté l'argument du défaut de livraison conforme, en indiquant que le bien livré était bien celui qui avait été commandé, a estimé que la responsabilité contractuelle de la société Claas Tractor ne pouvait être recherchée pour ne pas avoir changé le flexible incriminé lors de la révision du tracteur, dès lors qu'il n'était pas établi qu'au moment de la vente cet élément devait être remplacé, et a retenu que l'absence de connaissance des raisons pour lesquelles le flexible était devenu fuyard et avait libéré l'huile qui s'était embrasée au contact du moteur, alors qu'il pouvait s'agir de l'effet de l'usure ou d'un choc intempestif, ne permettait pas de considérer que le véhicule constituait un produit défectueux au sens de la loi. Le tribunal a en conséquence :

- débouté la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du grand Est de l'ensemble de ses demandes en paiement ;

- dit qu'il n'y a pas lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du grand Est aux dépens et admis Me B, avocat, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La compagnie Groupama Grand Est a relevé appel de cette décision le 6 octobre 2016.

Par conclusions notifiées le 17 novembre 2016, l'appelante demande à la cour :

- de dire et juger Groupama recevable et bien fondé en sa demande ;

- en conséquence, de condamner solidairement les sociétés Claas Tractor et Claas Réseau Agricole à lui verser la somme de 39 223,18 €, outre intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 15 novembre 2011 ;

- d'infirmer le jugement déféré ;

- de condamner solidairement les sociétés Claas Tractor et Claas Réseau Agricole à verser la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- de condamner solidairement les sociétés Claas Tractor et Claas Réseau Agricole aux entiers dépens de 1re instance et d'appel.

Par conclusions notifiées le 10 janvier 2017, les sociétés Claas Tractor et Claas Réseau Agricole demandent à la cour :

- de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Par conséquent :

- de débouter la société Groupama de l'intégralité de ses demandes à l'égard de la société Claas Tractor et de la société Claas Réseau Agricole ;

- de condamner la société Groupama au paiement tant à la société Claas Réseau Agricole qu'à la société Claas Tractor d'une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- de condamner la société Groupama entiers dépens tant de première instance que d'appel, dont distraction au profit de Me C ;

A titre infiniment subsidiaire :

- dans l'hypothèse où la cour d'appel retiendrait la responsabilité de la société Claas France sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil, de débouter la compagnie Groupama de sa demande de condamnation au paiement de la somme de 22 800 € correspondant à la valeur de remplacement du tracteur.

La clôture de la procédure a été prononcée le 2 janvier 2018.

En application de l'article 455 du Code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

Sur ce, LA COUR

Pour obtenir l'infirmation de la décision déférée, la compagnie Groupama invoque à titre principal la garantie des vices cachés.

L'article 1641 énonce que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

L'appelante fait valoir que le sinistre est dû à une erreur de conception de l'échappement du véhicule, indiquant que de nombreux incendies étaient survenus sur ce type précis de tracteur par inflammation de projections d'huile ou de débris végétaux au contact de l'échappement, dépourvu de protection thermique, et elle verse pour étayer son argumentation trois jugements rendus au sujet d'engins du même type.

Toutefois, le fait que des tracteurs semblables à celui en cause dans la présente instance aient pu prendre feu pour un motif déterminé ne suffit pas à lui seul à établir de manière certaine que c'est la même cause qui est l'origine de l'incendie survenu en l'espèce.

Pour connaître précisément cette origine, il convient de se référer aux éléments techniques, et notamment à l'expertise judiciaire ordonnée par le juge des référés à la demande de la compagnie Groupama elle-même.

