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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 27 mars 2018, n° 17-02220

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Rond Point des Arts (SARL)

Défendeur :

Speed Rabbit Pizza (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leplat

Conseillers :

M. Ardisson, Mme Muller

T. com. Nanterre, du 9 févr. 2017

9 février 2017

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte du 8 février 2013, la société Speed Rabbit Pizza (ci-après société SRP) a renouvelé le contrat de franchise initialement conclu en septembre 2003 avec la société le Rond Point des Arts (ci-après société Rond Point) qui exploite un fonds de commerce situé à Paris, 3e arrondissement. En contrepartie de cette franchise, la société Rond Point s'est engagée à verser mensuellement une redevance de 5 % de son chiffre d'affaires HT, outre une redevance publicitaire de 1 % de son chiffre d'affaires HT.

La société Rond Point a cessé de payer les redevances en juin 2013.

Par ordonnance d'injonction de payer du 11 février 2015, le président du Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Rond Point au paiement d'une somme principale de 34 191,79 euro, outre les dépens.

Par courrier du 20 mars 2015, la société Rond Point a formé opposition à cette ordonnance, puis le Tribunal de commerce de Paris a renvoyé l'affaire au Tribunal de commerce de Nanterre, en raison de la clause attributive de compétence figurant dans le contrat de franchise.

Par jugement du 9 février 2017 le Tribunal de commerce de Nanterre a :

- débouté la société le Rond point de sa demande d'annulation du contrat de franchise,

- débouté la société le Rond Point de sa demande de résiliation du contrat de franchise aux torts de la société SRP,

- condamné la société le Rond Point à payer à la société SRP la somme de 53 905,36 euro, outre intérêts au taux légal à compter du 23 février 2015,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société le Rond Point au paiement de la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles, outre les dépens.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu l'appel interjeté le 17 mars 2017 par la société le Rond Point.

Vu les dernières écritures signifiées le 7 décembre 2017 par lesquelles la société Rond Point demande, pour l'essentiel, à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions

A titre principal,

- Prononcer la nullité du contrat litigieux signé le 8 février 2013,

- condamner la société SRP au paiement de la somme suivante :

- 72.376 euro de pertes d'exploitation au 31 décembre 2013, sauf à parfaire au vu du bilan 2015,

- restitution des redevances 13 250 euro, sauf à parfaire,

- investissements non amortis : 80 129 euro

- perte d'une chance de rentabiliser ses investissements : 100 000 euro

- Les (sic) condamner au paiement de la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 Code de procédure civile.

A titre subsidiaire,

- Prononcer la résiliation du contrat litigieux aux torts de la société SRP,

- Débouter la société SRP de l'intégralité de ses demandes à toutes fins qu'elles comportent

- Condamner la société SRP au paiement de la somme suivante :

- Restitution des redevances de franchise sur 5 ans car la société SRP n'a pas parfaitement exécuté ses obligations avec loyauté et diligence,

- Investissements non amortis : 80 129 euro, sauf à parfaire

- perte d'une chance de rentabiliser ses investissements : 100 000 euro

- 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

En tout état de cause.

- Dire et juger que les dommages et intérêts demandés par la société SRP s'analysent en une clause pénale qui doit être réduite à de plus justes proportions soit l'euro symbolique,

- Les (sic) condamner au paiement de la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Les (sic) condamner aux dépens dont distraction pour ceux d'appeI conformément à l'article 699 du Code de procédure civile,

Vu les dernières écritures signifiées le 13 décembre 2017 au terme desquelles la société SRP demande à la cour de :

- Débouter la société Rond Point des Arts de toutes ses demandes,

- Confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions,

- Y ajoutant

- Condamner la société Rond Point des Arts à payer à la société SRP la somme complémentaire de 5 419,38 euro au titre des royalties impayées depuis le jugement de première instance,

- Condamner la société Rond Point des Arts à payer à la société SRP la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel,

- Condamner la société Rond Point des Arts aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par les parties et au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 - Sur la demande reconventionnelle aux fins de nullité du contrat de franchise

La société Rond Point forme une demande reconventionnelle en nullité du contrat de franchise sur le fondement de la théorie des vices du consentement, pour différents motifs qu'il convient d'analyser successivement.

