CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 4 avril 2018, n° 15-13123
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ficomirrors France (SAS)
Défendeur :
Brea System (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Lesénéchal, Mihailov, Pichon, Roudillon
FAITS ET PROCÉDURE
La société Ficomirrors France, ci-après Ficomirrors, produit des pièces en matière plastique.
La société Brea System, ci-après Brea, est une fonderie de métaux légers, par injection dans un moule. Elle assemble notamment des rétroviseurs pour véhicules automobiles.
Le 19 janvier 2006, la société Brea s'est vue confier par la société Ficomirrors la fabrication d'un moule deux empreintes gauche et droite et d'un second moule deux empreintes droite et gauche destinés à la fabrication d'Embase X61 ainsi qu'un outillage de découpe pour les embases en vue de la fabrication et de la fourniture ultérieures de ces pièces destinées aux véhicules automobiles.
La production des pièces en série a débuté au mois de décembre 2007.
Par courrier du 17 novembre 2011, la société Ficomirrors a signifié à la société Brea la rupture de leurs relations commerciales avec effet au 1er mars 2012.
Par courrier du 24 mai 2012, la société Brea a mis en demeure la société Ficomirrors, de l'indemniser de son préjudice subi du fait de la rupture des relations à hauteur de la somme totale de 222 810,72 euros.
Par acte du 18 septembre 2012, la société Brea a assigné la société Ficomirrors devant le Tribunal de commerce de Montluçon, pour rupture brutale des relations commerciales établies et pour l'indemnisation de son droit de propriété intellectuelle.
Par jugement du 20 décembre 2013, le Tribunal de commerce de Montluçon s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lyon.
Par jugement du 15 juin 2015, le Tribunal de commerce de Lyon a :
- condamné la société Ficomirrors à payer à la société Brea les sommes de
* 44 897,75 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis, majorée du taux d'intérêt légal à compter du 24 mai 2012,
* 40 000 euros au titre de l'indemnisation du droit de propriété intellectuelle, majorée du taux d'intérêt légal à compter du 24 mai 2012,
- ordonné la capitalisation des intérêts par année entière,
- débouté la société Brea de ses autres demandes,
- débouté la société Ficomirrors de sa demande de dommages et intérêts,
- condamné la société Ficomirrors à payer à la société Brea la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Ficomirrors aux entiers dépens de l'instance,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- rejeté comme non fondés tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties.
La société Ficomirrors a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 19 juin 2015.
La procédure devant la cour a été clôturée le 27 février 2018.
LA COUR
Vu les conclusions du 19 février 2018 par lesquelles la société Ficomirrors, appelante, invite la cour, au visa des articles 1134, 1142 et 1184 du Code civil, L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, à :
- dire que la société Ficomirrors est recevable et bien fondée en son appel,
- débouter la société Brea de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la société Brea avait bénéficié d'un préavis suffisant,
- l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau
- dire que la relation a duré trois ans et onze mois, que la rupture n'était pas imprévisible et que le préavis était suffisant,
- dire qu'elle a satisfait à la demande de financement d'un second moule et qu'elle n'a pas modifié les caractéristiques des pièces en cours de production,
- dire que la société Brea a régulièrement livré des pièces non conformes et accumulé des retards dans la livraison de sa production,
- dire que la société Brea l'a constamment maintenue sous la menace d'un arrêt de sa production, qu'elle a finalement mise à exécution,
en conséquence,
- dire que la société Brea a fautivement manqué à ses obligations, dans une mesure qui autorisait la rupture extraordinaire du contrat,
- dire qu'au cours du préavis, la baisse des commandes était moins importante que le prétend la société Brea, qu'elle était la conséquence de la baisse de l'activité en fin d'année, de la prise en compte du retard accumulé par la société Brea et de la réduction des besoins du constructeur,
- dire que la convention des parties prévoyait la rémunération de la fourniture des moules et leur cession contre paiement,
- dire que ce paiement est intervenu et que la société Brea ne justifie pas d'une créance supplémentaire au titre de la propriété intellectuelle,
- dire que la société Brea ne justifie pas de l'opposabilité des conditions générales qu'elle invoque, ni même de la restitution de l'outillage,
- dire que la société Brea lui a causé un dommage dont elle doit réparation,
- condamner la société Brea au paiement d'une somme de 103 268,81 euros à titre de dommages et intérêts, sauf à parfaire.
