CA Riom, 3e ch. civ. et com., 25 avril 2018, n° 17-01693
RIOM
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Moët Hennessy Diaego (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Riffaud
Conseillers :
M. Kheitmi, Mme Theuil Dif
Avocats :
Selarl Lexavoué, Selas Gaillard Amaris, Associés, Me Rahon, SCP Fidal
Exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties :
M. X a été employé jusqu'en décembre 2009 en qualité de salarié VRP par la SAS Moët Hennessy Diaego (la société Moët).
Après une rupture conventionnelle de ce contrat, les parties ont conclu le 15 février 2010, une convention dite " Contrat de prestation de services " aux termes de laquelle M. X avait pour mission de promouvoir auprès de la clientèle de la société Moët les produits, l'image et le savoir-faire de celle-ci sur les départements de la Corrèze, de la Creuse, de la Dordogne, du Lot et de la Haute-Vienne.
Par une lettre du 19 septembre 2013, la société Moët, invoquant la chute de son chiffre d'affaires sur le secteur d'activité et la nécessité de réorganiser son mode de distribution, a dénoncé ce second contrat moyennant un préavis d'un an qui a été évoqué entre les parties à l'occasion d'une réunion qui s'était tenue le 4 septembre précédent.
M. X a contesté les conditions de cette rupture, revendiquant le statut d'agent commercial et le bénéfice d'une indemnité correspondant à deux années de commissions.
Après s'être heurté au refus opposé par la société Moët, il l'a, par acte d'huissier de justice délivré le 10 avril 2014, fait assigner devant le Tribunal de commerce de Brive pour se voir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, reconnaître ce statut et avoir paiement de la somme de 70 282,03 euros, outre une indemnité au titre de ses frais de procès.
Avant toute défense au fond et invoquant l'article 20 du contrat portant clause attributive de compétence au Tribunal de commerce de Nanterre, la société Moët a soulevé l'incompétence du Tribunal de commerce de Brive. M. X s'est, quant à lui, opposé à cette exception en invoquant son statut d'agent commercial, de nature civile.
Suivant un jugement rendu le 10 avril 2015, le Tribunal de commerce de Brive a considéré que la clause attributive de compétence était opposable à M. X car il exerçait une activité commerciale en sa qualité d'intermédiaire intervenant dans les relations commerciales qu'entretenait la société Moët avec ses clients, eux-mêmes commerçants. Il s'est, en conséquence, déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Nanterre.
Saisie du contredit formé par M. X le 22 avril 2015, la Cour d'appel de Limoges, par un arrêt rendu le 12 novembre 2015, a infirmé le jugement précité, dit n'y avoir lieu à évoquer et a renvoyé les parties devant le Tribunal de commerce de Brive déclaré compétent.
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, saisie du pourvoi formé par la société Moët, a, par un arrêt rendu le 5 janvier 2017 au visa des articles 77 et 80 et ensemble les articles 5 et 49 du Code de procédure civile :
- dit que pour trancher l'exception d'incompétence soulevée dans l'affaire dont il est saisi, le juge statue, si nécessaire, sur les questions de fond dont dépend sa compétence ;
- dit qu'en statuant comme elle l'a fait, sans trancher la question de fond dont dépendait la compétence, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
- cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 novembre 2015 par la Cour d'appel de Limoges et renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Riom.
La Cour d'appel de renvoi a été saisie par une déclaration reçue au greffe le 12 juillet 2017 et, par une ordonnance rendue le 27 juillet suivant au visa de l'article 905 du Code de procédure civile, l'affaire a été fixée à l'audience du 15 février 2018.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 20 décembre 2017 au moyen de la communication électronique, M. X, demande à la cour, au visa des articles 89, 48 et 46 du Code de procédure civile et L. 134-1 du Code de commerce, de :
- se déclarer compétente pour évoquer le fond et arbitrer ses demandes indemnitaires ;
- dire que le contrat de prestation de services s'analyse en un contrat d'agent commercial ;
- condamner la société Moët à lui verser une indemnité de clientèle égale à deux ans de commissions soit une somme de 74 552 euros ;
- condamner la même société aux entiers dépens en ce compris les frais de signification et d'exécution la décision à intervenir et à lui verser une indemnité de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il expose que si le contrat a été nommé de manière générale " contrat de prestations de services " il s'agit en réalité d'un contrat dissimulant, outre les clauses rédigées pour les besoins de la cause, une relation contractuelle entre un mandant et un mandataire afin de remplir les obligations habituelles de tout agent commercial. Il ajoute que le statut d'agent commercial ne dépend ni de la dénomination du contrat, ni de la volonté exprimée par les parties dans celui-ci mais bien des conditions d'exécution de l'activité exercée.
A cet égard il indique, que contrairement à ce qui est prétendu par la société Moët, il était bien chargé de façon permanente de négocier et éventuellement conclure des contrats de vente de boissons et spiritueux et qu'il avait le pouvoir de négocier et signer lesdits contrats pour le compte de la société. Il ajoute que les conventions ainsi conclues impliquaient une négociation sur le barème des remises et ristournes volumétriques et que c'était bien lui qui effectuait cette négociation sur le taux de remise.
Il avance également qu'il ressort des relevés de commissions et de sa carte de visite rédigée par la société Moët que sa qualité était bien celle d'agent commercial.
