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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 mars 2018, n° 16-06342

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Skynet Consulting (SARL)

Défendeur :

Schneider Electric Industries (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Hupin, Menard, Montagard, Fischer, Dupré de Puget

T. com. Paris, du 8 févr. 2016

8 février 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La société Skynet Consulting (ci-après la société " Skynet "), qui a pour objet le conseil en systèmes et logiciels informatiques, a réalisé des prestations de services informatiques au profit de la société Schneider Electric Industries (ci-après la société " Schneider ").

Soutenant avoir été victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies, la société Skynet a, par exploit du 13 janvier 2014, assigné la société Schneider devant le Tribunal de commerce de Paris en indemnisation.

Par jugement du 8 février 2016, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la SARL Skynet Consulting de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la SARL Skynet Consulting à payer à la SAS Schneider Electric Industries la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus,

- condamné la SARL Skynet Consulting aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

LA COUR

Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions déposées et notifiées le 17 janvier 2018, par lesquelles la société Skynet Consulting, appelante, invite la cour, au visa des articles 1844-8 du Code civil, L. 237-2 du Code de commerce, 1382 et suivants de Code civil, L. 442-6, I, 5° et D. 442-3 du Code de commerce, à :

- recevoir la société Skynet Consulting en son appel et le dire bien fondé,

- dire que les sociétés Skynet Consulting et Schneider Electric SAS étaient liées par des relations commerciales établies depuis septembre 1999, soit douze années,

- dire que lesdites relations commerciales ont été rompues brutalement et sans préavis à l'initiative exclusive de la société Schneider Electric Industries SAS le 30 septembre 2011,

- dire qu'un préavis d'une durée raisonnable n'a pas été respecté et que ce préavis doit être fixé à deux années au minimum,

- dire que la rupture des relations commerciales a été brutale et qu'en application du texte précité, la société Schneider Electric Industries SAS doit être obligée à réparer le préjudice causé à la société Skynet Consulting,

- chiffrer le préjudice subi par la société Skynet Consulting à deux années de rémunération sur la base de la moyenne des trois dernières années,

en conséquence,

- infirmer le jugement rendu le 8 février 2016 en ce qu'il a débouté la société Skynet Consulting de l'ensemble de ses demandes, et l'a condamnée à la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens,

- condamner la société Schneider Electric Industries SAS à payer à la société Skynet Consulting la somme de six cent trente mille euros (630 000 euros) TTC augmentée des intérêts de droit à compter de l'assignation du 13 janvier 2014,

- condamner la société Schneider Electric Industries SAS au paiement d'une indemnité de quinze mille euros (15 000 euros) en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens distraits au profit de Maître Maude Hupin ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 9 août 2016, par lesquelles la société Schneider, intimée, demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 8 février 2016,

en conséquence,

- débouter la société Skynet Consulting de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

y ajoutant,

- condamner la société Skynet Consulting à payer à la société Schneider Electric Industries SAS la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés directement par la SCP Fischer, Tandeau de Marsac, Sur et Associés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

SUR CE,

Si, aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable d'un courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

En l'espèce, si les parties conviennent de l'existence de relations commerciales établies, constituées d'une succession de commandes d'achat de prestations par la société Schneider au vu de propositions commerciales émises par la société Skynet au regard du cahier des charges qui lui était transmis, sans qu'aucun contrat ne soit formalisé, en revanche, elles s'opposent tant sur leur point de départ que sur l'auteur de la rupture, la durée du préavis suffisant et celle du préavis d'ores et déjà indemnisé.

Sur le point de départ des relations commerciales établies

Les parties s'accordent à reconnaître l'existence de relations commerciales établies, a minima depuis le 30 janvier 2009, et leur cessation le 29 ou le 30 septembre 2011, soit des relations d'une durée minimum de 2 ans et 8 mois.

