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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 4 avril 2018, n° 16-01881

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Solignac (SAS), Baronnie (ès qual.) , Pellegrini (ès qual.)

Défendeur :

CDHC (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Cheviller, Tixeron, Taze Bernard, Buffet

T. com. Paris, du 24 nov. 2015

24 novembre 2015

FAITS ET PROCÉDURE

En 2006, la société Solignac, spécialisée dans le stockage, le transport, la livraison et l'installation de meubles, a signé avec la société Hugues Chevalier qui exploitait un magasin de meubles 134 bd Haussmann à Paris, un contrat de transport avec prise d'effet au 2 janvier 2007.

Par jugement du 26 mars 2009, le Tribunal de commerce de Paris a arrêté un plan de cession des actifs de la société Hugues Chevalier et First Time, au profit de la société CDHC, exerçant une activité de fabrication et de commercialisation de sièges et mobiliers d'intérieur haut de gamme.

Dans ce cadre, la société CDHC qui exploitait précédemment notamment un magasin sous enseigne Home Contemporain, situé 19 rue des Halles à Paris, a acquis les fonds de commerce de trois magasins de meubles situés à Paris

- un magasin exploité sous l'enseigne Hugues Chevalier, situé 134 boulevard Haussmann,

- un magasin exploité sous l'enseigne First Time, situé 228 rue de Faubourg Saint Honoré,

- un magasin exploité sous l'enseigne First Time, situé 27 rue Mazarine.

Les deux magasins sous enseigne First Time ont alors été exploités par la société CDHC sous l'enseigne Home Contemporain, le magasin du bd Haussmann continuant d'être exploité sous l'enseigne Hugues Chevalier.

Le 1er juillet 2009, la société Solignac et la société CDHC ont signé deux contrats de transport exclusif, soit :

- un contrat pour les 3 magasins parisiens sous enseigne Home Contemporain,

- un contrat pour le magasin sous enseigne Hugues Chevalier.

Ces contrats d'une durée d'une année étaient renouvelables par tacite reconduction, sauf dénonciation par lettre recommandée avec accusé de réception 3 mois avant la date anniversaire du contrat.

Par courrier du 30 mars 2011, la société CDHC a informé la société Solignac qu'elle entendait mettre fin aux deux contrats du 1er juillet 2009 à effet au 30 juin 2011, compte tenu du préavis contractuel de 3 mois.

Par courrier du 22 juin 2011, la société Solignac a mis en demeure la société CDHC de lui payer par retour de courrier l'intégralité des factures échues et impayées et de lui indiquer les modalités selon lesquelles elle entendait l'indemniser de son préjudice lié à la rupture brutale et abusive des relations commerciales entre les parties.

Les relations contractuelles ont toutefois repris entre les deux sociétés pour le magasin sous enseigne Hugues Chevalier, le contrat relatif aux magasins sous enseigne Home Contemporain ayant pris fin à l'issue du préavis de 3 mois, soit le 30 juin 2011. Le paiement des factures a été régularisé.

En décembre 2012, la société CDHC a cédé le fonds de commerce du 134 bd Haussmann, sous enseigne Hugues Chevalier, à la société BCHC.

Le 28 mars 2013, la société CDHC a notifié la rupture des relations commerciales à la société Solignac à compter du 30 juin 2013.

Par jugement du Tribunal de commerce de Créteil du 5 février 2014, la société Solignac a été placée en procédure de redressement judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 1er octobre 2013 et Maître Baronnie ayant été désigné administrateur judiciaire et Maître Pellegrini, mandataire judiciaire.

Par exploit d'huissier du 26 août 2014, la société Solignac, Maître Baronnie et Maître Pellegrini, ès qualités, ont assigné la société CDHC en indemnisation pour rupture brutale et abusive des relations commerciales.

