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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 mars 2018, n° 15-11650

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ENI France (SARL)

Défendeur :

NRL (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Arnaud, Pinto

T. com. Lyon, du 21 avr. 2015

21 avril 2015

LA COUR,

Vu le jugement rendu le 21 avril 2015 par le Tribunal de commerce de Lyon qui a :

- pris acte du désistement de la société NRL de sa demande tendant à voir condamner la société ENI France à la prise en charge du différentiel né de son activité de mandat au titre de l'exercice 2008,

- dit que la société ENI France doit être condamnée à la prise en charge des différentiels nés de l'activité de mandat de vente de produits pétroliers au titre des exercices 2009 à 2013,

- désigné M. X en qualité d'expert avec mission de chiffrer le montant des pertes afférentes à l'activité de distribution des carburants au titre des exercices 2009 à 2013 inclus et déterminer l'origine de ces pertes,

- débouté la société NRL de sa demande au titre de la rupture de la relation commerciale établie,

- débouté la société NRL de sa demande au titre de l'indemnisation relative au fournisseur Dalliance,

- condamné la société ENI France au paiement de la somme de 50 577,85 euros,

- condamné la société NRL au paiement de la somme de 80 944,41 euros,

- ordonné la compensation entre ces sommes et, en conséquence, condamné la société NRL à payer à la société ENI France la somme de 30 366,56 euros,

- ordonné à la société ENI France de donner mainlevée au Crédit Mutuel tant au titre de la saisie conservatoire pratiquée sur le compte de la société NRL qu'en qualité de caution bancaire, les frais de main levée étant à la charge de la société ENI France,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société ENI France aux dépens et au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 7000 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel relevé par la société ENI France et ses dernières conclusions signifiées le 2 février 2018, par lesquelles elle demande à la cour, au visa du dispositif contractuel, des Accords Interprofessionnels du Pétrole (AIP) et de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :

1) confirmer le jugement en ce qu'il a pris acte du désistement de la société NRL de sa demande tendant à la voir condamner à la prise en charge du différentiel né de son activité de mandat au titre de l'exercice 2008,

2) infirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit qu'elle devait être condamnée à la prise en charge des différentiels nés de l'activité de mandat de vente de produits pétroliers au titre des exercices 2009 à 2013,

- désigné expert pour chiffrer le montant des pertes afférentes à cette activité, et, statuant à nouveau :

- dire que la demande de soutien pour les exercices 2009 à 2013 inclus est infondée car contraire au principe d'indivisibilité de la location gérance et du mandat, l'exploitant ayant en outre expressément renoncé aux dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil, et les AIP ne prévoyant nullement la prise en charge par la société pétrolière de l'intégralité des pertes connues par l'exploitant,

- en tout état de cause, constater que la société NRL n'a pas enregistré de pertes sur les exercices 2009 à 2013,

- en conséquence, débouter la société NRL de sa demande d'expertise, les mesures d'instruction ordonnées par le juge n'ayant pas vocation à pallier les manquements des parties dans l'administration de la preuve,

3) confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société NRL :

- de sa demande au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie,

- de sa demande au titre de l'indemnisation relative au fournisseur Dalliance,

4) infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 50 577,85 euros, en ce qu'il a condamné la société NRL au paiement de la somme de 80 944,41 euros et, par compensation, condamné la société NRL à lui payer la somme de 30 366,56 euros,

et, statuant à nouveau :

- dire qu'elle est créancière de la somme de 118 495,06 euros au titre de divers impayés résultant de l'exécution du contrat,

- dire que la société NRL est créancière de la somme de 62 530,36 euros au titre des commissions à verser sur les cartes de crédit et les cartes accréditives ainsi que des primes de fin de contrat,

- ordonner la compensation entre ces sommes et condamner la société NRL à lui payer la somme de 55 964,70 euros au titre de l'apurement des comptes entre les parties,

5) infirmer le jugement en ce qu'il lui a ordonné de donner mainlevée au Crédit Mutuel tant au titre de la saisie conservatoire pratiquée sur le compte de la société NRL qu'en qualité de caution bancaire, les frais correspondants étant à sa charge,

et, statuant à nouveau, dire que ces demandes sont devenues sans objet, puisqu'elle a déjà procédé aux mainlevées,

6) en tout état de cause, condamner la société NRL aux dépens et au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 25 janvier 2018 par la société NRL qui demande à la cour, au visa des articles 1131, 1134, 1999 et 2000 du Code civil, de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, des AIP et de l'article 3-3 du contrat, de :

1) confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société ENI France à prendre en charge les différentiels nés de l'activité de mandat de vente des produits pétroliers au titre des exercices 2009 à 2013 et, ainsi, de :

- dire que la société ENI France ne peut se prévaloir d'une clause limitant sa responsabilité qui contredit la portée d'une obligation essentielle contenue à l'article 3 du préambule des AIP, qu'elle a de surcroît délibérément violée,

- dire que la société ENI France ne peut pas mettre à sa charge les pertes du mandant dont elle n'avait pas la maîtrise,

- dire que l'article 3-3 du contrat prévoit expressément le paiement du différentiel entre les commissions et charges du mandat,

- dire que la société ENI France ne peut se prévaloir de la renonciation aux articles 1999 et 2000 du Code civil,

2) confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à la société ENI France de donner mainlevée au Crédit Mutuel tant au titre de la saisie conservatoire pratiquée sur son compte bancaire qu'en sa qualité de caution bancaire et a condamné la société ENI France à payer tous les frais y afférents,

3) sur la quantum :

- condamner la société ENI France à lui payer les sommes de

* 557 505,10 euros HT au titre du différentiel de commissions pour l'exercice 2009,

* 586 890,50 euros HT au titre du différentiel de commission pour l'exercice 2010,

* 592 591,48 euros HT au titre du différentiel de commission pour l'exercice 2011,

* 571 768,09 euros HT au titre du différentiel de commission pour l'exercice 2012,

* 554 453,25 euros HT au titre du différentiel de commission pour l'exercice 2013,

- dire que ces sommes produiront intérêts avec capitalisation conformément à l'article 1154 du Code civil à compter de la réception par ENI de la mise en demeure, soit du 18 juillet 2013,

4) à titre subsidiaire, si la cour confirmait la désignation d'un expert, le nommer aux frais avancés par la société ENI France avec mission de :

- chiffrer le montant des pertes afférentes à la seule activité de distribution des carburants,

- déterminer l'origine de ces pertes notamment au regard de la faiblesse des commissions versées par la société ENI France,

5) en tout état de cause :

- condamner la société ENI France à lui payer la somme de 1 158 000 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation des préjudices résultant du non-respect de ses obligations et de la brusque rupture des relations contractuelles,

- ordonner à la société ENI France d'apurer les comptes entre les parties, conformément aux accords interprofessionnels, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision, en imputant au crédit de son compte la somme de 18 323,44 euros au titre des encaissements directs par carte bleu, 447,07 euros au titre des encaissements directs par cartes accréditives, 43 759,85 euros au titre de la prime de fin de contrat, et, en conséquence, condamner la société ENI France à lui rembourser la somme de 4 302,21 euros au titre du trop-perçu résultant du prélèvement de la caution, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 février 2015,

- condamner la société ENI France à lui payer la somme de 20 452,80 euros au titre d'une panne de chauffage et celle de 3 600 euros au titre d'une panne informatique,

- condamner la société ENI France à lui payer la somme de 197 165,80 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation de l'appropriation occulte des remises de fin d'année rétrocédées par Dalliance,

- condamner la société ENI France à lui payer, au titre du refus de donner mainlevée de la caution bancaire, la somme de 2 481,29 euros pour frais exposés en 2014 et 2015 et celle de 15 000 euros, à titre de dommages-intérêts, en raison du blocage injustifié de la somme de 92 233,09 euros pendant deux ans,

- débouter la société ENI France de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société ENI France aux dépens et à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal, avec capitalisation conformément à l'articles 1154 du Code civil à compter de la demande ;

SUR CE

Par convention de location-gérance des 6 août et 4 octobre 2001, l'exploitation de la station-service Agip Jura, située sur l'autoroute A 39 à Arlay, a été confiée par la société ENI France à la société NRL pour une durée de 3 ans à compter du 22 octobre 2001 ; cette convention a été renouvelée pour trois nouvelles périodes de 3 ans chacune.

La dernière convention, signée le 30 mars 2010 pour une durée de 3 ans à compter du 1er avril 2010, mentionne que la société ENI France confie à la société NRL l'exploitation et la gestion du fonds de commerce de station-service au titre :

- d'une location-gérance de fonds de commerce pour ce qui concerne la distribution des lubrifiants et les activités annexes (produits, services et articles de diversification),

- d'un mandat pour ce qui concerne la distribution des produits pétroliers à l'exclusion du fioul oil domestique.

