CA Rennes, 3e ch. com., 27 mars 2018, n° 15-07806
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Energie et Transfert Thermique (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseillers :
Mmes André, Jeorger-Le Gac
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Energie et Transfert Thermique (la société ETT), domiciliée à Ploudalmézeau (29), fabrique et commercialise du matériel d'environnement climatique. Le 16 février 2010, elle a confié à M. Jean Luc X, domicilié sur l'Ile de la Réunion, un mandat d'agent commercial d'une durée de trois ans par lequel elle lui conférait l'exclusivité sur un secteur comprenant l'Ile de la Réunion, l'Ile Maurice et Mayotte. Par lettre recommandée avec accusé de réception doublée d'un envoi électronique en date du 4 mars 2013, la société ETT lui a notifié la rupture immédiate du contrat pour faute grave.
Le 4 novembre 2013, M. X a fait assigner la société ETT devant le Tribunal de commerce de Brest aux fins d'obtenir outre le paiement de commissions, une indemnité de préavis, une indemnité de fin de contrat et une indemnité de rupture abusive. Par jugement en date du 3 juillet 2015, le Tribunal de commerce de Brest a avec exécution provisoire :
- débouté M. X de ses demandes d'indemnités au titre de la rupture du contrat d'agent commercial ;
- condamné la société ETT au paiement de la somme de 21 256,50 euros HT au titre de commissions de vente outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 27 mars 2013 ;
- condamné la société ETT au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- rejeté le surplus des demandes de M. X
M. X a relevé appel de ce jugement, demandant à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il lui a reconnu le statut d'agent commercial et a condamné la société ETT à lui payer la somme de 21 256,50 euros HT à titre de commissions sur ventes outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 27 mars 2013 ;
- réformer le jugement pour le surplus et de condamner la société ETT à lui payer :
la somme de 56 312 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2013 au titre de l'indemnité prévue par les articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce ;
la somme de 14 078 euros outre intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2013 au titre de l'indemnité de préavis ;
la somme de 15 000 euros en réparation de la rupture abusive du contrat d'agent commercial ;
la somme de 16 887,50 euros HT outre les intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2013 à titre de solde de commissions du quatrième trimestre 2012 et du premier trimestre 2013 ;
la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
En réponse, la société ETT demande à la cour :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. X la somme de 12 427,50 euros HT à titre de rappel de commissions et en ce qu'il a reconnu à M. Jean Luc X le bénéfice du statut d'agent commercial,
- de constater que M. X n'a jamais communiqué la facture de commissions relative à la somme de 8 829 euros qu'elle a toujours offert de lui régler et ce, en violation de l'article 5 du contrat et de lui ordonner de produire sous astreinte une facture acquittée de ce montant,
- de le débouter de sa demande de rappel de commissions pour la somme de 12 427,50 euros HT et de le condamner à restituer cette somme payée au titre de l'exécution provisoire ;
- de constater qu'elle s'engage à régler, sur présentation des factures correspondantes, la somme de 7 561 euros et d'ordonner la compensation avec celle de 12 457,50 euros ;
- ordonner en conséquence la restitution sous astreinte de la différence, soit 4 866,50 euros ;
- de débouter M. X de l'intégralité de ses autres demandes ;
- subsidiairement au cas où le statut d'agent commercial lui serait reconnu, de dire qu'il a commis une faute grave par la violation de l'article 3 du contrat justifiant la rupture immédiate du contrat ;
- de le débouter de ses demandes d'indemnités ;
- de le condamner à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux conclusions déposées par M. X le 13 juin 2017 et par la société ETT le 8 janvier 2018.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur la qualification du contrat
Tout en rappelant dans la première page de ses écritures avec insistance qu'elle a souhaité s'attacher les services d'un agent commercial, qu'elle a signé avec M. X un contrat d'agent commercial, que les obligations de M. X ressortent des dispositions légales et réglementaires du statut d'agent commercial (articles L. 134-4 du Code de commerce et R. 134-1 du Code de commerce), la société ETT persiste à lui dénier le statut d'agent commercial au seul motif qu'il ne justifierait pas de son immatriculation au registre spécial des agents commerciaux. Mais cet argument n'est pas suffisant pour refuser à M. X le statut d'agent commercial qui lui était reconnu dans le contrat et qui n'est contredit par aucune argumentation contraire opérante.
D'ailleurs M. X justifie s'être inscrit en qualité d'agent commercial le 1er mai 2007 au répertoire des entreprises et disposer, en conséquence, d'un numéro SIREN, ce qui suffit à justifier de la réalité de son activité d'agent commercial même si son inscription au registre spécial des agents commerciaux ne date que du 11 février 2014.
