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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 mars 2018, n° 16-06477

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Manufacture Française des Pneumatiques Michelin (SCA)

Défendeur :

Institut des Langues de Spécialité (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Bellichach, Dubois, Treins

T. com. Lyon, du 18 févr. 2016

18 février 2016

Faits et procédure

La société Manufacture française des pneumatiques Michelin, ci-après Michelin, a pour activité la fabrication de pneumatiques.

En 1997, la société Michelin et l'association Institut des Langues de Spécialité, ci-après ILS, qui dispense des cours de langues étrangères, ont noué des relations contractuelles ayant trait à des prestations de formation linguistique à destination des salariés de la société Michelin assurées par l'association ILS.

La société Institut des Langues de Spécialité, ci-après ILS, créée au cours de l'année 2000, propose des offres de formations en langue, à destination notamment des salariés.

Le 30 juin 2004, les sociétés ILS et Michelin ont conclu un contrat-cadre relatif aux conditions d'intervention de la société ILS pour dispenser des cours de langues aux salariés de la société Michelin. Ce contrat, conclu pour une durée initiale d'une année commençant à courir le 1er juin 2004, s'est renouvelé tacitement l'année suivante.

Un nouveau contrat à durée déterminée d'un an commençant à courir le 1er janvier 2006 a été régularisé entre les parties le 2 juin 2006. Ce contrat prévoyait également sa reconduction tacite par période d'une année, à défaut de résiliation anticipée moyennant un préavis d'au moins trois mois. Un avenant tarifaire audit contrat a été signé entre les parties le 3 décembre 2008.

Par lettre du 16 juillet 2010, la société Michelin a informé la société ILS d'une part, de sa décision de faire évoluer les méthodes d'apprentissage grâce aux nouveaux outils de communication pour les formations d'anglais et de français à compter du mois de septembre 2011 et d'autre part, du lancement à venir d'un appel d'offres à ce titre, auquel la société ILS était invitée à participer.

Le 15 février 2011, la société Michelin a lancé un appel d'offres concernant la prise en charge des formations d'anglais avec un nouveau cahier des charges axé sur l'apprentissage en ligne ou mixte.

A l'issue de cet appel d'offres, la société ILS, qui avait déposé sa candidature, n'a pas été choisie et la collaboration entre les parties au titre des formations dispensées en anglais s'est achevée au 31 décembre 2011, soit à l'échéance annuelle du contrat.

La relation commerciale entre les deux sociétés s'est poursuivie pour les autres langues rares ou courantes, notamment pour le français langue étrangère, en exécution du contrat du 2 juin 2006.

Le 20 mai 2014, la société Michelin a lancé un second appel d'offres relatif aux cours de français langue étrangère qui devaient être dispensés l'année suivante.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 juin 2014, la société Michelin a informé la société ILS qu'elle avait d'une part " lancé une consultation du marché sous forme d'appel d'offre et procédait à la dénonciation des contrats actuellement en vigueur à compter du 01.01.2015 " et d'autre part " que lesdits contrats prendront fin à l'issue du délai de préavis normal pour les contrats à durée déterminée et pour les contrats à durée indéterminée dans les jours suivants la notification du résultat d'appel d'offres ".

Par courrier du 28 juillet 2014, la société Michelin a informé la société ILS que les résultats obtenus à l'issue des opérations d'appel d'offres ne lui avaient pas permis d'emporter le marché pour lequel elle s'était portée candidate, en rappelant les termes du courrier du 24 juin 2014 et en précisant que ses prestations se termineront le 31 décembre 2014, soit six mois après le lancement de l'appel d'offres.

Par acte du 4 novembre 2014, la société ILS a assigné la société Michelin devant le Tribunal de commerce de Lyon pour rupture brutale des relations commerciales établies et réparation des préjudices subis de ce fait.

