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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 13 mars 2018, n° 17-07357

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

TB Plast (Sté)

Défendeur :

Svenska Cellulosa Aktiebolaget (Sté), SCA Hygiène Products AB (Sté), SCA Hygiène Products GmbH (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guihal

Conseillers :

Mme Salvary, M. Lecaroz

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Briswalder, de Carlan, Bazaille, Lebon

T. com. Lyon, du 17 sept. 2012

17 septembre 2012

La société française Altiplast exerce une activité de fabrication de pièces techniques à partir de matières plastiques. Le groupe suédois SCA développe, produit et vend dans plusieurs pays des produits de soin et d'hygiène, ainsi que du papier et des conditionnements.

En 2004 Altiplast et la société suédoise SCA Hygiene Products AB ont conclu un contrat-cadre d'approvisionnement portant sur des distributeurs de serviettes en papier.

A la suite de la notification de la résiliation du contrat, Altiplast, devenue la société TB Plast SAS, a assigné en rupture des relations commerciales établies les sociétés de droit suédois SCA Hygiene Products AB et Svenska Cellulosa Aktiebolaget, ainsi que les sociétés de droit allemand SCA Hygiene Products GmbH sises pour l'une à Mannheim et pour l'autre à Mainz-Kostheim, devant le Tribunal de commerce de Lyon.

Par un jugement du 17 septembre 2012, ce tribunal a décidé que le litige était de nature délictuelle, que le lieu du fait dommageable était en Suède et que la juridiction compétente était donc celle de Göteborg (Suède).

Par un arrêt du 28 février 2013, la Cour d'appel de Lyon a déclaré irrecevable le contredit de compétence formé par Altiplast.

La Cour de cassation a cassé cette décision sans renvoi par un arrêt du 4 novembre 2014 en retenant que les juges d'appel en déclarant le contredit irrecevable au motif qu'il incombait au demandeur de solliciter la transmission du contredit à la Cour d'appel de Paris seule compétente pour connaître des litiges relatifs à l'article L. 442-6 du Code de commerce, alors qu'il lui appartenait de renvoyer le dossier et le contredit au greffe du Tribunal de commerce de Lyon aux fins de transmission à celui de la Cour d'appel de Paris, avait violé l'article 83 du Code de procédure civile. La Cour d'appel de Paris a été saisie par la transmission du dossier par le greffe du Tribunal de commerce de Lyon le 24 mars 2015.

A l'audience du 14 avril 2015, le retrait du rôle a été ordonné sur demande des parties.

L'affaire a été réinscrite sur les conclusions déposées le 28 mars 2017 par la société TB Plast qui demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que l'action était délictuelle au regard du droit interne et que la clause attributive de juridiction prévue dans l'accord cadre du 8 avril 2004 ne désignait pas une juridiction susceptible de connaître du présent litige,

- infirmer le jugement pour le surplus,

- juger que sont en cause des relations contractuelles tacites au sens du règlement 44/2001, portant sur une relation d'achat/vente, avec un lieu de livraison situé dans ses usines implantées dans le département de l'Ain,

- en conséquence déclarer le Tribunal de commerce de Lyon compétent et lui renvoyer l'affaire,

- subsidiairement, si la relation contractuelle était qualifiée de prestation de services, dire que ceux-ci ont été fournis au lieu de situation de ses usines et retenir la compétence du Tribunal de commerce de Lyon,

- en tout état de cause, condamner in solidum les défenderesses au paiement de la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les défenderesses concluent principalement à la péremption de l'instance. Sur la compétence, elles demandent à la cour de juger que la demanderesse ne justifie d'aucun lien de droit avec Essity Aktiebolag, anciennement dénommée Svenska Cellulosa Aktiebolaget, ni avec les sociétés allemandes Essity Operations Manheim et Essity Operations Mainz-Kostheim, anciennement dénommées SCA Hygiene Products GmbH et, en conséquence, de se déclarer à leur égard incompétente au profit des juridictions du siège des défenderesses en application de l'article 2 du règlement 44/2001. En ce qui concerne la société suédoise Essity Hygiene and Health AB, anciennement dénommée SCA Hygiene Products AB, il est demandé à la cour de donner effet à la clause attributive de juridiction au profit des tribunaux allemands. Subsidiairement, il est demandé à la cour de juger, en application de l'article 5.1 a) du règlement 44/2001 que le lieu d'exécution du contrat est au siège de Essity Hygiene and Health en Suède et que les juridictions suédoises sont compétentes. Plus subsidiairement, sur l'article 5.1, b) du même règlement, il est demandé à la cour de juger que le lieu de livraison effective est au siège des sociétés allemandes et de dire que les tribunaux français sont incompétents au profit des juridictions allemandes. Il est demandé la condamnation de TB Plast à payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

SUR QUOI :

Sur la péremption :

Considérant que cette cour a été saisie par la transmission du dossier par le greffe du Tribunal de commerce de Lyon le 24 mars 2015 ; qu'à l'audience du 14 avril 2015, le retrait du rôle a été ordonné sur demande des parties; qu'un nouveau délai de péremption de deux ans a couru à compter de cette date et a été interrompu par la demande de remise au rôle formée par conclusions déposées par TB Plast le 28 mars 2017; que la péremption n'est donc pas encourue;

Sur la clause attributive de juridiction :

Considérant que le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale est applicable à l'action engagée en avril et mai 2010 par une société française contre des sociétés suédoises et allemandes ; que suivant son article 23, les tribunaux d'un Etat membre désignés par une clause d'élection de for ont compétence exclusive, sauf convention contraire des parties ;

Considérant que le 8 avril 2004 la société suédoise SCA Hygiene Products AB a conclu avec la société Altiplast un accord cadre d'approvisionnement dont l'article 21 stipule :