La société Skynet estime que les relations commerciales entre les deux sociétés ont duré 12 années, soit de septembre 1999 à septembre 2011, faisant valoir que :

- le contrat de sous-traitance du 7 septembre 1999 par lequel la société Silicomp Ingénierie lui a confié une mission chez Schneider Electric Industries, marque le point de départ de ses relations commerciales établies avec cette dernière,

- cette mission a été renouvelée en 2001 suivant contrat de sous-traitance du 28 mai 2001,

- en septembre 2004, elle a travaillé avec la société Schneider Automation qui fait partie du même groupe que la société Schneider Electric, et qui est présentée par le site Bloomberg comme étant sa filiale,

- elle justifie des liens capitalistiques entretenus par ces deux sociétés.

La société Schneider sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a considéré que la relation entre les parties a commencé le 30 janvier 2009 pour s'achever le 30 septembre 2011, soit sur une durée de 2 ans et 8 mois. Elle fait valoir que :

- leur relation commerciale a débuté au mois de janvier 2009,

- les autres relations, dont la société Skynet se prévaut, sont intervenues soit dans le cadre d'un contrat de sous-traitance auquel elle n'était pas partie, soit avec une autre société du groupe Schneider de sorte qu'il n'y a pas lieu d'en tenir compte.

Si la notion de relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce doit être appréciée comme étant économique, ce qui permet de la retenir nonobstant la conclusion entre les parties de plusieurs conventions successives, elle suppose que les parties qui l'invoquent soient identiques entre elles ou qu'une transmission des droits encadrant cette relation commerciale entre deux parties s'étant succédées soit justifiée.

En l'espèce, la société Skynet ne peut utilement se prévaloir à l'égard de la société Schneider des relations contractuelles qu'elle a entretenues avec une société tierce, la société Silicomp Ingénierie, par la conclusion d'un contrat de sous-traitance débutant le 13 septembre 1999, renouvelé en 2001 et lui confiant l'exécution d'une mission de consulting SAP auprès de la société Schneider. En effet, la seule circonstance que la société Skynet ait noué des relations commerciales avec un partenaire de la société Schneider, ne permet pas de considérer que cette dernière ait eu l'intention de poursuivre avec elle la relation commerciale précédemment entretenue avec la société Silicomp Ingénierie.

La société Skynet ne peut pas plus invoquer la prise en compte d'une mission ponctuelle que lui a confiée, en septembre 2004, la société Schneider Automation, société autonome juridiquement de la société Schneider Electric Industries, à supposer même que cette mission ait perduré, dans la mesure où aucun élément du dossier ne vient établir l'existence d'un centre de décision unique entre les deux sociétés Schneider, et où n'est nullement établie la volonté de cette dernière de succéder à la société Schneider Automation dans les relations contractuelles qu'elle avait conclues avec la société Skynet. La seule circonstance que la société Schneider Automation entretienne des liens capitalistiques avec la société Schneider Electric Industries ne permet pas à la société Skynet de se prévaloir de la relation commerciale précédemment établie avec la société Schneider Automation. De surcroît, la société Skynet ne justifie pas que les conditions de la mission, dont notamment celles relatives au contenu des prestations et à leur paiement soient identiques, voire similaires à celles afférentes aux commandes passées postérieurement par la société Schneider Electric Industries. C'est donc, à raison, que les premiers juges ont estimé que les relations commerciales ont commencé le 30 janvier 2009 pour s'achever en septembre 2011, soit des relations commerciales d'une durée de 2 ans et 8 mois.

Sur l'auteur de la rupture

La société Skynet estime que la société Schneider a rompu sans préavis la relation commerciale par son mail du 30 septembre 2011. La société Schneider conteste être l'auteur de la rupture, soutenant que c'est la société Skynet qui a rompu la relation par son mail du 29 septembre 2011, son propre mail du 30 septembre 2011 n'étant que la confirmation de cette rupture.