Par jugement du 18 février 2016, le Tribunal de commerce de Lyon a :

- dit que la société Michelin a rompu d'une façon brutale ses relations avec la société ILS,

- condamné la société Michelin à payer à la société ILS la somme de 141 330 euros à titre de perte de marge pendant la durée du préavis outre les intérêts de droit au taux légal à compter de l'assignation,

- condamné la société Michelin à payer à la société ILS la somme de 60 892 euros à titre des licenciements économiques, outre les intérêts de droit au taux légal à compter de l'assignation,

- débouté la société ILS de sa demande concernant les loyers,

- débouté la société ILS de sa demande d'indemnité concernant sa perte d'image,

- rejeté tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties,

- condamné la société Michelin à payer à la société ILS la somme de 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Michelin en tous dépens de l'instance.

La société Michelin a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 15 mars 2016.

La procédure devant la cour a été clôturée le 13 février 2018.

LA COUR

Vu les conclusions du 26 janvier 2018 par lesquelles la société Michelin, appelante, invite la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 1134 du Code civil, à :

- dire que la société ILS a bénéficié d'un préavis suffisant au regard de la durée de la relation commerciale établie et que la rupture n'est ni brutale ni abusive,

- débouter la société ILS de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société ILS à lui verser la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en appel,

- condamner la société ILS aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Jacques Bellichach, avocat, pour ceux dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision sur le fondement de l'article 699 du Code de procédure civile,

à titre subsidiaire,

- dire que l'indemnisation ne peut excéder les coûts en relation directe avec l'insuffisance de la durée du préavis et non ceux résultant de la rupture de la relation contractuelle,

- fixer cette indemnité en fonction de la différence entre la durée de préavis accordé et celle qui aurait dû être consentie selon la décision à intervenir,

- dire que la société ILS ne saurait prétendre être indemnisée d'une perte de marge sur coût horaire pour un montant de 141 330 euros qui ne correspond pas aux critères définis ci-dessus,

- débouter la société ILS de sa demande au titre du coût des licenciements économiques et plus subsidiairement la réduire au vu des éléments développés dans les motifs,

- débouter la société ILS de sa demande présentée au titre du coût annuel de ses locaux constituant son siège social,

- débouter enfin la société ILS de sa demande de dommages-intérêts au titre d'un prétendu préjudice commercial complémentaire en raison de la dégradation de son image,

- statuer ce que de droit relativement aux dépens, en cas de condamnation ;

Vu les conclusions du 29 décembre 2016 par lesquelles la société ILS, intimée ayant formé appel incident, demande à la cour, au visa des articles L. 442-6 du Code de commerce, 1134 alinéa 3 du Code civil et du décret du 11 novembre 2009, de :

- déclarer la société Michelin irrecevable et en tout cas mal fondée en son appel,

- l'en débouter purement et simplement,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société Michelin a rompu de façon brutale ses relations avec elle et condamné la société Michelin à lui payer la somme de 141 330 euros à titre de perte de marge pendant la durée du préavis de 18 mois, outre intérêts de droit au taux légal à compter de l'assignation, condamné la société Michelin à lui payer la somme de 60 892 euros au titre des licenciements économiques outre intérêts de droit au taux légal à compter de l'assignation, pour le surplus, faire droit à son appel incident et,

- condamner la société Michelin à lui payer la somme de 284 000 euros au titre des loyers et taxes, ainsi que celle de 350 000 euros en réparation de ses préjudices annexes commerciaux et moraux,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société ILS de ces deux demandes,

- écarter toutes demandes contraires formulées par la société Michelin,

- débouter la société Michelin de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Michelin à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Michelin aux entiers dépens de l'instance, dont distraction, pour ceux d'appel au profit de Me Jean-Jacques Bellichach, avocat au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Sur ce

LA COUR se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Les parties s'opposent sur la durée des relations commerciales établies entre elles, la date de la rupture, la durée du préavis, et sur l'étendue du préjudice subi.

Sur la durée des relations commerciales établies entre les parties

La société ILS fait valoir que la relation entre les deux sociétés est continue depuis 1997, et ce indépendamment de sa forme, que ce soit comme association puis comme société, pour avoir été dirigée et représentée par les mêmes personnes, et avoir été l'interlocuteur commercial de la société Michelin de manière continue en vertu des contrats successifs signés depuis le 18 novembre 1997.