- condamner la société Brea au paiement d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,
- en application des dispositions des articles 1153-1 et 1154 du Code civil, assortir ces condamnations de la production d'intérêts et de leur capitalisation, à compter du 18 septembre 2012, date de l'assignation ;
Vu les conclusions du 26 février 2018 par lesquelles la société Brea, intimée ayant formé appel incident, demande à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, 1134 et suivants du Code civil, de :
- dire que la société Ficommirrors n'a pas respecté le préavis qu'elle lui avait elle-même fixé,
- en conséquence, confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Ficommirrors à lui payer la somme de 44 897,75 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis, majorée du taux d'intérêt légal à compter du 24 mai 2012,
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a jugé que la société Ficommirrors devait l'indemniser pour son droit de propriété intellectuelle, l'infirmer en ce qu'il a limité cette indemnisation à la somme de 40 000 euros,
- statuant à nouveau, porter à la somme de 80 400 euros le montant de l'indemnisation due à ce titre,
- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé suffisante la durée du préavis notifié par la société Ficommirrors et l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre,
- statuant à nouveau, dire qu'elle était en droit de bénéficier d'un préavis de six mois,
- en conséquence, condamner la société Ficommirrors à lui payer la somme de 73 134,73 euros à titre de dommages et intérêts pour insuffisance dans la durée du préavis,
- dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2012 et ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière par application des dispositions de l'article 1154 du Code civil, subsidiairement :
- sur les demandes au titre du non-respect du préavis et de l'insuffisance dans la durée du préavis, ordonner avant dire droit une mesure d'expertise confiée à tel expert qu'il plaira à la cour de désigner avec mission :
* d'établir contradictoirement le chiffre d'affaire réalisé mois par mois par elle et la société Ficomirrors depuis le début de leur relation contractuelle soit du 19 janvier 2006 jusqu'au 1er mars 2012,
* d'établir contradictoirement le taux de la marge brute réalisée par elle sur le marché Ficomirrors au titre des années 2010, 2011 et 2012,
- sur la violation du droit de propriété intellectuelle de la société Brea, ordonner une consultation voire une mesure d'expertise confiée à telle autorité professionnelle ou expert qu'il plaira au tribunal de désigner tel que le syndicat des fondeurs aux fins de valorisation de ce droit,
- débouter la société Ficomirrors de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions et de ses moyens de défense,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Ficomirrors à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Ficomirrors à lui payer la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
SUR CE
LA COUR se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Les parties s'opposent sur la durée des relations commerciales établies les liant, sur les fautes reprochées à la société Ficomirrors, sur la durée du préavis et sur le préjudice subi par celle-ci.
Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :
" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".
Sur le point de départ des relations commerciales établies entre les parties
La société Brea explique que :
- les parties ont été en relation d'affaires pendant six années,
- si la commande du 19 janvier 2006 ne portait que sur le moule et l'outillage de découpe, elle avait pour finalité, en cas de satisfaction, la fourniture des pièces dont elle constituait le préalable indispensable, de sorte que les contrats n'étaient pas distincts.
La société Ficomirrors soutient au contraire que la relation entre les parties a duré trois ans et onze mois, que les deux contrats n'avaient pas le même objet, peu important qu'ils s'inscrivent dans un projet global, et que la société Brea n'ait réalisé aucun chiffre d'affaires significatif avec elle en 2006, ni en 2007 et qu'ainsi la durée de la relation à considérer peut être établie entre le mois de décembre 2007 et le 14 novembre 2011.
Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux.
En l'espèce, la commande du 16 janvier 2006 le n° 1657/05 de la société Ficomirrors à la société Brea porte sur l'exécution de moule par injection aluminium correspondant à " 1 moule deux empreintes gauche et droite d'Embase X61 et 1 outillage de découpe pour embrases aluminium (...) cette commande ne concerne que l'étude et la réalisation des moules d'injection. La fabrication et la fourniture des pièces en série, fera l'objet d'une commande ouverte séparée qui sera négociée entre les deux parties pendant la période de fabrication des moules. (...) ces moules seront réalisés dans un délai vous permettant de nous soumettre impérativement les pièces de présentation en semaine 11 au plus tard ".
