Livv
Décisions

CJUE, 9e ch., 19 avril 2018, n° C-65/17

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Oftalma Hospital Srl

Défendeur :

Commissione Istituti Ospitalieri Valdesi (CIOV),, Regione Piemonte,, Azienda Sanitaria Locale di Torino (TO1),

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vajda

Avocat général :

M. Campos Sánchez-Bordona

Juges :

M. Juhász (Rapporteur), Mme Jürimäe

Avocats :

Mes Moretto, Bianco, Scisciot

CJUE n° C-65/17

19 avril 2018

LA COUR (neuvième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO 1992, L 209, p. 1), telle que modifiée par la directive 97/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997 (JO 1997, L 328, p. 1) (ci-après la " directive 92/50 ").

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Oftalma Hospital Srl (ci-après " Oftalma ") à la Commissione Istituti Ospitalieri Valdesi (CIOV) (commission des établissements hospitaliers vaudois, Italie) et à la Regione Piemonte (Région du Piémont, Italie) au sujet de la rémunération de prestations de soins effectuées par Oftalma en vertu d'un contrat conclu avec la CIOV (ci-après le " contrat en cause ").

Le cadre juridique

Le droit de l'Union

La directive 92/50

3 La directive 92/50 définit, à son titre II, une application dite " à deux niveaux ". En vertu de son article 8, les marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe I A de cette directive sont passés conformément aux dispositions des titres III à VI de celle-ci, c'est à dire des articles 11 à 37 de ladite directive. En revanche, aux termes de l'article 9 de la même directive, " [l]es marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe I B sont passés conformément aux articles 14 et 16 ".

4 L'article 14 de la directive 92/50 figure au titre IV de celle-ci, qui concerne les règles communes dans le domaine technique.

5 L'article 16 de cette directive, qui relève du titre V de celle-ci, intitulé " Règles communes de publicité ", prévoit, à son paragraphe 1, que les pouvoirs adjudicateurs qui ont passé un marché public ou organisé un concours envoient un avis concernant les résultats de la procédure d'attribution à l'Office des publications de l'Union européenne.

6 L'article 27, paragraphe 3, de la directive 92/50 dispose :

" Lorsque les pouvoirs adjudicateurs passent un marché selon la procédure négociée, dans les cas visés à l'article 11 paragraphe 2, le nombre des candidats admis à négocier ne peut être inférieur à trois, à condition qu'il y ait un nombre suffisant de candidats appropriés. "

7 L'annexe I B de cette directive énumère une série de catégories de services, au nombre desquels figurent, à la catégorie 25, les services sociaux et sanitaires.

La directive 2004/18/CE

8 En vertu des articles 20 et 21 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114), les marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe II A de cette directive sont passés conformément aux articles 23 à 55 de celle-ci, alors que la passation des marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe II B de ladite directive est soumise uniquement à l'article 23 et à l'article 35, paragraphe 4, de cette dernière.

9 L'annexe II B de cette même directive énumère une série de catégories de services, au nombre desquels figurent, à la catégorie 25, les services sociaux et sanitaires.

10 L'article 82 de la directive 2004/18, intitulé " Abrogations ", prévoit notamment que la directive 92/50 est abrogée à compter du 31 janvier 2006 et que les références faites à cette directive s'entendent comme étant faites à la directive 2004/18.

Le droit italien

11 Le decreto-legislativo n. 157 - Attuazione della direttiva 92/50/CEE in materia di appalti pubblici di servizi (décret législatif n° 157, mettant en œuvre la directive 92/50/CEE relative aux marchés publics de services), du 17 mars 1995 (Supplément ordinaire à la GURI n° 104, du 6 mai 1995), dans sa version applicable à la date des faits au principal (ci-après le " décret législatif n° 157/95 "), dispose, à son article 3 :

" 1. Les marchés publics de services sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur visé à l'article 2, portant sur la prestation des services figurant aux annexes 1 et 2.