Par jugement du 24 novembre 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la Sas Solignac, Maître Gilles Baronnie et Maître Gilles Pellegrini, ès qualités, de leur demande de dommages et intérêts pour rupture brutale,

- débouté la Sas Solignac, Maître Gilles Baronnie et Maître Gilles Pellegrini, ès qualités, de leur demande de dommages et intérêts pour le caractère abusif de la rupture,

- dit qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples, autres ou contraires aux présentes dispositions,

- condamné in solidum la Sas Solignac, Maître Gilles Baronnie et Maître Gilles Pellegrini, ès qualités, aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 129,24 € dont 21,32 € de TVA.

Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions déposées et notifiées le 26 février 2018 par lesquelles la société Solignac et Maître Gilles Pellegrini, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Solignac, invitent la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° et D. 442-3 du Code de commerce, à :

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 24 novembre 2014,

statuant à nouveau,

- condamner la société CDHC à payer à la société Solignac, au titre du préjudice subi du fait de la brutalité des ruptures subies par la société Solignac, la somme de 147 324 euros avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision, ou subsidiairement, si elle considérait que le calcul devait être fondé sur le montant de la marge brute, la somme de 132 591,60 euros avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision, ou encore plus subsidiairement, si elle considérait qu'un préavis de 3 mois aurait été suffisant, la somme de 73 662 euros avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision, ou infiniment subsidiairement si elle considérait qu'un préavis de 3 mois aurait été suffisant et que le calcul de l'indemnité aurait dû être fondé sur le montant de la marge brute, la somme de 66 295,80 euros avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision,

- condamner la société CDHC à payer à la société Solignac la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir en ce qu'elle fait droit aux demandes de la société Solignac,

- condamner la société CDHC en tous les dépens ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 1er mars 2018, par lesquelles la société CDHC, intimée, demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de:

- dire et juger la société Solignac, Maître Gilles Baronnies, ès qualités d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Solignac et Maître Gilles Pellegrini, ès qualités de mandataire judiciaire au redressement judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société Solignac, recevables mais mal fondés en leur appel, les en débouter,

- débouter la société Solignac, Maître Gilles Baronnies, ès qualités d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Solignac et Maître Gilles Pellegrini, ès qualités de mandataire judiciaire au redressement judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société Solignac, de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 24 novembre 2015 en ce qu'il les a déboutés de toutes leurs demandes,

y ajoutant,

- condamner in solidum la société Solignac, Maître Gilles Baronnies, ès qualités d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Solignac, et Maître Gilles Pellegrini, ès qualités de mandataire judiciaire au redressement judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société

Solignac, à payer la société CDHC la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Laurence Taze Bernard, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

SUR CE

Sur la demande en indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales établies

Les appelants soutiennent, en substance, que la société Solignac a été victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies qui a été consommée en deux temps :

- une rupture partielle avec un préavis insuffisant intervenue en mars 2011, date à laquelle la société CDHC a cessé de lui confier les prestations afférentes à certains de ses établissements,

- une rupture totale intervenue sans préavis en janvier 2013, date à laquelle la société CDHC a purement et simplement cessé de passer toute commande.

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement une relation commerciale établie, sans préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale.

En l'espèce, les parties s'opposent tant sur l'ancienneté des relations commerciales que la durée du préavis suffisant et celle du préavis effectif.

Le point de départ des relations commerciales établies

Les appelants font valoir que la société Solignac était depuis 2006 le prestataire attitré des 4 magasins, objet des deux contrats de transport, comme en atteste le contrat conclu en 2006 et renouvelé en 2009 dont l'exécution a été poursuivie par la société CDHC, ce dont il résulte que la relation avait une ancienneté de 4 ans en 2011, lors de la rupture partielle, et de 6 ans en 2013, lors de la rupture totale de la relation. Ils ajoutent qu'il existe des circonstances particulières démontrant que la relation initialement entretenue en 2006 a été poursuivie avec le cessionnaire du fonds de commerce, et qu'en tout état de cause, la société Solignac pouvait raisonnablement et légitimement escompter cette poursuite, puisque d'une part un nouveau contrat a été signé dans les mêmes termes pour acter la situation et que d'autre part la société CDHC n'a jamais contesté avant l'instance d'appel avoir poursuivi cette relation.