La fourniture des moules devait intervenir au début du mois de mars 2006.
Même si les commandes des pièces par la société Ficomirrors à la société Brea n'ont débuté qu'au mois de décembre 2017, compte tenu du retard dans la livraison des pièces conformes à la commande du 16 janvier 2016 portant le n° 1657/05, tel qu'il ressort des échanges de courriels entre les parties (pièces appelante 2, 3, 4 et 5), il apparaît que le contrat signé le 16 janvier 2016 mettait en place une relation d'affaires entre les parties, les commandes ultérieures des pièces étant déjà prévues.
Dans ces conditions, le point de départ des relations commerciales établies entre les parties est donc le 16 janvier 2006.
Sur le préavis suffisant
La nécessité du préavis
La société Ficomirrors explique que :
- la relation avec la société Brea était très conflictuelle, en raison de ses manquements répétés et de ses menaces,
- la société Brea produisait en fonction de ses propres impératifs, sans nullement se soucier du fait que sa production était censée s'intégrer dans un schéma plus vaste, gouverné par les besoins du constructeur automobile Renault,
- la société Brea a adopté un comportement fautif à son égard en lui fournissant avec retard des marchandises défectueuses,
- elle a consenti à l'achat d'un deuxième moule, satisfaisant à la demande de la société Brea de modifier les conditions convenues du contrat de fourniture, alors qu'elle n'a reçu aucun retour sur cet investissement, la société Brea n'ayant pas amélioré la fiabilité, ni la ponctualité de sa production,
- elle n'a pas modifié les caractéristiques des pièces en cours d'exécution du contrat,
- la société Brea a manqué à ses obligations en fournissant des marchandises non conformes et en exposant son client à des retards de livraison récurrents.
Elle en conclut qu'elle n'a pas mis en œuvre la résiliation extraordinaire, mais a, au contraire, ménagé au sous-traitant le bénéfice d'un préavis et que les griefs lui ayant été rappelés pendant toute la durée du contrat, ils rendaient la rupture prévisible.
La société Brea allègue que la lettre de rupture du 17 novembre 2011 ne fait pas référence, dans sa motivation, à de prétendus manquements et que la faculté de résiliation sans préavis rappelée par l'article L. 442-6, I, 5° précité suppose l'envoi préalable par le cocontractant d'une mise en demeure, laquelle fait défaut. Elle conteste avoir commis des fautes de nature à justifier la rupture brutale des relations commerciales établies.
La rupture des relations commerciales établies peut intervenir à effet immédiat à la condition qu'elle soit justifiée par des fautes suffisamment graves imputées au partenaire commercial.
En l'espèce, la société Ficomirrors reconnaît tant dans ses écritures que par le courrier de son conseil du 17 novembre 2011 (pièce appelante 98) qu'elle n'a pas rompu les relations commerciales à effet immédiat, souhaitant accorder un délai à la société Brea. En effet, la société Ficomirrors ne fait pas état de griefs dans le courrier de rupture qu'elle a envoyé le 17 novembre 2011 à la société Brea (pièce appelante 97). En revanche, le conseil de la société Ficomirrors dans son courrier daté du même jour précité explique à la société Brea notamment, après avoir évoqué des fautes à l'égard de son interlocuteur, que " Lors d'une réunion du 14 novembre dernier, la société Ficomirrors France a donc été portée à vous confirmer son intention de ne pas renouveler celui des deux moules qui est parvenu en fin de vie, vous priant de lui communiquer une évaluation du potentiel du second moule afin d'établir un programme de livraison sur cette durée. Cette décision ne revêtait pas les caractères d'une rupture brutale, puisqu'elle vous confirmait la poursuite des relations sur les bases convenues, jusqu'au terme de l'exploitation du second moule ".