2. Pour les marchés de services visés à l'annexe 2 et pour ceux où la valeur de ces services est supérieure à celle des services visés à l'annexe 1, le présent décret s'applique aux seuls article 8, paragraphe 3, article 20 et article 21. "

12 L'article 7 de ce décret législatif prévoit, à son paragraphe 1 :

" Les marchés du présent décret peuvent être passés de gré à gré, après publication d'un avis de marché, dans les cas suivants :

a) en cas d'offres irrégulières introduites à la suite d'un appel d'offres, d'un appel d'offres restreint ou d'un appel d'offres avec concours, ou en cas d'offres jugées inacceptables au regard des dispositions des articles 11, 12, paragraphe 2, 18, 19 et 22 à 25, à condition que les conditions du marché ne soient pas substantiellement modifiées ; les pouvoirs adjudicateurs publient, dans ce cas, un avis de marché, sauf s'ils admettent à la procédure négociée toutes les entreprises qui satisfont aux critères visés aux articles 11 à 16 et qui, lors des procédures susmentionnées, ont soumis des offres conformes aux exigences formelles de la procédure de passation des marchés ;

b) dans des cas exceptionnels, lorsqu'il s'agit de services dont la nature ou les aléas ne permettent pas une fixation préalable et globale du prix ;

c) lorsque, en raison de la nature des services concernés par les marchés, en particulier si ces services sont de nature intellectuelle ou relèvent de la catégorie 6 de l'annexe 1, il est impossible d'établir les spécifications des marchés avec une précision suffisante pour que ceux-ci puissent être passés par la sélection de la meilleure offre conformément aux règles des procédures ouvertes ou restreintes. "

13 L'article 22 dudit décret législatif dispose, à son paragraphe 3 :

" Dans la procédure de gré à gré ouverte au titre de l'article 7, paragraphe 1, le nombre des candidats ne peut être inférieur à trois, à condition qu'il y ait un nombre suffisant de candidats appropriés. "

14 L'annexe 2 du décret législatif n° 157/95 mentionne, à son point 25, les " Services sanitaires et sociaux ".

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15 Par le contrat en cause en date du 2 janvier 1999, ayant été modifié par un avenant en 2004 par lequel Oftalma renonçait à recourir à la procédure d'injonction de payer, la CIOV a confié à Oftalma la fourniture de prestations de services spécialisés en ophtalmologie au centre ophtalmologique de l'Ospedale evangelico valdese di Torino (Hôpital évangélique vaudois de Turin, Italie).

16 Le 21 avril 2005, le Tribunale di Torino (Tribunal de Turin, Italie) a enjoint à la CIOV et à la Région du Piémont de payer à Oftalma la somme de 1 727 886,36 euros, majorée des intérêts, à titre de rémunération pour des prestations de soins effectuées au cours de l'année 2004.

17 La CIOV et la Région du Piémont ont, chacune, formé opposition à cette injonction de payer devant le Tribunale di Torino (tribunal de Turin). Au cours de cette instance, la Région du Piémont a notamment invoqué la nullité du contrat en cause, dans la mesure où, selon elle, celui-ci avait été conclu en violation des procédures de passation des marchés publics, telles que régies par le décret législatif n° 157/95.

18 Par jugement en date du 5 décembre 2007, le Tribunale di Torino (tribunal de Turin) a rejeté les oppositions formées par la CIOV et la Région du Piémont et a, en conséquence, fait droit aux demandes d'Oftalma.

19 Antérieurement à cette première instance, Oftalma avait, au cours de l'année 2004, introduit un recours devant le Tribunale di Torino (tribunal de Turin) tendant à la condamnation de la CIOV et de la Région du Piémont à lui payer la somme de 1 226 535,07 euros, au titre d'une régularisation fondée sur les tarifs applicables aux prestations de soins effectuées au cours des années 2002 et 2003 ainsi que durant le premier semestre de l'année 2004.

20 Par jugement en date du 9 octobre 2007, le Tribunale di Torino (tribunal de Turin) a rejeté le recours d'Oftalma.

21 Oftalma et la Région du Piémont ont interjeté appel des deux jugements précités.

22 Après avoir joint ces deux procédures, la Corte d'appello di Torino (cour d'appel de Turin, Italie) a, par arrêt du 7 juin 2010, déclaré nul le contrat en cause et condamné en conséquence Oftalma à restituer les sommes versées en exécution de l'injonction de payer.

23 Cette juridiction a considéré que le contrat en cause avait été conclu en violation de la directive 92/50 et du décret législatif n° 157/95 qui l'avait transposée, dès lors que la conclusion de ce contrat n'avait été précédée d'aucune mise en concurrence, alors même que la CIOV était, en application de l'article 2 du décret législatif n° 157/95, lu à la lumière de l'article 1er de la directive 92/50, un organisme de droit public ayant la qualité de pouvoir adjudicateur.

24 Oftalma a formé un pourvoi devant la juridiction de renvoi, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) contre cet arrêt.

