CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 10 avril 2018, n° 17-15593
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
ZPH Old Pine (Sté)
Défendeur :
Tradis (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guihal
Conseillers :
Mme Salvary, M. Lecaroz
Avocats :
Mes Houssais, Lief
De 2008 à 2011, la société Tradis sp. ZO.O, devenue la société DSG Prod Polska, société de droit polonais, achetait puis revendait des articles de décoration et d'ameublement fabriqués par la société ZPH Dekor Gips, devenue la société ZPH Old Pine (ZPH).
À compter de 2011, date de constitution de la société Tradis, société de droit français, les relations commerciales ont été établies entre celle-ci et ZPH. Un Commercial Agreement a été signé en 2013 entre les parties. En octobre 2016, ZPH a informé Tradis de sa volonté de cesser leur relation avec un préavis de un mois, ce que Tradis n'a pas été accepté.
Tradis a assigné ZPH devant le Tribunal de commerce de Rennes en dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce. ZPH a soulevé l'incompétence territoriale du tribunal.
Par un jugement rendu le 8 juin 2017, le Tribunal de commerce de Rennes a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par ZPH. Les premiers juges ont retenu leur compétence territoriale en ce que le lieu où le fait dommageable s'était produit se trouvait dans le ressort du tribunal de commerce compétent en application de l'article D. 442-3 du Code de commerce et en ce que ZPH ne démontrait pas " d'éventuels liens manifestement plus étroits avec la Pologne plutôt qu'avec la France ".
ZPH a formé contredit de ce jugement le 2 août 2017.
A l'audience du 25 janvier 2018, cette cour a soulevé d'office le moyen tiré de la nature possiblement contractuelle de l'action pour rupture brutale de relations commerciales établies au sens du Règlement Bruxelles I bis du 12 décembre 2012 et a renvoyé contradictoirement l'affaire à l'audience du 6 mars 2018.
Dans ses dernières conclusions remises et soutenues lors de l'audience du 6 mars 2018, ZPH demande à la cour de constater que son contredit n'est pas tardif, d'infirmer le jugement, de dire que la juridiction compétente pour juger le litige est celle du siège de ZPH, à Sieradz en Pologne, de rejeter les demandes de Tradis et de la condamner à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens.
Dans ses dernières conclusions remises et soutenues lors de l'audience du 6 mars 2018, Tradis demande à la cour de confirmer le jugement, de renvoyer les parties devant le Tribunal de commerce de Rennes et de condamner ZPH à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens.
SUR QUOI,
Considérant que l'article 66 § 1 du Règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (le Règlement Bruxelles I bis) dispose que " Le présent règlement n'est applicable qu'aux actions judiciaires intentées, aux actes authentiques dressés ou enregistrés formellement et aux transactions judiciaires approuvées ou conclues à compter du 10 janvier 2015 " ;
Considérant que la présente instance ayant été introduite par une assignation délivrée le 13 janvier 2017, le Règlement Bruxelles I bis est applicable ;
Considérant qu'aux termes de l'article 7, point 2, du règlement Bruxelles I bis, tel qu'interprété par la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE 14 juillet 2016 aff. C-196/15 Granolo SpA c. Ambrosi Emmi France SA), une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de ce règlement s'il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite reposant sur un faisceau d'éléments concordants, parmi lesquels sont susceptibles de figurer notamment l'existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée ; que dès lors, une relation commerciale poursuivie pendant plusieurs années, caractérisée par des contrats de vente conclus entre les parties, assortis de conditions générales, relève de la matière contractuelle ;
Considérant que Tradis a assigné ZPH aux fins d'obtenir réparation de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ; que ces relations commerciales ont été établies tacitement à compter de l'année 2011, puis ont été régies par un Commercial Agreement conclu entre les parties en 2013 ; que cette relation s'est manifestée par des ventes régulières d'articles de décoration et d'ameublement fabriqués par ZPH pour Tradis ;
Considérant que l'action de Tradis relève de la matière contractuelle au sens du Règlement Bruxelles I bis ;
Considérant que le Commercial Agreement ne contient aucune clause de prorogation de compétence ;
Considérant que l'article 7 du Règlement Bruxelles I bis dispose que " Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre 1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande ; b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est [...] pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées " ;
Qu'aucune convention contraire aux dispositions de l'article 7.1 a) et b) fixant le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande n'a été conclue entre les parties ;
Que le lieu de livraison prévu par l'article 7, 1, b du règlement Bruxelles I bis constitue critère de rattachement autonome et vise à désigner directement le for compétent sans renvoyer aux règles internes des États membres et sans se référer au droit matériel applicable au contrat (CJCE, 3 mai 2007, Color Drack, aff. C-386/05 - CJUE, 25 févr. 2010, Car Trim GmbH, aff. C-381/08 - CJUE, 9 juin 2011, Electrosteel Europe SA, aff. C-87/10) ;
Considérant que pour dire que le lieu des livraisons des marchandises était situé en France, Tradis France verse aux débats :
- deux lettres de voitures CMR,
- des bons de commande à en-tête " Tradis " ;
- un échange de courriels entre les sociétés ;
Mais considérant que les échanges de courriels n'indiquent aucun lieu de livraison ; que les deux lettres de voiture (pièce n° 7) ne comportent que les cachets humides de Tradis, d'un transporteur polonais et d'une société tierce, qui n'est pas désignée comme destinataire, sans que soient précisés la nature des marchandises et le lieu de leur livraison ; que ces documents de transport terrestre ne permettent pas de considérer qu'ils concernent les marchandises vendues par ZPH et que leur destination serait la France ; que les bons de commande versés aux débats sont ceux adressés par Tradis à ses clients et non ceux de Tradis pour la commande des marchandises à ZPH ; qu'aucun document n'est produit permettant de considérer que ZPH vendait ses marchandises sur la base de ces bons de commande ; que la preuve de ce que les marchandises vendues par ZPH à Tradis devaient être livrées en France n'est donc pas rapportée ;
Considérant que faute pour Tradis France de justifier d'une compétence spéciale des juridictions françaises résultant de l'article de l'article 7 du Règlement Bruxelles I bis, il y a lieu de faire application des dispositions générales de ce texte ;
Que l'article 4 § 1 du Règlement Bruxelles I bis prévoit que " sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre " ;
Considérant que ZPH est domicilié Chorzew 3 - 98-358 Kielczyglow Woj - Lodzkie en Pologne, le Tribunal de commerce de Rennes n'est pas compétent ; qu'il convient donc d'infirmer le jugement et de renvoyer Tradis France à mieux se pourvoir ;
Considérant que succombant à l'instance, Tradis France est condamnée à payer à ZPH la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens ;
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement, Dit que le Tribunal de commerce de Rennes n'est pas compétent, Renvoie Tradis à mieux de pourvoir, Condamne Tradis à payer à ZPH Old Pine la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Tradis aux dépens.