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Décisions

Cass. com., 5 avril 2018, n° 16-26.568

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Mobil Petroleum Corporation (Sté)

Défendeur :

Auto Racing (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Rapporteur :

Mme Tréard

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Potier de La Varde

Nouméa, ch. com., du 25 août 2016

25 août 2016

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 25 août 2016), que la société Auto Racing, qui exploite une station-service dans une commune de Nouvelle-Calédonie, distribuait, de manière exclusive, depuis le 8 août 1973, le carburant de la société Mobil Petroleum Corporation (la société Mobil), en qualité de revendeur détaillant ; que le contrat de distribution de carburant initial, qui s'est renouvelé tacitement jusqu'au 12 août 2004, a ultérieurement été suivi de contrats successifs, d'une durée déterminée, tantôt reconduits tacitement, tantôt renouvelés par écrit, un dernier contrat d'une durée de quatre mois, étant signé le 30 juillet, lorsque par lettre du 17 novembre 2010 la société Mobil a informé la société Auto Racing de l'expiration du contrat au 22 novembre 2010 et a cessé toute livraison de carburant à compter de cette date ; que, s'estimant victime de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, la société Auto Racing a assigné la société Mobil en réparation de son préjudice ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Mobil fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a brutalement rompu la relation commerciale établie qui la liait à la société Auto Racing, et de la condamner à payer à cette dernière des dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique et moral alors, selon le moyen : 1°) que pour être établie, la relation commerciale doit être significative, régulière et stable, ce qui implique une anticipation raisonnable par le cocontractant d'une certaine continuité de flux d'affaires ; qu'en l'état de contrats à durée déterminée sans clause de reconduction tacite, aucune des parties contractantes ne peut légitimement espérer que la relation commerciale soit stable et ne saurait, dès lors, invoquer l'existence de relations commerciales établies au sens de l'article 442-6-6° du Code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie ; qu'en l'espèce, ainsi que l'a relevé la cour d'appel, les parties étaient liées depuis 2004 par des contrats à durée déterminée d'un an, sans clause de tacite reconduction, et le dernier contrat, d'une durée de quatre mois, prévoyait expressément qu'" à l'expiration de la période, aucune lettre de préavis ne sera nécessaire ", ce dont il résultait que la société Auto Racing ne pouvait légitimement s'attendre à ce que les relations commerciales se poursuivent à l'issue de ce contrat ; qu'en jugeant toutefois que la société Auto Racing était fondée à solliciter une indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales établies en raison de l'absence de préavis écrit, la cour d'appel a violé, par fausse application, les dispositions de l'article 442-6-6° du Code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie ; 2°) que l'envoi d'un courrier dont l'unique objet est de modifier les modalités de paiement en cours d'exécution du contrat à durée déterminée ne caractérise pas la volonté de son expéditeur de poursuivre les relations commerciales au-delà du terme contractuellement prévu ; qu'en déduisant la volonté de la société Mobil de poursuivre la relation commerciale à l'expiration du terme prévu par le contrat à durée déterminée de ce qu'elle avait adressé un courrier à la société Auto Racing pour l'informer de ce que les commandes seraient traitées en prépaiement en raison de l'expiration de sa garantie bancaire, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un motif impropre à caractériser la volonté de poursuivre la relation commerciale, a violé les dispositions de l'article 442-6-6° du Code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie ; 3°) qu'une note d'information relative aux modalités de livraison pendant les fêtes, adressée à l'intégralité des distributeurs, ne caractérise pas la volonté de son expéditeur de poursuivre les relations commerciales au-delà du terme contractuellement prévu ; qu'en déduisant la volonté de la société Mobil de poursuivre la relation commerciale à l'expiration du terme prévu par le contrat à durée déterminée de ce que la société Auto Racing avait reçu, comme l'intégralité des distributeurs, une " info réseau " relative aux modalités de livraison du carburant, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un motif impropre à caractériser