25 À cet égard, la juridiction de renvoi relève notamment que l'article 3, paragraphe 2, du décret législatif n° 157/95, tout comme la directive 92/50, n'impose pas une procédure de publicité et de mise en concurrence préalable à la conclusion de contrats portant sur des prestations sanitaires et que ce décret législatif ne prévoit pas non plus expressément que l'attribution de tels marchés est soumise au respect des principes d'efficacité, d'impartialité, d'égalité de traitement et de transparence.

26 Cette juridiction s'interroge sur le bien-fondé de la jurisprudence des juridictions administratives italiennes selon laquelle les marchés de prestations de services sanitaires, bien que ne relevant pas directement de la réglementation applicable en matière de marchés publics de services, n'en demeurent pas moins soumis à un appel préalable à la concurrence, même informel, en application des règles générales de droit interne et des principes de droit de l'Union découlant des articles 49, 56 et 106 TFUE.

27 Ladite juridiction constate, toutefois, que l'article 22, paragraphe 3, du décret législatif n° 157/95, qui transpose l'article 27, paragraphe 3, de la directive 92/50, prévoit que, même en cas d'appel d'offres limité, le nombre de candidats ne peut être inférieur à trois. Tout en soulignant que ces dispositions ont vocation à s'appliquer aux marchés de services soumis en totalité aux dispositions de cette directive, elle fait toutefois valoir qu'une telle disposition nationale " pourrait être considérée comme l'expression d'un principe à caractère général ", dont l'application s'étendrait également aux prestations de services qui n'y sont soumises que partiellement. Selon cette même juridiction, une telle interprétation serait conforme aux objectifs de la directive 92/50, lesquels consistent à réaliser le marché intérieur par une bonne coordination des procédures de passation des marchés publics de services.

28 La juridiction de renvoi ajoute que cette interprétation est conforme à l'un des objectifs de la directive 92/50, qui est d'uniformiser les règles d'attribution des marchés avec celles concernant les marchés de travaux et de fournitures. À cet égard, elle souligne que tant la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO 1971, L 185, p. 5), telle que modifiée par la directive 89/440/CEE du Conseil, du 18 juillet 1989 (JO 1989, L 210, p. 1), que la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO 1993, L 199, p. 1), imposent aux pouvoirs adjudicateurs de garantir une concurrence réelle, y compris dans les procédures négociées.

29 Cette juridiction observe que, assujettir les marchés de services sanitaires à de telles obligations est conforme à la jurisprudence de la Cour, en vertu de laquelle les principes fondamentaux du traité FUE sont applicables aux marchés de services exclus du champ d'application de la directive 92/50.

30 Dans ces conditions, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

" 1) L'article 9 de la directive [92/50], qui prévoit que les marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe I B [de celle-ci] sont passés conformément aux articles 14 et 16 [de cette directive], doit-il être interprété en ce sens que ces marchés restent en tout état de cause soumis aux principes de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services, de l'égalité de traitement et de l'interdiction des discriminations en raison de la nationalité, de transparence et de non-discrimination, visés aux articles 49, 56 et 106 TFUE ?

2) Dans l'hypothèse où la première question appellerait une réponse affirmative, l'article 27 de la directive 92/50, qui prévoit que, dans le cas d'une attribution de marché selon la procédure négociée, le nombre des candidats admis à négocier ne peut être inférieur à trois, à condition qu'il y ait un nombre suffisant de candidats appropriés, doit-il être interprété en ce sens qu'il s'applique aussi aux marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe I B de cette directive ?

3) L'article 27 de la directive 92/50, qui prévoit que, dans le cas d'une attribution de marché selon la procédure négociée, le nombre des candidats admis à négocier ne peut être inférieur à trois, à condition qu'il y ait un nombre suffisant de candidats appropriés, fait-il obstacle à l'application d'une réglementation nationale qui, concernant les marchés publics qui ont été passés à une date antérieure à l'adoption de la directive [2004/18], et qui ont pour objet des services figurant à l'annexe I B de la directive 92/50, ne garantit pas l'ouverture à la concurrence en cas d'application de la procédure négociée ? "

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

31 Par sa première question, la juridiction de renvoi s'interroge en substance sur le point de savoir si, lorsqu'il attribue un marché public de services, qui relève de l'article 9 de la directive 92/50, et qui, en conséquence, est en principe soumis aux seuls articles 14 et 16 de cette directive, un pouvoir adjudicateur est toutefois également tenu de se conformer aux règles fondamentales et aux principes généraux du traité FUE, en particulier aux principes d'égalité de traitement et de non discrimination en raison de la nationalité ainsi qu'à l'obligation de transparence qui en découle.