En conséquence, au regard de ces éléments, il apparaît que la société Ficomirrors au moment de la rupture ne considérait pas que ces fautes, qui sont celles invoquées dans le cadre de cette instance, revêtaient une gravité suffisante pour justifier une rupture immédiate sans préavis.
Ainsi, la société Ficomirrors n'invoquant pas de fautes suffisamment graves justifiant une rupture immédiate des relations commerciales avec la société Brea, et ayant rompu les relations en octroyant à celle-ci un délai de préavis, ne peut aujourd'hui faire valoir ces fautes pour réduire la durée du préavis ou caractériser l'absence de brutalité de la rupture.
Les griefs de la société Ficomirrors à l'encontre de la société Brea ne peuvent, dans ces conditions, plus être utilement invoqués pour démontrer que la rupture n'a pas été brutale.
Le préavis suffisant
La société Brea relève que :
- le préavis de trois mois imposé par la société Ficomirrors est manifestement insuffisant,
- dans le domaine de la fonderie il est particulièrement difficile et long de retrouver un nouveau marché,
- c'est au moins un délai de préavis minimal de six mois qui aurait dû être respecté,
- le fait d'entretenir son cocontractant dans l'illusion d'un renouvellement sachant que l'on s'est d'ores et déjà adressé à un tiers pour la fabrication de celui-ci est déloyal.
La société Ficomirrors indique que :
- le délai de trois mois et demi laissé à la société Brea était suffisant pour un courant d'affaires entretenu pendant trois ans et onze mois,
- la société Brea n'était pas en situation de dépendance économique : un seul marché pour la production d'une pièce dont le cycle de production avait été conclu et arrivait à son terme,
- le délai de préavis n'a pas été fixé de manière arbitraire et vexatoire,
- elle a respecté le délai de préavis, et en s'appuyant sur le montant mensuel de ses propres facturations, la société Brea présente une vision subjective de l'évolution du volume d'affaires, qui accentue artificiellement la baisse de son activité,
- au contraire, la représentation des commandes et des livraisons rend compte de manière objective de l'évolution du volume d'affaires,
- les documents comptables communiqués ne sont pas probants.
Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé avec l'auteur de la rupture, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables dédiées à la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent.
Il est de principe que le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis.
Ainsi, si les griefs invoqués par la société Ficomirrors à l'égard de la société Brea étaient effectivement connus d'elle, celle-ci étant régulièrement avisée de ceux-ci par courriels pendant toute la durée des relations commerciales, ils ne peuvent être utilement invoqués pour soustraire à la rupture dont il est question son caractère brutal, la société Ficomirrors n'évoquant pas explicitement la fin de leurs relations commerciales dans lesdits courriels et ne signifiant pas une date de fin de celles-ci avant la réunion du 14 novembre 2011 confirmée par courriers du 17 novembre 2011.
Il n'est pas ailleurs pas démontré que la société Ficomirrors laissait espérer à la société Brea la poursuite de leurs relations commerciales, contrairement à ce que soutient la société Brea.
En l'espèce, les relations commerciales établies entre les parties ont débuté le 16 janvier 2006. Ainsi, au jour de la rupture le 17 novembre 2011, les relations commerciales établies ont duré presque 6 années.
La société Brea ne précise pas son chiffre d'affaires total et ne communique comme pièce comptable que des listings internes correspondant au compte client Ficomirrors.
Il en ressort que son chiffre d'affaires avec la société Ficomirrors est en 2009 de 288 708,37 euros, en 2010 de 461 352,83 euros et en 2011 de 435 186,81 euros au 17 novembre 2011.
La société Ficomirrors, qui conteste les chiffres avancés par la société Brea, communique comme seul document comptable un listing interne correspondant au compte client Brea pour la seule année 2011, duquel il apparaît que le chiffres d'affaires réalisé entre les parties en 2011 au jour de la rupture est de 390 007,47 euros.
Cette différence n'est justifiée par aucune partie.
Il convient de relever par ailleurs, que les seules commandes entre les mois de juin et novembre 2011, selon les chiffres communiqués par la société Brea, ne peuvent suffire à établir le flux d'affaires entre les parties, ce point devant s'apprécier sur une période plus longue, en général trois années, pour être probante.