La société Michelin soutient que la relation contractuelle entre les deux sociétés a débuté le 30 juin 2004, et qu'elle était d'une durée de 10 années au jour de la rupture. Elle fait valoir, à cet égard, que la société ILS ne peut se prévaloir de la relation ayant existé entre elle et l'association constituée conformément à la loi du 1er juillet 1901, sous le même nom et qui était auparavant sollicitée par elle dans le cadre de prestations de formations en langue, la clientèle n'ayant pas été cédée.

Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux.

Il est constant que :

- par contrat signé entre la société Michelin et l'association ILS, représentée par M. X, le 18 novembre 1997, l'association ILS dispense des prestations de formation linguistique à destination des employés de la société Michelin, le contrat ayant une durée de 14 mois, à compter du 1er novembre 1997,

- par contrat signé entre la société Michelin et l'association ILS, représentée par M. X, le 15 décembre 1998, l'association ILS dispense des prestations de formation linguistique à destination des employés de la société Michelin, le contrat ayant une durée d'une année, reconductible par tacite reconduction,

- par contrat signé entre la société Michelin et la société ILS, représentée par M. X, le 30 juin 2004, l'association ILS dispense des prestations de formation linguistique à destination des employés de la société Michelin, le contrat ayant une durée d'une année, à compter du 1er juin 2004, reconductible par tacite reconduction,

- par contrat signé entre la société Michelin et la société ILS, représentée par M. X, le 2 juin 2006, l'association ILS dispense des prestations de formation linguistique à destination des employés de la société Michelin, le contrat ayant une durée d'une année, à compter du 1er janvier 2006, reconductible par tacite reconduction.

Il n'est pas contesté par la société Michelin que le contrat signé en 1998 s'est poursuivi jusqu'au contrat suivant du 1er juin 2004, par tacite reconduction, alors même que la société ILS a été créée le 23 novembre 2000. La seule circonstance que la clientèle n'a pas été cédée par l'association ILS à la société ILS ne peut suffire à démontrer que les relations commerciales n'ont pas perduré entre les parties lorsque l'association ILS est devenue la société ILS, alors qu'il apparaît que le représentant tant de l'association que de la société ILS est toujours M. X, que le numéro de téléphone de l'association puis de la société ILS, auquel la société Michelin contacte son interlocuteur, a toujours été le même, et que le coordinateur contractuel désigné dans les 3 contrats à compter du 15 décembre 1998 est M. X. La société Michelin a donc eu l'intention de poursuivre avec la société ILS ses relations contractuelles initialement engagées avec l'association ILS.

Dès lors, au regard de l'ensemble de ces éléments, il est établi que le flux d'affaires entre les parties est continu depuis le 18 novembre 1997, jusqu'à la rupture, et qu'il n'a pas été interrompu par le changement de forme sociale d'ILS, passant du statut d'association à celui d'une société commerciale.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement sur ce point.

Sur la date de la rupture et le point de départ du préavis

La société ILS souligne que le courrier du 17 juillet 2010 ne constituait qu'une synthèse des projets de la société Michelin sur l'évolution de son cahier des charges pour les formations en langue étrangère et pour consulter le marché sur son nouveau besoin. Elle explique que ce n'est que par le courrier du 24 juin 2014 que le contrat relatif aux prestations de formation en français langue étrangère a été dénoncé par la société Michelin, avec un préavis de six mois, soit jusqu'au 31 décembre 2014.

La société Michelin allègue que par sa lettre du 17 juillet 2010, elle a informé par écrit la société ILS de ses nouvelles exigences, de son souhait de définir dès l'année 2011 un nouveau cahier des charges pour les formations en anglais et en français langue étrangère. Elle soutient qu'elle lui a instamment demandé d'anticiper ce changement, tout en l'invitant à participer à ces appels d'offres. Elle considère dès lors, qu'à compter de cette date, la relation entre les deux sociétés était empreinte de précarité. Elle excipe qu'après sa première notification du 17 juillet 2010, elle a, par courrier du 24 juin 2014, officiellement rappelé à la société ILS que le contrat relatif aux formations en français langue étrangère prendrait fin le 31 décembre 2014, soit six mois plus tard, alors qu'elle avait lancé la procédure d'appel d'offres le 20 mai 2014.

