CA Lyon, 8e ch., 28 mars 2017, n° 16-02364
LYON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
CNH Industrial France (SAS)
Défendeur :
Groupama Rhône-Alpes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chauve
Conseillers :
Mmes Defrasne, Zagala
Avocats :
Me Gazagnes, Selarl Laffly & Associ2s Lexavou2 Lyon, SCP Reffay, Associ2s
La société EARL Domaine de la Plaine qui exerce une activité agricole à Tignieu Jameyzieu (38230), a acquis, le 16 février 2009 auprès des Etablissements Girard, un tracteur de marque New Holland qui a fait l'objet d'une première mise en circulation le 24 février 2009 sous le numéro d'immatriculation 548 DGZ 38.
A la suite d'une avarie survenue sur la boîte de vitesses, le tracteur a été confié, le 26 novembre 2013 aux Etablissements Bouvier situés à Bregnier Cordon (01) qui a procédé à des réparations ayant donné lieu à l'établissement d'une facture de 20 860,03 HT.
L'assureur de protection juridique de la société EARL Domaine de la Plaine a mandaté le cabinet Auto Expertise de l'Ain pour organiser un examen technique du matériel en cause.
A l'issue de ces opérations, Monsieur X. a établi un rapport le 16 avril 2014, en concluant dans les termes suivants :
" Pour notre part, selon nos constatations effectuées et de l'entretien réalisé, il est démontré que la défaillance est prématurée à 2600 heures sur une boîte à vitesses de ce type (automatique) et que la responsabilité du constructeur est engagée au titre de la garantie légale suite à une rupture prématurée du roulement.
En effet, il n'existe pas de défaut d'entretien ni de cause externe et le constructeur ne préconise aucune périodicité de remplacement de ce roulement, dont la durée de vie est au moins égale à la durée de vie de la boîte de vitesses ".
La société CNH Industrial France, importateur en France notamment des matériels agricoles de marque New Holland, a offert à titre commercial de prendre en charge à hauteur de 44 % le coût de la boîte de vitesses neuve.
Aux termes d'une quittance subrogative en date du 7 mai 2014, la société EARL Domaine de la Plaine a reçu de son assureur la somme de 13 946,94 .
Le 25 février 2015, Groupama Rhône-Alpes a fait mettre sous scellés des pièces de la boîte de vitesses en cause et le 25 novembre 2015, elle a fait assigner en référé la société CNH Industrial France aux fins de voir organiser à son encontre une mesure d'expertise judiciaire au visa des articles 145 du Code de procédure civile et 1641 et suivants du Code civil.
La société CNH Industrial France s'est opposée à cette demande au motif que toute action au fond de Groupama Rhône-Alpes tendant à engager la responsabilité de la société CNH Industrial France sur le fondement de la garantie légale des vices cachés étant prescrite, la demanderesse ne justifiait d'aucun motif légitime à solliciter une mesure d'expertise.
En réponse, la société Groupama Rhône-Alpes faisait valoir que l'action susceptible d'être entreprise au fond à l'encontre de la société CNH Industrial France sur le fondement de l'article 1641 du Code civil n'était pas prescrite au moment de la délivrance de l'assignation du 25 novembre 2015 au motif que la découverte du vice est intervenue le 16 avril 2014, date du rapport d'expertise amiable.
Elle ajoutait que le délai d'action de l'article L. 110-4 du Code de commerce était interrompu par l'offre d'indemnisation faite par la société CNH Industrial France.
Par ordonnance de référé en date du 9 février 2016, le président du Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, au motif qu'il appartiendra au juge du fond éventuellement saisi de se prononcer sur la prescription invoquée et plus particulièrement sur le point de départ du décompte, de sa durée, a jugé que la société Groupama Rhône-Alpes justifiait d'un intérêt légitime à voir organiser une mesure d'expertise judiciaire et ainsi a :
- ordonné une expertise confiée à Monsieur Y, expert près de la Cour d'appel de Lyon, avec notamment pour mission de dire si le véhicule litigieux était atteint de vices cachés, même en l'état de germe, au moment de la vente, soit le 16 février 2009,
- dit que l'expertise est ordonnée aux frais avancés de Groupama Rhône-Alpes Auvergne qui devra consigner à la régie du tribunal une provision de 2 000 avant le 15 mars 2016,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- laissé les dépens à la charge du demandeur.
Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 25 mars 2016, la société CNH Industrial France a interjeté appel de cette ordonnance.
Aux termes de ses dernières conclusions, la société CNH Industrial France demande à la cour, infirmant la décision déférée et statuant à nouveau, de :
- dire et juger que toute action au fond, notamment sur le fondement de la garantie légale contre les vices cachés des dispositions 1641 et suivants du Code civil, qui serait exercée par Groupama Rhône-Alpes à l'encontre de la société CNH Industrial France, au titre de la vente du tracteur en cause, est prescrite,
- dire et juger en conséquence que la société Groupama Rhône-Alpes ne démontre pas l'existence d'un intérêt légitime à obtenir une mesure d'expertise,
En conséquence,
- infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
- débouter la société Groupama Rhône-Alpes de sa demande d'expertise formée à l'encontre de la société CNH Industrial France,
En toute hypothèse,
- condamner la société Groupama Rhône-Alpes aux entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à payer à la société CNH Industrial France une somme de 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions, la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne demande à la cour :
- dire et juger que la compagnie Groupama Rhône-Alpes Auvergne justifie d'un motif légitime à voir ordonner une mesure d'expertise judiciaire, son action n'étant pas prescrite au visa de l'article 1641 du Code civil,
En conséquence,
- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a ordonné une expertise judiciaire et désigné Monsieur Y en qualité d'expert judiciaire,
Y ajoutant,
- débouter la SAS CNH Industrial France de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la SAS CNH Industrial France aux entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à verser à la compagnie Groupama Rhône-Alpes Auvergne la somme de 3.000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il est expressément renvoyé aux dernières conclusions déposées par les parties pour l'exposé exhaustif de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'article 145 du Code de procédure civile dispose :
" S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. "
Si l'application de ce texte n'implique aucun préjugé sur la responsabilité éventuelle des personnes appelées à la procédure ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé, il appartient cependant au juge de constater qu'un tel procès est possible, qu'il a un objet et un fondement suffisamment déterminé.
Or, il convient de relever que s'agissant de l'action en garantie des vices cachés qui doit être engagée en application de l'article 1648 du Code civil, dans les deux ans de la découverte du vice, cette action ne peut être exercée qu'à l'intérieur de la prescription quinquennale prévue par l'article L. 110-4 du Code de commerce dont le point de départ se situe à la date de la vente, soit en l'espèce le 16 février 2009 avec une première mise en circulation le 24 février 2009, et que la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne a fait assigner en référé la société CNH Industrial France le 25 novembre 2015.
Par ailleurs, la mention de la proposition faite au cours de la réunion du 21 janvier 2014 par la société CNH Industrial France de " participe(r) commercialement (...) à hauteur de 44 % sur la boîte de vitesses neuve " mentionnée au rapport d'expertise amiable du 16 avril 2014 ne constitue pas une reconnaissance de responsabilité interruptive de prescription.
Il en résulte que la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne ne justifie pas d'un motif légitime au sens de l'article 145 du Code de procédure civile de voir ordonner une mesure d'expertise du véhicule litigieux.
La décision déférée doit donc réformée.
La société Groupama Rhône-Alpes Auvergne doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Infirme la décision déférée en ce qu'elle a ordonné une mesure d'expertise, Statuant à nouveau sur le chef infirmé : Dit n'y avoir lieu à organisation d'une mesure d'expertise en l'absence de motif légitime au sens de l'article 145 du Code de procédure civile, Condamne la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.