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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 20 mars 2018, n° 16-01718

CHAMBÉRY

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Grenier

Conseillers :

Mmes Fouchard, Real del Sarte

T. com. Thonon-les-Bains, du 23 juin 201…

23 juin 2016

La société X distribue du matériel essentiellement nautique, de la marque Slingshot, dont elle est le distributeur français, le 1 novembre 2013, elle a conclu avec M. Y, demeurant en Normandie, avec qui elle travaillait déjà depuis novembre 2012, un contrat d'agent commercial, aux termes duquel :

- l'agent visitera la clientèle de détail en vue de la revente de matériel de wakeboard de la marque Slingshot dans le secteur qui lui est confié, à savoir la France métropolitaine ;

- le chiffre d'affaire 2013/2014 à réaliser est de 200 000 euros ;

- l'agent perçoit une commission de 10 % de son chiffre d'affaire HT sur les ventes dans la grille des tarifs et 5 % sur les ventes dans les offres promotionnelles, M. Y a émis les factures suivantes :

- 1 644,66 euros HT au titre des commissions d'octobre à novembre 2012 ;

- 3 229,26 euros HT au titre des commissions de juin à octobre 2013 ;

- 14 926,66 euros HT au titre des commissions de décembre 2012 à mai 2013 ;

- 3 229,26 euros HT au titre des commissions de juin à octobre 2013 ;

- 2 416,30 euros HT au titre des commissions de vente de novembre 2013 ;

- 6 094,68 euros au titre des commissions de décembre 2013 à mars 2014 ;

- 13 165,49 euros HT au titre des commissions d'avril 2014 ;

- 2 847,79 euros HT au titre des commissions de mai et juin 2014 ;

- 3 539,37 euros HT au titre des commissions de juillet à septembre 2014.

Le 15 septembre 2014, la société X a écrit à M. Y qu'elle souhaitait travailler avec la société Freeride de Fréjus Plage, ce qui avait pour conséquence de ne pas pouvoir honorer une commande obtenue par M. Y d'un concurrent de la société Freeride, à savoir la société South Wake Park.

Le même jour, M. Y a écrit qu'il ne pouvait plus continuer à travailler pour la société X dans ces conditions, indiquant : " c'est simple, je me casse ; tu me rachètes ma carte ".

Le 16 septembre 2014, la société X lui a répondu, lui demandant de rapatrier le matériel mis à sa disposition à Dives sur Mer ainsi que le véhicule Master et la caravane.

Le 18 septembre 2014, M. Y a écrit la lettre suivante : " J'ai l'honneur de porter à votre connaissance que je suis démissionnaire de mes fonctions d'agent commercial que j'occupe depuis le 1 novembre 2012 avec le mandant X. Il a été convenu par les deux parties de se séparer à l'amiable et de ne pas faire valoir la durée du préavis. L'activité de Nicolas D. prend fin ce jour jeudi 18 septembre 2014 ",

Le 19 septembre 2014, la société X écrivait qu'elle allait faire le point sur les commissions ainsi que sur les factures en cours, remerciant M. Y d'avoir ramené les échantillons des collections et le véhicule mis à sa disposition.

Le 30 septembre 2014, M. Y répondait que son mail initial ne signifiait pas une rupture de son mandat mais une discussion sortie de son contexte sur un désaccord précis sur une implantation d'un nouveau client dans le Sud Est de la France, faisant valoir que la rupture du contrat incombait à la société X, ajoutant : " je vous remercie de bien vouloir, soit de me rétablir immédiatement dans mes fonctions (..) soit de me confirmer votre souhait de rompre notre mandat. Le cas échéant, vous voudrez bien respecter la réglementation relative au statut d'agent commercial et ainsi procéder au versement d'une indemnité compensatrice ".

Par acte du 4 novembre 2015, M. Y a assigné la société X devant le Tribunal de commerce de Thonon-les-Bains, réclamant paiement des sommes suivantes :

- 3 000 euros, soit un mois de commission, à titre d'indemnité de préavis ;

- 114 720 euros au titre de l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat ;

- 4 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile.