La société SRP sollicite la confirmation du jugement de première instance en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du contrat de franchise.

1-1- Sur la fraude dans la présentation des comptes du franchiseur

La société Rond Point soutient que la situation du franchiseur ne lui aurait pas été présentée de manière loyale dans le DIP (document d'information précontractuel), en ce sens que ses comptes omettraient de tenir compte de certaines charges (charges liées à l'exploitation du réseau de franchise) qui sont supportées par une autre société du groupe, la société New York Speed Rabbit.

La société Rond Point ne fournit toutefois aucune donnée chiffrée quant à ce transfert de charges, dont la régularité n'est pas contestée. En tout état de cause, elle ne démontre pas que ce transfert ait eu, sur les comptes de la société SRP, une incidence négative telle que celle-ci se serait retrouvée déficitaire, ni que cela ait pu modifier l'image qu'elle se faisait du franchiseur au point de remettre en cause la signature du contrat de franchise.

La fraude alléguée n'est donc pas démontrée.

1-2- Sur l'absence de savoir-faire

La société Rond Point sollicite la nullité du contrat de franchise pour défaut de savoir-faire, et donc défaut de cause. Sa demande à ce titre est fondée sur le fait que certains commerces appartenant en propre à la société SRP ne sont pas rentables et qu'ils ont fait l'objet de radiation ou de mise en location-gérance. Elle en conclut que le franchiseur est incapable de rentabiliser un restaurant et qu'il ne justifie donc d'aucun savoir-faire.

La société SRP conteste le défaut de savoir-faire. Elle rappelle qu'elle existe depuis plus de 25 ans, et que le gérant de la société Rond Point connaît parfaitement le réseau et le savoir-faire en ce qu'il était responsable du recrutement et de la formation depuis 1995, avant de devenir franchisé pour 9 boutiques qu'il a ouvertes. Elle rappelle les manuels opératoires remis à ses franchisés. Elle soutient en outre que certains résultats négatifs annoncés par la société Rond Point sont erronés (notamment Montluçon, Bordeaux, Dijon). Elle conteste en outre l'allégation de déclin de son réseau.

La cour observe en premier lieu que la société SRP a bien remis des manuels à la société Rond Point et qu'elle lui a proposé des formations.

Il résulte des éléments du dossier que certaines sociétés directement exploitées par la société SRP et gérées par son dirigeant, M. X, ont connu des pertes ponctuelles. L'existence d'un savoir-faire ne peut toutefois se confondre avec les résultats de certaines unités. Ces résultats doivent en outre être appréciés au regard du nombre d'établissements exploités et des résultats globaux du franchiseur.

En réalité, la société SRP bénéficie d'une ancienneté certaine (année 1991) et elle comptait, lors de la signature du contrat, 112 points de restauration en France, ainsi que cela ressort du contrat de franchise. Elle a donc mis en œuvre depuis de nombreuses années un savoir-faire lui ayant permis de développer un réseau important. En outre, ses résultats d'exploitation ont été positifs jusqu'en 2012 au moins, dernière année précédant la signature du contrat de franchise. Dès lors qu'ils sont assis sur les redevances payées par les franchisés, ces résultats démontrent que ces derniers peuvent s'acquitter de ces échéances et, donc, que la situation financière du réseau est bonne comme le soutient le franchiseur. Ces éléments suffisent à démontrer que la société SRP justifie de la rentabilité de son concept et par voie de conséquence de l'existence d'un savoir-faire, de sorte que l'action en nullité pour défaut de cause n'apparaît pas fondée et doit être rejetée.

1-3- Sur la dissimulation d'informations négatives

La société Rond Point soutient encore que la société SRP aurait omis de mentionner dans le document d'informations précontractuelles un certain nombre d'informations négatives sur la rentabilité de la franchise et le parcours de son dirigeant, de sorte que son consentement aurait été vicié, invoquant les dispositions sur le dol et subsidiairement les dispositions sur l'erreur.

