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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 4 avril 2018, n° 16-02020

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Ali Comenda (SA)

Défendeur :

Dimotrans (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Fisselier, Bourlion, Pachalis, de Richoufftz

T.com. Paris, du 14 déc. 2015

14 décembre 2015

Faits et procédure

Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 14 décembre 2015 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :

- dit que la relation commerciale ayant lié les parties pendant 15 ans est établie et a été rompue brutalement par la société Ali Comenda,

- fixé la durée du préavis qui était due à 13 mois et dit qu'il n'a été exécuté complètement que pendant 2 mois,

- condamné la société Ali Comenda à payer à la société Dimotrans :

* la somme de 135 058 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi de ce fait,

* la somme de 6 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- condamné la société Ali Comenda aux dépens ;

Vu l'appel relevé par la société Ali Comenda et ses dernières conclusions notifiées le 26 février 2018 par lesquelles elle demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ainsi que du principe général de la libre concurrence et du principe général du droit de la liberté contractuelle, de réformer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :

1) à titre principal, de :

- dire que les préavis effectués sont suffisants et satisfactoires,

- dire que la rupture de la relation commerciale est dépourvue de caractère brutal,

- débouter la société Dimotrans de l'intégralité de ses demandes,

2) à titre subsidiaire, de :

- dire que le préavis qui aurait dû être respecté n'excédait pas huit mois,

- dire que le préjudice subi par la société Dimotrans n'excède pas la somme de 116 959,33 euros,

3) en tout état de cause, condamner la société Dimotrans aux dépens et à lui payer la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 27 février 2018 par la société Dimotrans qui demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu l'existence de relations commerciales établies et imputé leur rupture brutale à la société Ali Comenda, mais le réformer en ce qu'il a dit qu'elles avaient duré 15 ans et en ce qu'il a fixé la durée du préavis à 13 mois,

- statuant à nouveau :

* constater que les relations contractuelles entre Phoenix Europe Express et Ali Comenda ont commencé en 1994 et ont duré plus de 20 ans,

* fixer la durée du préavis qui aurait dû être respecté à 2 ans,

* condamner la société Ali Comenda à lui payer la somme de 411 452 euros, à titre de dommages-intérêts,

subsidiairement :

* fixer la durée du préavis qui aurait dû être respecté à 18 mois,

* condamner la société Ali Comenda à lui payer la somme de 283 860 euros, à titre de dommages-intérêts,

- encore plus subsidiairement :

* fixer la durée du préjudice qui aurait dû être respecté à 13 mois,

* condamner la société Ali Comenda à lui payer la somme de 177 533,26 euros, à titre de dommages-intérêts,

- confirmer le jugement sur la condamnation de la société Ali Comenda aux dépens et à lui payer la somme de 6 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- y ajoutant :

* débouter la société Ali Comenda de toutes ses demandes,

* la condamner aux dépens d'appel et à lui payer la somme complémentaire de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

SUR CE

La société Ali Comenda, qui a pour activité la production et la commercialisation de machines de lavage professionnel de vaisselles, a confié à la société Phoenix Europe Express, aux droits de laquelle vient maintenant la société Dimotrans, des prestations de transport, de stockage du matériel et de préparation de commandes.

Par lettre circulaire du 11 décembre 2013, la société Phoenix Europe Express, ci-après Phoenix, a informé la société Ali Comenda de la revalorisation de ses tarifs de 3 % avec application au 2 janvier 2014, soit 21 jours plus tard.

Suite aux protestations de la société Ali Comenda, la société Phoenix lui a proposé, par lettre du 19 décembre 2013, de reporter la date d'application au 1er février 2014.

Tout en la remerciant de son geste commercial, la société Ali Comenda, par lettre du 3 janvier 2014, a informé la société Phoenix qu'elle se trouvait dans l'obligation de faire appel à la concurrence et qu'elle ne manquerait pas de tenir compte de ses tarifs dans le comparatif qu'elle allait établir.

La société Phoenix lui a répondu le 6 janvier 2014 en proposant de mettre en suspens la majoration dans l'attente du résultat de son étude comparative.

Par courriel du 6 février 2014, la société Ali Comenda a avisé la société Phoenix qu'après étude des tarifs, elle avait décidé de regrouper la totalité de ses transports sur une autre société.

A la suite d'autres échanges entre les deux sociétés, la société Dimotrans, aux droits de Phoenix a, par courriel du 12 février 2014, déclaré accepter la proposition de préavis jusqu'au 31 août 2014, faite la veille par la société Ali Comenda.