Le tribunal, par jugement du 23 juin 2016, a :

- dit que la rupture du contrat d'agent commercial l'a été à l'initiative de M. Y ;

- confirmé la date de cessation du contrat au 18 septembre 2014 ;

- jugé abusive l'action intentée par M. Y à l'encontre de la société X ;

- condamné M. Y à payer la somme de 1 000 euros de dommages intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile ;

- débouté M. Y de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné M. Y au paiement des sommes de 1 721,34 euros en remboursement des sommes engagées par la société X soit 784,13 euros de frais d'avion et 274,21 euros de frais d'hébergement et de nourriture, et de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Le 28 juillet 2016, M. Y a relevé appel de cette décision.

Dans ses conclusions du 1er mars 2017, il demande à la cour de réformer le jugement déféré, et de condamner l'intimée au paiement de la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité de préavis, de 114 720 euros à titre d'indemnité compensatrice et de 4 000 euros au titre des frais visés à l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses conclusions n° 2 du 9 novembre 2017, la société X demande à la cour de confirmer la décision déférée et de débouter l'appelant de ses demandes, et de déclarer l'appel interjeté abusif et de condamner M. Y au paiement de la somme de 5 000 euros de dommages intérêts outre 5 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile.

A titre subsidiaire, elle conclut à la minoration des sommes qui pourraient être allouées à l'appelant et au rejet de sa demande au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle expose en substance que :

- le jugement déféré est motivé et M. Y n'a pas été privé de son droit à comprendre sa condamnation ;

- en fixant la date de fin du contrat de mandat, le juge n'a pas dénaturé le litige ;

- la fixation de cette date ne préjudicie en rien à l'appelant ;

- celui-ci n'a pas recouru à la procédure d'omission de statuer ;

- M. Y ayant mis fin de lui-même au contrat, ne peut réclamer d'indemnité, l'article L.134-13 du Code de commerce disposant que cette indemnité n'est pas due lorsque la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent ;

- en tout état de cause, M. Y a commis une faute grave en s'opposant au choix de son mandant quant aux partenaires commerciaux de la société X ;

- les commissions versées à M. Y s'élèvent à 54 458,29 euros pour deux ans d'activité, ce qui rend infondée la demande en paiement de la somme de 114 720 euros ;

- elle-même a subi un préjudice important, en raison de la désorganisation de l'entreprise du fait du départ subi de M. Y ;

- la procédure est abusive, M. Y n'ayant jamais remis en cause son départ jusqu'à la mise en demeure adressée par son conseil le 21 avril 2015 et n'a jamais donné suite aux propositions de transaction ;

- il s'est abstenu d'exécuter de manière spontanée la décision du premier juge, alors qu'il est gérant de plusieurs sociétés et qu'il voyage fréquemment à l'étranger.

Motifs de la décision :

Au préalable, il convient de relever que le jugement déféré est motivé, et qu'il est régulier en la forme.

Sur la rupture du contrat d'agence

Aux termes de l'article L. 134-12 du Code de commerce, " en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ".

L'article L. 134-13 précise que " la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :

1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ; 2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant (...) ".

En l'espèce, l'initiative de la rupture est bien du fait de M. Y. En effet :

- les termes du mail du 15 septembre 2014 sont sans équivoque : " c'est simple, je me casse... (...) La vie m'amènera ailleurs, c'est con, j'aimais bien bosser avec vous " ;

Le 18 septembre 2014, il a écrit une lettre qu'il a remise en mains propres à un salarié de la société X, réitérant sa démission ;

- il a remis, certes à la demande de la société X, le véhicule et les échantillons en sa possession.