La société SRP rappelle qu'un éventuel défaut d'information précontractuelle n'est sanctionné par la nullité du contrat qu'à condition qu'il existe une volonté délibérée du franchiseur de masquer des informations, ajoutant qu'il n'existe pas de dol lorsque le franchisé a les moyens de se renseigner par lui-même, ce qui était le cas en l'espèce dès lors que les comptes des sociétés du groupe sont publiés. Elle rappelle en outre que le gérant de la société Rond Point connaissait parfaitement le parcours du dirigeant, dès lors qu'il était employé de la société SRP depuis près de 20 ans.

S'agissant de l'absence de rentabilité de la franchise, il a déjà été répondu sur ce point, notamment quant aux résultats d'exploitation bénéficiaires de la franchise jusqu'en 2012 au moins. S'agissant du parcours du dirigeant de la société SRP, la société Rond Point ne précise pas en quoi le fait que ce dernier gère d'autres sociétés du même groupe, dont certaines sont déficitaires, constituerait une information essentielle (elle ne concerne pas directement la société SRP, mais d'autres sociétés du groupe) qui aurait été volontairement cachée par la société SRP lors de la conclusion du contrat. La société Rond Point ne démontre pas en outre en quoi cette information revêtait une importance telle qu'elle n'aurait pas donné son consentement si elle l'avait connue.

L'existence d'un dol ou d'une erreur ne sont donc pas démontrées, de sorte que la demande de nullité ne peut aboutir de ce chef. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté l'action en nullité du contrat de franchise.

2 - Sur la demande reconventionnelle subsidiaire aux fins de résiliation du contrat de franchise aux torts de la société SRP

La société Rond Point sollicite, à titre subsidiaire, la résiliation du contrat de franchise aux torts de la société SRP pour manquement de cette dernière à ses obligations, d'une part d'assistance, d'autre part en raison de la mauvaise qualité de son savoir-faire, enfin pour manquement à son obligation d'assurer le renom de la marque et le développement du réseau.

2-1- Sur le manquement de la société SRP à son obligation d'assistance

La société Rond Point reproche à la société SRP de ne pas lui avoir apporté l'assistance nécessaire, notamment à l'occasion de son déménagement de <adresse> à <adresse>.

La société SRP conteste ces allégations, et fait valoir qu'elle lui a bien apporté de l'aide au moment du déménagement, notamment par le prêt d'un four, et la réalisation de divers travaux. Elle ajoute que les visites du franchiseur ne sont qu'une faculté ouverte dans son intérêt, le franchiseur ne pouvant invoquer aucun manquement à cet égard.

S'agissant des visites du franchiseur, celles-ci ne constituent pour lui qu'une simple faculté, étant au surplus observé que la société Rond Point ne s'est jamais plainte de leur absence ou de leur rareté avant l'action en paiement. S'agissant de l'aide au moment du déménagement, le franchiseur en justifie par les courriels produits aux débats, la société Rond Point l'ayant même remercié, par courriel du 21 août 2012 "pour la promptitude de son action".

Il convient en outre d'observer que la société Rond Point ne justifie d'aucune demande d'assistance du franchiseur qui n'aurait pas été satisfaite par ce dernier.

La société Rond Point ne rapporte donc pas la preuve d'un manquement de la société SRP à son obligation d'assistance.

2-2- Sur le manquement de la société SRP en raison de la mauvaise qualité de son savoir faire

La société Rond Point reprend ici l'argumentation développée au titre de sa demande de nullité du contrat pour défaut de cause, faisant à nouveau valoir que la société SRP ne parvient pas à assurer la rentabilité de ses propres exploitations, pour conclure désormais qu'elle est défaillante dans son obligation de transmettre un savoir-faire performant et rentable.

S'agissant de la rentabilité des exploitations propres de la société SRP, il a déjà été répondu sur ce point. Pour le surplus, la société Rond Point ne conteste pas avoir bénéficié de la formation délivrée par la société SRP qui constitue la base même de la transmission du savoir-faire.