Sous le titre III du contrat intitulé " Mandat de vente des produits pétroliers ", l'article 3.3 prévoit qu'en rémunération du mandat, l'exploitant recevra une commission globale et forfaitaire constituée d'une partie fixe et d'une partie variable de 6 euros HT/m3 destinée à couvrir toutes les charges directement liées au volume carburant vendu ; il y est stipulé :

" S'il apparaît à l'exploitant que cette commission variable n'est plus à même de couvrir le montant des charges ci-dessus définies, il devra en alerter ENI sans délai.

ENI s'engage à supporter le différentiel entre la commission effectivement versée et les charges définies ci-dessus, dont la réalité aura été certifiée par l'expert-comptable de l'exploitant, si l'exploitant justifie qu'il n'a pas commis d'erreur de gestion de ces charges ".

Par lettre du 27 janvier 2012, se référant à un entretien du 23 janvier précédent au cours duquel l'échéance de la convention au 31 décembre 2013 avait été évoquée, la société ENI France a envoyé à la société NRL un avenant de prorogation en notant que, compte tenu de cette prorogation, la société NRL avait accepté la mise en place de la nouvelle distribution automatique " Caffè Cosi " de chez Dalliance.

Suivant avenant régularisé le 1er février 2012, les parties ont prorogé les effets de la convention de location-gérance, arrivant à échéance au 31 mars 2013, jusqu'au 31 décembre 2013, toutes clauses et conditions demeurant inchangées.

Par lettre du 26 décembre 2012, la société NRL s'est adressée à la société ENI France pour lui demander, conformément à leurs accords contractuels, le versement du différentiel de la commission carburant, compte tenu des charges liées à la distribution des produits pétroliers ; elle ajoutait que pour le cas où la société ENI France perdrait son appel d'offre, étant donné que son bilan était fixé au 30 septembre de chaque année et que la sous-concession du point de vente et la fin de la convention de location-gérance étaient prévues au 31 décembre 2013, elle demandait d'ores et déjà une révision des conditions pour le dernier trimestre 2013.

Dans sa réponse du 9 janvier 2013, la société ENI France a confirmé son accord pour le paiement du différentiel de la commission carburant et a proposé, pour la période du 1er octobre 2013 au 31 décembre 2013 une " saisonnalisation " du loyer basé sur la saisonnalité de 2012. La société ENI France ayant offert le versement de la somme de 10 153 euros au titre du différentiel de commission carburant pour l'exercice 2012, la société NRL a refusé cette proposition en réclamant un différentiel pour les exercices 2008 à 2012.

Après s'être fait remettre par la société NRL ses documents comptables et fiscaux, la société ENI France l'a avisée par lettre du 22 mai 2013 qu'elle ne donnait pas une suite favorable à sa demande en précisant : que le dispositif contractuel les liant constituait un ensemble indivisible entre le mandat pour la vente de carburants et la location-gérance pour les autres activités, que sur les cinq exercices concernés elle ne justifiait pas de résultats déficitaires, chacun de ceux-ci présentant un résultat d'exploitation positif, et que conformément aux dispositions des AIP, elle ne justifiait pas des conditions permettant d'étudier une prise en charge de pertes d'exploitation garantissant l'équilibre économique de ses comptes. La société NRL, dans sa réponse du 30 mai 2013, a reproché à la société ENI France de ne pas appliquer l'article 3.3 de la convention de location-gérance, ajoutant que le litige ferait l'objet d'une assignation devant le Tribunal de commerce de Lyon.

Puis, par lettre du 30 août 2013, la société NRL, précisant qu'elle avait appris que la concession autoroutière de la station avait été renouvelée au profit de la société ENI France, a demandé à celle-ci de lui faire part de ses intentions quant au renouvellement de leur contrat.

Le 3 septembre 2013, la société ENI France a indiqué à la société NRL que si elle était pressentie comme prochaine sous-concessionnaire de l'Aire du Jura, elle n'avait pas encore de confirmation définitive ; elle l'a informée ne pas avoir l'intention de lui proposer un nouveau contrat.

