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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 24 avril 2018, n° 15-09136

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Spernen (Gaec)

Défendeur :

Lely Industries NV (Sté), Lely France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mmes Jeorger-Le Gac, Rolland

T. com. Quimper, du 23 oct. 2015

23 octobre 2015

Faits et procédure

Suivant bon de commande en date du 22 août 2007, le Gaec Spernen a acquis de la société Lely Center, devenue la société Robots Confort 29 puis l'EURL X, deux robots de traite fabriqués par la société Lely Industries NV.

Le matériel a été mis en service le 23 juillet 2008 et réceptionné sans réserve le 4 août 2009.

Constatant l'existence de dysfonctionnements lors de l'utilisation des deux robots, le Gaec Spernen a fait assigner par actes en date du 25 mars 2011 la société Lely Center et le franchiseur Lely France devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Quimper aux fins d'expertise. Par ordonnance en date du 11 mai 2011, le juge des référés a nommé Monsieur Y en qualité d'expert et a nommé Monsieur Z en qualité de sapiteur en matière comptable. Cette mesure a été déclarée opposable au fabriquant, la société Lely Industries NV, par ordonnance en date du 24 juillet 2012. Les rapports d'expertise ont été déposés les 14 et 22 août 2013.

Par actes en date du 10 janvier 2014, le Gaec Spernen a fait assigner au fond les mêmes parties afin d'obtenir la résolution de la vente, la restitution du prix et la condamnation des défenderesses à lui verser la somme de 14 023 € au titre du préjudice économique, outre 6 941 € au titre des intérêts de retard et 10 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Suivant jugement en date du 23 octobre 2015, le tribunal a débouté le Gaec Spernen de sa demande en résolution de la vente, a condamné in solidum les sociétés X, Lely France et Lely Industries NV à lui verser la somme de 14 023 € en réparation du dommage subi du fait de leur manquement à l'obligation de conseil et a débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Le Gaec Spernen a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 24 novembre 2015.

Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance en date du 7 mars 2018 et a renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 20 mars 2018.

A l'appui de son appel, par conclusions déposées au greffe le 2 mars 2018, le Gaec Spernen soutient que l'expert n'a pas listé ni analysé les dysfonctionnements affectant les deux robots, se contentant de déterminer les obligations de chaque partie. Selon le Gaec, le matériel était affecté de très nombreux désordres, notamment concernant le système d'alarme, le système de pesage des vaches ou de surveillance. Il relève particulièrement les nombreux problèmes ayant affecté les vérins. Il conclut que du fait de ces dysfonctionnements, les deux robots n'étaient pas conformes à l'usage attendu et que la vente devrait être résolue pour manquement à l'obligation de délivrance. Subsidiairement, il invoque l'existence de vices cachés en soutenant que le point de départ du délai pour agir devrait être fixé au 15 mars 2010, date du dernier remplacement de vérin. A titre plus subsidiaire, le Gaec Spernen conclut à la nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue, celle-ci étant impropre à l'usage vanté, ou pour défaut de conseil.