Mais il ressort des courriels de chaque partie qu'une méprise a eu lieu sur l'étendue des prestations à maintenir, la société Ali Comenda précisant ne maintenir les relations que sur les produits en stock de vente courante et le stockage de ses produits, tandis que la société Dimotrans se référait à la totalité du service, à savoir transport et stockage.

C'est dans ces circonstances que la société Dimotrans a saisi le Tribunal de commerce de Paris qui, par le jugement déféré, a dit qu'il existait une relation commerciale établie depuis 15 ans, que la société Ali Comenda l'avait rompue brutalement, qu'un préavis de 13 mois aurait dû être respecté et que le préjudice subi s'élevait à 135 058 euros.

La société Ali Comenda, appelante, soutient à titre principal que les préavis effectués ont été suffisants ; elle expose en ce sens :

- que la société Dimotrans ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une relation commerciale établie depuis 1994 et que cette relation n'est établie que depuis 2005, soit tout au plus pendant 8 ans,

- que pour l'activité logistique, le préavis a été de 8 mois, du 1er janvier au 31 août 2014 avec des commandes dégressives équivalant à un préavis de 3 mois, et que ce préavis est suffisant au regard du chiffre d'affaires réalisé avec elle par la société Dimotrans (1,70 % de son chiffre d'affaires annuel), de l'absence de dépendance économique et de l'absence d'investissements spécifiques pour répondre aux commandes de logistique,

- que pour l'activité transport, le préavis a été de 2 mois, du 1er janvier au 28 février 2014, étant précisé que le décret n° 2003-1292 du 26 décembre 2003, approuvant le contrat-type, prévoit un préavis maximal de 3 mois quand la durée de la relation est d'un an et plus,

- que la société Dimotrans est de mauvaise foi, qu'elle n'exerce pas l'activité de transporteur, mais celle de commissionnaire de transport et de préparateur de commandes au niveau national et international, que le taux de marge brute qu'elle invoque est bien supérieur à celui d'un transporteur français, que la nécessité d'augmenter ses tarifs était relative et que sa mauvaise foi 'n'est justifiée' que par sa volonté de réduire les frais engagés pour le rachat de la société Phoenix.

Faisant état de différents documents remontant pour le premier au 26 septembre 1994, la société Dimontrans prétend que les relations commerciales établies ont duré 20 ans ; elle fait valoir que le préavis accordé jusqu'au 31 juillet 2014 n'en est pas un dès lors que, sans attendre son expiration, la société Ali Comenda a transféré l'intégralité des prestations à une autre société ; elle ajoute, d'une part, que l'état de dépendance n'est pas un critère d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, mais seulement une circonstance susceptible de donner lieu à un préavis plus long, d'autre part que les dispositions du décret du 26 décembre 2003, portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, sont inapplicables en l'espèce, la société Dimotrans étant l'opérateur de transport et non le sous-traitant.

Il ressort des pièces versées aux débats que :

- les 26 septembre 1994, 18 novembre 1996 et 16 janvier 1997, la société Phoenix a adressé ses tarifs à la société Ali Commenda pour le transport de ses marchandises,

- le 12 juillet 1999, la société Ali Commenda lui a demandé l'attestation d'assurance pour la couverture des risques incendie - dommages annexes - vol pour ses marchandises durant le stockage dans ses locaux,

- la société Axa courtage a certifié, le 6 octobre 1999, que la société Phoenix était titulaire d'un contrat garantissant notamment les marchandises qui lui étaient confiées appartenant à la société Ali Comenda pour un montant de 3 000 000 francs,

- le 24 janvier 2000, la société Phoenix a envoyé ses nouveaux tarifs actualisés pour l'année 2000 à la société Ali Comenda, en la remerciant de la confiance qu'elle lui témoignait,

- le 21 décembre 2000, elle lui a envoyé ses tarifs actualisés pour l'année 2001, en la remerciant de la confiance qu'elle lui témoignait,

- le 19 novembre 2002, la société Ali Comenda a demandé à la société Phoenix une navette pour enlever du matériel dans son usine Lainox en Italie,

- le 8 juillet 2004, la société Phoenix a transmis à la société Ali Comenda les coordonnées de ses correspondants concernés par les enlèvements chez ses différents fournisseurs en Italie pour acheminement sur sa propre plate forme d'Aulnay-sous-Bois,

- le 7 novembre 2007, elle l'a informée de la revalorisation de ses tarifs de 4,5 % à compter du 1er janvier 2008,

- la société Phoenix a réalisé avec la société Ali Comenda les chiffres d'affaires de 464 042 euros en 2005, 486 079 euros en 2006, 512 635 euros en 2007, 571 326 euros en 2008, 471 375 euros en 2009, 474 561 euros en 2010, 478 103 euros en 2011, 523 282 euros en 2012 et 471 171 euros en 2013.

