CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 12 avril 2018, n° 15-12548
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Loc'Active (SARL)
Défendeur :
BM Chimie Lillebonne (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Schaller, du Besset
Faits et procédure :
La société de transport Trans JLJ était liée par un contrat de transport en sous-traitance avec la société de transport Bourgey Montreuil, devenue BM Chimie Lillebonne.
La société de transport Loc'active a repris, en avril 2013, les activités de la société Trans JLJ. Un contrat de sous-traitance a été conclu le 25 avril 2013 entre Loc'active et Bourgey Montreuil.
Par lettre recommandée avec accusé de réception reçue par la société Loc'active le 3 septembre 2013, BM a procédé à la résiliation du contrat la liant à Loc'active.
Soutenant que la société BM ne lui avait pas réglé l'intégralité de ses prestations et n'avait pas respecté un préavis de rupture suffisant, la société Loc'active a assigné BM devant le Tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 29 mai 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société Loc'active de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- débouté la société Bourgey Montreuil de sa demande de dommages-intérêts ;
- condamné la société Loc'active à payer à la société Bourgey Montreuil la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.
Vu l'appel régulièrement interjeté le 15 juin 2015 par la SARL Loc'active ;
Prétentions des parties :
La société Loc'active, par conclusions signifiées le 3 décembre 2015 demande, au visa des articles 1134 alinéa 2 et 1147 du Code civil, L. 441-3 et L. 442-6 I 5° du Code de commerce, 6.2 a, 10.1, 10.2, 12.1 et 12.2 de l'annexe 1 du décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 portant approbation du contrat-type applicable au transport public routier de marchandises exécuté par des sous-traitants, 10.1, 10.3, 10.6 de l'annexe 2, de :
- déclarer la société Loc'active recevable et bien fondée en ses demandes ;
En conséquence,
- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 29 mai 2015 ;
Sur la facture FA 0053 du 31 octobre 2013 :
- condamner la société BM Chimie au paiement de la somme de 19 160,90 euros correspondant au complément de volume minimum garanti, au calcul d'indexation au réel des frais de carburant, à la prise en charge de la prestation exceptionnelle du 16 août 2013, ainsi qu'aux indemnités de retard de paiement ;
- condamner la société BM Chimie au paiement de la somme de 195 euros HT au titre du transport du 16 août 2013 ;
- condamner la société BM Chimie au paiement de la somme 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Sur le non-respect du délai de prévenance :
- dire que la société BM Chimie a appliqué un délai de prévenance d'un mois ;
- dire qu'un délai de prévenance de trois mois aurait dû être appliqué ;
En conséquence,
- condamner la société BM Chimie au paiement d'une indemnité complémentaire de deux mois de chiffre d'affaires correspondant à la somme de 33 046,56 euros ;
- débouter la société Bourgey Montreuil de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société BM Chimie au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens.
Sur la facture FA 0053 du 31 octobre 2013 :
Sur le volume minimum de la tournée BM, elle fait valoir l'économie générale du contrat de sous-traitance du transport public routier de marchandise telle qu'elle est réglée par le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 ; il résulte des articles 6.2 et 10.1 de ce décret que l'opérateur de transport doit réaliser un volume minimum de commandes. Comme l'atteste le tableau produit par la société Loc'active, ainsi que son courrier électronique du 6 janvier 2014, le seuil de rentabilité sur ce contrat implique un minimum de quatre tournées par semaine. Sur le calcul d'indexation du carburant au réel, la société Loc'active verse aux débats un tableau analytique reprenant le calcul d'indexation du gasoil au réel dont il ressort qu'entre avril et septembre 2013, un complément de facturation de 1 275,82 euros est dû. Sur la prestation exceptionnelle du 13 août 2013, celle-ci a été sollicitée par la société BM ; elle n'était pas prévue au contrat. Sur les indemnités de retard et de paiement, celle-ci sont dues en application des articles L. 441-1 et L. 441-3 du Code de commerce, à en raison des difficultés de trésorerie que les retards de la société BM ont générées. Sur les indemnités à raison de la résistance abusive de la société BM, elle indique celles-ci sont également dues à la société Loc'active dont les mises en demeure sont restées sans réponse.
Sur le préavis de rupture, la société Loc'active conteste l'affirmation de la société BM selon laquelle la société Loc'active aurait accepté le principe et la durée du préavis en se fondant exclusivement sur la mention manuscrite " Bon pour accord pour arrêt le 26 septembre 2013 ", cette mention ne valant pas acceptation du principe et des modalités de la rupture. Elle fait, par ailleurs, valoir le contrat du 25 avril 2013 ne respecte pas les dispositions impératives définies par le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 (contrat-type), dès lors que les mentions essentielles énoncées l'article 6.2 dudit décret n'y figurent pas ; elle ajoute que, conformément aux articles 12 et 15 du décret précité, le préavis à respecter est de trois mois quand la durée est d'un an et plus, ce qui est ici le cas.