Il est de principe que le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis.

A titre liminaire, il convient de préciser que la société ILS ne remet pas en cause les conditions de la rupture des relations commerciales établies avec la société Michelin s'agissant des cours dispensés en langue anglaise au cours de l'année 2011, mais soutient que l'arrêt des prestations de cours de français langue étrangère au 31 décembre 2014 est brutal.

Par courrier du 17 juillet 2010, la société Michelin a indiqué à la société ILS : " nous faisons suite à notre rencontre du 5 juillet où nous vous avons présenté nos réflexions sur l'évolution de notre cahier des charges pour les formations en langues étrangères (notamment le français et l'anglais). (...) Notre cahier des charges changeant, nous avons décidé de lancer un appel d'offre pour consulter le marché sur notre besoin. Cet appel d'offre devrait être lancé en fin d'année 2010. Nous envisageons la mise en place de ce nouveau mode d'apprentissage des langues à partir de septembre 2011. En votre qualité de prestataire de longue date du groupe Michelin, nous souhaitons votre participation à l'appel d'offre. ".

La société Michelin a annoncé le 9 septembre 2011 à la société ILS que sa candidature à l'appel d'offre concernant uniquement les cours de langue anglaise, auquel elle avait été conviée le 15 février 2011, n'avait pas été retenue. Aucune procédure d'appel d'offres s'agissant des prestations de cours de français langue étrangère n'a été menée parallèlement à celle relative aux cours de langue anglaise, les cours portant sur les autres langues étant toujours dispensés par la société ILS auprès des salariés de la société Michelin.

Ainsi, si la société ILS a été avertie de ce qu'une procédure d'appel d'offres, concernant l'activité cours de langue française, allait être engagée, pour autant, aucun calendrier précis ne lui a été communiqué par la société Michelin, étant par ailleurs relevé que cette procédure a été engagée par la société Michelin le 20 mai 2014, soit presque 4 années plus tard. La société ILS ne pouvait donc anticiper cette rupture, aucune remise en cause des conditions contractuelles n'ayant été engagée par la société Michelin pour les prestations de cours de français langue étrangère entre le courrier du 17 juillet 2010 et le lancement de l'appel d'offre lancé le 20 mai 2014, auquel la société ILS a participé.

En outre, compte tenu de ces éléments, si le recours à une procédure d'appel d'offres pour choisir le prestataire dispensant les cours de français langue étrangère aux salariés de la société Michelin était prévisible, les relations commerciales entre les parties n'ont pas pour autant acquis un caractère précaire.

Dès lors, la société Michelin n'a pas manifesté clairement son intention à la société ILS de cesser leurs relations commerciales dans un délai précis.

Dans ces conditions, la lettre du 17 juillet 2010 envoyée par la société Michelin ne peut être qualifiée de lettre de rupture des relations commerciales établies concernant les prestations de cours de français langue étrangère, finalement intervenue le 31 décembre 2014.

Il ressort d'éléments non contestés que la société Michelin a lancé la procédure d'appel d'offres pour choisir le prestataire dispensant les cours de français à ses salariés le 20 mai 2014, que la société ILS a participé à cette procédure, que la société Michelin l'a informée par courrier du 24 juin 2014 de ce que le contrat en cours expirerait le 1er janvier 2015 compte-tenu de la procédure d'appel d'offres, et que, par courrier du 29 juillet 2014, la société ILS a été avisée de ce que sa candidature n'était pas retenue.

L'appel d'offre lancé le 20 mai 2014 ne précisant pas à quelle date le nouveau contrat entrerait en vigueur, seul le courrier du 24 juin 2014 peut être qualifié de courrier de rupture des relations commerciales établies avec la société ILS, en ce que, dans ce seul courrier, les intentions de la société Michelin sont claires et le délai de préavis est précisé.