Outre la restitution du prix, le Gaec Spernen conclut à la condamnation des sociétés défenderesses à lui rembourser les frais liés aux dysfonctionnements, frais estimés à la somme de 14 023 €. Il forme la même demande au titre de dommages-intérêts dans l'hypothèse où la résolution ne serait pas prononcée, invoquant un manquement à l'obligation de conseil. Il sollicite en outre l'octroi d'une somme de 6 491 € 10 au titre des intérêts de retard, outre 10 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Lely Industries NV et la société Lely France, par conclusions déposées au greffe le 6 mars 2018, soutiennent que l'acheteur ne peut demander la nullité pour erreur sur les qualités de la chose vendue sur la base de dysfonctionnements relevant de la garantie des vices cachés. Ils rappellent que l'action en nullité pour vice caché se prescrit par deux ans à compter de la découverte du vice, découverte pouvant être fixée en l'espèce aux premiers courriers de réclamation datés de l'été 2008, et en concluent qu'en l'espèce l'action du Gaec Spernen sur ce fondement est de ce fait prescrite, les assignations en référé ayant été délivrées plus de deux ans après cette date. Ils se réfèrent subsidiairement au rapport d'expertise pour affirmer que les vices ne sont nullement démontrés, résultant en réalité d'un défaut d'entretien, et contestent le rapport de Monsieur W non contradictoire versé sur ce point par le demandeur. Sur le même fondement, ils contestent tout défaut de conformité de nature à entraîner la résolution de la vente. Ils reprennent l'analyse du tribunal en ce qui concerne le manquement à l'obligation de conseil, affirmant que c'est le Gaec lui-même qui a refusé de suivre les formations nécessaires à une bonne utilisation du matériel. Ils concluent en conséquence à la confirmation de la décision ayant refusé d'annuler la vente et au rejet de la demande nouvelle formée au titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de conseil. Ils demandent par ailleurs à la cour de rejeter l'action en garantie formée à leur encontre par l'EURL X. Au terme de leurs écritures, ils demandent à la cour de débouter le Gaec Spernen de l'intégralité de ses demandes, de confirmer le jugement en ce qu'il a explicitement retenu le rôle du Gaec Spernen dans la réalisation de son préjudice, de débouter l'EURL X de son action en garantie et de condamner le Gaec Spernen à leur verser une somme de 6 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'EURL X, par conclusions déposées le 2 mars 2018, soulève la prescription de l'action au titre des vices cachés, celle-ci ayant été introduite selon elle plus de deux ans après la révélation du vice. Sur le fond, se référant au rapport d'expertise, elle soutient que le matériel livré était conforme et exempt de vices. Elle conteste tout manquement à une obligation de conseil, soutenant que c'est le Gaec lui-même qui a refusé de suivre les formations pourtant nécessaires à une bonne utilisation du matériel vendu. Sur ce dernier point, l'EURL X conteste les conclusions de l'expert sur le caractère insuffisant des conseils prodigués, affirmant que les exploitants ont en l'espèce manqué à leur devoir de coopération et n'ont pas fourni l'investissement en temps nécessaire à leur adaptation au nouveau matériel. Reprenant les conclusions de l'expert, ils font observer enfin que les problèmes de vérins ont été résolus grâce à des interventions rapides. Ils contestent les allégations concernant l'absence de logiciel, faisant observer que le Gaec n'a pas réglé le montant des licences et relèvent différentes erreurs factuelles de l'expert concernant le préjudice financier allégué.

Invoquant une clause de non-responsabilité stipulée au contrat de vente et soutenant avoir rempli leur obligation de conseil, l'impossibilité pour le Gaec d'utiliser les robots étant due à leur propre refus de formation, l'EURL X conclut à la réformation de la décision les ayant condamné au paiement de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de conseil. Elle soutient qu'en toute hypothèse, les sociétés Lely France et Lely Industries devraient seules supporter les conséquences d'un éventuel manquement, étant rédacteurs et concepteurs des documents d'information et des programmes de formation, ou subsidiairement devraient la garantir de toute condamnation. Elle conclut enfin à l'octroi d'une somme de 18 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'action en résolution pour vices cachés

L'article 1648 du Code civil dispose que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

En l'espèce, les acquéreurs eux-mêmes soutiennent que le matériel livré a présenté des dysfonctionnements dès la mise en service en juillet 2008, notamment en ce qui concerne le système d'alarme ; cependant, est versé aux débats un procès-verbal de réception définitive daté du 4 août 2009 ; ce procès-verbal, dont la date n'est pas contestée, ne mentionne aucune réserve ; il doit en être déduit qu'à la date indiquée, il n'existait aucun dysfonctionnement constaté et revendiqué comme tel par le Gaec Spernen, et qu'en conséquence aucun vice n'était alors apparu ; c'est dès lors à tort que les premiers juges ont déclaré l'action en résolution pour vice caché introduite le 25 mars 2011 prescrite comme introduite plus de deux ans à compter de la découverte du vice.