La société CDHC réplique que le contrat conclu en 2006 entre la société Solignac et la société Chevalier n'a pas été repris par la société CDHC dans le cadre de la reprise d'actifs de la société Hugues Chevalier telle qu'arrêtée par le Tribunal de commerce de Paris suivant jugement du 26 mars 2009. Dès lors, elle considère que ce contrat non repris a été résilié. Elle soutient que la relation commerciale entre les deux sociétés a débuté le 1er juillet 2009 avec la signature de deux contrats de transport, ce dont il résulte que la relation avait une ancienneté de 1 an et 8 mois ans en 2011, lors de la résiliation du contrat de transport portant sur les magasins Home Contemporain, et de 3 ans et 8 mois en 2013, lors de la rupture du contrat de transport concernant le magasin Hugues Chevalier.

Il ressort de l'instruction du dossier que :

- le 1er juillet 2009, la société CDHC a conclu avec la société Solignac avec laquelle elle n'entretenait auparavant aucune relation commerciale un premier contrat de transport portant sur un magasin qu'elle exploitait, elle-même, sous enseigne Home Contemporain (19 rue des Halles) ainsi que sur 2 magasins à l'enseigne First Time dont elle a repris les fonds de commerce dans le cadre de la cession des actifs de cette société (228 rue du Faubourg Saint-Honoré et 27 rue Mazarine) et qu'elle a passés sous enseigne Home Contemporain,

- aucune mission de transport n'avait été auparavant confiée à la société Solignac concernant ces trois magasins, ni par la société CDHC ni par la société First Time,

- le 1er juillet 2009, la société CDHC a conclu avec la société Solignac un second contrat de transport portant sur le magasin exploité sous enseigne Hugues Chevalier (134 bd Haussmann) dont elle a acquis le fonds de commerce dans le cadre de la cession des actifs de cette société par jugement du 26 mars 2009,

- antérieurement à la cession de ses actifs, la société Hugues Chevalier avait confié la livraison des meubles de ce magasin à la société Solignac suivant contrat du 16 novembre 2006 à effet au 2 janvier 2007 (pièce appelants n° 12).

Si dans le cadre de la cession des actifs de la société Hugues Chevalier intervenue par jugement du 26 mars 2009, la société CDHC a repris le fonds de commerce du magasin exploité sous l'enseigne Hugues Chevalier, situé 134 boulevard Haussmann, cette opération n'a pas de plein droit substitué le cessionnaire, la société CDHC, au cédant, la société Hugues Chevalier, dans les relations contractuelles et commerciales de cette société avec la société Solignac. En outre, il ne ressort d'aucun élément que la société CDHC ait eu recours à la société Solignac à compter de la cession des fonds de commerce en mars 2009 jusqu'à la conclusion du contrat de transport du 1er juillet 2009.

Par suite, le préavis suffisant n'a pas à être déterminé en considération de la relation précédemment nouée avec la société Solignac par la société Hugues Chevalier. Le point de départ des relations commerciales se situe donc au 1er juillet 2009, date de la conclusion des deux contrats.

Les circonstances de la rupture et le préavis effectif

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 mars 2011, la société CDHC a notifié à la société Solignac la résiliation des deux contrats à effet au 30 juin 2011, soit avec un préavis de 3 mois (pièce appelants n° 6 et pièce intimée n° 4). Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 avril 2011 (pièce appelants n° 8), la société Solignac a sollicité une entrevue avec le dirigeant de la société CDHC à l'issue de laquelle les parties s'accordent à reconnaître que les relations commerciales ont repris pour le seul magasin à l'enseigne Hugues Chevalier 134 bd Haussmann.

Puis, par lettre du 28 mars 2013, la société CDHC a notifié la rupture de ce contrat à effet au 30 juin 2013.