La date de la rupture entre les parties est donc le 24 mai 2014, soit après plus de 16 ans et demi de relations commerciales établies.

Sur la brutalité de la rupture

La société ILS soutient que la rupture a été brutale, pour n'avoir bénéficié que de 6 mois de préavis, alors que la société Michelin aurait dû lui accorder un préavis de 18 mois. Elle ne conteste pas l'absence d'exclusivité dans la relation commerciale mais indique qu'elle a été asservie par la société Michelin et n'a pas été en capacité d'accroître son fonds de commerce eu égard aux exigences exprimées par elle. Elle relève à ce titre que le chiffre d'affaires relatif au français langue étrangère, généré par l'activité Michelin, représentait 44 % de son chiffre d'affaires global.

La société Michelin fait valoir que le préavis de six mois accordé à la société ILS était suffisant au regard de la durée de la relation commerciale, tout en rappelant que le préavis contractuel de trois mois était lui-même suffisant eu égard à la stabilité de la relation entre les deux sociétés et qu'en tout état de cause il ne pouvait dépasser une année. Elle soutient que les dispositions contractuelles ne sauraient caractériser une mainmise de l'appelante sur la relation contractuelle et n'étaient pas de nature à rendre la société ILS dépendante d'elle. Elle relève que la société ILS ne bénéficiait d'aucune exclusivité.

Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé avec l'auteur de la rupture, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables dédiées à la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent. Ces critères doivent être appréciés au moment de la rupture.

A titre liminaire, il convient de relever que la durée contractuelle de préavis est indifférente pour apprécier le caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies sur le fondement de l'article précité.

En l'espèce, la société ILS a bénéficié d'un préavis de 6 mois, la rupture lui ayant été annoncée par courrier du 24 juin 2014 à effet au 1er janvier 2015.

Il a été jugé supra que les relations commerciales entre les parties ont été établies pendant plus de 16 ans et demi.

Il ressort des éléments du dossier, non sérieusement contestés, que :

- le chiffre d'affaires total de la société ILS a été de 1 032 000 euros en 2011, de 948 000 euros en 2012 et de 781 310 en 2013 (pièce F1 appelante, extrait infogreffe),

- la part du chiffre d'affaires des cours en français langue étrangère dispensés pour les salariés de la société Michelin dans le chiffre d'affaires total de la société ILS est de 44% au cours de l'année 2013 (pièce 15 intimée, attestation de M. X),

- le flux d'affaires entre les parties en 2013 concernant les cours en français langue étrangère est de 347 996 euros (pièce 42 intimée, attestation de M. X corroborée par celle de l'expert-comptable de la société ILS).

Enfin, la société ILS ne peut soutenir que la société Michelin avait la " mainmise " sur elle au regard des dispositions contractuelles, au motif que le contenu et la forme des formations est à définir avec elle (clause 2.3 du contrat) et que la société Michelin se réserve le droit de décliner le choix d'un professeur proposé par ILS (clause 2.9 du contrat), alors que ces clauses ne caractérisent pas des exigences importantes de la société Michelin et ni le contrôle par celle-ci de son prestataire.

Ces éléments ne démontrent donc pas que la société ILS consacrait exclusivement ses outils et sa force de travail à la société Michelin.

Dès lors, eu égard à l'ensemble de ces éléments et du temps nécessaire pour que la société ILS puisse se ré-organiser et re-déployer son activité, le préavis aurait dû être de 12 mois, alors qu'il n'a été que de 6 mois, de sorte que la rupture est brutale, faute pour la société Michelin d'avoir accordé un préavis suffisant.

En conséquence, il y a lieu de considérer que la rupture des relations commerciales établies par la société Michelin avec la société ILS est brutale.