C'est dans ces circonstances que le 18 octobre 2013, la société NRL a saisi le Tribunal de commerce de Lyon aux fins d'obtenir condamnation de la société ENI France au paiement du différentiel de commission pour les exercices 2008 à 2012, de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie et de diverses autres sommes. Le tribunal, par le jugement déféré, pour l'essentiel, a dit qu'elle avait droit au paiement du différentiel pour les exercices 2009 à 2012 - celui pour l'exercice 2008 ayant fait l'objet d'une transaction - l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et a fait le compte entre les parties.

Sur la demande de remboursement du différentiel de commissions au titre des exercices 2009 à 2013

Pour s'opposer à cette demande, la société ENI France soutient :

- que les gérants de la société NRL ont acquis une grande expérience dans le secteur d'activité pour avoir géré diverses stations-services et qu'ils ont reçu les documents d'information précontractuelle,

- que la société NRL a expressément renoncé au bénéfice des articles 1999 et 2000 du Code civil, que la clause de renonciation est parfaitement claire, dépourvue de toute ambiguïté et valide, les dispositions de ces articles n'étant pas d'ordre public,

- que les API prévoient simplement que la société pétrolière s'engage à étudier le cas où l'exploitant estime ne pas dégager un résultat annuel d'exploitation positif et qu'en l'espèce, la société NRL ne rapporte pas la preuve qu'elle a enregistré des pertes - après compensation avec les bénéfices réalisés dans le cadre de la location-gérance - qui seraient du fait du mandant,

- qu'en raison de la renonciation expresse au bénéfice des articles 1999 et 2000 du Code civil, la société pétrolière ne rembourse pas les pertes du mandat, mais les pertes de l'exploitation prise dans leur ensemble,

- que le protocole régissant les AIP concerne la station-service dans son ensemble et son résultat annuel d'exploitation, y compris la boutique, et que la demande de prise en charge exclusivement des pertes du mandat, sans prise en compte de l'activité de toute la station-service, est contraire au texte et à l'esprit des AIP,

- que la convention forme un tout indivisible et qu'il faut prendre en compte les rémunérations tirées de l'ensemble des activités confiées dans leur globalité,

- que c'est par erreur que l'article 3.3 a été inséré au titre III de la convention au lieu du titre IV,

- que la société NRL au cours de leurs relations a toujours considéré qu'il convenait de prendre en compte l'activité de la station-service dans son ensemble,

- que la transaction conclue en 2008 est basée sur le résultat d'exploitation de l'ensemble du fonds de commerce et s'élève à 14 000 euros alors que, 5 ans plus tard, il a été réclamé 552 135,83 euros pour l'exercice de cette année,

- qu'il n'y a pas lieu à indemnisation du cocontractant dont le résultat d'exploitation est bénéficiaire,

- que la société pétrolière n'a pas imposé des conditions de prix désavantageuses à la société NRL, qu'elle ne s'est pas immiscée dans la gestion de la station-service et n'a pas privé l'exploitant de son pouvoir de décision, notamment quant aux choix du fournisseur de distributeurs de boissons,

- que si la société NRL avait été mécontente du dispositif contractuel, elle n'aurait pas conclu une nouvelle convention le 30 mars 2010, ni demandé une prorogation jusqu'au 31 décembre 2013 et espéré, comme elle le prétend, une nouvelle convention à partir de 2014,

- que c'est seulement fin 2012 que la société NRL a sollicité des remboursements, alors que le contrat prévoit que les demandes doivent être présentées sans délai et qu'en réalité elle y avait renoncé,

- que la société NRL est incapable d'expliquer les charges afférentes à la gestion de la boutique, lesquelles doivent être au moins équivalentes à celles afférentes à la vente de carburants,

- que le tribunal aurait dû rejeter la demande d'expertise, cette mesure ne devant pas pallier la carence de la société NRL dans l'administration de la preuve.

Il convient, en premier lieu, de relever que la société NRL ne demande pas une indemnisation sur le fondement de l'article 3 du protocole régissant les AIP, qui prévoit :

- que la gestion d'une station-service suppose que l'exploitant, s'il se comporte en bon commerçant et en bon gestionnaire, dégage un résultat annuel d'exploitation positif,

- la société pétrolière s'engage à étudier à tout moment le cas de toute station qui pourrait lui être soumis par l'exploitant qui estimerait ne pas dégager un tel résultat.

Il ressort de la transaction conclue le 30 janvier 2009 que la société NRL demandait alors une aide au regard des AIP destinée à équilibrer sa période d'exploitation du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2008, que la société pétrolière a proposé une commission exceptionnelle de 11 000 euros HT et un soutien exceptionnel de 3 000 euros HT, que la société NRL et ses gérants ont accepté, renonçant à toute demande ou action ultérieures en paiement au titre de cet exercice.