32 Aux termes de l'article 9 de la directive 92/50, " [l]es marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe I B sont passés conformément aux articles 14 et 16 ". Ces articles contiennent des obligations relatives, respectivement, aux spécifications techniques d'un marché et à l'envoi d'un avis concernant les résultats de la procédure d'attribution d'un marché.

33 À cet égard, la Cour a jugé que, lorsque les marchés portent sur des services relevant de cette annexe I B, les pouvoirs adjudicateurs ne sont tenus qu'aux seules obligations consistant à définir les spécifications techniques par référence à des normes nationales transposant des normes européennes qui doivent figurer dans les documents généraux ou contractuels propres à chaque marché et d'envoyer à l'Office des publications de l'Union européenne un avis relatant les résultats de la procédure d'attribution de ces marchés (arrêt du 17 mars 2011, Strong Segurança, C 95/10, EU:C:2011:161, point 34).

34 Elle a également jugé que la classification des services dans les annexes I A et I B de la directive 92/50 est conforme au système établi par cette directive prévoyant une application à deux niveaux des dispositions de cette dernière (arrêt du 17 mars 2011, Strong Segurança, C 95/10, EU:C:2011:161, point 33 et jurisprudence citée).

35 La Cour a en effet indiqué que le législateur de l'Union a présumé que les marchés relatifs aux services relevant de l'annexe I B de la directive 92/50 ne présentent pas, a priori, eu égard à leur nature spécifique, un intérêt transfrontalier suffisant susceptible de justifier que leur attribution se fasse au terme d'une procédure d'appel d'offres censée permettre à des entreprises d'autres États membres de prendre connaissance de l'avis de marché et de soumissionner (arrêt du 17 mars 2011, Strong Segurança, C 95/10, EU:C:2011:161, point 35 et jurisprudence citée).

36 Cependant, la Cour a considéré que de tels marchés, lorsqu'ils présentent néanmoins un intérêt transfrontalier certain, sont soumis aux règles fondamentales et aux principes généraux du traité FUE, en particulier aux principes d'égalité de traitement et de non-discrimination en raison de la nationalité ainsi qu'à l'obligation de transparence qui en découle (voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2011, Strong Segurança, C 95/10, EU:C:2011:161, point 35 et jurisprudence citée). Sans nécessairement imposer de procéder à un appel d'offres, ladite obligation implique de garantir un degré de publicité adéquat permettant, d'une part, une ouverture à la concurrence et, d'autre part, le contrôle de l'impartialité de la procédure d'attribution (arrêt du 13 novembre 2008, Coditel Brabant, C 324/07, EU:C:2008:621, point 25 et jurisprudence citée).

37 En l'absence de circonstances particulières, dont l'existence ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour, l'appréciation de l'existence d'un intérêt transfrontalier certain doit être effectuée, pour des raisons de sécurité juridique, à la date d'attribution du marché public en cause (voir, par analogie, arrêt du 10 novembre 2005, Commission/Autriche, C 29/04, EU:C:2005:670, point 38). À cet égard, le fait que, dans l'affaire au principal, un avenant a, par la suite, été apporté au contrat en cause n'est pas de nature à modifier la date à laquelle l'existence d'un tel intérêt doit être appréciée, lorsqu'un tel avenant n'est pas de nature à modifier de manière substantielle l'économie générale du contrat, ce qu'il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

38 Il incombe ainsi à la juridiction de renvoi de procéder à une appréciation circonstanciée de tous les éléments pertinents concernant le marché en cause afin de vérifier l'existence d'un intérêt transfrontalier certain à la date d'attribution du marché en cause au principal.

39 À cet égard, il convient de souligner que, lors de cet examen, l'existence d'un intérêt transfrontalier certain ne saurait être déduite hypothétiquement de certains éléments qui, considérés de manière abstraite, pourraient constituer des indices en ce sens, mais doit ressortir de manière positive d'une appréciation concrète des circonstances du marché en cause au principal. Cela implique qu'il ne saurait être considéré qu'un intérêt transfrontalier certain est constitué sur la base d'éléments n'excluant pas son existence, mais qu'il doit être considéré comme tel lorsque son caractère transfrontalier est avéré sur la base d'éléments objectifs et concordants (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2016, Tecnoedi Costruzioni, C 318/15, EU:C:2016:747, point 22).

