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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 12 avril 2018, n° 17-20071

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cano (SAS)

Défendeur :

Celio International (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Fertier, Le Pechon, Kieffer Joly, Titone

T. com. Paris, du 23 oct. 2017

23 octobre 2017

Faits et procédure

La société Cano est une société française qui conçoit, fabrique et distribue des articles de prêt-à-porter. La société Célio international, de droit belge (ci-après " la société Célio ") est une holding et centrale d'achats pour les magasins de prêt-à-porter de l'enseigne " Célio ".

La société Célio s'approvisionnait régulièrement depuis 2007 en articles de prêt-à-porter distribués par la société Cano. Le volume d'affaires réalisé a diminué progressivement entre les années 2012 et 2013 et entre les années 2013 et 2014. À partir de l'été 2016, la société Cano n'a plus enregistré aucune commande pour la saison suivante.

S'estimant victime d'une rupture brutale de relations commerciales établies, la société Cano a fait assigner la société Célio par acte du 28 septembre 2016 devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir réparation de son préjudice. La société Célio a soulevé l'incompétence du Tribunal de commerce de Paris au bénéfice des juridictions belges, sur le fondement d'une clause attributive de juridiction figurant dans les conditions générales d'achat signées par les parties.

Par jugement rendu le 23 octobre 2017, le Tribunal de commerce de Paris s'est déclaré incompétent et a renvoyé la société Cano à mieux se pourvoir. Il a :

condamné la société Cano à payer à la société Célio la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

condamné la société Cano aux dépens.

Vu l'appel interjeté le 6 novembre 2017 par la société Cano à l'encontre de cette décision,

Vu les dernières conclusions signifiées le 22 janvier 2018 par la société Cano, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

Vu l'article 25 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I bis) (anciennement article 23 du règlement (CE) du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale),

Vu l'article 7 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I bis) (anciennement article 5 du règlement (CE) du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale),

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces,

- recevoir la société Cano en ses conclusions,

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- juger que la clause attributive de compétence au regard du document dans lequel elle est contenue à savoir les conditions générales d'achat ne couvre pas le rapport de droit déterminé que constitue la rupture des relations commerciales entre les parties, de sorte que ladite clause n'est pas applicable au présent litige et ne le régit pas, Subsidiairement et à titre surabondant,

- juger que la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales d'achat de la société Celio International est restrictive et ne vise pas les cas de rupture des relations commerciales établies et est donc inapplicable au litige opposant la société Cano et la société Celio International,

- juger que le présent litige relève de la " matière délictuelle " au sens du règlement n° 1215/2012 et, à ce titre, dire que le Tribunal de commerce de Paris est compétent, le dommage souffert par la société Cano l'étant dans son ressort de compétence, En tout état de cause, dans l'hypothèse où la cour considérerait que le litige entre les parties relève de la " matière contractuelle ",

- juger que le Tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître de la rupture brutale des relations commerciales entre la société Cano et la société Celio International en application de l'article 7. 1.b 1° tiret du règlement 1215/2012, les marchandises vendues par la société Cano à la société Celio International ayant été livrées en France, dans le ressort du Tribunal de commerce de Paris,

Au regard de ce qui précède,

- dire le Tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître de l'action initiée devant lui par la société Cano contre la société Celio International,

- condamner la société Celio International à payer à la société Cano la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la société JRF, avocats aux offres de droit.

Vu les dernières conclusions signifiées le 23 janvier 2018 par la société Célio, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article 23 du Règlement (UE) n° 44/2001 du Parlement européen et du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale,

Vu l'article 25 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière, civile et commerciale,

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

- dire et juger que les conditions générales d'achat ont dûment été acceptées et signées par les deux parties et qu'elles sont dès lors opposables à la société Cano dans le présent litige,

- dire et juger que les conditions générales d'achat sont applicables à la relation commerciale,

- dire et juger que compte tenu des termes de la clause attributive de compétence et de l'intention des parties, tout contentieux relatif à la rupture des relations commerciales se trouve assujetti à ladite clause,

- dire et juger que la portée de la clause attributive de compétence se trouve renforcée par la reconnaissance par le juge communautaire du caractère contractuel de la responsabilité au titre de la rupture des relations commerciales,

- dire et juger que seules les juridictions belges sont compétentes, En conséquence,

- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 23 octobre 2017 qui s'est déclaré incompétent au profit des juridictions belges, En tout état de cause,

- condamner Cano à payer à Celio International la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner Cano aux entiers dépens.