Mais en aucune façon la société NRL n'a renoncé à se prévaloir des dispositions de l'article 3.3 inséré dans la convention signée le 30 mars 2010, comme dans la précédente, au titre des exercices 2009 à 2013.

Sous l'intitulé " Déclaration de consentement exprès " de la convention, il est précisé qu'il y a lieu de considérer les rémunérations tirées de l'ensemble des activités confiées au titre du présent contrat (commissions, marges sur activités annexes...) dans leur globalité et, en particulier, que l'exploitant déclare expressément renoncer à l'application des articles 1999 et 2000 du Code civil, ce dernier étant ci-après repris intégralement : Code civil, article 2000 :

" Le mandant doit aussi indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l'occasion de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable ".

Cependant la convention détaille ensuite les stipulations relatives au fonds de commerce et à la location-gérance sous les titres I et II, le titre III étant consacré au mandat de vente des produits pétroliers et le titre IV aux dispositions communes ; aucune indivisibilité entre la location-gérance et le mandat de vente des produits pétroliers n'y étant prévue.

L'article 2.9 du titre II est relatif à la redevance due au titre de la location-gérance, tandis que l'article 3.3 du titre III, relatif à la rémunération du mandataire, stipule précisément que si la commission variable n'est plus à même de couvrir toutes les charges directement liées au carburant vendu, la société ENI France s'engage à supporter le différentiel entre la commission effectivement versée et ces charges ; il en résulte que dans cette hypothèse, la société ENI France s'est engagée à payer un complément de commission, peu important que la société NRL ne l'ait pas avertie sans délai, aucune sanction n'étant édictée en cas de retard et aucune prescription n'étant invoquée.

La société ENI France peut d'autant moins se décharger de cette obligation que la renonciation aux dispositions de l'article 2000 du Code civil n'est pas valable dans la mesure où, en sa qualité de mandante, elle a conservé la maîtrise de l'activité de vente de carburants, de ses charges et de ses recettes ; en effet, c'est elle qui fixait la liste des carburants, leur prix de vente, les modalités de la vente, les moyens de paiement et les modalités de reversement de la recette ; elle ne justifie ni même ne prétend que sa mandataire aurait commis des fautes de gestion ; le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il l'a condamnée à prendre en charge les différentiels nés de l'activité de mandat de vente des produits pétroliers au titre des exercices 2009 à 2013 inclus.

Pour contester le montant des indemnités réclamées, la société ENI France fait valoir :

- que la société NRL ne justifie pas de son choix d'affecter 80 % des charges de l'exploitation à la seule activité de vente de carburants,

- que les charges liées à l'activité de vente de carburants ne sont pas proportionnelles au chiffre d'affaires réalisé,

- qu'une grande partie des charges, dont les charges salariales, est liée à l'entretien de la boutique, au nettoyage des sanitaires, à l'achalandage et au nettoyage des rayons presse et alimentaire, au remplissage des machines à boisson et à la gestion des stocks.

Afin d'étayer ses demandes, la société NRL se borne à verser aux débats ses éléments comptables, ce qui ne permet pas de justifier de l'affectation des charges entre la vente de produits pétroliers et les autres activités de la station-service.

Ne disposant pas d'éléments suffisants pour apprécier le montant du différentiel de commissions, la cour confirmera l'expertise ordonnée par le tribunal aux frais avancés par la société ENI France ; la mission de l'expert sera complétée comme suit :

- rechercher les commissions qui ont été versées au titre des exercices 2009 à 2013,

- fournir tous éléments d'information permettant de déterminer le montant des différentiels de commissions dus par la société ENI France.

Sur la demande de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie

La société NRL fait valoir, au soutien de cette prétention :

- que la notion de relation commerciale établie s'applique qu'il s'agisse d'un contrat à durée indéterminée ou de contrats à durée déterminée,

- que la relation entre les parties était établie depuis 2001, soit 12 ans,

- que le respect d'un délai de prévenance équitable était d'autant plus important qu'elle était totalement dépendante de la société ENI France, loueur du fonds de commerce et fournisseur exclusif des produits pétroliers,

- que le préavis de 4 mois est insuffisant et qu'il aurait dû être de 2 ans,

- que le comportement de la société ENI France a été fautif, la rupture ayant été provoquée par son refus de prendre en charge les pertes du mandat,

- que son comportement a été aussi équivoque puisque, sachant que le renouvellement de la concession autoroutière lui était acquise, la société pétrolière ne l'a pas informée de son intention de rompre leurs relations,

- qu'en la félicitant officiellement sur le réseau, la société ENI France lui a laissé croire que la convention serait renouvelée,

- que son préjudice doit être calculé sur la base de la marge annuelle moyenne de 695 000 euros dégagée par les activités annexes, sous déduction du préavis de 4 mois accordé, ce qui aboutit à la somme de 1 158 000 euros.