Il ressort des pièces produites que :

- par mail du 29 septembre 2011, la société Skynet a demandé à la société Schneider de lui " confirmer par retour de mail que les interventions de notre consultant dans votre société cessent bien à compter de demain soir "

- par mail du 30 septembre 2011, la société Schneider a répondu : " Je vous confirme que l'intervention de M. Jean-Pierre X cesse aujourd'hui vendredi 30 septembre ".

Il résulte clairement de la lecture de ces deux mails que la société Schneider est l'auteur de la rupture des relations commerciales établies.

Sur le caractère brutal de la rupture

Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit tenant compte de la durée des relations commerciales antérieures.

Il est constant que la société Schneider a rompu les relations commerciales le 30 septembre 2011, à effet immédiat, de sorte que la rupture est brutale.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

Sur la durée du préavis suffisant

Le tribunal a considéré que le préavis de 4 mois " soit 1 mois au titre du préavis contractuel et 3 mois au titre de l'indemnité complémentaire " accordé, postérieurement (dans des conditions qui seront examinées ci-après) à la rupture datée du 30 septembre 2011, par la société Schneider était suffisant au regard des circonstances de l'espèce.

La société Skynet sollicite l'infirmation du jugement et conclut que la durée suffisante du préavis au regard de l'ancienneté de la relation est au minimum de 2 années. Elle fait valoir son état de dépendance économique, en indiquant que la part de la facturation relative à la société Schneider s'élevait à près de 90 % de son chiffre d'affaires et qu'elle a dû se soumettre aux conditions imposées par la société Schneider (contraintes liées directement au travail des employés, conformité avec le cahier des charges...).

La société Schneider conclut à la confirmation du jugement, estimant que l'indemnité de 4 mois de chiffre d'affaires est suffisante pour une relation commerciale établie depuis moins de 3 ans avec la société Skynet. Elle conteste la valeur probante des documents comptables produits par la société Skynet pour justifier de sa dépendance économique vis-à-vis d'elle.

L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables engagées par elle et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire.

En l'espèce, il n'est pas discuté qu'au moment de la rupture, il n'existait aucune relation d'exclusivité réciproque de sorte que la société Skynet était libre de fournir ses prestations à tous partenaires de son choix, concomitamment aux commandes de la société Schneider. Par ailleurs, la société Skynet soutient, sans être sérieusement contredite, que la part de facturation relative à la société Schneider était de l'ordre de 90 % de son chiffre d'affaires total.

Dans ces conditions, eu égard à l'ancienneté des relations commerciales de 2 ans et 8 mois, à la nature de l'activité et à ses contraintes, au volume d'affaires, à la part prépondérante du client Schneider dans le chiffre d'affaires de la société Skynet, mais en l'absence d'accord d'exclusivité entre les parties et à défaut de la justification d'une dépendance imposée par l'intimée, c'est à juste titre que les premiers juges ont évalué le délai de préavis suffisant pour permettre à la société Skynet de prendre toutes dispositions utiles pour se réorganiser, à 4 mois.

Sur l'indemnisation pour défaut de respect du préavis de 4 mois

Il résulte de l'instruction du dossier que :

- un mois après avoir reçu la notification de la rupture, le 30 octobre 2011, la société Skynet a adressé à la société Schneider une facture d'un montant de 84 000 euros HT se décomposant ainsi :

" Préavis 1 mois 21 000

Indemnité 4T 2011 63 000 ",

- par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 avril 2012, la société Skynet a mis en demeure la société Schneider de procéder au paiement de la facture émise le 30 octobre 2011 et de l'indemniser de la rupture brutale de leur relation commerciale. Par mail du 25 septembre 2012, la société Schneider a notamment sollicité copie du contrat ou des conditions générales justifiant le montant de " 3 + 1 mois comme solde de tout compte " et début novembre 2012, la société Schneider s'est acquittée du paiement de la facture du 30 octobre 2011.