La société Cano estime que la clause attributive de juridiction ne lui est pas opposable dans la mesure où elle ne couvre pas le rapport de droit objet du différend et qu'en tout état de cause, à supposer qu'elle lui soit opposable, elle ne concerne pas les cas de rupture brutale des relations commerciales. Elle rappelle que les conditions générales de vente et/ou d'achat ont pour objet d'encadrer les opérations de vente et de définir la responsabilité de chacune des parties, acheteur et vendeur, dans le cadre de la résiliation des contrats de vente, que pour qu'une clause attributive de juridiction puisse s'appliquer à la rupture des relations commerciales établies il faut qu'il ressorte clairement de sa rédaction que les parties ont souhaité y inclure la rupture brutale des relations commerciales établies, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, qu'en effet la référence, dans une clause attributive de juridiction, à " tout litige " n'est pas suffisante, que les conditions générales d'achat de la société Célio ne concernent pas les relations commerciales entre les parties et leur rupture, mais ne traitent que des opérations de vente, qu'en conséquence, les conditions générales ne peuvent s'appliquer aux relations commerciales et à la rupture de celles-ci, puisque la relation commerciale entre les parties ne constitue pas un contrat de vente.

Elle rappelle que la rupture brutale des relations commerciales établies est par nature, selon le droit français, de nature délictuelle, qu'en conséquence, la rupture brutale des relations commerciales établies ne peut entrer dans le champ d'application d'une clause attributive de juridiction qui ne prévoit la soumission à une certaine juridiction que pour les litiges contractuels, qu'en l'espèce, la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales d'achat ne vise pas le rapport de droit déterminé, c'est-à-dire la rupture des relations commerciales et la rupture brutale de celles-ci. En l'espèce, la clause attributive de juridiction ne mentionne pas la rupture brutale des relations commerciales établies mais uniquement les litiges découlant de l'interprétation ou de l'exécution du contrat. En application de la jurisprudence française, la rupture brutale n'aurait pas dû être soumise à la clause, puisque celle-ci est d'interprétation stricte. Elle ajoute en outre qu'aucune convention n'a été conclue à la manière d'un contrat cadre pour organiser cette relation commerciale. Elle rappelle que la juridiction compétente en matière de rupture brutale de relations commerciales est celle du lieu où le fait dommageable s'est produit. Elle rappelle que si une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce peut être considérée, dans un litige international, comme relevant de la matière contractuelle, son action à l'encontre de la société Célio reste néanmoins de nature délictuelle puisque aucun accord cadre écrit ou simplement tacite n'a été passé entre les parties, que le Tribunal de commerce de Paris serait de toutes façons compétent puisque l'article 7,1) premier tiret du règlement Bruxelles 1 Bis dispose que " la juridiction compétente en matière contractuelle est celle du lieu de l'état membre où en vertu du contrat les marchandises ont été ou auraient dû être livrées ", c'est-à-dire en France à Villetaneuse (93430) ou à Croissy (77180).