Mais la société ENI France réplique à juste titre que les parties avaient conclu des contrats à durée déterminée, sans tacite reconduction, et que le non-renouvellement du contrat résulte alors de la négociation contractuelle et commerciale.

Il apparaît que par sa lettre du 3 septembre 2013, la société ENI France qui a indiqué qu'elle n'avait pas encore de confirmation définitive quant à sa sous-concession autoroutière a clairement averti la société NRL France qu'elle ne souscrirait pas une nouvelle convention en 2014 ; ce faisant, elle est allée au-delà des prescriptions des AIP, lesquelles précisent que 3 mois avant l'expiration du contrat, l'exploitant ou la société peut demander par écrit à l'autre partie ses intentions en ce qui concerne la négociation d'un nouveau contrat, que l'exploitant ou la société est alors tenu de répondre par écrit sous quinzaine et que, pour le cas où la société n'aurait pas l'intention de proposer un nouveau contrat, elle en informerait l'exploitant un mois avant la date d'échéance.

La société NRL, même si elle avait été félicitée par la société ENI France le 11 janvier 2013 pour l'aide apportée à un autre exploitant, ne pouvait légitimement croire à une poursuite de la relation établie alors qu'elle se trouvait en opposition avec sa cocontractante sur la prise en charge du différentiel de commissions au titre des exercices passés, ce qui devait nécessairement peser sur les négociations en vue de la conclusion d'un nouveau contrat.

La société ENI France ayant respecté un délai de prévenance de 4 mois, la rupture de la relation commerciale établie, dans les circonstances ci-dessus décrites, ne présente pas un caractère soudain, ni violent ; aucune faute ne peut lui être imputée lors de cette rupture ; en conséquence, la demande de dommages-intérêts de la société NRL doit être rejetée.

Sur la demande en paiement de la somme de 197 165,80 euros, à titre de dommages-intérêts, la société NRL expose :

- que la lettre de la société ENI France du 27 janvier 2012 démontre que celle-ci lui a imposé le fournisseur Dalliance comme condition de la prorogation du contrat et qu'il s'agit d'un abus de dépendance économique,

- que pour obtenir le marché de la distribution de boissons chaudes, Dalliance a dû consentir une remise de 31 % sur le chiffre d'affaire réalisé en station,

- que cette marge arrière était occulte et qu'elle n'en a eu connaissance qu'incidemment,

- que pour l'année 2013, la société ENI France s'est ainsi arrogée 31 % de son chiffre d'affaires pour la vente de boissons chaudes, soit 197 165,80 euros,

- que les prestations de Dalliance ont été suffisamment déplorables pour que la société ENI France référence à nouveau Sélecta,

- qu'en s'appropriant les remises de fin d'année sur les ventes de boissons chaudes, sans son accord, la société ENI France a violé l'article 1134 du Code civil.

Mais la société ENI France rétorque avec raison :

- que la convention laissait l'exploitant libre du choix de ses fournisseurs et que la société NRL a accepté Dalliance,

- que les sommes que lui versait Dalliance ne pouvaient revenir à la société NRL ; en effet elle référençait des fournisseurs tels que Sélecta ou Dalliance en vue d'obtenir les meilleurs conditions pour la fourniture de distributeurs de boissons chaudes, un contrat de dépôt était ensuite conclu en sa présence avec l'exploitant dépositaire, lequel effectuait les ventes de boissons au nom et pour le compte de Dalliance et percevait de ce fournisseur une redevance égale à 47 % du chiffre d'affaires généré par les ventes,

- que la commission de 31 % qu'elle-même percevait de Dalliance fait partie des accords entre le fournisseur et elle,

- que la société NRL ne démontre pas qu'elle aurait pu bénéficier d'une redevance plus importante en s'adressant auprès d'autres fournisseurs et qu'elle aurait subi un préjudice.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande.