Le tribunal de commerce a considéré que si la société Schneider avait mis fin à la relation commerciale le 30 septembre 2011, à effet du même jour, sans aucunement respecter un préavis et notamment pas le préavis contractuel d'un mois, elle avait néanmoins, à la suite d'échanges entre les parties, respecté le préavis d'un mois en l'indemnisant à la fin de l'année 2011 et avait en outre versé une indemnité complémentaire de trois mois qui a eu pour effet de porter l'indemnisation à quatre mois.

La société Skynet soutient que cette facture correspond seulement au préavis contractuel d'un mois et que l'indemnité payée par la société Schneider au titre du quatrième trimestre 2011 est à séparer de la notion de préavis dès lors qu'elle correspond à la rémunération du consultant de l'appelante sur cette période. Elle affirme que le paiement du quatrième trimestre 2011 constitue une indemnité relative à la rupture du contrat et non à sa brutalité.

La société Schneider sollicite la confirmation du jugement, considérant avoir versé une indemnité de rupture de trois mois complémentaire au préavis contractuel d'un mois. Elle soutient qu'il résulte d'un accord tacite entre les parties que la rupture était définitivement indemnisée par le paiement d'une indemnité égale à 4 mois de chiffre d'affaires.

La société Skynet qui reconnaît que les parties ont convenu " dans les conditions de l'offre de service " d'un préavis contractuel de rupture d'un mois, prétend que l'indemnité complémentaire de 3 mois, qu'elle a sollicitée et qui lui a été accordée par la société Schneider, constitue une indemnité de rupture ne réparant pas la brutalité de la rupture dès lors qu'elle correspond à sa rémunération du 4e trimestre 2011.

Il est constant que le préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé, soit en l'espèce 4 mois.

La société Skynet ne peut sérieusement prétendre que la mission a été reconduite pour une période d'une année à compter du 1er janvier 2011 de sorte qu'il lui serait due une rémunération pour le 4e trimestre 2011, correspondant à 3 mois de chiffre d'affaires qu'elle évalue à 63 000 euros. En effet, il ressort de la lettre qu'elle a elle-même adressée le 6 décembre 2010, que son engagement était limité à des périodes de trois mois, soit au 31 mars, au 30 juin et au 30 septembre " sans obligation d'assurer une nouvelle période si la commande ne nous parvient pas avant la fin de la période, la proposition de 12 mois ne correspondant qu'à votre besoin de simplification administratif ". Or, elle ne justifie pas d'une commande passée par la société Schneider avant le 30 septembre 2011. Par suite, elle ne saurait prétendre qu'au 30 septembre 2011, le contrat se poursuivait jusqu'au 31 décembre 2011. Elle ne justifie donc d'aucun droit acquis au paiement du chiffre d'affaires 4e trimestre 2011 à titre de rémunération pour des prestations qu'elle n'a pas réalisées. Ce paiement complémentaire de 63 000 euros, dont le montant n'est pas discuté par l'intimée qui se contente de relever, à raison, qu'il est déjà excessif en ce qu'il ne s'agit pas de perte de marge mais de chiffre d'affaires, correspond donc à son manque à gagner pendant les 3 mois de préavis supplémentaires.

Ayant d'ores et déjà été indemnisée du manque à gagner du fait de la brutalité de la rupture, la société Skynet sera déboutée du surplus de sa demande formée à ce titre.

Sur les autres demandes

La société Skynet succombant, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance et à verser à la société Schneider la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Skynet devra supporter la charge des dépens d'appel et sera condamnée à verser à la société Schneider la somme supplémentaire de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; et y ajoutant, Condamne la société Skynet Consulting aux dépens de l'appel ; Autorise la SCP Fischer, Tandeau de Marsac, Sur et Associés, avocat, à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ; Condamne la société Skynet Consulting à verser à la société Schneider Electric Industries la somme supplémentaire de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.