40 La Cour a déjà jugé que pouvaient constituer des critères objectifs susceptibles de caractériser l'existence d'un intérêt transfrontalier certain l'importance du montant du marché en cause, en combinaison avec le lieu d'exécution des travaux ou encore les caractéristiques techniques du marché et les caractéristiques spécifiques des produits concernés. Dans ce contexte, peut également être prise en compte l'existence de plaintes introduites par des opérateurs situés dans des États membres autres que celui du pouvoir adjudicateur, à condition qu'il soit vérifié que ces dernières sont réelles et non fictives (arrêt du 6 octobre 2016, Tecnoedi Costruzioni, C 318/15, EU:C:2016:747, point 20 et jurisprudence citée). De plus, la circonstance que, à la date d'attribution du marché en cause au principal, des services sanitaires similaires étaient ou non déjà assurés par des entités établies dans d'autres États membres peut également constituer un élément à prendre en considération.

41 Néanmoins, il convient de rappeler que, s'agissant plus spécifiquement d'une activité sanitaire, la Cour a considéré, dans le cadre d'un recours en manquement, que l'intérêt transfrontalier certain n'était pas établi sur la base du seul fait que les marchés en cause avaient une valeur économique importante (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2010, Commission/Allemagne, C 160/08, EU:C:2010:230, points 18, 54 et 123).

42 Or, en l'occurrence, ainsi que Oftalma l'a relevé dans ses observations écrites, il convient de constater que la décision de renvoi ne contient aucun élément qui serait susceptible d'indiquer que le marché en cause au principal présentait un intérêt transfrontalier certain à la date de son attribution.

43 Dans l'hypothèse où l'existence d'un tel intérêt transfrontalier certain serait néanmoins démontrée et où, en conséquence, l'absence de transparence aurait pu provoquer une différence de traitement au détriment des entreprises situées dans un État membre autre que celui du pouvoir adjudicateur, une telle différence de traitement peut être justifiée par des circonstances objectives (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2014, Azienda sanitaria locale n. 5 " Spezzino " e.a., C 113/13, EU:C:2014:2440, point 52 ainsi que jurisprudence citée).

44 En ce qui concerne une telle justification, Oftalma invoque, dans ses observations écrites, le point 57 de l'arrêt du 11 décembre 2014, Azienda sanitaria locale n. 5 " Spezzino " e.a. (C 113/13, EU:C:2014:2440), dans lequel la Cour a jugé que l'objectif consistant à maintenir pour des raisons de santé publique un service médical et hospitalier équilibré et accessible à tous peut relever de l'une des dérogations pour des raisons de santé publique.

45 Il appartient à la juridiction de renvoi, en tenant compte de la jurisprudence figurant aux deux points précédents, d'examiner, dans l'hypothèse où l'existence d'un intérêt transfrontalier certain serait avérée, si l'attribution du marché en cause au principal était justifiée.

46 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que, lorsqu'il attribue un marché public de services, qui relève de l'article 9 de la directive 92/50, et qui, en conséquence, est en principe soumis aux seuls articles 14 et 16 de cette directive, un pouvoir adjudicateur est toutefois également tenu de se conformer aux règles fondamentales et aux principes généraux du traité FUE, en particulier aux principes d'égalité de traitement et de non-discrimination en raison de la nationalité ainsi qu'à l'obligation de transparence qui en découle, à condition que, à la date de son attribution, un tel marché présente un caractère transfrontalier certain, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

47 De plus, dans la même hypothèse, Oftalma fait objection aux prétentions de la Région du Piémont et de la CIOV, en se référant au principe de nemo auditur propriam turpitudinem allegans. Elle affirme que, si la conclusion de la convention conclue avec elle est illégale, cette illégalité est imputable à la Région du Piémont et à la CIOV. Elle fait en outre valoir que le rejet de la rémunération de ses services effectivement et régulièrement prestés conférerait un avantage indu à la CIOV.

48 À cet égard, il convient de constater que de tels principes doivent être appréciés par la juridiction de renvoi dans le cadre de l'application du droit national.

Sur les deuxième et troisième questions

49 Par ses deuxième et troisième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 27, paragraphe 3, de la directive 92/50 doit être interprété en ce sens qu'il s'applique aux marchés publics de services relevant de l'annexe I B de cette directive.

50 Il convient de relever que, par l'adoption de l'article 9 de la directive 92/50, le législateur de l'Union a expressément prévu que seuls les articles 14 et 16 de cette directive étaient applicables aux services figurant à l'annexe I B. En l'absence de toute indication contraire de celui-ci, il convient de considérer que tel est le cas même si un marché public portant sur un tel service présente un intérêt transfrontalier certain.