Sur les autres demandes de dommages-intérêts

La société NRL demande, en réparation des troubles de jouissance subis : la somme de 20 452,80 euros pour panne de chauffage du 31 octobre 2013 à la fin des relations contractuelles et la somme de 3 600 euros pour panne informatique.

La société ENI France, pour s'opposer à ces demandes, répond :

- que la société NRL a refusé de payer le loyer dû au titre du dernier mois d'occupation, outre un reliquat, soit la somme de 20 431,27 euros, au motif d'une panne de chauffage, qu'elle lui a proposé une indemnisation à hauteur de 6 818 euros correspondant à une baisse de loyer de 20 % sur les mois de novembre et décembre mais que cette proposition faite à l'amiable n'avait plus cours au regard du contentieux initié par la société NRL,

- que la société NRL ne justifie d'aucun préjudice consécutif à la panne informatique alléguée.

La réalité de la panne de chauffage et les désagréments en résultant en particulier pour le personnel de la station-service sont caractérisés ; il convient de condamner la société ENI France au paiement de la somme de 6 818 euros, à titre de dommages-intérêts.

La société NRL ne justifie en rien de la durée de la panne informatique alléguée et des conséquences dommageables ayant pu en découler ; ne rapportant pas la preuve de l'existence même d'un préjudice, elle sera déboutée de sa demande en paiement de la somme de 3 600 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur les comptes entre les parties

La société NRL se prétend créancière de la somme de 62 530,36 euros, correspondant à :

- 18 323,44 euros au titre des encaissements directs par carte bleu,

- 447,07 euros au titre des cartes accréditives,

- 43 759,85 euros au titre de la prime de fin de contrat.

Faisant valoir que la société ENI France s'est faite payer par le Crédit Mutuel les sommes de 60 266,91 euros et de 1 864,51 euros en vertu d'un engagement de caution, la société NRL réclame remboursement du trop-perçu de 4 302,21 euros, objet de sa mise en demeure du 16 février 2015.

La société ENI France soutient être créancière de la somme de 118 495,06 euros correspondant à :

- 78 212,86 euros au titre des recettes de carburant, somme figurant sur son dernier décompte du 23 juillet 2014,

- 19 850,93 euros au titre de l'achat de produits et frais divers,

- 20 431,27 euros au titre des loyers impayés.

Reconnaissant devoir la somme de 62 530,36 euros à la société NRL, elle lui demande paiement de la somme de 55 964,70 euros.

La société NRL ne conteste pas les sommes réclamées au titre des recettes de carburant mais indique que le Crédit Mutuel, en sa qualité de caution, a payé la somme de 64 183,47 euros à la société ENI France. Elle ne conteste pas non plus la somme réclamée au titre des loyers impayés. Pour le surplus, elle déclare que les provisions de : 1 000 euros HT pour " provision eau ", 2 263,80 HT et 2 257,52 euros HT pour " provision CVAE ", 827,66 euros HT pour " provision CFE " et 500 euros HT pour " provision greffe changement de gérant " n'ont aucune raison d'être alors qu'elle s'est acquittée de ses dettes et qu'elle est en règle vis à vis de ses fournisseurs.

Il ressort des propres déclarations de la société ENI France en page 56 de ses conclusions et des pièces produites par la société NRL qu'en octobre 2014, le Crédit Mutuel a payé à la société ENI France la somme de 64 183,47 euros correspondant à des recettes de carburant dues par la société NRL ; ce montant doit donc être déduit, ce qui ramène à 14 029,39 euros la créance de la société ENI France au titre des recettes de carburant. Les quitus envoyés à la société ENI France par lettre du 2 juin 2014 montrent que la société NRL a payé les sommes dues au titre de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée) et celles dues au titre de l'eau et de l'assainissement. Mais la somme de 19 850,93 euros réclamée correspond, d'une part à une refacturation de redevances autoroutières émise conformément à l'article 2.9.1 de la convention pour un montant de 17 539,34 euros, d'autre part à une refacturation de 1 240,80 euros pour une prestation réalisée par le fournisseur Tolkeim, spécialisé dans l'automatisation des systèmes utilisés dans les stations-services ; la société NRL, ne justifie pas s'être acquittée de ces sommes dont elle est redevable.

En conséquence, la créance de la société ENI France sera fixée à 14 029,39 euros + 19 850,93 euros + 20 431,27 euros, soit au total 54 311,59 euros.