" Loi applicable et tribunal compétent

Les lois allemandes régissent ce contrat ";

Mais considérant que cette clause ne désigne pas la juridiction compétente; qu'elle renvoie cette détermination au droit allemand, lequel, en l'occurrence, est le règlement (CE) n° 44/2001 précité;

Sur l'article 5 du règlement (CE) n° 44/2001 :

Considérant qu'aux termes de l'article 5 du règlement (CE) du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2000 : " Une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre :

1° a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;

b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :

- pour la vente de marchandise, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées

- pour la fourniture de services, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis

c) le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas " ;

Considérant que l'action en responsabilité pour rupture des relations commerciales établies relève de la matière contractuelle au sens de ce texte;

Considérant que dans l'arrêt Car Trim GmbH c. KeySafety System du 25 février 2010 (aff. C-381/08) la CJUE a dit pour droit que pour déterminer la nature d'un contrat, il convenait de rechercher " l'obligation caractéristique " de celui-ci, et que : " Les contrats dont l'objet est la livraison de marchandises à fabriquer ou à produire, alors même que l'acheteur a formulé certaines exigences concernant l'obtention, la transformation et la livraison des marchandises, sans que les matériaux aient été fournis par celui-ci, et que le fournisseur est responsable de la qualité et de la conformité au contrat, doivent être qualifiés de " vente de marchandises " au sens de l'article 5 point 1 sous b premier tiret du règlement ";

Considérant que tel est le cas en l'espèce; qu'en effet, le contrat, qui désigne expressément Altiplast comme le vendeur et SCA comme l'acheteur, prévoit que la première vend à la seconde les produits qu'elle fabrique avec ses propres matières premières et en supportant la responsabilité de la qualité et de la conformité des biens vendus; que la circonstance que SCA fournisse certains outils et s'engage à acquérir les volumes dont elle passe commande n'affecte pas l'obligation caractéristique du contrat qui est le transfert de propriété de biens en contrepartie du paiement d'un prix;

Considérant qu'en ce qui concerne la détermination du lieu de livraison, il résulte de l'arrêt de la CJUE Electrosteel Europe c/ Edil Centro SpA du 9 juin 2011 (aff. C- 87/10) que :

" Afin de vérifier si le lieu de livraison est déterminé " en vertu du contrat ", la juridiction nationale saisie doit prendre en compte tous les termes et toutes les clauses pertinentes de ce contrat qui sont de nature à désigner de manière claire ce lieu, y compris les termes et les clauses généralement reconnus et consacrés par les usages du commerce international, tels que les Incoterms (" international commercial terms "), élaborés par la Chambre de commerce internationale, dans leur version publiée en 2000. S'il est impossible de déterminer le lieu de livraison sur cette base, sans se référer au droit matériel applicable au contrat, ce lieu est celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l'acheteur a acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement de ces marchandises à la destination finale de l'opération " ;

Considérant, par conséquent, qu'il n'y a lieu de se référer à la destination finale des marchandises qu'à défaut de stipulation contractuelle directe ou par renvoi;

Considérant que l'article 4 du contrat-cadre stipule : " Tous les prix sont EXW (Incoterms 2000) ", c'est-à-dire ExWorks ou départ d'usine; que selon cet Incoterm, le vendeur est réputé avoir rempli son obligation de livraison lorsque les marchandises sont mises à disposition dans son établissement;

Considérant que si les défendeurs soutiennent que cette référence ne concerne que la fixation du prix et non le lieu de livraison, il apparaît, en réalité que suivant les propres ordres d'achat de SCA, la " Livraison " est faite " EXW ";

Qu'il apparaît, par conséquent, que le lieu de livraison, tel qu'il résultait de l'accord des parties, était la sortie des ateliers de TB Plast, peu important que la destination finale des produits se trouve en Allemagne ; que ces ateliers étant situés dans l'Ain, le Tribunal de commerce de Lyon est compétent, en application de l'article D. 442-3 du Code de commerce, à l'égard d'une action fondée sur des pratiques restrictives de concurrence ;

Considérant qu'il convient d'infirmer le jugement par lequel ce tribunal s'est déclaré incompétent ;

Considérant que le jugement sera confirmé en ce que, dans son dispositif, il a dit que l'action était délictuelle, ce qui, au regard du droit interne, est exact ;

Considérant que les défenderesses au contredit, qui succombent, ne sauraient bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, et seront condamnées in solidum à payer à TB Plast la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Constate que la péremption n'est pas acquise. Confirme le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 17 septembre 2012 en ce qu'il a dit que l'action était délictuelle en droit interne. L'infirme pour le surplus. Statuant à nouveau : Dit que le Tribunal de commerce de Lyon est compétent pour statuer sur l'action pour rupture des relations commerciales établies engagée par la SAS TB Plast contre les sociétés suédoises Essity Aktiebolag, anciennement dénommée Svenska Cellulosa Aktiebolaget et Essity Hygiene and Health AB, anciennement dénommée SCA Hygiene Products AB, et contre les sociétés allemandes Essity Operations Manheim GmbH et Essity Operations Mainz-Kostheim GmbH, anciennement dénommées SCA Hygiene Products GmbH. Renvoie le dossier à cette juridiction. Rejette toute autre demande. Condamne in solidum Essity Aktiebolag, anciennement dénommée Svenska Cellulosa Aktiebolaget, Essity Hygiene and Health AB, anciennement dénommée SCA Hygiene Products AB, Essity Operations Manheim GmbH et Essity Operations Mainz-Kostheim GmbH, anciennement dénommées SCA Hygiene Products GmbH aux dépens et au paiement à la SAS TB Plast de la somme de 3.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.