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Décisions

CA Bourges, ch. civ., 5 avril 2018, n° 17-00238

BOURGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

CHR Boissons (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Foulquier

Conseillers :

MM. Guiraud, Perinetti

T. com. Nevers, du 7 déc. 2016

7 décembre 2016

Suivant deux actes sous seing privé en date du 20 juillet 2012, la SAS CHR Boissons et M. X, gérant du Bar des Halles à Nevers, sont convenus d'une mise à disposition de divers matériels nécessaires à l'activité commerciale de ce dernier (tirage de bière, rentoilage de trois stores et de deux abris pour 11 000 euros, mobilier de terrasse pour 4 500 euros et capots de stores pour 1 872 euros), en contrepartie de laquelle le commerçant s'engageait à débiter en exclusivité des produits de ladite société et des bières provenant de la Brasserie Météor.

Début janvier 2015, M. X a informé la SAS CHR Boissons qu'il ne voulait plus exécuter ses contrats car il laissait son fonds de commerce et le repreneur souhaitait changer de fournisseur. La SAS CHR Boissons lui faisait alors part de son intention de solliciter l'application de la clause de la convention prévoyant que cette inexécution devait l'amener à rembourser le matériel, déduction faite d'un amortissement de 30 euros par hectolitre de bière acheté et de 3 % basé sur son chiffre d'affaires total réalisé avec elle.

M. X ayant refusé de s'acquitter de l'indemnité réclamée, la SAS CHR Boissons a saisi, par requête, le président du Tribunal de commerce de Nevers qui rendait à son profit, le 30 novembre 2015, une ordonnance d'injonction de payer la somme de 14 137,31 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 octobre 2015, outre divers frais de procédure.

Sur opposition formée par le débiteur le 14 décembre 2015, le Tribunal de commerce de Nevers, par jugement rendu le 7 décembre 2016, a prononcé, à titre principal, la nullité des contrats de mise à disposition pour absence de détermination des produits livrés et subsidiairement leur nullité pour absence de contrepartie, a débouté la SAS CHR Boissons de l'ensemble de ses prétentions, a condamné M. X à restituer à la SAS CHR Boissons le matériel (tirage pression, rentoilage de trois stores et de deux abris, mobilier de terrasse et capots de stores) sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement, l'a également condamné au paiement de la somme de 352,31 euros au titre des factures d'achat de marchandises non réglées, l'a débouté de l'ensemble de ses autres demandes, dit n'y avoir lieu ni à indemnité de procédure ni à exécution provisoire et a condamné la SAS CHR Boissons aux dépens.

Pour procéder à l'annulation des contrats sur le fondement de l'article 1129 du Code civil (indétermination de la chose livrée), le premier juge observe tout d'abord qu'aucun des contrats ne précise de durée, de quantités, de conditionnement, de détail sur la nature des articles concernés, que les montants sont exprimés sans information de taux de TVA et que la clause fixant les modalités de calcul de l'indemnité de résiliation ne précise pas les règles d'application du chiffre d'affaires pris en compte ni son assujettissement ou non à la TVA. Il relève ensuite une discordance notoire entre les charges supportées par la SAS CHR Boissons (prix d'acquisition du matériel) et le montant refacturé au client. Répondant au moyen tiré de l'application de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui soumet la validité d'une clause d'exclusivité à la condition que le fournisseur comme l'acheteur réunissent chacun au moins 30 % de parts de marché, le tribunal se borne à constater que cette proportion n'est démontrée par aucune des deux parties qui se renvoient la charge de la preuve. Enfin, il note que la somme de 352,31 euros représentant le solde des factures d'achat de marchandises n'est pas contestée par M. X.

Par déclaration reçue le 14 février 2017, la SAS CHR Boissons a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées le 21 septembre 2017, la SAS CHR Boissons demande à la cour, réformant le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité des contrats, de condamner M. X à lui payer la somme de 13 785 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 octobre 2015, subsidiairement de le condamner à lui restituer le matériel à son siège social sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision, de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. X à lui payer la somme de 352,31 euros au titre du solde des factures d'achat, avec intérêts au taux légal à compter du 13 octobre 2015 et de condamner l'intimé à lui payer une indemnité de procédure de 2 500 euros, ainsi qu'aux dépens comprenant les frais de procédure de 244,76 euros, de requête de 52,80 euros et de greffe de 39 euros.