La créance de la société NRL, non contestée, s'élève quant à elle à 62 530,36 euros ; il convient de constater qu'elle ne réclame paiement que de la somme de 4 302,21 euros qui lui sera allouée avec intérêts au taux légal à compter du 16 février 2015, date de la mise en demeure ; la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil.

Sur les demandes au titre des garanties

La société NRL demande la condamnation de la société ENI France :

- à donner mainlevée au Crédit Mutuel de la saisie conservatoire pratiquée sur son compte et de la caution bancaire et à payer les frais afférents à ces mesures,

- à lui payer la somme de 2 481,29 euros au titre des frais de caution exposés en 2014 et 2015, en raison de son refus de donner mainlevée de la caution bancaire ainsi que celle de 15 000 euros, à titre de dommages-intérêts en raison du blocage injustifié de la somme de 92 233,09 euros pendant deux ans.

La société ENI France réplique que ces demandes sont sans objet et ont pour seul but pour la société NRL de se présenter à nouveau comme une victime ; elle expose :

- que la saisie conservatoire a été autorisée par ordonnance du juge de l'exécution le 1er avril 2014 et qu'elle en a donné mainlevée le 10 février 2015, le juge des référés ayant dit n'y avoir lieu à référé sur sa demande en paiement,

- qu'elle a obtenu du Crédit Mutuel, garant à première demande, paiement de la somme de 64 183,47 euros correspondant aux recettes de carburant dues par la société NRL et que, la banque ayant dénoncé sa garantie par lettre du 17 juillet 2015, celle-ci est devenue caduque depuis le 22 octobre 2015.

Il convient de constater que les demandes de mainlevée sont devenues sans objet.

La société ENI France, créancière de la société NRL, n'a pas commis d'abus ni de faute en mettant en œuvre la garantie du Crédit Mutuel. Cette garantie avait été consentie par la banque, à hauteur de 152 500 euros à compter du 23 octobre 2001 pour une durée d'un an renouvelable pour la même période par tacite reconduction, sauf dénonciation par la banque avec un préavis de trois mois, ce que celle-ci a fait le 17 juillet 2015. La demande au titre des frais de caution sera rejetée.

Cependant en maintenant une saisie conservatoire sur le compte de la société NRL à hauteur de 92 233,09 euros jusqu'au 10 février 2015 alors qu'elle avait mis en jeu la caution du Crédit Mutuel pour un montant de 60 266,91 euros qui lui a été versé en octobre 2014, qu'elle bénéficiait encore de la garantie de cette banque et que sa créance, en raison de la compensation à intervenir était inférieure à la somme bloquée, la société ENI France a eu un comportement fautif qui a causé préjudice à la société NRL. En réparation, elle devra lui payer la somme de 3 000 euros.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

La société ENI France qui succombe sur la plus grande partie de ses prétentions doit supporter les dépens et verser à la société NRL la somme supplémentaire de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, sa demande de ce chef étant rejetée.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement en ce qu'il a : - condamné la société ENI France au paiement de la somme de 50 577,85 euros, - condamné la société NRL au paiement de la somme de 80 944,41 euros, - ordonné la compensation et, en conséquence, condamné la société NRL à payer à la société ENI France la somme de 30 366,56 euros, - ordonné à la société ENI France de donner mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée sur le compte de la société NRL et de la caution bancaire, les frais correspondant étant à la charge de la société ENI France ; statuant à nouveau : Constate que les demandes de mainlevée sont devenues sans objet ; Fixe la créance de la société NRL à la somme de 62 530,36 euros ; Fixe la créance de la société ENI France à la somme de 54 311,59 euros ; Condamne la société ENI France à payer à la société NRL, conformément à sa demande, la somme de 4 302,21 euros avec intérêts au taux légal à compter du 16 février 2015 et capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil ; Condamne la société ENI France à payer à la société NRL la somme de 6 818 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice résultant de la panne de chauffage ; Déboute la société NRL de sa demande de dommages-intérêts pour panne informatique, Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions ; y ajoutant, Complétant la mission de l'expert, dit que celui-ci devra rechercher les commissions versées au titre des exercices 2009 à 2013 et fournir tous éléments d'information permettant de déterminer le montant des différentiels de commissions dues par la société ENI France au titre de ces exercices ; Condamne la société ENI France à payer à la société NRL la somme de 3 000 euros, à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes leurs autres demandes ; Condamne la société ENI France aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.