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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 1, 16 mars 2018, n° 16-14957

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Bouc (Consorts)

Défendeur :

Slooghy (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dos Reis

Conseillers :

M. Gilles, Mme Barberot

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Fleury, Fiers, Gabizon

TGI Paris, du 20 Juin 2016

20 juin 2016

M. Hervé le Bouc et Mme Flavie Le Bouc épouse Moutet-Fortis (les consorts Le Bouc), qui étaient propriétaires d'une villa avec caves et d'emplacements de stationnement situés 29, rue de l'Ermitage à Versailles et qui avaient donné mandat à la SARL Slooghy, exerçant l'activité d'agent immobilier sous l'enseigne Ka&A, de rechercher un acquéreur, aux termes d'un premier mandat exclusif du 14 mai 2013 suivi d'un second mandat, non exclusif, du 30 avril 2014, l'ont vendu à M. Slamowir Krupa, moyennant le prix de 1 940 000 €, aux termes d'un acte notarié du 3 octobre 2014.

Se plaignant de n'avoir perçu aucune rémunération, tout en faisant valoir que cette opération avait été conclue avec un acheteur auquel elle avait présenté le bien et qui avait fait une offre d'acquisition par son intermédiaire, le 27 septembre 2013, pour le prix de 1 900 000 €, la SARL Slooghy a saisi le tribunal de grande instance par acte extrajudiciaire du 9 février 2015 délivré aux consorts Le Bouc, pour les voir condamner à lui payer une somme de 76 000 € HT (91 200 € TTC) correspondant au montant de la commission stipulée au dernier mandat, égal à 4 % HT du prix de vente obtenu.

C'est dans ces conditions que le Tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 20 juin 2016 a :

- condamné in solidum les époux Le Bouc à payer à la société Slooghy une somme de 40 000 € hors taxes à titre d'indemnité compensatrice forfaitaire prévue au mandat,

- condamné in solidum les époux Le Bouc à payer à la société Slooghy une somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné in solidum les époux Le Bouc aux dépens.

Par dernières conclusions du 3 février 2017, les consorts Le Bouc, appelants demandent à la cour de :

- vu l'article 1134 du Code civil ;

- vu les articles 1142 et 1152 du Code civil ;

- vu la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 ;

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- statuant à nouveau :

- dire que la clause pénale doit être déclarée non écrite ;

- dire qu'ils n'ont commis aucune faute dans l'exécution des mandats ;

- débouter la société Slooghy de ses demandes ;

- à titre subsidiaire :

- dire qu'elle n'a subi aucun préjudice, que la clause pénale du mandat du 30 avril 2014 est manifestement excessive et qu'il y a lieu de la réduire à la somme de "zéro euro" ;

- en tout état de cause :

- débouter la société Slooghy de ses prétentions ;

- la condamner à leur verser une somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Slooghy aux dépens.

Par dernières conclusions du 6 décembre 2016, la société Slooghy prie la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déclarée bien fondée à se prévaloir de l'application des clauses pénales prévues aux termes des mandats des 14 mai 2013 et 30 avril 2014 ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a réduit lesdites clauses pénales et, statuant à nouveau, lui allouer la somme de 76 000 € HT soit 91 200 € TTC à la charge solidaire des consorts Le Bouc, outre une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner les consorts Le Bouc aux dépens.

Sur ce LA COUR

Le premier mandat, en date du 14 mai 2013 qui est assorti d'une clause d'exclusivité ou d'une clause pénale au sens de l'article 6 de la loi du 2 janvier 1970, avait prévu un prix de vente du bien de 2 300 000 € et une rémunération de l'agent immobilier de 50 000 € à charge de l'acquéreur ; il avait été conclu avec exclusivité pour une période irrévocable de trois mois, suivie, en l'absence de dénonciation, d'une prorogation avec exclusivité de 12 mois au terme de laquelle les parties ont prévu qu'il prendrait automatiquement fin, sans préjudice de la possibilité de chacune d'elles de le dénoncer avant cette date, en période initiale ou pendant la prorogation, par lettre recommandée avec accusé de réception, moyennant un préavis de quinze jours.

Ce mandat précise que le mandant " s'interdit, pendant la durée du mandat, de négocier directement ou indirectement, s'engageant à diriger sur le mandataire toutes les demandes qui lui seront personnellement adressées pendant la durée du mandat " et " s'interdit, pendant la durée du mandat et pendant la période suivant son expiration indiquée au recto ", de traiter directement avec un acquéreur ayant été présenté par le mandataire ou ayant visité les locaux avec lui. Les parties ont toutefois omis de renseigner, au recto de l'acte, le nombre de mois suivant la date d'expiration du mandat déterminant la durée de cette dernière interdiction.

Il est établi que par lettre recommandée du 4 septembre 2013, M. Le Bouc a dénoncé l'exclusivité, choisissant de donner effet à cette décision au 30 septembre 2013. M. Le Bouc précisait dans sa lettre à la société Slooghy : " je vous conserve l'exclusivité jusqu'au 30 septembre. Ensuite ce mandat redeviendra normal sans exclusivité. Toutes les autres clauses de ce mandat resteront valides. "