La société Rond Point ne rapporte donc pas la preuve d'un manquement de la société SRP à son obligation de transmission du savoir-faire.

2-3- Sur le manquement de la société SRP à son obligation d'assurer le renom de la marque, et de préserver son image de marque

La société Rond Point affirme que la société SRP dégrade l'image de marque du réseau en exploitant des points de vente déficitaires, ajoutant qu'elle ne fait aucun effort pour assister ses franchisés. Elle ajoute que la société SRP se comporte de façon cavalière avec les institutions représentatives de la franchise, arguant d'une condamnation prononcée par le Tribunal de commerce de Nanterre pour non-paiement de cotisations à la fédération française de franchise, et d'une condamnation par le Tribunal de commerce de Paris à la demande de son concurrent Domino's Pizza pour dénigrement et concurrence déloyale.

La société SRP fait valoir que le litige avec la société Domino's Pizza a donné lieu à plusieurs instances, dont une ayant abouti à la condamnation de celle-ci. Elle conteste en outre être un mauvais payeur, estimant que son refus de payer les cotisations était fondé au regard de l'absence de soutien de la Fédération.

La cour constate que les différentes décisions rendues en matière de concurrence déloyale donnent raison, tantôt à la société Domino's Pizza, tantôt à la société SRP. S'agissant de la condamnation de la société SRP à payer des cotisations à la fédération française de la franchise, un simple refus de paiement de cotisation - qui n'était pas dénué de motivation, même si celle-ci a été rejetée par le tribunal - ne suffit pas à établir une atteinte à l'image de marque de la société SRP. Enfin, le fait que des poursuites aient été engagée à titre personnel contre le dirigeant de la société SRP n'est pas imputable à cette dernière.

Les manquements allégués ne sont donc pas démontrés.

2-4 - Sur le manquement à l'obligation d'assurer le développement du réseau SRP

La société Rond Point reproche à la société SRP son incapacité à développer son réseau, et le fait de s'être détournée de celui-ci pour investir dans un réseau concurrent, à savoir le réseau Mezzo di Pasta, omettant par voie de conséquence de développer son propre réseau.

Comme l'a justement souligné le premier juge, le rachat par le groupe SRP d'un réseau de franchise proposant des produits distincts (pâtes), qui ne viennent pas en concurrence avec les produits distribués par la société SRP, ne permet pas de caractériser un manquement à l'obligation de développer le réseau SRP.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Rond Point de sa demande de résiliation du contrat aux torts de la société SRP, et de ses demandes indemnitaires annexes.

3 - Sur la demande principale en paiement des redevances

Le premier juge a condamné la société Rond Point à payer à la société SRP la somme de 53 905,36 euro au titre des redevances arrêtées au 1er novembre 2016 , outre intérêts au taux légal à compter du 23 février 2015.

La société SRP sollicite confirmation du jugement déféré de ce chef, et forme une demande additionnelle en paiement de la somme de 5 419,38 euro au titre des royalties impayées pour la période de décembre 2016 à juin 2017.

La société Rond Point ne conteste pas devoir ces sommes et ne forme aucune observation à ce titre.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société Rond Point au paiement de la somme de 53 905,36 euro au titre des redevances arrêtées au 1er novembre 2016. La société Rond Point sera, en outre, condamnée au paiement de la somme complémentaire de 5 419,38 euro au titre des redevances impayées pour la période de décembre 2016 à juin 2017.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Il est équitable d'allouer à la société SRP une indemnité de procédure d'un montant de 2 000 euro.

Par ces motifs LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Et y ajoutant, Condamne la société le Rond Point des Arts à payer à la société Speed Rabbit Pizza la somme de 5 419,38 euro au titre des redevances impayées pour la période de décembre 2016 à juin 2017, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société le Rond Point des Arts à payer à la société Speed Rabbit Pizza la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société le Rond Point des Arts aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct, par application de l'article 699 du Code de procédure civile. Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.