Or les conclusions de M. A infirment la thèse défendue par l'appelante, puisqu'il écarte expressément l'origine invoquée par celle-ci, et attribue en l'occurrence le sinistre à une fuite sur un flexible véhiculant de l'huile hydraulique, laquelle a été vaporisée dans le moteur et s'est enflammée au contact de la chaleur du turbocompresseur. Contrairement à ce que soutient l'appelante, l'expert judiciaire a dûment analysé l'hypothèse avancée par celle-ci, et l'a formellement écartée dans le cadre d'une réponse techniquement circonstanciée à un dire qu'elle avait formulé. Il indique en effet que toutes ses constatations matérielles convergent pour localiser le point de départ de l'incendie sur l'avant du moteur, soit en amont de l'endroit où se situe l'échappement, et souligne l'absence d'impact thermique au-dessous et au bas du filtre à huile de transmission, ce dont il déduit qu'il n'y a eu aucune source de chaleur au niveau de l'échappement, et donc pas de combustion de végétaux à cet endroit. L'expert judiciaire ajoute encore qu'il n'y avait manifestement pas eu d'accumulation de débris végétaux dans la zone de l'échappement, comme cela avait notamment été le cas dans les autres incendies rapportés par Groupama, puisque l'analyse des résidus de matières fondues prélevés à cet endroit n'avait révélé que la présence en faible quantité de matières végétales mélangées aux résidus de plastique fondu provenant du système de chauffage. M. A a encore indiqué que l'odeur décrite par le conducteur au moment de l'accident, tout comme la présence de résidus de couleur rose sur la culasse, ainsi que le fait que le tracteur ait perdu toute assistance hydraulique et se soit mis en roue libre peu après le déclenchement de l'incendie confirmaient sans ambiguïté l'hypothèse d'une fuite et d'un embrasement d'huile hydraulique.

C'est vainement que la compagnie Groupama prétend remettre ces conclusions en cause, au motif qu'il n'était rapporté aucun problème hydraulique antérieur, et qu'il n'a été retrouvé aucune trace d'huile hydraulique sur la chaussée, alors que l'expert judiciaire fait état d'une fuite fortuite, et qu'il précise qu'il n'y a pas eu déversement de l'huile, mais vaporisation de celle-ci en fines gouttelettes, lesquelles ont pris feu en entrant en contact avec le turbocompresseur, ce qui suffit à expliquer l'absence de traces d'huile hydraulique aux abords.

C'est encore en vain que l'appelante soutient que les conclusions de l'expert sont sujettes à caution dès lors que le flexible qu'il incrimine n'a pas été retrouvé comme ayant été détruit par l'incendie, alors d'une part que la reconstitution par l'expert du cheminement du flexible est cohérente avec la localisation du départ du feu, et qu'il ressort d'autre part des pièces versées aux débats par les sociétés intimées, en particulier d'une note technique établie le 19 avril 2016 par son expert, qu'un résidu du flexible est toujours visible sous un pontet de maintien sur la platine positionnée en arrière du radiateur de refroidissement du moteur, soit à l'avant du tracteur.

Enfin, la compagnie Groupama est mal fondée à soutenir qu'il y aurait lieu à garantie des vices cachés même en admettant que l'incendie soit dû à une fuite sur un flexible hydraulique, au motif qu'il n'était pas normal qu'un tel flexible devienne fuyard alors qu'ils avait été changé en février 2005, ou à tout le moins aurait dû l'être lors de la révision du véhicule ayant précédé sa vente à M. X. Les intimées démontrent en effet que les flexibles qui avaient été remplacés en février 2005 étaient les flexibles de direction, qui sont distincts du flexible hydraulique, par leur nature, leur fonction et leur localisation sur le tracteur. Rien ne permet ensuite à la compagnie Groupama de soutenir que le flexible litigieux aurait dû être changé dans le cadre de la révision, puisqu'il n'est pas démontré que cet organe n'ait à cette date plus été en état de fonctionnement, et que la cause de sa rupture n'a pas pu être déterminée par l'expert judiciaire, qui l'a qualifiée de fortuite, étant observé que, comme l'a à juste titre souligné le premier juge, cette rupture peut parfaitement résulter de l'usure (le véhicule était âgé de 8 ans au moment du sinistre), ou encore d'un choc intempestif.

Force est en conclusion de constater qu'il n'est pas rapporté par la compagnie Groupama la preuve que le sinistre soit imputable à l'existence d'un vice caché. C'est ce qu'a à bon droit retenu le tribunal.

L'appelante invoque alors subsidiairement plusieurs autres fondements au soutien de ses demandes.

Elle se prévaut en premier lieu d'un manquement à l'obligation de livraison conforme en faisant valoir que la société Claas Réseau Agricole n'a pas vendu à M. X un tracteur conforme à ce que celui-ci pouvait raisonnablement en attendre, à savoir un tracteur exempt de vices, et pourvu de flexibles non fuyards. Ce faisant, la compagnie Groupama se borne à décliner, sous l'angle du manquement à l'obligation de livraison conforme, mais sans plus d'éléments de nature à emporter la conviction, l'argumentation qu'elle a déjà vainement développée au soutien de la garantie des vices cachés. La demande ne saurait donc pas plus prospérer sur ce fondement, comme l'a à bon escient considéré le premier juge.