Dans ces conditions, à défaut pour la société Brea d'apporter la preuve des éléments chiffrés qu'elle avance, il y a lieu de retenir la somme de 390 007,47 euros sur 10 mois et demi au titre du flux d'affaires moyen entre les parties, seule somme corroborée et reconnue par la société Ficomirrors, cette dernière ne demandant pas, par ailleurs, la prise en compte d'une période plus longue pour déterminer le flux d'affaires moyen et représentatif entre les parties.
Enfin, la société Brea ne démontre pas la spécificité du secteur d'activité de la fonderie d'aluminium.
Eu égard à l'ensemble de ces éléments et du temps nécessaire pour que la société Brea puisse se ré-organiser et re-déployer son activité, le préavis de 3 mois et demi était suffisant.
Dès lors, il apparaît que la rupture des relations commerciales établies par la société Ficomirrors avec la société Brea n'est pas brutale.
Il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point.
Sur l'effectivité du préavis
La société Brea fait valoir que le préavis n'a pas été respecté par la société Ficommirrors jusqu'à son expiration, alors que la société à l'initiative de la rupture a l'obligation de maintenir un niveau de commandes au moins égal aux quantités commandées et fournies pendant les dernières années de la relation d'affaires.
La société Ficomirrors explique que la baisse des commandes ne lui est pas imputable en ce qu'une baisse d'activité est habituellement observée chaque fin d'année, que le sous-traitant a résorbé son retard accumulé et que la pièce en production est arrivée alors en fin du cycle de vie. Elle fait également valoir que :
- le taux de marge allégué par la société Brea n'est pas objectivement justifié,
- le calcul n'est appuyé sur aucun élément de la comptabilité de la société Brea.
La société Brea ne communique aucune pièce comptable probante, les listings communiqués en pièce 13 par l'intimée sont des extraits de comptabilité de la société Brea, qui ne sont corroborés par aune autre pièce. Ainsi, l'attestation interne à la société Brea considérée comme cohérente par le commissaire aux comptes ne peut être jugée suffisamment probante, en ce que les factures, bons de commandes et bordereau de livraison communiqués sont contestés par la société Ficomirrors, au motif qu'elle n'a pas signé les bons de livraison, et qu'elle n'est corroborée par aucune autre pièce extérieure à la société Brea.
Les parties s'opposent sur le nombre de pièces commandés et livrées et sur le critère à prendre en compte, à savoir le nombre de pièces commandées ou livrées.
Il y a lieu de se référer au nombre de pièces commandées par l'auteur de la rupture doit être pris en compte et non celui des pièces livrées.
Selon la société Brea, elle a vendu au mois de novembre 2011, 23 075 pièces (soit 11 537 pendant le préavis à compter du 17 novembre), au mois de décembre 2011, 8 500 pièces, au mois de janvier 2012, 13 500 pièces et au mois de février 2012, 7 550 pièces, soit un total de 41 137 pièces pendant la durée du préavis. Au contraire, la société Ficomirrors soutient qu'elle a commandé 27 075 pièces au mois de novembre 2011 (soit 13 537 pendant la durée du préavis), aucune pièce au mois de décembre 2011, 12 500 au mois de janvier 2012 comme au mois de février suivant, soit un total de 38 537 pièces pendant la durée du préavis, mais le compte client Brea de la société Ficomirrors démontre que 43 425 pièces ont été livrées sur la même période.
Les quantités déterminées ci-dessus établissent que le chiffre d'affaires moyen mensuel réalisé par la société Brea avec la société Ficomirrors est de 37 143 euros, correspondant à la commande mensuelle de 24 436 pièces, au prix moyen non contesté de 1,52 euros.
Dès lors, il apparaît que le préavis de la société Brea n'a pas été effectif, 12 683 pièces mensuelles ne lui ayant pas été commandées pendant la durée du préavis.
La société Brea a donc perdu un chiffre d'affaires de 67 473,56 euros pendant la durée du préavis.