La société BM Chimie Lillebonne, par conclusions signifiées le 16 décembre 2015, demande de :
- confirmer le jugement dont appel ;
- débouter la société Loc'active de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société Loc'active à payer la somme de 6 000 euros à la société BM Chimie Lillebonne à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
- condamner la société Loc'active à payer la somme de 6 000 euros à la société BM Chimie Lillebonne au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de permière instance et d'appel dont recouvrement par Maître Jacques M. conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Elle fait tout d'abord valoir que la société Loc'active a bénéficié du préavis contractuel d'un mois, et non de trois mois, préavis qu'elle a expressément approuvé. Elle précise que, Loc'active étant une personne morale distincte de Trans JLJ, elle ne peut se prévaloir de l'ancienneté du contrat conclu avec cette dernière. En admettant, subsidiairement, que la société BM ait repris l'ancienneté de la société Trans JLJ, le contrat-type de sous-traitance n'est pas d'ordre public et l'on peut y déroger, comme l'a fait la société BM en signant un contrat d'un an résiliable à tout moment moyennant un préavis d'un mois. Très subsidiairement, le non-respect d'un préavis ne donne pas nécessairement lieu à indemnisation, en particulier lorsque le demande ne rapporte pas suffisamment la preuve de son préjudice du fait de la rupture, comme c'est le cas en l'espèce. En effet, Loc'active a immédiatement mis fin au contrat de travail de son chauffeur et n'a donc plus supporté les frais correspondants.
Sur le volume minimum contractuel, la société BM fait valoir qu'aucun élément contractuel ni pratique ne confirme les prétentions de Loc'active selon lesquelles il serait de 4 tournées minimum. La société Loc'active considère que la société BM a ainsi été pleinement remplie de ses droits.
Sur le supplément gasoil, la société BM prétend que l'indexation gasoil a déjà été facturée par Loc'active et payée.
Sur le transport du 16 août 2013, Loc'active doit prouver sa prestation et pour ce faire, produire la lettre de voiture obligatoire.
Sur les indemnités de retard de paiement, Loc'active n'a aucune créance contre la société BM et donc la société BM n'est pas en retard de paiement.
Sur le seuil de rentabilité, il apparaît que la société Loc'active a un problème global de rentabilité indépendant de la société BM.
Sur la validité du contrat du 25 avril 2013, celui-ci ne peut être écarté des débats car il constitue la loi des parties. Un prix et un volume de transport ont bien été convenus, et le contrat-type n'est pas applicable car les parties ont dérogé aux dispositions du décret supplétives de la volonté des parties car elles ne sont pas d'ordre public.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
MOTIFS :
Sur la rupture du contrat
Considérant que la société Loc'active fonde sa demande sur l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce qui dispose qu'" engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale. (...) " ;
Considérant que la société la société BM soutient que la société Loc'active a accepté le principe et la durée du préavis ;
Mais considérant que, si la société Loc'active a apposé sur la lettre de BM en date du 30 août 2013 notifiant la rupture de la relation et un préavis d'un mois à réception de ce courrier, la mention manuscrite " bon pour accord pour arrêt le 26/09/13 ", cette mention ne saurait s'interpréter comme un accord à la date de fin de la relation, mais comme une prise d'acte de la rupture, cette formule répondant simplement à la demande de BM : " Pour la bonne constitution de notre dossier, nous vous remercions à l'avance de nous retourner le présent document revêtu de votre " bon pour accord " manuscrit + nom + signature + date " ;
Considérant que le contrat-type, institué sur le fondement de l'article 8 II de la loi d'orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982 (LOTI), règle pour l'avenir, dès l'entrée en vigueur du décret qui l'établit, les rapports que les parties n'ont pas défini au contrat de transport qui les lie ; qu'il prévoit, aux articles 12 et 15 du décret du 26 décembre 2003, que " dans le cas de relations suivies faisant l'objet d'une convention à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre un terme par l'envoi d'une lettre recommandée avec avis de réception moyennant un préavis d'un mois quand le temps déjà écoulé depuis le début de l'exécution du contrat n'est pas supérieur à six mois. Le préavis est porté à deux mois quand ce temps est supérieur à six mois et inférieur à un an. Le préavis à respecter est de trois mois quand la durée de la relation est d'un an et plus. " ;