L'ensemble de ces éléments, qui ne sont contredits par aucun autre, démontre que des relations commerciales établies ont existé entre les parties pendant au moins une quinzaine d'années.

Les dispositions du décret n° 2003-1292 du 26 décembre 2003, portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants ne sont pas applicables en l'espèce, la société Dimotrans ayant été chargée par la société Ali Comenda de prestations de transport et de logistique pour son compte et non en qualité de sous-traitant.

Au regard de l'ancienneté des relations entre les parties et du temps nécessaire pour permettre à la société Dimotrans de re-déployer son activité et de retrouver d'autres clients, un préavis d'un an aurait dû être respecté.

Or, la rupture de la relation commerciale établie étant intervenue le 3 janvier 2014 à l'initiative de la société Ali Comenda, cette dernière a cessé complètement à compter du 1er avril 2014 de confier à la société Dimotrans le transport de ses produits d'Italie en France pour ne lui laisser que les prestations de logistique d'un volume de plus en plus faible, les stocks n'étant plus alimentés ; si le chiffre d'affaires au titre du stockage proprement dit, pour un montant forfaitaire mensuel de 4 080 euros HT est resté stable jusqu'au 31 juillet 2014, celui des prestations de transport a sérieusement diminué en février et mars 2014 pour disparaître à compter du mois d'avril, celui des prestations de logistique est passé de 8 466,81 euros HT en janvier 2014 à 1 190,10 euros HT en juillet 2014.

Il est établi que la société Ali Comenda, n'a maintenu l'ensemble du volume d'activité préexistant avec la société Dimotrans que pendant deux mois, seule l'activité de logistique perdurant jusqu'au 31 août 2014.

Quant à l'évaluation du préjudice, la société Ali Comenda conteste la marge invoquée par la société Dimotrans représentant une moyenne de 28,91 % sur les trois dernières années en faisant observer que depuis 2008, le taux de marge d'un transporteur français est inférieur à 10 %, que l'intimée a une activité de commissionnaire de transport, que si la marge peut être plus élevée lorsque le transport est fait à l'étranger en particulier en Afrique, on ne peut affirmer qu'elle est supérieure à la marge des transporteurs français pour des trajets effectués en Europe ; subsidiairement, l'appelante calcule le préjudice de l'intimée sur la base d'une marge moyenne annuelle de 255 184 euros.

Mais l'attestation du commissaire aux comptes de la société Dimotrans justifie des taux de marge au cours des exercices 2011, 2012 et 2013 pour l'activité transport comme pour l'activité logistique, étant observé que ces taux pour la première activité sont bien inférieurs à ceux pour la seconde.

La marge moyenne annuelle réalisée par la société Dimotrans au cours des trois derniers exercices telle que justement retenue par le tribunal s'élève à 255 184 euros ; il convient de prendre en compte une perte de marge pendant les 10 mois d'insuffisance de préavis, soit 212 653 euros, et de déduire de cette somme la marge réalisée par la société Dimotrans de janvier à fin août 2014 sur les opérations de transport et de logistique d'un montant de 56 385,40 euros, ce qui aboutit à la somme de 156 267,93 euros, arrondie à 156 268 euros.

Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme supplémentaire de 8 000 euros à la société Dimotrans et de rejeter la demande de la société Ali Comenda de ce chef.

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement en ce qu'il a : - dit que la relation commerciale ayant lié les parties pendant 15 ans était établie et qu'elle a été rompue brutalement par la société Ali Comenda, - condamné la société Ali Comenda aux dépens et à payer la somme de 8 000 euros à la sociétéDimotrans par application de l'article 700 du Code de procédure civile, l'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau, condamne la société Ali Comenda à payer à la société Dimotrans : - la somme de 156.268 euros en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie, -la somme supplémentaire de 8 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, déboute les parties de toutes leurs autres demandes, condamne la société Ali Comenda aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.