La société Brea sollicite la réparation de son préjudice sur la base du taux de marge brute de 62,76 %, taux contesté par la société Ficomirrors. En effet, le document remis par la société Brea est un document interne qui n'est corroboré par aucune autre pièce du dossier. Par ailleurs, il y a lieu de tenir compte du taux de marge sur coûts variables pour réparer l'exact préjudice subi, qu'il y a lieu de fixer à 30 %, au regard du secteur d'activité concerné.
En conséquence, le préjudice subi par la société Brea du fait de l'absence d'effectivité du préavis dont elle devait bénéficier, la société Ficomirrors n'ayant pas maintenu le niveau de commande à celui antérieur à la rupture, doit est évalué à la somme de 20 242 euros.
Le jugement doit être infirmé en ce qu'il a condamné la société Ficomirrors à payer à la société Brea le somme de 44 897,75 euros au titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis, majorée du taux d'intérêt légal à compter du 24 mai 2012, et il y a lieu de condamner la société Ficomirrors à payer à la société Brea le somme de 20 242 euros, majorée du taux d'intérêt légal à compter du 15 juin 2015, date du jugement, à titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis.
Sur la demande au titre des droits de propriété intellectuelle
La société Brea explique que :
- il ne s'agit pas d'indemniser la fabrication matérielle du moule en tant que telle mais sa conception et sa création issue de son savoir-faire,
- il est prévu dans les conditions générales de la fonderie européenne et reconnues par la jurisprudence que le fondeur reste titulaire de la propriété intellectuelle sur les outillages qu'il a conçus,
- elles étaient expressément visées dans l'offre de prix proposée par elle-même et elles n'ont pas été exclues de l'acceptation de cette offre par la société Ficomirrors dans son bon de commande du 19 janvier 2006, cette dernière n'ayant également pas protesté lorsqu'elle s'est vue notifier le 8 janvier 2009, l'édition de janvier 2009 des conditions générales contractuelles des fonderies européennes.
La société Ficomirrors soutient que :
- la société Brea ne justifie d'aucun droit de propriété intellectuelle, le moule en question n'ayant pas été déposé à titre de marque ou de brevet, le moule ne pouvant pas davantage bénéficier d'une protection au titre des dessins et modèles, dans la mesure où la forme du moule n'est pas le produit de la fantaisie de son créateur mais est au contraire entièrement gouvernée par sa fonction, la société Brea ne peut revendiquer de droit d'auteur sur la réalisation du moule, ne l'ayant pas produit pour en avoir confié la fabrication à la société MIC, sur la base des plans et présentations 3D fournis par elle,
- la société Brea ne lui a jamais restitué les moules et ne lui en a pas transmis les plans numérisés,
- les conditions générales communiquées le 9 janvier 2009 sont postérieures à la conclusion du contrat, trois ans plus tôt, et n'ont donc pas vocation à régir les relations des parties,
- si l'offre de prix du 11 septembre 2006 visait les conditions générales des Fonderies Européennes, force est de constater que ces conditions générales n'ont pas été adjointes à cette offre, ni soumises à son acceptation et ne sont donc pas entrées dans la convention des parties.
En application de l'article 9 du Code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Si l'offre de prix de la société Brea concernant la commande du 19 janvier 2006 vise les conditions de vente des fonderies européennes, il n'est pas démontré que cette mention a été acceptée par la société Ficomirrors, cette offre n'étant pas signée et le contrat constituant la commande entre les parties, qui seul caractérise la portée de leur engagement, n'y fait pas référence. En tout état de cause, la seule référence aux conditions de ventes des fonderies européennes sans que les clauses ne soient reprises dans la commande ne peut valoir acceptation par la société Ficomirrors.
Par ailleurs, la communication par la société Brea de ses conditions générales contractuelles des fonderies européennes le 8 janvier 2009, dont une des clauses stipule notamment que " le prix des outillages de fabrication conçus ou réalisés par le fondeur ne comprend pas la propriété intellectuelle du fondeur sur ces outillages, c'est-à-dire l'apport de son savoir-faire ou de ses brevets pour leur étude et leur mise au point ", ne peut constituer son accord sur des conditions particulières quant à la commande des moules du 19 janvier 2006.