Sur la nullité des contrats pour indétermination des produits livrés, la SAS CHR Boissons fait valoir que ces derniers sont bien déterminés en leur espèce, en l'occurrence des boissons commercialisées par elle-même ainsi que des bières de la brasserie Meteor, que la jurisprudence n'exige pas de préciser la durée de l'engagement, la marque, la quantité et le conditionnement des produits vendus ou encore le taux de TVA applicable, qu'un contrat d'exclusivité peut être à durée indéterminée, que la quantité et la qualité des produits ne doivent pas dépendre uniquement de la volonté du fournisseur, condition qui n'est pas au demeurant contestée, et qu'en définitive il ne saurait être fait application de l'article 1129 du Code civil. Sur la nullité pour absence de contrepartie, elle soutient que le matériel mis à disposition a bien une valeur totale de 15 500 euros, ainsi que le démontrent les factures produites, qu'il existe donc une contrepartie qui n'est nullement dérisoire, que l'obligation n'est pas dépourvue de cause et qu'il n'y a pas lieu davantage de faire application de l'article 1131 du Code civil.

Elle souligne que le règlement européen nº 330/210 du 20 avril 2010, limitant à cinq ans la durée d'une clause d'exclusivité, est inapplicable au cas présent puisqu'il concerne exclusivement des accords verticaux et des pratiques concertées, susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres de l'Union européenne, ce qui ne saurait advenir que si le fournisseur comme l'acheteur réunissent chacun au moins 30 % de parts de marché, condition bien évidemment non remplie dans le cadre de la relation contractuelle entre les parties. Elle prétend que l'obligation mise contractuellement à la charge de M. X ne constitue pas une clause pénale réductible, qu'il ne s'agit pas d'imposer une pénalité ou sanction financière mais seulement d'organiser la remise des choses en l'état à la suite de la résiliation du contrat et qu'en tout état de cause, la contrepartie convenue n'est pas manifestement excessive.

La SAS CHR Boissons fait observer que les indemnités contractuellement dues sont égales au coût du matériel financé déduction faite d'une somme égale à 30 euros par hl (127,70 hl x 30 euros = 3 831 euros HT) majoré de 3 % du chiffre d'affaires réalisé avec elle (47 146 euros HT x 3 % = 1 415 euros HT), soit une indemnité de 10 254 euros HT (15 500 euros HT - 3 831 euros - 1 415 euros), que le montant des chiffres d'affaires retenus et donc de l'amortissement à déduire n'ont pas été contestés et que les sommes réclamées dans la requête en injonction de payer sont donc exactes. Subsidiairement, elle considère que M. X, qui ne possède pas les matériels comme propriétaire, devra les restituer, à défaut de régler l'indemnité de résiliation convenue. Enfin, elle précise que le solde des factures de marchandises n'est pas contesté par M. X.

Dans des conclusions notifiées le 30 juin 2017, M. X demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner la SAS CHR Boissons à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

M. X se prévaut, en premier lieu, de la nullité du contrat de mise à disposition au visa de l'article 1129 ancien du Code civil, faisant observer qu'une obligation, pour être valable, doit avoir pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce et que les bières et boissons ne sont pas identifiées dans leur marque et conditionnement, si ce n'est partiellement pour les bières Météor. En second lieu, au visa de l'article 1131 ancien du Code civil, il soutient qu'une obligation sans cause ne peut avoir aucun effet, qu'en l'occurrence le risque pris par la SAS CHR Boissons est dérisoire par rapport à son propre engagement de s'approvisionner de façon exclusive auprès d'elle, qu'il n'est pas justifié en effet de la valeur du matériel d'exploitation mis à disposition et qu'en l'absence de proportion entre les engagements réciproques leur annulation est encourue.