Sur les commissions réclamées
L'article 5 du contrat prévoit que la rémunération hors taxes de l'agent est fixée à 10 % du prix de vente hors taxes du matériel, étant précisé qu'en cas de négociation commerciale, la rémunération de l'agent peut évoluer pour s'adapter à l'environnement particulier du projet, tout en prenant en compte l'ensemble des coûts et remises diverses qui peuvent être concédées. Il est également stipulé que l'assiette des commissions ne prend pas en compte les factures ou parties de factures non réglées par le client après que le mandant a fait toutes les démarches nécessaires pour en obtenir le règlement.
Devant les premiers juges, la société ETT a reconnu devoir la somme de 8 829 euros HT comprenant 756 euros (solde 4e trimestre 2012) + 1 373 euros (1er trimestre 2013) + 6 700 (affaire Décathlon St Pierre 10918).
Les commissions du 4e trimestre 2012 ont fait l'objet de la facture N02 d'un montant de 6 540,60 euros HT qui correspond au relevé transmis par le mandant (pièce 14) mais inclut des commissions sur des factures non encore réglées à la date de son émission (Lycée Roland Garros, Décathlon Ste Suzanne, et Hypercrack) et comporte une divergence sur le montant de la commission due au titre du marché Piscine les Avirons.
La société ETT fait valoir que la facture relative au Lycée Roland Garros n'est pas payée, le matériel n'ayant pas été reçu. Cependant du relevé émis par la société ETT, il ressort qu'une somme de 15 078 euros a été payée par le client et il n'est pas soutenu que ce règlement ait été remis en cause. La commission est donc due pour un montant de 1 507,80 euros. Les deux autres factures (Décathlon Ste Suzanne et Hypercrack) ont été réglées au mandant depuis la clôture des débats devant les premiers juges.
La facture N02 de 6 540,60 euros inclut également l'affaire référencée 10663 (Piscine les Avirons) pour laquelle une commission de 2 187,60 euros est facturée alors que le mandant soutient, sans fournir la moindre pièce justificative, ni explication, que celle-ci ne dépasse pas 656 euros. Or selon la pièce 14 émanant du mandant, le montant du marché, qui s'élevait à 21 876 euros, a été réglé. En application du contrat d'agent commercial, la commission due s'élève dès lors à 2 187,60 euros, la société mandante ne démontrant pas l'existence d'un accord portant sur la réduction de la commission afférente à cette affaire 10663. Ainsi c'est abusivement que pour en refuser le paiement, la société ETT soutient que la facture afférente au solde des commissions du 4e trimestre 2012 n'aurait pas été émise alors qu'elle date du 28 mars 2013 et qu'elle est justifiée à concurrence d'un montant de 3 900,40 euros HT et non de 756 euros HT.
La facture N04 correspondant à la commission réclamée sur l'affaire Decathlon St Pierre référencée 10918 s'élève à 10 437 euros HT alors que le mandant soutient, là encore sans la moindre pièce justificative, ni explication, qu'elle ne saurait dépasser la somme de 6 700 euros. Or de l'annexe 1 à son envoi du 19 avril 2013, il résulte que le marché s'élevait à 106 028 euros et que la société ETT avait à cette date été partiellement réglée pour un montant non précisé. Le mandant ne soutient pas que le solde de la créance n'aurait pas été payé de sorte qu'en l'absence de preuve d'un accord portant sur une réduction du taux de commission, le montant réclamé sera accordé.
La société ETT reconnaît également devoir la somme de 1 373 euros HT au titre des commissions exigibles au 1er trimestre 2013 pour lesquelles une facture devra être établie, ce qui porte le montant des commissions à la charge de la société ETT pour le 4e trimestre 2012 et l'année 2013 à la somme de 15 710,40 euros HT.
M. X réclame en outre des commissions supplémentaires au titre de l'année 2011 sur l'affaire 9831 "Piscines Plateau Caillou" pour un montant de 6 011,20 euros. Cependant la société ETT justifie que les commissions dues au titre de cette période ont été réglées le 3 novembre 2011 en produisant l'extrait de compte tiers correspondant. M. X ne conteste pas avoir émis, relativement à cette affaire, une facture dont le montant a été intégralement payé. Des échanges par courriels effectués en septembre 2011, il ressort qu'après protestation, il avait effectivement admis l'application d'un taux réduit pour ce marché, ce que les clauses du contrat autorisaient. Il n'est dès lors pas fondé à remettre en cause cet accord.
Il réclame enfin des commissions supplémentaires au titre des affaires réglées en 2012, à savoir une somme de 5 408,30 euros sur les affaires 10370/10371 et une somme de 1 008 euros sur l'affaire 10386. Cependant il a émis le 5 juillet 2012 une facture M26 de commissions pour ces affaires, facture qui lui a été intégralement réglée. Celle-ci révèle son accord sur la réduction du taux de commission au titre de ces deux affaires de sorte que sa réclamation de ce chef n'est pas davantage fondée.
Sur la rupture du contrat d'agent commercial
Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par un devoir réciproque d'information, étant rappelé que constitue une faute grave celle portant atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rendant impossible le maintien du lien contractuel.