Le Gaec Spernen invoque au titre des vices cachés tour à tour une défaillance du système de surveillance se manifestant par des alarmes intempestives, une défaillance du système de pesage des vaches, des dysfonctionnements divers créant des problèmes sanitaires et enfin les trois pannes affectant les vérins ; force est de relever que l'expert judiciaire n'a constaté aucune défaillance du système d'alarme et a indiqué qu'après remplacement, les vérins semblaient fonctionner normalement ; cette absence de dysfonctionnement est confirmée par le procès-verbal de réception sans réserve analysé plus haut, ainsi que par un courrier rédigé par le Gaec lui-même le 20 juillet 2009 ne relevant aucun désordre affectant le système d'alarme ou les vérins ; de même, l'expert n'a relevé au titre des problèmes sanitaires aucun dysfonctionnement affectant les deux appareils, imputant l'état du bétail à une mauvaise formation des acquéreurs ; il apparaît des annexes du rapport d'expertise que si le vendeur est intervenu un certain nombre de fois sur les deux robots entre 2008 et 2010, la plupart de ces interventions facturées concernaient non la réparation de dysfonctionnements, mais des opérations de maintenance ou de livraison de produits d'entretien ; enfin, l'expert judiciaire a certes noté que le logiciel adapté aux deux robots ne fonctionnait plus, mais a précisé que cette situation s'expliquait par le retrait de la licence d'exploitation suite au non-paiement de la redevance due, rappel étant fait que le Gaec du Spernen a résilié le contrat de maintenance par lettre en date du 10 juillet 2010 ; il apparaît ainsi qu'aucun dysfonctionnement pouvant se rattacher à un vice caché n'a été relevé par l'expert judiciaire ; Le rapport de Monsieur W, au demeurant non contradictoire, n'apporte aucun élément matériel permettant de contredire l'expert, observation étant faite que les deux robots n'ont en réalité jamais été expertisés ni par Monsieur Y, ni par Monsieur W, ayant été démontés par le Gaec Spernen en 2010 et ne pouvant dès lors faire l'objet de la moindre analyse de fonctionnement ; les seules allégations du Gaec Spernen ne pouvant être considérées comme constituant des preuves, il convient dès lors de constater que l'appelant n'apporte pas la preuve de l'existence de vices cachés ayant affecté les deux robots et les ayant rendus impropres à leur destination.

Sur le manquement à l'obligation de délivrance

Il appartient à l'acquéreur d'établir la non-conformité du matériel vendu à sa destination ; en l'espèce, ainsi qu'il vient d'être analysé, ni l'expertise judiciaire ni l'expertise de Monsieur W ne démontrent que le matériel était impropre à son usage, et ce alors qu'au surplus un procès-verbal de réception sans réserve a été signé par les acquéreurs plus d'un an après la mise en service ; il est certes exact qu'à la livraison, le matériel n'était pas doté d'un système de flushing, système nécessaire en raison de la présence d'une aire paillée ; cependant, l'expert judiciaire précise que le système a été finalement installé après neuf mois, et ce sans au demeurant que cette mise en conformité n'améliore l'état sanitaire du bétail ; l'absence de pictogramme " marche arrêt " sur le système ne peut être considérée comme constituant à elle seule une non-conformité ; enfin, si les deux vérins ont fait l'objet d'interventions, celles-ci se sont révélées efficaces et aucune incompatibilité avec l'usage des robots n'a été constatée ; il y a lieu dès lors de retenir que le vendeur a rempli son obligation de délivrer un matériel conforme à son usage.

Sur la nullité de la vente pour erreur

A supposer qu'une action en nullité pour erreur fondée sur des désordres affectant la chose vendue soit recevable, il y a lieu de retenir qu'en l'espèce il n'existe aucune preuve selon laquelle les deux robots vendus au Gaec Spernen étaient affectés de dysfonctionnements les rendant impropres à leur usage et qu'ainsi l'acquéreur avait commis une erreur sur leur substance même ; l'action en nullité de la vente sera en conséquence rejetée.

Sur le manquement à l'obligation d'information

Le vendeur est tenu d'informer l'acquéreur des caractéristiques du bien vendu et de son adéquation avec les services attendus du bien ; en outre, au cas d'espèce, la société Robots Confort, aux droits de laquelle vient l'EURL X, avait signé le 22 août 2007 avec le Gaec Spernen un contrat intitulé " contrat de conseil, d'expertise et d'assistance " dans lequel elle s'engageait à fournir une prestation d'expertise, de conseil et d'assistance à l'acquéreur des deux robots selon des conditions stipulées à l'article 3 ; cette prestation concernait expressément, ainsi que le rappelait cet article " l'évaluation de la santé des animaux (....) en particulier les problèmes qui pourraient affecter les mamelles et les pieds ".

L'expert judiciaire relève (page 14 du pré rapport) que l'installation des deux robots acquis par le Gaec Spernen s'est soldée par un échec dont l'origine provient :

- d'un défaut de conseil et suivi des deux dernières phases parmi les trois préconisées par L'Institut de l'élevage de la part de Lely Center

- d'une disponibilité réduite de l'éleveur pour assurer l'accompagnement de ces deux phases particulièrement délicates compte tenu de la dispersion de l'exploitation.