la volonté de poursuivre la relation commerciale, a violé les dispositions de l'article 442-6-6° du Code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que les parties avaient entretenu des relations commerciales du 8 août 1973 au 30 novembre 2010, soit pendant plus de 37 ans, dans le cadre d'un accord de distribution de carburant sous clause d'exclusivité, l'arrêt relève que c'est concomitamment à l'entrée en vigueur de l'article 442-6-6° du Code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie que la société Mobil a modifié ses contrats pour leur donner une échéance annuelle, sans prévoir expressément de tacite reconduction, mais sans l'exclure non plus ; qu'après avoir rappelé qu'en application de ce texte, un préavis écrit et suffisamment explicite doit être donné et que cette exigence de préavis est d'ordre public, l'arrêt retient que les parties ne peuvent y déroger par anticipation, de sorte que la mention-type figurant aux contrats selon laquelle "à l'expiration de la période, aucune lettre de préavis ne sera nécessaire" ne constitue pas un préavis et ne permet pas au partenaire de s'affranchir de cette obligation ; qu'il relève que les relations commerciales se sont poursuivies après l'échéance du contrat du 22 août 2005, soit après le 11 août 2006, jusqu'en juillet 2007, et ce sans nouveau contrat écrit, puis à l'échéance du contrat conclu le 1er août 2007, soit après le 31 juillet 2008, pendant deux ans, et ce également sans nouveau contrat écrit ; qu'il constate que la société Mobil, par lettre du 17 novembre 2010, a indiqué à son partenaire qu'à l'expiration de sa garantie bancaire, le 30 novembre 2010, les livraisons seraient traitées en pré-paiement à compter du 22 novembre 2010 et qu'elle l'a également associée à "l'info réseau" informant ses distributeurs des conditions de livraison pendant les fêtes de fin d'année ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, établissant que la relation commerciale avait été poursuivie indépendamment des échéances contractuelles, et ce parfois même sans nouveau contrat écrit, la cour d'appel, qui a caractérisé la volonté des parties de poursuivre leur relation commerciale, nonobstant l'absence de clause expresse de tacite reconduction dans le dernier contrat formalisant leurs accords, a pu retenir que la succession de contrats à durée déterminée n'établissait pas une précarisation des relations commerciales les rendant à ce point instables que la société Auto Racing devait s'attendre à ce qu'elles prennent fin à tout moment, sans préavis ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen : - Attendu que la société Mobil fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Auto Racing une certaine somme en réparation du préjudice économique causé par la rupture, ainsi qu'une autre somme en réparation de son préjudice moral alors, selon le moyen : 1°) que la responsabilité encourue au titre de l'article 442-6-6° du Code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie est limitée au préjudice découlant directement de l'absence ou de l'insuffisance de préavis ; que seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même ; qu'en allouant à la société Auto Racing une somme équivalant à la marge commerciale réalisée sur une période de deux années au titre du " préjudice économique ", sans préciser en quoi l'absence de préavis était la cause directe d'un tel préjudice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 442-6-6° du Code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie ; 2°) que la responsabilité encourue au titre de l'article 442-6-6° du Code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie est limitée au préjudice découlant directement de l'absence ou de l'insuffisance de préavis ; qu'aucune condamnation au titre du préjudice moral ne saurait donc être prononcée sur le fondement de ces dispositions ; qu'en condamnant la société Mobil, sur le fondement de l'article 442-6-6° du Code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, la cour d'appel a violé, par fausse application, les dispositions de ce texte ;

Mais attendu, d'une part, que le préjudice né de l'insuffisance du préavis étant évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui a retenu qu'un préavis de deux ans aurait dû être respecté, a évalué le préjudice économique de la société Auto Racing en considération de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance de préavis ;

Et attendu, d'autre part, qu'un préjudice moral peut s'inférer du caractère brutal de la rupture d'une relation commerciale établie ; que le moyen, qui postule le contraire, manque en droit ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.