Sur le préjudice subi par la société ILS

La société ILS fait valoir que sa demande au titre de la perte de marge, à hauteur de 141 330 euros sur une période de douze mois est justifiée et certifiée par la société d'expertise comptable ADM Conseil. Elle indique qu'elle a été contrainte de licencier des salariés suite à la brutalité de la rupture. Elle explique également que le coût des loyers dépend de la surface et que celle-ci a été rendue nécessaire par le volume d'activité et le souhait exprimé par la société Michelin de voir organiser à partir de janvier 2014 le déplacement de la majeure partie des cours français langue étrangère des salariés Michelin dans ses locaux. Elle excipe avoir aussi subi un préjudice d'image.

La société Michelin indique que s'il n'est pas contesté que le chiffre d'affaires pour la formation français langue étrangère avec elle a représenté, en 2013, 44 % du chiffre d'affaires global de l'intimée, cette situation résulte de la propre imprudence de la société ILS, à qui il appartenait de diversifier davantage ses clients. Elle souligne que le coût annuel des locaux de la société ILS ne saurait être retenu comme un préjudice indemnisable dans le cadre d'une rupture fût-elle jugée brutale et que le coût fixe correspondant ne dépend nullement du volume d'activité. Elle conteste devoir prendre en charge le coût des licenciements des salariés de la société ILS.

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

Il n'est pas contesté que le préavis de 6 mois dont a bénéficié la société ILS a été effectif.

Le taux de marge de 40 % invoqué par la société ILS n'est pas sérieusement contesté par la société Michelin. Ce chiffre sera donc retenu pour déterminer la perte de marge subie par la société ILS. Cette dernière ne communique pas le chiffre d'affaires qu'elle a réalisé avec la société Michelin au cours des années 2011 et 2012, ce que celle-ci ne lui reproche pas et chiffres qu'elle ne communique pas davantage. Il y a donc lieu de retenir la somme de 347 996 euros de chiffre d'affaires annuel moyen, soit 28 999 euros mensuellement.

Dès lors, la perte de marge de la société ILS pendant les 6 mois de préavis supplémentaire dont elle a été privée est de 69 599 euros [(28 999 x 40 %) x 6].

En revanche, la société ILS ne démontre pas que les frais supplémentaires liés aux nouveaux locaux sont la conséquence de la brutalité de la rupture, le courriel du 15 octobre 2013 ne pouvant être interprété comme constituant une demande de la société Michelin à la société ILS d'augmenter la taille des locaux et de transférer l'ensemble des cours dans les locaux de la société ILS.

Par ailleurs, la société ILS ne démontre pas que les licenciements des 7,8 équivalents temps plein correspondant à 36 collaborateurs sont la conséquence directe de la brutalité de la rupture et non pas de la seule rupture, celle-ci n'établissant pas de lien entre les deux éléments.

Enfin, la société ILS ne démontre pas avoir subi un préjudice d'image, aucune pièce ne démontrant cette atteinte.

Il y a donc lieu de débouter la société ILS de ses autres demandes.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné la société Michelin à payer à la société ILS la somme de 141 330 euros à titre de perte de marge pendant la durée du préavis outre les intérêts de droit au taux légal à compter de l'assignation,

- condamné la société Michelin à payer à la société ILS la somme de 60 892 euros à titre des licenciements économiques, outre les intérêts de droit au taux légal à compter de l'assignation.

La société Michelin doit être condamnée à payer à la société ILS la somme de 69 599 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies, avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 18 février 2016, en application de l'article 1153-1 al.2 ancien du Code civil, applicable aux faits de l'espèce.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Michelin, partie perdante, doit être condamnée aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société ILS la somme supplémentaire de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la société Michelin.

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement sauf en ce qu'il a : - condamné la société Michelin à payer à la société ILS la somme de 141 330 euros à titre de perte de marge pendant la durée du préavis outre les intérêts de droit au taux légal à compter de l'assignation, - condamné la société Michelin à payer à la société ILS la somme de 60 892 euros à titre des licenciements économiques, outre les intérêts de droit au taux légal à compter de l'assignation ; L'infirmant sur ces points, Statuant à nouveau, condamne la société Michelin à la société ILS la somme totale de 69 599 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies, avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 18 février 2016, Y ajoutant, condamne la société Michelin aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société ILS la somme supplémentaire de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; rejette toute autre demande.