Considérant que le contrat en date du 25 avril 2013 liant les parties prévoit, en son préambule, que " le présent contrat a été établi en tenant compte de la réglementation française en la matière (et notamment la LOTI et en particulier le contrat-type sous-traitance prévu par le décret du 26 décembre 2003 et qui s'appliquera pour toutes les dispositions non prévues au présent contrat) " ; que le contrat stipule, en son article 10, que l'engagement peut être résilié à tout moment par l'une ou l'autre des parties par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception moyennant un préavis de 30 jours ;
Considérant que, si l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce ne s'applique pas à la rupture des relations commerciales de transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, c'est seulement lorsque le contrat liant les parties se réfère expressément au contrat-type institué par la LOTI ; que l'article 10 de la convention du 25 avril 2013 a exclu l'application des dispositions du contrat-type ;
Considérant que la rupture de la relation commerciale a été assortie d'un préavis d'un mois ; que, si le préavis exécuté est en l'espèce conforme au délai contractuel, il appartient au juge d'apprécier si la durée de ce préavis tient compte de celle de la relation commerciale ;
Considérant que, par jugement rendu le 23 avril 2013, le Tribunal de commerce de Rouen a ordonné, sur le fondement de l'article L. 642-2 du Code de commerce, la cession totale des actifs de la société Trans JLJ à la société Loc'active dans les termes de son offre de reprise reçue le 28 février 2013 ; que, ce jugement retenant que " la société Loc'active entend poursuivre (...) un trafic national liant la société Geodis Bourgey Montreuil à la société Trans JLJ ", il s'en déduit que la société Loc'active a poursuivi la relation existant entre Trans JLJ et BM ; que la relation commerciale était établie au 28 février 2012, date de l'ouverture de la procédure collective à l'encontre de la société Trans JLJ ;
Considérant qu'au regard d'une durée de relation d'au moins 18 mois (février 2012 - septembre 2013), un préavis d'une durée de trois mois aurait dû être respecté ;
Considérant qu'en cas d'insuffisance de préavis, le préjudice en résultant est évalué en considération de la marge brute correspondant à la durée du préavis jugé nécessaire ; que la cour adoptera le mode calcul, non contesté, proposé par BM (page 4 de ses conclusions) dont il ressort que, pour un chiffre d'affaires mensuel réalisé par Loc'active avec BM de 9 480 euros et un taux de marge brute de 26 %, la perte de marge brute s'établit pour deux mois à 9 480 euros x 2 mois x 26 % = 4 929,60 euros ; que la cour condamnera BM au paiement de cette somme et infirmera en ce sens le jugement entrepris ;
Sur la facture FA 0053 du 31 octobre 2013
Considérant que, par facture en date du 31 octobre 2013, la société Loc'active réclame le paiement :
- du complément de volume minimum garanti à hauteur de quatre tournées ;
- du calcul d'indexation au réel des frais de gasoil ;
- de la facturation d'une prestation exceptionnelle intervenue le 16 août 2013 ;
- du règlement de l'indemnité légale de retard de paiement ;
Considérant, sur le volume minimum garanti de la tournée de BM, que, si Loc'active fait référence à l'article 6.2 du décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 - qui prévoit que " le contrat fait mention, à titre indicatif, du volume de prestations que l'opérateur de transport envisage de confier au sous-traitant. Il s'engage envers le sous-traitant à lui remettre un volume minimum de prestations " - il ne résulte nullement du contrat en date du 25 avril 2013 que Loc'active avait vocation à réaliser quatre tournées ; qu'il est, à cet égard, indifférent que Loc'active ait calculé le seuil de rentabilité sur ce contrat pour un minimum de quatre tournées par semaine, un tel calcul n'ayant aucune valeur contractuelle ;
Que, sur l'indexation des frais de gasoil, les factures mensuelles émises par Loc'active (pièces BM n° 9 et 10) comportaient une indexation du carburant ; que le tableau analytique établi par Loc'active ne présente pas un caractère probant suffisant d'une quelconque créance à ce titre ;
Que, sur la prestation exceptionnelle intervenue le 16 août 2013, Loc'active, qui se borne à produire un courrier électronique émanant d'elle, ne rapporte pas la preuve d'une commande en ce sens de BM, l'attestation établie par le 17 novembre 2015, soit plus de deux années après les faits allégués, par Monsieur Grégory T. (pièce Loc'active n° 23), salarié de la société Loc'active, ne présentant pas à cet égard un caractère précis, impartial et probant suffisant ;
Qu'enfin, Loc'active ne rapporte pas la preuve des retards de paiement de factures invoqués ;
Que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la SARL Loc'active de sa demande de paiement de la facture FA 0053 du 31 octobre 2013 ;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SARL Loc'active de sa demande de paiement de la facture FA 0053 du 31 octobre 2013 ; l'infirme pour le surplus ; Statuant à nouveau, condamne la SAS BM Chimie Lillebonne à payer à la SARL Loc'active la somme de 4 929,60 euros de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; condamne la SAS BM Chimie Lillebonne aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.