Toutefois, si la démission de l'agent lui fait perdre tout droit à indemnité, il doit s'agir d'une démission volontaire et non provoquée par le mandant. La démission sera considérée comme forcée et non volontaire si elle est provoquée si elle est due à des " circonstances imputables au mandant ", comme le rappelle le texte susmentionné. Il s'agit de toutes les situations dans lesquelles le mandant n'exécute plus le contrat ou ne met plus l'agent en mesure de l'exécuter, ou porte atteinte aux droits que l'agent commercial tient de la loi ou du contrat.

Du reste, l'article 9 du contrat prévoit que " au cas où l'une des parties ne respecterait pas l'une des obligations stipulées aux présentes, l'autre partie pourra résilier automatiquement le présent contrat, sans aucune indemnité ", ce dernier membre de phrase devant s'interpréter comme l'impossibilité pour la partie fautive de réclamer réparation de son préjudice et non comme la renonciation du fait de la partie lésée à obtenir une indemnisation.

En l'occurrence, si M. Y a mis fin de lui-même à son mandat, c'est en raison du refus opposé par le mandant d'honorer une nouvelle commande, M. Y ayant trouvé un nouveau client, la société Freeride de Fréjus, qui n'a pas été agréée par la société X, celle-ci préférant un concurrent. Il n'est pas démontré que les ventes qui pouvaient être conclues avec la société Freeride ne correspondaient pas aux modalités prévues par le mandant.

Or, M. Y n'est pas salarié ou VRP de la société X. Comme l'indique l'article 4.1 du contrat d'agence, il organise librement, en toute indépendance et sans aucun lien de subordination, son activité de représentation. Il a donc une grande initiative, et le fait de se voir refuser un client porte atteinte au principe même du contrat d'agence.

Certes, s'il n'est nullement interdit à une société mandante, dans le cadre de sa politique commerciale, de ne pas donner suite à des commandes obtenues par son agent, celui-ci a droit à être indemnisé, lorsque, comme en l'occurrence, il s'ensuit une perte de ses revenus, le montant des commissions versées étant un des éléments fondamentaux du contrat d'agence.

Par ailleurs, le fait pour M. Y de tirer les conséquences du choix opéré par la société X ne peut être considéré comme une faute grave, dès lors que les relations commerciales de la société X avec ses revendeurs n'ont pas été affectées.

Le chiffre d'affaires potentiel qui pouvait être atteint par la société Freeride étant susceptible d'être significatif, la cour considère dès lors que l'imputabilité de la rupture incombe à la société X, qui doit dès lors réparer le préjudice subi par son agent.

Sur les demandes de M. Y

Le paiement de l'indemnité compensatrice a bien été réclamée par M. Y, et ce, à plusieurs reprises, dans le délai d'un an suivant la rupture, notamment par lettre de mise en demeure de son conseil. Cette demande est ainsi recevable.

M. Y a apporté de nouveaux clients à la société X et celle-ci a été en mesure de conserver la part de marché obtenue par son agent.

Il convient en conséquence de condamner la société X à régler à M. Y une indemnité compensatrice égale à deux années de commissions, soit 54 458 euros.

En revanche, aucune indemnité de préavis n'est due, les parties s'étant mises d'accord sur le départ immédiat de M. Y, celui-ci ne voulant plus continuer à œuvrer pour le compte de la société X, celle-ci lui ayant demandé de ramener au siège le plus vite possible son véhicule et les échantillons, ce qui a été fait.

Enfin, l'équité commande une application modérée des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile concernant les frais irrépétibles exposés par M. Y, tant en première instance qu'en cause d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Réforme le jugement déféré, Statuant à nouveau, Dit que la rupture du contrat d'agence par M. Y a pour origine un manquement de la société X, Dit que la société X doit réparer le préjudice subi par M. Y du fait de la rupture du contrat, Condamne la société X à payer à M. Y les sommes suivantes : - 54 458 euros au titre de l'indemnité compensatrice ; - 2 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties du surplus de leur demande, Condamne la société X aux dépens de première instance et d'appel, Autorise les avocats qui en ont fait la demande à recouvrer les dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.