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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 5 avril 2018, n° 15-04217

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

France Mouillage Offset (SARL)

Défendeur :

Imprim'Action (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Clozel-Truche

Conseillers :

Mmes Pages, Blanchard

T. com. Vienne, du 17 sept. 2015

17 septembre 2015

La SARL France Mouillage Offset (FMO) commercialise des produits de mouillage pour l'imprimerie offset et détient l'exclusivité de la distribution en France des produits de la marque Prisco.

Dans le courant de l'année 2011, des négociations ont été entreprises par ses deux associés en vue de sa cession à M. X, salarié en qualité de directeur commercial par la société FMO, et M. Y, gérant de la SARL Imprim'Action, avec laquelle la société FMO était déjà en relations d'affaires et qui commercialisait les additifs et produits de la société FMO.

Les négociations relatives au rachat ont échoué en juillet 2012, et M. X démissionnait de son emploi à effet du 30 octobre 2012.

Par ailleurs, en juin 2013, il était mis fin aux relations commerciales entre la société FMO et la société Imprim'Action.

Par ordonnance en date du 24 janvier 2014, le président du Tribunal de commerce de Vienne a fait droit à la requête présentée par la société FMO aux fins d'être autorisée par ministère d'huissier à effectuer toutes constatations quant à la nature et au volume des relations commerciales entre la société Imprim'Action et les clients de la société FMO.

L'ordonnance sur requête a été signifiée le 26 mars 2014, date à laquelle il a été procédé aux différents constats, au siège social de la société Imprim'Action.

Par ordonnance en date du 11 septembre 2014, le juge des référés de Vienne jugeait qu'il n'y avait pas lieu à rétractation de l'ordonnance sur requête.

Par ailleurs, sur la requête de la société Imprim'Action, une ordonnance du 19 février 2014 a enjoint à la société FMO le paiement de la somme de 2 917,33 euros au titre d'une facture de commissions du mois de mai 2013. La société FMO a formé opposition le 22 avril 2014.

Par jugement du 17 septembre 2015, le Tribunal de commerce de Vienne a :

- ordonné la jonction des deux instances ;

- rejeté l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer du 19 février 2014 ;

- condamné la société France Mouillage Offset à payer à la société Imprim'Action la somme de 2 917,33 €, outre intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 2013 ;

- débouté la société France Mouillage Offset de ses demandes fondées sur l'existence d'acte de concurrence déloyale ;

- rejeté la demande d'amende civile et de dommages-intérêts ;

- condamné la société France Mouillage Offset à payer à la société Imprim'Action la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société France Mouillage Offset aux dépens.

La société FMO a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 12 octobre 2015.

Au terme de ses conclusions notifiées par voie électronique le 6 janvier 2016, auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé détaillé de ses moyens, la société FMO demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris ;

- condamner solidairement la société Imprim'Action et M. Hervé D. à lui payer une somme de 98 940 € à titre de dommages et intérêts ;

- condamner les mêmes au paiement de 15 000 € en réparation du préjudice d'image ;

- ordonner la publication du jugement dans trois journaux ou revues au choix de la requérante et aux frais de la société Imprim'Action dans la limite de 7 500 € ;

- condamner solidairement M. Y et la société Imprim'Action au paiement d'une somme de 50 000 € au titre de la perte de clientèle ;

- les condamner au paiement de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- les condamner solidairement aux entiers dépens de l'instance incluant les frais du procès-verbal dressé par Maitre Z, huissier de justice, ainsi que les frais de l'expert informatique qu'elle s'est adjoint.

La société FMO fait grief à la société Imprim'Action d'avoir, à compter du mois de juillet 2012 commercialisé à son insu des produits concurrents, d'avoir remplacé systématiquement auprès de sa clientèle les produits de la marque Prisco vendus par FMO, par d'autres additifs, et d'avoir ainsi détourné sa clientèle, en profitant de sa notoriété et de sa compétence.

Elle fait valoir que :

- M. Y, lors de sa participation aux discussions sur la reprise des parts sociales de la société FMO, a eu accès à des informations commerciales sensibles concernant cette dernière.