51 Il s'ensuit que soumettre les services figurant à l'annexe I B de la directive 92/50 à d'autres articles que ceux auxquels renvoie expressément l'article 9 de cette directive aboutirait à une interprétation contraireau libellé, clair, de cet article et contreviendrait ainsi à la volonté du législateur de l'Union.

52 Il en résulte que les obligations découlant de l'article 27, paragraphe 3, de ladite directive ne s'appliquent pas à un marché public portant sur un service figurant à l'annexe I B de celle-ci, même si ce dernier présente un intérêt transfrontalier certain.

53 Ainsi, le respect des règles fondamentales et des principes généraux de l'Union ainsi que des obligations en découlant, tel que reconnu, au regard des marchés publics présentant un intérêt transfrontalier certain, dans la jurisprudence citée au point 36 du présent arrêt, n'implique pas, en tant que tel, l'admission d'un nombre minimum de candidats dans une procédure négociée, telle que visée audit article 27, paragraphe 3.

54 À cela s'ajoute le fait qu'adopter l'interprétation selon laquelle, en présence d'un intérêt transfrontalier certain, l'article 27, paragraphe 3, de la directive 92/50 aurait vocation à s'appliquer dans une affaire comme celle en cause au principal, pourrait conduire à l'application, aux marchés de services relevant de l'annexe I B de la directive 92/50, d'autres dispositions de cette directive uniquement applicables aux services énumérés à l'annexe I A de celle-ci, ce qui risquerait de priver de tout effet utile la distinction existant entre les services de l'annexe I A et ceux relevant de l'annexe I B de cette directive (voir, en ce sens, s'agissant des annexes II A et II B de la directive 2004/18 qui correspondent aux annexes I A et I B de la directive 92/50, arrêt du 17 mars 2011, Strong Segurança, C 95/10, EU:C:2011:161, point 42).

55 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que l'article 27, paragraphe 3, de la directive 92/50 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas aux marchés publics de services relevant de l'annexe I B de cette directive.

Sur la limitation des effets dans le temps de l'arrêt à intervenir

56 Dans ses observations, Oftalma demande à la Cour, dans l'hypothèse où les règles fondamentales et les principes généraux de l'Union ainsi que l'obligation de transparence qui en découle seraient interprétés en ce sens que l'attribution d'un contrat, tel que celui en cause au principal, doit être précédé d'un degré de publicité adéquat lorsque ce contrat présente un intérêt transfrontalier certain, de limiter les effets dans le temps de l'arrêt à intervenir. Selon Oftalma, celui-ci pourrait être de nature à remettre en cause la validité de l'ensemble des conventions conclues par des établissements privés avec les autorités publiques pour dispenser des soins et, en conséquence, de déstabiliser l'ensemble du système sanitaire italien.

57 Il convient à cet égard de rappeler que ce n'est qu'à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d'un principe général de sécurité juridique inhérent à l'ordre juridique de l'Union, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d'invoquer une disposition qu'elle a interprétée en vue de remettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Une telle limitation ne peut être admise, selon la jurisprudence constante de la Cour, que dans l'arrêt même qui statue sur l'interprétation sollicitée (arrêt du 17 juillet 2008, Krawczynski, C 426/07, EU:C:2008:434, points 42 et 43).

58 Or, ainsi qu'il ressort du point 36 du présent arrêt, la Cour avait déjà jugé que les marchés relatifs aux services relevant de l'annexe I B de la directive 92/50, lorsqu'ils présentent un intérêt transfrontalier certain, sont soumis aux règles fondamentales et aux principes généraux du traité FUE, desquels découle l'obligation de transparence.

59 Par conséquent, il n'y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.

Sur les dépens

60 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

1) Lorsqu'il attribue un marché public de services, qui relève de l'article 9 de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, telle que modifiée par la directive 97/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997, et qui, en conséquence, est en principe soumis aux seuls articles 14 et 16 de cette directive, un pouvoir adjudicateur est toutefois également tenu de se conformer aux règles fondamentales et aux principes généraux du traité FUE, en particulier aux principes d'égalité de traitement et de non-discrimination en raison de la nationalité ainsi qu'à l'obligation de transparence qui en découle, à condition que, à la date de son attribution, un tel marché présente un caractère transfrontalier certain, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

2) L'article 27, paragraphe 3, de la directive 92/50 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas aux marchés publics de services relevant de l'annexe I B de cette directive.