En la page 15 de son rapport, il indique que les dysfonctionnements allégués ont pour la plupart leurs origines dans un manque de surveillance et dans le manque de coordination entre l'éleveur et le vendeur, " et par conséquent du défaut d'information du vendeur auprès de l'éleveur dont il connaissait parfaitement sa surcharge de travail ".

L'EURL X n'apporte aucun élément permettant de contredire les constations de l'expert, et notamment aucun document permettant de constater qu'elle a rempli ses obligations telles que prévues par le contrat d'expertise, de conseil et d'assistance, notamment des fiches d'intervention ou tout document d'information ; elle ne peut invoquer la propre carence de l'acquéreur en prétextant que celui-ci n'a pas consacré un temps suffisant à la formation et au suivi des robots, et ce alors que d'une part en tant que vendeur professionnel il lui appartenait de vérifier la compatibilité entre le matériel et ses contraintes et les propres obligations du client, et que d'autre part elle ne fournit sur ce point aucune mise en demeure ou simplement mise en garde permettant d'imputer au Gaec Spernen une négligence à l'origine des dysfonctionnements.

Les dysfonctionnements constatés par l'expert ont eu pour conséquence, outre les alarmes intempestives, une dégradation de l'état sanitaire du bétail, et tout particulièrement des mammelites, rappel étant fait que le contrat de conseil, d'expertise et d'assistance prévoyait sur ce point une obligation particulière de suivi à la charge du vendeur ; cet état sanitaire lui-même a engendré des coûts ainsi qu'une baisse de production.

Le manquement par le vendeur à son obligation d'information et de conseil se sanctionne comme toute mauvaise exécution d'une convention par l'octroi de dommages-intérêts, et non par la résolution ou annulation de la vente ; il sera fait au demeurant observé que ce manquement ne rendait pas impropre à sa destination les deux biens vendus, et que par ailleurs le contrat de conseil et d'assistance proprement dit à d'ores et déjà été résilié par l'acquéreur.

Le rapport d'expertise de Monsieur Z détaille de manière pertinente et convaincante les préjudices matériels et les pertes de production subies par le Gaec Spernen du fait de la dégradation de l'état sanitaire du bétail et du lait produit entre 2008 et 2010, soit durant la période d'utilisation des deux robots ; ainsi qu'il a été indiqué plus haut, il existe un lien de causalité certain entre ces préjudices et le manquement par le vendeur à son obligation d'information et d'assistance ; c'est donc à bon droit que les premiers juges ont repris les estimations de l'expert et ont chiffré le préjudice subi à la somme de 14 023 €, soit 3 660 € de frais vétérinaires, 1 468 € de lait perdu, 2 821 € de pénalités laitières, 2 954 € de vaches réformées prématurément et 3 120 € en perte de temps ; ils ont tout aussi à bon droit rejeté la demande formée au titre des intérêts en l'absence de lien entre le paiement des dits intérêts, liés à l'achat lui-même du matériel, et le manquement à l'obligation d'information.

Le fabricant n'est pas lui-même tenu à une obligation de conseil et d'information à l'égard de l'acquéreur, sauf à prouver que les documents par lui fournis sont lacunaires ou trompeurs ; il en est de même en ce qui concerne l'importateur ; en l'espèce, ce n'est pas la qualité de la documentation qui est à l'origine des dysfonctionnements, mais comme l'a relevé l'expert la défaillance de l'EURL X dans ses obligations de conseil et de suivi ; c'est donc à tort que les premiers juges ont condamné in solidum les sociétés Lely France et Lely Industries NV avec l'EURL X au paiement de la somme de 14 023 € allouée au titre des dommages-intérêts ; pour les mêmes motifs, il ne peut être fait droit à la demande en garantie formée par l'EURL X.

Sur les demandes accessoires

L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une quelconque des parties.

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement du tribunal de commerce de Quimper en date du 23 octobre 2015 dans l'intégralité de ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné les sociétés Lely France et Lely Industries NV in solidum avec l'EURL X à verser la somme de 14 023 € au titre de dommages-intérêts. Statuant à nouveau sur ce point, déboute le Gaec Spernen de sa demande en dommages-intérêts dirigée contre les sociétés Lely France et Lely Industries NV. Ajoutant à la décision déférée, déboute les parties du surplus de leurs demandes. Met les dépens à la charge du Gaec Spernen, dont distraction au profit des avocats à la cause.