- en sa qualité d'agent commercial de la société FMO, la société Imprim'Action était tenue à l'égard de sa mandante d'une obligation de loyauté et d'un devoir d'information réciproque ;

- alors que son activité principale est une activité de conseil et de formation, l'examen des comptes de résultat de la société Imprim'Action révèle, entre les exercices 2012 et 2013, une augmentation considérable de son activité de négoce, alors que dans le même temps le montant de ses commissionnements par FMO diminuait de manière drastique.

Selon ses conclusions notifiées par voie électronique le 4 mars 2016, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé détaillé de ses moyens, la société Imprim'Action entend voir :

A titre principal :

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Vienne le 17 septembre 2015 ;

En conséquence,

- débouter la société FMO de l'intégralité de ses demandes ;

- confirmer l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 19 février 2014 ;

- condamner la société FMO à payer à la société Imprim'Action la somme en principal de 2.917,73 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la date du 25 septembre 2013 ;

A titre reconventionnel :

- condamner la société FMO à verser à la société Imprim'Action la somme de 4 000 euros au titre de l'appel abusif ;

- condamner la société FMO à verser à la société Imprim'Action la somme de 25 000 euros à titre de dommages intérêts pour le préjudice subi ;

En tout état de cause,

- condamner la société FMO à verser à la société Imprim'Action la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société FMO aux entiers dépens.

La société Imprim'Action soutient que :

-la liberté de la concurrence autorise à démarcher la clientèle d'un concurrent ;

- elle n'était tenue à aucune obligation contractuelle de non concurrence, n'ayant souscrit avec la société FMO aucun contrat de d'agent commercial ou d'apporteur d'affaires, ni contracté aucune obligation d'exclusivité ;

- dans le cadre des négociations sur la cession de la société FMO, elle n'a pas eu accès à des informations sur les pratiques commerciales de cette dernière ;

- la hausse de son chiffre d'affaires est intervenue dans un domaine où il n'existe aucune concurrence entre les deux sociétés s'agissant de reventes d'un stock d'encre ;

- ses relations commerciales avec les clients de FMO étaient antérieures aux relations commerciales entre elles, ayant été créées à l'occasion de l'activité de formation de M. Y, qui a apporté cette clientèle à FMO.

Motifs de la décision :

1) Sur les actes de concurrence déloyale :

Le principe de la liberté du commerce autorise le commerçant à gérer à sa convenance son entreprise sur un marché concurrentiel et lui confère la liberté d'attirer la clientèle y compris de ses concurrents, sans engager sa responsabilité, sous réserve du respect des usages loyaux du commerce.

Ainsi est constitutif de concurrence déloyale, le fait de détourner la clientèle d'un concurrent, de nuire à ses intérêts par des moyens contraires à la loi, aux usages ou à l'honnêteté professionnelle.

La société FMO se prévaut de la déloyauté dont la société Imprim'Action a fait preuve dans l'exécution de son mandat d'agent commercial et du détournement de clientèle à laquelle elle s'est ainsi livrée.

Sur le mandat d'agent commercial :

La société FMO soutient que la société Imprim'Action exerçait pour son compte une activité d'agent commercial.

L'article L. 134-1 définit l'agent commercial comme un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.

Les différents documents commerciaux soumis à la cour font apparaître, ce qui n'est contesté par aucune des parties, que la société Imprim'Action et son gérant, M. Y, ont assuré au cours des années 2011 et 2012, la distribution des produits de mouillage de la marque Prisco, commercialisés par la société FMO, adressant à des clients des offres commerciales sur ces produits et recevant des commandes, activité pour laquelle elle percevait des commissions facturées chaque mois à la société FMO.

Cette activité de commercialisation n'a donné lieu à l'établissement d'aucun contrat écrit ni entre les deux sociétés, ni entre la société FMO et Monsieur D..

La société Imprim'Action est inscrite au registre du commerce et des sociétés au titre d'une activité principale d'assistance technique, de conseil et formation et d'intermédiaire de commerce dans le secteur de l'imprimerie. Elle n'est pas immatriculée au registre des agents commerciaux.

Les échanges de courriels produits par la société FMO démontrent que cette dernière démarchait elle-même sa clientèle, qu'elle négociait et fixait elle-même ses prix de vente, mais déterminait un prix de cession des mêmes produits, spécifique à la société Imprim'Action.