La rupture partielle à compter de mars 2011

Les appelants font valoir qu'au 30 mars 2011, date de la notification de la rupture partielle à effet au 30 juin 2011, la société CDHC avait déjà cessé, au moins partiellement, d'exécuter le premier contrat concernant les 3 magasins à enseigne Home Contemporain, et avait notamment drastiquement réduit ses commandes et fait appel à un prestataire concurrent pour un certain nombre d'entre elles. Ils estiment donc que la société Solignac n'a bénéficié d'aucun préavis pour ces 3 magasins, le courrier de notification étant intervenu après la mise en œuvre de la rupture.

La société CDHC réplique qu'il s'agit là d'une affirmation totalement gratuite qu'elle conteste et qui n'est justifiée par aucun document. Elle considère que la société Solignac a bien bénéficié d'un préavis effectif de 3 mois pour ces 3 magasins.

En effet, la cour constate qu'au soutien de leurs affirmations de réduction drastique des commandes et de recours à un prestataire concurrent, les appelants ne produisent, ni même ne se réfèrent dans leurs écritures, à aucune pièce. Par suite, il doit être considéré que la société Solignac a bénéficié d'un préavis effectif de 3 mois pour les 3 magasins sous enseigne Home Contemporain.

La rupture totale à compter de janvier 2013

- l'absence de préavis

Concernant le magasin à enseigne Hugues Chevalier, les appelants soutiennent que la société CDHC a cessé de transmettre toute commande de prestations de livraison à la société Solignac dès janvier 2013, l'activité ayant été cédée en décembre 2012, alors que le courrier de l'intimée notifiant la rupture au 30 juin 2013 n'a été envoyé que le 28 mars 2013, soit là encore postérieurement à la cessation de toute commande. Dès lors, ils estiment que la société Solignac n'a bénéficié d'aucun préavis, le courrier de notification du 28 mars 2013 n'étant intervenu qu'après la mise en œuvre de la rupture en décembre 2012.

La société CDHC réplique qu'il s'agit à nouveau d'une affirmation gratuite sans le moindre document pour en justifier. Elle relève qu'au contraire, les appelants font état d'une opposition sur le prix de vente du fonds de commerce effectuée par la société Solignac le 11 février 2013 mentionnant une somme de 5 317,48 euros TTC au titre de prestations réalisées en janvier 2013. Elle estime que la société Solignac a donc bénéficié d'un préavis de 3 mois.

Mais, c'est à juste titre que les premiers juges ont relevé que début 2013, la société CDHC n'a pas averti la société Solignac de la cession du fonds de commerce à l'enseigne Hugues Chevalier à la société BCHC intervenue en décembre 2012 et qu'elle a attendu le 28 mars 2013 pour résilier le contrat à compter du 30 juin 2013 alors que le flux de commandes provenant de ce fonds était arrêté.

La cour ajoute que la société Solignac justifie, sans être sérieusement contredite par la société CDHC, que le chiffre d'affaires qu'elle a réalisé en janvier 2013 avec cette dernière à hauteur de 7 718,89 euros HT, est lié à l'exécution de commandes antérieures (facture de janvier 2013 à hauteur de 5 317,60 euros) et au transport des derniers meubles restant dans ses entrepôts. La société Solignac n'a donc bénéficié d'aucun préavis de rupture.

- à titre subsidiaire, la société CDHC invoque des manquements justifiant l'absence de préavis

La société CDHC fait état, subsidiairement, de fautes commises par la société Solignac qui justifieraient la rupture des relations commerciales sans préavis. Elle prétend que la société Solignac, qui pourtant avait souscrit une assurance liée au risque de transport, a refusé de procéder au remboursement de dommages causés par elle sur des meubles qu'elle transportait, ce qui constitue une faute suffisamment importante pour qu'elle-même perde toute confiance en son cocontractant dès lors qu'en détériorant un meuble, la société Solignac a porté atteinte à son image de marque.