Le devoir d'information de l'agent commercial était en l'occurrence précisé par l'article 3 du contrat d'agent commercial selon lequel "l'agent commercial tient le mandant informé de l'état du marché, du comportement de la clientèle et des initiatives de la concurrence. Il s'engage en particulier à communiquer :
Annuellement :
l'objectif pour l'année qui sera déterminé en accord avec le directeur export ETT
le plan d'action commercial et marketing attaché à la promotion des produits ETT
Mensuellement :
la liste des projets
l'état d'avancement de chaque projet
la liste des actions réalisées et à venir.
Il met en œuvre tous les soins professionnels requis pour transmettre les informations qu'il recueillera sur les particularités techniques et juridiques de son secteur, sur la solvabilité des acheteurs et pour veiller à la régularité des versements".
L'objectif pour l'année 2010 a été fixé à un chiffre d'affaires minimum de 150 000 euros sur l'Ile de la Réunion, de 50 000 euros sur l'Ile Maurice et de 50 000 euros sur Mayotte. Cet objectif n'a pas été revu pour les exercices postérieurs, aucune démarche du directeur export de ce chef n'étant établie. La réalisation de l'objectif annuel ainsi assigné à l'agent commercial n'est pas contestée par le mandant.
Si les pièces produites révèlent que les échanges entre l'agent commercial et le directeur export étaient peu amènes, leur teneur ne permet pas d'en imputer la responsabilité à l'un plutôt qu'à l'autre. Il en résulte néanmoins que M. X transmettait, parfois après réclamation, un compte rendu des diligences réalisées et de l'état d'avancement des projets en cours. Le contenu de cette information était certes jugé par son interlocuteur lapidaire et brouillon mais ceci n'était pas suffisant pour caractériser une faute grave justifiant la rupture du contrat d'agent commercial dès lors que ceci n'a pas eu d'effet démontré sur son activité puisque le volume de chiffre d'affaires obtenu était conforme aux objectifs assignés.
Le seul grief caractérisé concerne la non-transmission, annuellement, du plan d'action commercial et marketing attaché à la promotion des produits ETT. Mais les réclamations de ce chef restaient très générales, le directeur export n'ayant jamais précisé concrètement les actions qu'il attendait de l'agent commercial au regard des caractéristiques du marché qui lui était attribué, de celles des produits ETT qui selon ses propres explications n'étaient pas des produits standards mais sur mesure, ce qui aurait rendu vain toute campagne de publicité, et du niveau d'activité attendu de l'agent commercial qui était atteint.
Il s'en déduit qu'il s'agissait d'un grief formel masquant le fait que l'intervention de l'agent commercial était perçue comme coûteuse au regard de la plus-value limitée apportée à la société, ce qui pouvait justifier la rupture du contrat mais n'était pas de nature à caractériser la faute grave justifiant que M. X soit privé tant du préavis fixé contractuellement à six mois que de l'indemnité de fin de contrat.
Les pièces produites permettent de déduire que les commissions perçues ou à percevoir par M. X au titre de l'année 2012 sont justifiées à concurrence de la somme de 23 685 euros, soit une moyenne mensuelle de 1 973,75 euros qui représente le niveau d'activité atteint par l'agent commercial dans un temps voisin de la rupture. L'indemnité représentative du préavis de six mois convenue contractuellement sera en conséquence fixée à 11 843 euros HT.
Les pièces parcellaires produites de part et d'autre et les explications des parties permettent de déduire que M. X a perçu, de 2010 à 2012, un total de commissions de 33 685,47 euros (après déduction des commissions revendiquées non justifiées).
Compte tenu de la durée du contrat, de l'absence d'investissement réalisé par l'agent commercial et des commissions obtenues pendant l'exécution du contrat, l'indemnité réparant intégralement le préjudice résultant de la fin du contrat sera fixée à 22 457 euros.
La rupture du contrat d'agent commercial ne revêtant pas un caractère abusif, la demande d'indemnité de 15 000 euros sollicitée à ce titre sera rejetée.
En équité, une somme de 5 000 euros sera allouée à l'agent commercial sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR Confirme le jugement rendu le 3 juillet 2015 par le Tribunal de commerce de Brest en ce qu'il a qualifié le contrat conclu le 8 mars 2010 de contrat d'agent commercial ; Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau, Condamne la SAS Energie et Transfert Thermique à payer à M. Jean-Luc X les sommes suivantes : - au titre des commissions afférentes au 4e trimestre 2012 et à l'année 2013, la somme de 15 710,40 euros HT ; - au titre de l'indemnité de préavis, la somme de 11 843 euros HT ; - au titre de l'indemnité de fin de contrat, la somme de 22 457 euros ; Condamne la SAS Energie et Transfert Thermique à payer à M. Jean-Luc X la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que les intérêts au taux légal sur les sommes restant dues après prise en compte des provisions versées au titre de l'exécution provisoire courront à compter du présent arrêt ; Rejette toute autre demande plus ample ou contraire ; Condamne la SAS Energie et Transfert Thermique aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel, ces derniers étant recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.