Subsidiairement, il prétend que la clause d'exclusivité serait contraire aux dispositions de l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et à l'article 7 du règlement nº 330/2010 du 20 avril 2010, faute par la SAS CHR Boissons de démontrer la réalité et l'exactitude des conditions lui permettant de bénéficier de l'exemption qu'elle revendique. Il fait également valoir que l'indemnité mise à sa charge, en ce qu'elle sanctionne le non-respect d'une obligation, peut s'analyser en une clause pénale réductible pour excès manifeste, qu'il n'a jamais paraphé les mentions barrées sur les contrats et n'aurait jamais accepté, compte tenu de la faible valeur des biens mis à sa disposition, le versement d'une telle indemnité, que le pourcentage de 3 % et la valeur de 30 euros par hl, outre qu'ils font double emploi, ne correspondent à aucun préjudice et que la SAS CHR Boissons, qui aurait pu récupérer l'ensemble des matériels depuis octobre 2015, ne peut donc se prévaloir du moindre préjudice.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2018.

SUR QUOI,

Selon l'article 1129 du Code civil, en sa version applicable à la date de conclusion du contrat, " Il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce. La quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu'elle puisse être déterminée ".

En l'espèce, il résulte des conventions conclues entre les parties que la SAS CHR Boissons a remis en dépôt à M. X divers matériels destinés à faciliter l'exercice de son commerce de bar en contrepartie de l'engagement de ce dernier à débiter en exclusivité dans son établissement les produits de la SAS CHR Boissons et les bières en provenance de la brasserie Météor (...) Au cas où, pour une raison ou une autre, le commerçant ne devrait plus débiter les produits de la SAS CHR Boissons et les bières de la brasserie Météor, il s'engage à rembourser le coût du matériel compte tenu d'un premier amortissement de 30 euros par hectolitre de bière auquel s'ajoute un second amortissement de 3 % basé sur le chiffre d'affaires.

En dehors de l'absence de limitation dans le temps de cette convention d'approvisionnement exclusif et de définition des modalités de fixation du prix, non invoquées par M. X à l'appui de sa demande de nullité, la cour ne peut que constater, ainsi que l'a également relevé le premier juge, que les contrats signés par les parties, qui ne sont accompagnés d'aucune annexe descriptive des marchandises concernées et/ou de leur conditionnement, ne comportent aucune indication permettant de déterminer leur espèce, hormis les bières en provenance de la brasserie Météor, dont le conditionnement n'est toutefois pas défini.

Ainsi, en vertu de cette convention, le commerçant est contraint à n'acheter les produits nécessaires à son commerce qu'auprès de la SAS CHR Boissons ou de la brasserie Météor dont la première distribue les bières, sans que ne soit fixée la liste des produits susceptibles de lui être livrés exclusivement, laquelle peut donc être appelée à être modifiée à tout moment en fonction de l'évolution des propres conventions d'approvisionnement de la SAS CHR Boissons.

Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soutenus par l'intimé et en apparence dépourvus de réel fondement, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a annulé les contrats pour absence de détermination des produits livrés au visa de l'article 1129 du Code civil et de débouter, par voie de conséquence, la SAS CHR Boissons de sa demande en paiement de l'indemnité mise contractuellement à la charge du dépositaire des matériels.

L'annulation devant se traduire par la remise des parties en l'état où elles se seraient trouvées si la convention n'avait pas été conclue, c'est également à bon droit que le premier juge a ordonné à M. X, de restituer à la SAS CHR Boissons, à son siège social, les matériels faisant l'objet des contrats annulés, et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la signification de l'arrêt et non du jugement.

Le jugement sera enfin confirmé en ce qu'il a prononcé condamnation à l'encontre de M. X, qui en sollicite la confirmation intégrale, au paiement de la somme de 352,31 euros au titre du solde non réglé des factures d'achat de marchandises.

Si l'équité ne commandait pas, en raison de la solution adoptée, de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en première instance, en revanche il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimé, dont les prétentions sont intégralement accueillies, les frais non compris dans les dépens de l'instance d'appel, en sorte que la SAS CHR Boissons sera condamnée à lui verser à ce titre la somme de 1 000 euros.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 décembre 2016 par le Tribunal de commerce de Nevers, sauf à préciser que la nullité est prononcée sur le seul fondement de l'article 1129 ancien du Code civil et que l'astreinte courra passé un délai de quinze jours à compter de la signification de l'arrêt ; Y ajoutant, Condamne la SAS CHR Boissons à payer à M. X la somme de 1 000 euros en compensation de ses frais non compris dans les dépens d'appel ; Condamne la SAS CHR Boissons aux dépens d'appel.