Les appelants relèvent qu'aucun des courriers de rupture ne fait état d'une quelconque faute, soutiennent que de manière plus générale, la société CDHC ne peut démontrer aucune faute de nature à justifier une rupture sans préavis et enfin, font observer que la société CDHC a estimé nécessaire dans son courrier de rupture de feindre de lui accorder un préavis de 3 mois ce qu'elle n'aurait pas fait si une faute de son cocontractant avait pu l'en dispenser.

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce prévoit in fine que ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations contractuelles. Ce dernier alinéa ne précise ni la nature ni le degré de l'inexécution contractuelle autorisant la dispense de préavis. Toutefois, dès lors qu'il instaure une dérogation à l'exigence d'un préavis prévu au premier alinéa, son application nécessite que l'inexécution des obligations contractuelles qu'il vise, présente un caractère de gravité suffisant pour justifier une rupture immédiate eu égard à l'ancienneté des relations des relations commerciales.

Or, la société CDHC ne se prévaut que d'une faute unique constituée par le refus de la société Solignac de procéder à un remboursement à la suite de détériorations commises sur des meubles transportés. Ce refus ne saurait dès lors constituer un manquement grave justifiant la rupture totale de relations commerciales établies depuis 3 ans et demi. Par suite, elle ne démontre l'existence d'aucun manquement grave justifiant une rupture totale des relations commerciales sans préavis. La rupture totale des relations commerciales survenue en janvier 2013 sans préavis est donc brutale.

Le préavis suffisant

Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant au regard des relations commerciales antérieures.

Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement.

Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, la dépendance économique, le volume d'affaires réalisé et la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

Les appelants considèrent que le préavis contractuel de trois mois constitue un minimum insuffisant, en l'espèce, au regard notamment de la durée et de la nature des relations entre les parties et soutiennent que l'activité logistique de la société Solignac présente des spécificités qui justifient la nécessité d'un préavis d'au moins six mois, en ce que cette activité implique d'une part, des coûts fixes importants, et d'autre part, est confrontée à une clientèle peu mobile.

La société CDHC estime que les préavis de 3 mois chacun sont suffisants au regard de l'ancienneté des relations et des circonstances de l'espèce. Elle relève l'absence de dépendance économique de la société Solignac.

La rupture partielle intervenue le 30 mars 2011 à effet au 30 juin 2011

Compte tenu des pièces produites et eu égard à l'ancienneté des relations commerciales d'une durée de 1 an et 9 mois (1er juillet 2009-30 mars 2011), au volume d'affaires, à la part de la société CDHC dans le chiffre d'affaires de la société Solignac pour les 3 magasins, objet de la rupture partielle, à la nature de l'activité considérée s'agissant de prestations de services, à la réalité du marché concerné, à l'absence d'investissements dédiés et de justification d'une dépendance économique, le délai de préavis qui devait être donné à la société Solignac afin de pallier les incidences de la perte des prestations qu'elle prodiguait à la société CDHC doit être estimé à 3 mois.

Par suite, la société Solignac ayant bénéficié d'un préavis effectif de 3 mois, la rupture partielle intervenue le 30 mars 2011 à effet au 30 juin 2011 n'est pas brutale et la société Solignac sera déboutée de la demande d'indemnisation formée à ce titre à hauteur de 105 330 euros.

La rupture totale intervenue en janvier 2013 sans préavis

Compte tenu des pièces produites et eu égard à l'ancienneté des relations commerciales d'une durée de 3 ans et 6 mois (1er juillet 2009-1er janvier 2013), au volume d'affaires, à la part de la société CDHC pour le seul magasin restant du 134 bd Haussmann dans le chiffre d'affaires total de la société Solignac, à la nature de l'activité considérée s'agissant de prestations de services, à la réalité du marché concerné et à défaut de la justification d'une dépendance économique, le délai de préavis qui aurait dû être donné afin de pallier les incidences de la perte des prestations qu'elle prodiguait à la société CDHC, doit être estimé à 5 mois.