Pour autant, les éléments soumis à l'appréciation de la cour ne permettent pas de constater que la société Imprim'Action disposait d'une marge de négociation sur les prix de vente qui lui étaient communiqués, ni qu'elle distribuait pour son propre compte les produits commercialisés par FMO, puisque si elle présentait des offres commerciales sous sa propre entête, elle indiquait clairement qu'elles portaient sur des produits de la société FMO et que cette dernière facturait directement le client final.

Comme le reconnaît elle-même la société FMO dans ses écritures, M. Y, gérant de la société Imprim'Action, a exercé pendant de nombreuses années une activité de conseil et de formation à titre individuel et s'est constitué par ce biais un réseau relationnel important dans le milieu professionnel de l'imprimerie.

Les attestations versées par la société Imprim'Action démontrent que de nombreux clients ont noué avec elle des relations commerciales à raison des compétences techniques de M. Y et que ce dernier, dans le cadre des prestations réalisées auprès d'eux, leur a fait connaître les produits de la marque Prisco distribués par la société FMO et leur a également vendu des encres de marque Epple.

Certains de ces témoignages font état de l'intervention de M. X, commercial de la société FMO, d'autres indiquent n'avoir jamais eu aucun contact avec celle-ci.

Ces éléments démontrent que la société Imprim'Action disposait en réalité d'une clientèle propre, incompatible avec un statut d'agent commercial lequel n'exploite que la clientèle de son mandant, et distribuait auprès de cette clientèle les produits de la marque Prisco pour le compte de la société FMO.

Il n'est donc pas démontré ni l'existence d'un contrat d'agent commercial entre la société FMO et la société Imprim'Action qui aurait imposé à cette dernière une obligation particulière d'information et de loyauté ainsi que celle de recueillir un accord préalable à la représentation par ses soins des produits d'une entreprise concurrente ; ni celle d'une exclusivité consentie par la société Imprim'Action dans son activité de négoce.

Cependant, il apparaît que les relations commerciales entre les deux sociétés étaient suivies et non ponctuelles comme tente de le faire croire la société Imprim'Action et que les conditions dans lesquelles cette relation se réalisait sont de nature à caractériser un mandat, la société Imprim'Action représentant la société FMO auprès de sa clientèle et étant rémunérée par cette dernière sur les ventes réalisées.

Dans l'exécution de ce mandat, et même si en l'absence de toute exclusivité et en vertu du principe de liberté du commerce, la société Imprim'Action pouvait choisir de commercialiser d'autres produits que ceux de son mandant, elle était tenue d'une obligation contractuelle générale de loyauté à l'égard de la société FMO.

Cette dernière justifie par la production d'offres commerciales émanant de la société Imprim'Action, qu'à compter du 24 décembre 2012, sa mandataire a proposé à sa clientèle des produits d'une marque concurrente (additif IA-Fount).

Il résulte de la réponse de la société Imprim'Action au courriel du 18 juin 2013 de la société FMO par lequel cette dernière a dénoncé la situation de concurrence et mis un terme immédiat à leurs relations commerciales, qu'elle n'a pas informé sa mandante d'avoir accepté un nouveau mandat de représentation d'une société concurrente.

Bien que non tenue dans les termes des dispositions de l'article L. 134-3 du Code de commerce, la société Imprim'Action a manqué à son obligation de loyauté et ainsi commis une faute dont elle doit répondre à l'égard de sa mandante.

Sur le détournement de clientèle :

La société FMO se prévaut de l'utilisation par la société Imprim'Action d'informations confidentielles obtenues à l'occasion des négociations visant à son rachat.

Aucun des éléments produits aux débats ne permet de constater qu'à l'occasion des négociations qui se sont déroulées entre la société FMO d'une part et Messieurs X et Y. d'autre part, ce dernier a eu communication de données confidentielles relatives à la clientèle, aux prix d'achat, aux marges de la société FMO.

L'expert-comptable de la société Imprim'Action a notamment attesté que M. Y ne lui avait transmis que des bilans et des documents relatifs aux salaires, ce que confirment le témoignage de M. X et un courriel de transmission des bilans 2010 et 2011.

Comme cela a été précédemment relevé, l'activité de conseil et de formation exploitée par M. Y à titre individuel dans un premier temps puis au travers de la société Imprim'Action a conduit à la constitution d'une clientèle propre, identique à celle de la société FMO.