En réponse, la société Celio fait valoir que la clause attributive de juridiction figurait dans les conditions générales acceptées par la société Cano par la signature d'un bon de commande, que ces conditions générales, par leur formulation " englobante ", peuvent régir de façon exclusive la relation contractuelle car elles désignent avec suffisamment de précision la juridiction belge, que cette clause, valide au regard du règlement Bruxelles I bis, est opposable à la société Cano et s'applique de manière exclusive à l'ensemble du litige, que la jurisprudence interprète largement les clauses attributives de juridiction, qu'elle leur fait produire effet, alors même qu'il existerait des dispositions impératives contraires, qu'elles s'appliquent, comme en l'espèce, à des litiges internationaux et non internes, que le fait qu'en droit français, l'action fondée sur la rupture brutale des relations commerciales ait été qualifiée d'action de nature délictuelle est indifférent, qu'une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies ne relève pas de la matière délictuelle mais de la matière contractuelle, qu'en effet, la matière délictuelle ou quasi délictuelle comprend " toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d'un demandeur et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle " (CJUE, 13 mars 2014, Brogsitter, C-548/12), que dès lors l'action en responsabilité à raison des fautes commises dans la rupture de contrats portant sur les conditions de résiliation de ces contrats consiste en un manquement aux obligations contractuelles, telles qu'elles peuvent être déterminées compte tenu de l'objet des contrats en cause, que cette solution de la CJUE s'impose aux juridictions françaises en raison de la primauté du droit de l'Union européenne sur le droit interne.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce LA COUR,

Considérant qu'aux termes de l'article 48 du Code de procédure civile, la clause dérogeant aux règles de compétence territoriale est admise dès lors qu'elle a été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle a été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée ;

Qu'en matière internationale, l'article 23 du Règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 applicable à l'époque des faits de l'espèce, reconnaît la validité de la clause attributive de juridiction aux seules conditions que l'une des parties au moins soit domiciliée dans un Etat signataire, que la situation soit internationale et que la juridiction désignée soit celle d'un Etat contractant ;

Considérant qu'en l'espèce, il résulte des éléments versés aux débats que les relations contractuelles liant les sociétés Celio et Cano étaient régies par des conditions générales d'achat signées par les deux parties en 2007, dont la validité n'est pas contestée, aux termes desquelles il était expressément prévu que " de convention expresse, les parties attribuent compétence au tribunal belge compétent dans le ressort duquel est situé le siège social de Celio International, pour toute contestation relative à l'interprétation et/ou l'exécution des présentes conventions " ;

Qu'une telle clause désigne avec suffisamment de précision la juridiction étrangère belge ;

Qu'aucun autre contrat n'a été signé entre les parties et les relations commerciales se sont poursuivies sur ces bases, étant précisé, suivant le préambule desdites conditions générales d'achat que " l'acceptation des conditions générales d'achat par le fournisseur constitue une condition essentielle et déterminante des présentes relations commerciales ", démontrant ainsi suffisamment l'engagement des parties ;

Que de plus, il résulte du contenu des conditions générales d'achat que celles-ci couvrent non seulement les conditions des achats de marchandises, mais également tous les éléments essentiels des relations commerciales entre elle et son fournisseur, allant de la commande jusqu'au paiement, y compris les délais de livraison, les pénalités de retard, les défauts de fabrication, l'usage de la marque, la force majeure etc., et ce pendant toute la période des relations commerciales entre les parties, ces dernières n'ayant conclu aucun autre contrat pour régir leurs relations ;

Que les parties ont clairement entendu soumettre à la clause attributive de juridiction toutes les contestations relatives à " l'interprétation et/ou à l'exécution " de la convention, ce qui est suffisamment large pour couvrir les circonstances dans lesquelles l'exécution de cette convention cesse, y compris la rupture des relations contractuelles ;

Considérant en outre que l'action en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de relations commerciales établies sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° entre bien dans la sphère du litige découlant de la relation contractuelle, nonobstant la qualification délictuelle de cette rupture en droit interne, la CJUE ayant rappelé que l'action fondée sur la rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6 5° est de nature contractuelle ;

Qu'il s'ensuit que, comme l'a relevé à juste titre le tribunal, compte tenu de l'existence avérée d'un contrat commercial entre deux parties issues de deux Etats membres et d'une clause attributive de compétence, le litige doit être porté devant la juridiction choisie par les parties ;

Que la juridiction belge a été choisie par les parties ;

Que c'est dès lors à juste titre que le Tribunal de commerce de Paris s'est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;

Qu'il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges ;

Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande additionnelle d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile formée par la société Celio ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, condamne la société Cano à payer à la société Celio International la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.