Les conditions générales contractuelles des fonderies européennes ne sont donc pas opposables à la société Ficomirrors par la société Brea.
Au surplus, il convient de relever que la société Brea ne détaille aucun droit particulier de propriété intellectuelle qui pourrait faire l'objet d'une indemnisation ou du paiement de redevance, la seule revendication de " droits de propriété intellectuelle " ne peut suffire à caractériser un droit.
Il y a donc lieu de débouter la société Brea de sa demande de ce chef.
Le jugement doit être infirmé en ce qu'il a condamné la société Ficomirrors à payer à la société Brea le somme de 40 000 euros au titre de l'indemnisation du droit de propriété intellectuelle, majorée du taux d'intérêt légal à compter du 24 mai 2012.
Sur la demande reconventionnelle de la société Ficomirrors
La société Ficomirrors demande la condamnation de la société Brea à l'indemniser :
- des frais engagés du fait de ses carences, mesures prises pour limiter les retards de livraison, des conséquences de la non-conformité des pièces reçues (tri, retouches, rebut) ou des dépenses requises pour l'équipement d'un fournisseur de substitution,
- des dépenses engagées par cette dernière à hauteur totale de 33 652,56 euros, pour confier à un sous-traitant le tri des pièces reçues et éviter ainsi que les pièces défectueuses ne viennent désorganiser les chaînes d'assemblage,
- de son stock non conforme de 1 600 pièces, qui représente une dépense de 920 euros HT, soit 1 100,32 euros TTC, ou à défaut la mise au rebut, pour une somme de 15 000 euros,
- du coût de création de nouveaux moules, à un stade de la production qui ne permettait plus d'en envisager l'amortissement normal, soit une somme de 52 000 euros.
La société Brea conteste cette demande au motif qu'elle n'est fondée que sur des factures émises par la société Ficomirrors, que les fautes qui lui sont reprochées ne sont pas établies et que le seul courriel (pièce 116) ne peut démontrer tant le principe du solde de pièces non conformes que le montant de celles-ci.
Aux termes de l'article 1315 al. 1 ancien du Code civil, applicable en l'espèce, " Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ".
Les factures émises par la société Ficomirrors (pièces 114) ne peuvent à elles seules établir une obligation de paiement à son égard par la société Brea, l'appelante ne visant pas les dispositions contractuelles entre les parties fondant le principe comme les montants réclamés. Elles ne justifient pas les montants réclamés au titre des frais qu'elle soutient avoir engagés du fait des fautes de la société Brea.
En outre, le listing interne (pièce 115) ne peut démontrer que la société Brea est responsable du paiement par elle de ces sommes, tant le principe que le montant réclamé n'étant là encore pas établis.
Enfin, le principe du remboursement par la société Brea de la facture de 52 000 euros au titre d'un nouveau moule que la société Ficomirrors réclame n'est pas démontré par la société Ficomirrors qui a choisi de rompre ses relations commerciales avec la société Brea, ce d'autant que celle-ci soutient qu'un nouveau moule devait être commandé en tout état de cause.
Il y a donc lieu de débouter la société Ficomirrors de ses demandes reconventionnelles. Le jugement doit être confirmé sur ce point.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Ficomirrors, partie perdante, doit être condamnée aux dépens d'appel.
Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile. Il y a donc lieu de rejeter la demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile des sociétés Ficomirrors et Brea.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement sauf en ce qu'il a : - condamné la société Ficomirrors à payer à la société Brea les sommes de * 44 897,75 euros au titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis, majorée du taux d'intérêt légal à compter du 24 mai 2012, * 40 000 euros au titre de l'indemnisation du droit de propriété intellectuelle, majorée du taux d'intérêt légal à compter du 24 mai 2012 ; L'infirme sur ces points, et statuant à nouveau, Condamne la société Ficomirrors à payer à la société Brea le somme de 20 242 euros, majorée du taux d'intérêt légal à compter du 15 juin 2015, au titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis ; Déboute la société Brea de sa demande en paiement au titre de ses droits de propriété intellectuelle ; Y ajoutant, Condamne la société Ficomirrors aux dépens d'appel ; Rejette toute autre demande.