Dans ces conditions, l'augmentation très importante du résultat de l'activité de vente de la société Imprim'Action pour l'exercice clos au 31 août 2013, passant de 50 968 € à 328 023 euros, n'est pas de nature à caractériser un détournement de clientèle, alors en outre qu'elle justifie par deux factures de la société Zeller+Gmelin des 29 juin et 31 août 2012 de l'achat d'un stock d'encres pour un montant total de 19 645, 25 euros, et par l'attestation de son expert-comptable d'achat de fournitures EPPLE (encre) d'un montant total de 197 697 € au titre de l'exercice clos au 31 août 2013.

Sur le parasitisme :

Il ressort des attestations versées aux débats par la société Imprim'Action que cette dernière a bénéficié de la renommée technique acquise de longue date par son gérant et unique associé M. Y dans le secteur d'activité de l'imprimerie offset et que c'est dans le cadre de son activité de conseil et de formation qu'elle a été amenée à commercialiser des produits de mouillage.

La société FMO ne démontre pas le détournement d'une clientèle dont il est manifeste que M. Y et la société Imprim'Action avaient l'antériorité.

La société Imprim'Action ayant engagé sa responsabilité contractuelle en manquant à la loyauté que lui imposait le mandat dont elle était investie, la décision de première instance devra être infirmée en ce qu'elle a déboutée la société FMO de toute demande indemnitaire.

2) Sur la réparation du préjudice :

La société FMO entend établir l'étendue de son préjudice de la perte du chiffre d'affaires qu'elle déduit de la réduction drastique des commissionnements versés à la société Imprim'Action durant le premier semestre 2013.

Cependant, dans le cadre du mandat convenu entre elles, la société Imprim'Action n'était astreinte à la réalisation d'aucun objectif de ventes et avait en conséquence la liberté de commercialiser des volumes de produits qu'elle définissait elle-même. Elle n'était par ailleurs liée par aucune exclusivité dans la distribution de produits de mouillage.

Dès lors, la simple déduction d'une perte de chiffre d'affaires d'un volume plus réduit de commissions est inopérante à démontrer l'étendue d'un préjudice économique en lien de causalité direct avec la seule faute qui puisse être reprochée à la société Imprim'Action et qui consiste dans le défaut d'information de la société FMO de l'acceptation d'un mandat concurrent.

En conséquence, seul un préjudice moral pourra donner lieu à indemnisation à hauteur de 3 000 euros, somme que la société Imprim'Action, seule attraite à l'instance, sera condamnée à payer à la société FMO.

3) Sur la demande reconventionnelle en paiement de la société Imprim'Action :

La facture de commissions dont le paiement est réclamé porte sur des ventes réalisées au mois de mai 2013, soit antérieurement à la rupture des relations commerciales entre les deux sociétés.

Bien que s'opposant à son règlement, la société FMO ne soutient aucun moyen alors même qu'elle a indiqué à sa mandataire dans son courriel du 18 juin 2013 qu'elle honorerait les factures en cours.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société FMO a réglé la somme de 2 917,33 €, outre intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 2013,

La société Imprim'Action, seule attraite devant les juridictions, ne justifie d'aucun préjudice causé par l'instance introduite par la société FMO, dont elle ne démontre par ailleurs, ni la mauvaise foi, ni l'intention de nuire, ni l'erreur équipollente au dol qui rendraient abusif l'exercice de son droit d'agir en justice.

La décision des premiers juges sera donc confirmée en ce qu'elle a débouté la société Imprim'Action de ses demandes de dommages et intérêts.

4) Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :

Compte tenu des circonstances du litige et de leur situation respective, aucune considération d'équité ne conduit à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de l'une ou l'autre des parties.

Les demandes réciproques présentées par les parties seront rejetées.

Chacune succombant aux prétentions de l'autre, elles conserveront la charge des dépens dont elles ont fait l'avance.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Vienne en date du 17 septembre 2015, en ce qu'il a : - rejeté les demandes de dommages et intérêts présentées par la SARL France Mouillage Offset ; - condamné la société France Mouillage Offset à payer à la société Imprim'Action la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procedure civile ; - condamné la SARL FMO aux dépens ; Statuant à nouveau ; Condamne la SARL Imprim'Action à payer à la SARL France Mouillage Offset la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ; Confirme le jugement pour le surplus ; Y ajoutant ; Déboute les parties de leur demandes réciproques en condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Laisse à chaque partie la charge des dépens dont elle a fait l'avance en première instance et en appel.