Néanmoins, aucun nouveau mandat n'a été régularisé avant celui établi sous seing privé le 30 avril 2014, par lequel les consorts Le Bouc ont consenti à la société Slooghy, qui l'a accepté, un autre mandat, sans exclusivité, prévoyant de vendre le bien au prix de 2 250 000 € moyennant une rémunération de l'agent immobilier de 4 % HT à charge de l'acquéreur ; les parties ont de nouveau décidé que ce mandat était valable pour une période irrévocable de trois mois suivie, en l'absence de dénonciation, d'une prorogation de 12 mois au terme de laquelle elles ont prévu qu'il prendrait automatiquement fin, sans préjudice de la possibilité de chacune d'elles de le dénoncer avant cette date par lettre recommandée avec accusé de réception, moyennant un préavis de quinze jours. Ce mandat fait interdiction aux époux le Bouc " pendant la durée du mandat...de traiter directement avec un acquéreur ayant été présenté par le mandataire ou ayant visité les locaux avec lui ". La vente litigieuse, conclue le trois octobre 2014, correspond à l'exercice par M. Krupa de l'option d'achat au prix de 1 940 000 € qui lui avait été consentie par les consorts Le Bouc, aux termes d'une promesse unilatérale de vente établie par acte authentique du 25 juillet 2014. Ce dernier acte prouve que les termes, prix et conditions de la vente ont été négociés par un autre agent immobilier, dénommé London Immobilier à Versailles, titulaire d'un mandat donné par le promettant avec prise en charge de la commission de 40 000 € par ce promettant. Les époux Le Bouc produisent le mandat sans exclusivité donné à la SARL London Immobilier le 3 octobre 2013, qui est postérieur à l'expiration du mandat exclusif de la société Slooghy.

En présence du mandat sans exclusivité signé le 30 avril 2014, qui est le dernier état de l'accord des parties, la société Slooghy ne peut soutenir qu'à la date de la signature de la promesse de vente, soit le 25 juillet 2014 elle bénéficiait encore de l'interdiction contenue au mandat du 14 mai 2013, faite " au mandataire (sic) de traiter avec un acquéreur présenté " par ces soins, au motif que l'échéance de cette interdiction aurait couru, en vertu de ce premier mandat, jusqu'au 14 août 2014.

Le mandat exclusif du 14 mai 2013, dont tout effet d'exclusivité - en particulier l'interdiction de traiter directement ou indirectement en dehors de la société Slooghy- a pris fin le 30 septembre 2013, ne peut plus s'appliquer, en dehors de la clause interdisant au mandant de traiter, après l'expiration du mandat, directement avec un acquéreur ayant été présenté par le mandataire ou ayant visité les locaux avec lui. En particulier, il ne peut être soutenu que nonobstant le sens clair et précis du mandat non exclusif, le mot " directement " figurant dans la clause d'interdiction de traiter faite au mandant dans le mandat du 30 avril 2014 devrait être purement et simplement supprimé, par égard à la commune intention des parties ; cela reviendrait en effet à dénaturer la portée même du mandat non exclusif ainsi souscrit.

Or, s'il est établi que M. Krupa a formé, le 27 septembre 2013, une offre d'acquisition au prix de 1 900 000 € frais d'agence inclus et ce, grâce à l'entremise de la société Slooghy immobilier pendant la durée du mandat exclusif, rien ne démontre que la vente litigieuse, consentie à M. Krupa, le 3 octobre 2014, à des conditions différentes - plus favorables pour les vendeurs - et par l'intermédiaire d'un autre agent immobilier muni d'un mandat, soit le résultat du fait que les vendeurs auraient traité directement avec M. Krupa pendant la période d'interdiction afférente au mandat du 14 mai 2013. La négociation avec M. Krupa sur l'offre de celui-ci du 27 septembre 2013 s'est achevée par un courriel du 23 octobre 2013 de M. Le Bouc qui confirmait ne pas accepter le prix offert. Les époux Le Bouc ont traité à nouveau avec M. Krupa, après l'expiration du mandat exclusif de la société Slooghy, au cours de mandat non exclusif de cette dernière et par l'intermédiaire d'un autre agent immobilier également muni d'un mandat non exclusif.

Or, il est indéniable que la clause du mandat exclusif prorogeant après l'expiration du mandat la durée d'interdiction de traiter concernant les mandants doit être réputée non écrite, en application de l'article L. 132-1 du Code de la consommation invoqué par les appelants ; en effet, cette clause n'est pas limitée dans le temps, contrairement à l'avertissement résultant des énonciations même du mandat, qui visent une recommandation de la Commission des clauses abusives et alors qu'une telle absence de délimitation dans le temps est, manifestement, de nature à créer un déséquilibre significatif au détriment des non-professionnels que sont les époux Le Bouc.

La société Slooghy ne peut davantage reprocher aux époux Le Bouc d'avoir violé les obligations du second mandat pour n'avoir pas signalé la reprise de négociations avec M. Krupa ni la signature d'une promesse de vente, dès lors que le mandat faisait seulement obligation aux époux Le Bouc de signaler toute vente réalisée par eux-mêmes ou par un autre mandataire et qu'il est établi, d'une part, que la société Slooghy a appris avant toute vente la signature de la promesse de vente avec M. Krupa, et toutes informations utiles sur le notaire chargé de cet acte et, d'autre part, que la société Slooghy par l'intermédiaire de son conseil avait déjà réclamé avant la vente une rémunération à M. Le Bouc, comme en atteste une lettre du 10 septembre 2014.

Ainsi, alors que la société Slooghy ne rapporte la preuve d'aucune faute ni d'aucun abus des époux Le Bouc dans l'exécution des mandats du 14 mai 2013 et du 30 avril 2014, le jugement entrepris doit être infirmé, la société Slooghy devant être déboutée de toutes ses demandes au titre de la clause pénale contenue dans l'un ou l'autre de ces actes.

La société Slooghy, qui succombe, versera 3 500 € d'indemnité de procédure aux époux Le Bouc, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, en plus de supporter la charge de tous les dépens.

Par ces motifs Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Déboute la société Slooghy de ses demandes au titre des clauses pénales des mandats des 14 mai 2013 et 30 avril 2014, Condamne la société Slooghy à payer aux époux le Bouc une somme de 3 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en plus de supporter la charge des entiers dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile. Rejette toute autre demande.