Le préjudice de la société Solignac

Le tribunal de commerce a débouté la société Solignac de sa demande d'indemnisation au motif qu'il était dans l'impossibilité de déterminer le préjudice subi, sa pièce n° 11 ne permettant pas de justifier du chiffre d'affaires de 80 639,96 euros HT avec la société CDHC au cours de l'année 2012 qu'elle allègue et aucun moyen de déterminer sa marge brute n'étant donné.

Les appelants sollicitent la condamnation de la société CDHC à payer la somme de 41 994 euros (6 x 6 999) au titre de la rupture totale intervenue le 1er janvier 2013 et notifiée le 28 mars 2013. Ils se réfèrent au contrat qui précise que dans le cas où le client déciderait soudainement de mettre fin au contrat et ne respecterait pas la clause selon laquelle, quelque soit la date de résiliation, le client s'engage à confier le même volume d'affaires jusqu'au terme du contrat. Ils estiment que le chiffre d'affaires perdu doit être calculé sur la moyenne des douze derniers mois, soit l'année 2012. Ils affirment que le montant de la marge brute en matière de prestations de services est égal au montant du chiffre d'affaires. Ils se prévalent de l'attestation de l'expert-comptable de la société Solignac qui évalue le taux de marge à 90 %.

La société CDHC réplique que les demandes des appelantes ne sont nullement justifiées, relève que dans son opposition à prix de vente, la société Solignac a fait état d'un chiffre d'affaires mensuel de 7 000 euros, considère que seule la marge brute est à prendre en considération, dénie toute force probante aux deux nouvelles pièces produites en appel, observe qu'aucun document comptable n'est produit aux débats et excipe de son propre Grand livre fournisseur qui fait état d'un chiffre d'affaires réalisé par la société Solignac, en 2012, de 78 645,96 euros et non de 80 639,96 euros comme allégué. Dès lors, elle sollicite la confirmation du jugement en qu'il a débouté les appelantes de l'intégralité de leurs demandes.

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

En l'espèce, il y a lieu de prendre en compte le seul chiffre d'affaires réalisé par la société Solignac au cours de l'année 2012, seule année pleine après la rupture partielle, avec la société CDHC pour le magasin du 134 bd Haussmann.

Compte tenu des éléments versés aux débats en appel dont les attestations de la société EAL, expert-comptable de la société Solignac (pièce appelants intimée n° 15 et 16) et les extraits du Grand-livre analytique de la société CDHC pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2012 (pièce intimée n° 13), ce chiffre d'affaires ressort, faute de production d'autres documents comptables, aux environs de 80 000 euros ou 6 700 euros par mois, ce qui, au demeurant, se rapproche de celui indiqué par la société Solignac dans son opposition au prix de vente du fonds de commerce du magasin du 134 bd Haussmann (7 000 euros) et de celui reconnu par la société CDHC (6 553,83 euros) à partir de sa propre comptabilité, et il convient d'évaluer le taux de marge à 85 %. Dès lors, le manque à gagner de la société Solignac s'établit à la somme de 28 475 euros (6 700 euros x 85 % x 5 mois) au paiement de laquelle la société CDHC sera condamnée, outre les intérêts au taux légal à compter de la présente décision, conformément à la demande des appelants. Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef et la société Solignac déboutée du surplus de ses demandes.

Sur les autres demandes

Le jugement entrepris sera également infirmé en ce qu'il a condamné in solidum la société Solignac, Maître Gilles Baronnie et maître Gilles pellegrini, ès qualités, aux dépens et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société CDHC succombant, supportera les dépens de première instance et d'appel et devra verser à la société Solignac la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions dont appel, statuant à nouveau, Condamne la société CDHC à verser à la société Solignac la somme de 28 475 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la présente décision au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; et y ajoutant, Condamne la société CDHC aux dépens de première instance et d'appel ; Condamne la société CDHC à verser à la société Solignac la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.