L'appelante soutient ensuite que, lorsqu'elle a racheté le tracteur courant 2009, et a procédé à une révision et une remise en état complète avant de le revendre à M. X, la société Claas Réseau Agricole a manqué à son obligation contractuelle de résultat, qui aurait dû l'amener à changer le flexible fuyard, ne serait-ce que par prévention. Cette argumentation suppose qu'il soit fait la démonstration que le flexible hydraulique aurait dû être changé lors de la révision litigieuse, preuve qui n'est pas rapportée en l'espèce. Rien n'établit en effet que le flexible ait été fuyard au moment de la vente, cette hypothèse étant au demeurant difficilement compatible avec le délai de près d'un an qui s'est écoulé entre l'acquisition du véhicule par M. X et son incendie, et durant lequel le tracteur a été régulièrement utilisé. La compagnie Groupama ne démontre même pas que le flexible litigieux devait être remplacé périodiquement, la périodicité de remplacement de 6 ans dont elle fait état pour les flexibles en nylon n'étant manifestement pas applicable à l'organe concerné, qui n'était pas en nylon, mais en matériau étanche et souple, gainé dans une tresse métallique et entouré d'une protection extérieure en toile caoutchoutée, ainsi qu'il ressort de la note technique produite par les intimées. C'est donc également à bon droit que le tribunal a écarté la demande en tant qu'elle était formée sur ce fondement.

La compagnie Groupama prétend encore que les intimées auraient engagé leur responsabilité du fait des produits défectueux. Toutefois, en soutenant que le tracteur était défectueux au sens de l'article 1386-4 du Code civil dans la mesure où il n'offrait pas la sécurité à laquelle l'utilisateur pouvait légitimement s'attendre, la compagnie Groupama se borne une nouvelle fois à décliner l'argumentation tirée d'une erreur de conception affectant l'échappement, déjà vainement invoquée au soutien du vice caché et du défaut de livraison conforme. Or, cette argumentation non techniquement étayée en l'espèce n'est pas plus à même de caractériser une responsabilité des sociétés intimées du fait des produits défectueux.

Pour la première fois à hauteur d'appel, l'appelante invoque un moyen nouveau tiré de l'article R. 4324-22 du Code du travail, selon lequel les équipements de travail mettant en œuvre des produits ou des matériaux dégageant des gaz, vapeurs, poussières ou autres déchets inflammables sont munis de dispositifs protecteurs permettant notamment d'éviter qu'une élévation de température d'un élément puisse entraîner un incendie ou une explosion. Force est d'abord de constater au vu de la fiche de réception produite par les sociétés Claas que le type du véhicule litigieux a fait l'objet le 3 mars 2003 d'une homologation par les services de la Drire, ce qui fait présumer sa conformité. Ensuite, et en tout état de cause, il ne pourra qu'être constaté qu'une fois de plus, c'est l'argumentation de l'erreur de conception de l'échappement déjà invoquée au soutien de la demande principale fondée sur le vice caché, et des demandes subsidiaires fondées sur le défaut de livraison conforme et sur la responsabilité du fait des produits défectueux que Groupama invoque à l'appui de ce nouveau moyen. Or, pas plus qu'elle ne l'était précédemment, l'erreur de conception ici alléguée sous l'angle du manquement aux obligations légales de conception n'est caractérisée. Sur ce fondement également, le rejet des demandes de l'appelante s'impose.

Le jugement entrepris devra en définitive être confirmé en toutes ses dispositions.

La compagnie Groupama Grand Est sera condamnée, outre aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, à payer à chacune des sociétés Claas Tractor et Claas Réseau Agricole la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, déclare la compagnie Groupama Grand Est recevable, mais mal fondée en son appel ; en conséquence : confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 1er juillet 2016 par le tribunal de grande instance de Mâcon ; Y ajoutant : condamne la compagnie Groupama Grand Est à payer à la SAS Claas Tractor et à la SAS Claas Réseau Agricole la somme de 1 000 € chacune en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; condamne la compagnie Groupama Grand Est aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.