Il prétend donc avoir entretenu une relation contractuelle d'agent commercial avec la société Moët, laquelle, de nature civile sauf en cas d'exercice en forme sociétaire, rend nulle la clause attributive de compétence territoriale. Et il soutient que l'article 20 du contrat est de plein droit inapplicable et que la cour doit en conséquence retenir sa compétence et évoquer l'affaire au fond pour faire droit à ses demandes indemnitaires.
Il soutient, par ailleurs, que l'indemnité qu'il réclame se fonde sur l'article L. 134-12 du Code de commerce et qu'elle doit être fixée sur la base de deux années de rémunération brute afin de réparer le préjudice qu'il subit et qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 15 janvier 2018 au moyen de la communication électronique, la société Moët demande à la cour, au visa des articles L. 110-1, L. 134-1 et suivants du Code de commerce, 1134 et 1315 du Code civil, 6, 9, 48, 696, 70 et 77 et 89 du Code de procédure civile, de :
A titre principal,
- dire que la clause attributive de juridiction prévue à l'article 20 du contrat de prestation de services du 15 février 2010, est applicable au litige ;
- rejeter la demande d'évocation au fond formulée par M. X ;
- renvoyer les parties à mieux se pourvoir devant le Tribunal de commerce de Nanterre après que le Tribunal de commerce de Brive ayant ordonné un sursis à statuer, soit à nouveau saisi ;
A titre subsidiaire,
- constater que M. X ne démontre pas qu'il satisfait les conditions cumulatives d'application du statut d'agent commercial prévues à l'article L. 134-1 du Code de commerce ;
- constater que les missions de M. X telles que prévues dans le contrat de prestation de services du 15 février 2010 ne sauraient relever de ce statut et que ce contrat ne saurait s'analyser en un contrat d'agent commercial ;
- débouter, en conséquence, M. X de l'ensemble de ses demandes ;
A titre très subsidiaire,
- constater que M. X ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice qui justifierait le versement de l'indemnité de cessation de contrat prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce ;
- le débouter de l'ensemble de ses demandes ;
- ramener le montant indemnitaire réclamé par M. X à la juste réparation du préjudice réellement subi, laquelle ne saurait, en tout état de cause, être supérieure à la somme de 18 638 euros ;
En tout état de cause,
- rejeter les prétentions adverses ;
- condamner M. X à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- le condamner aux entiers dépens qui comprendront ceux de Me Rahon.
Elle soutient que M. X intervenait dans les relations commerciales entretenues par elle avec ses clients et, partant, exerçait une activité commerciale. Elle ajoute que sur fondement de l'article 48 du Code de procédure civile la clause attributive de compétence issue de l'article 20 du contrat du 15 février 2010 est opposable. Elle prétend que quand bien même la qualité d'agent commercial de M. X serait reconnue, la clause attributive de compétence lui serait opposable. Ainsi, elle avance que conformément à cette clause et donc à la volonté expresse des parties, le Tribunal de commerce de Nanterre est compétent. Elle fait valoir, en conséquence, que la Cour d'appel de Riom, qui n'est pas la juridiction d'appel de la juridiction compétente, ne peut évoquer l'affaire.
Subsidiairement, sur le fond, elle soutient que M. X ne peut se prévaloir de la qualité d'agent commercial, laquelle suppose la réunion de deux conditions cumulatives à savoir le pouvoir de conclure des contrats avec la clientèle et le pouvoir de les négocier.
A cet égard, elle soutient que le contrat stipulait expressément que M. X n'avait pas le pouvoir de conclure des contrats, ni celui de les négocier mais qu'il se bornait à présenter les conditions générales proposées par elle. Elle ajoute qu'elle seule décidait de la politique commerciale qu'elle appliquait à ses clients et que M. X n'avait ainsi aucune autonomie dans les conditions tarifaires et de ventes appliquées mais qu'il devait, en revanche, soumettre à son accord l'ensemble des décisions commerciales.
Elle conteste encore la réalité du préjudice invoqué par M. X et soutient qu'un agent commercial n'a pas de droit acquis à une indemnité, laquelle ne vise qu'à réparer un préjudice démontré. Et elle prétend qu'il n'existe pas d'automaticité dans le mode de calcul tel que présenté par l'appelant et, qu'au contraire, il appartient à ce dernier, conformément à l'article 1315 du Code civil de rapporter la preuve de son préjudice ce qu'il s'est abstenu de faire.
Elle ajoute que l'agent n'a encore moins de droit acquis à cette indemnité lorsqu'il a commis des fautes qui peuvent être de nature à le priver de cette indemnité ou à tout le moins la réduire. A cet égard elle fait valoir que M. X a lui-même précipité la fin de la relation contractuelle en refusant de respecter le préavis d'un an, que la relation contractuelle a été particulièrement brève comme n'ayant duré que quatre années et que celle-ci n'a pas permis de développer sa clientèle.
Le ministère public, qui a reçu communication de la procédure, a conclu à ce que la question de fond portant sur le statut ou non de commerçant de M. X soit tranchée conformément aux dispositions de l'arrêt de cassation du 5 janvier 2017.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2018.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Il incombe à la cour, pour décider si la clause attributive de juridiction prévue à l'article 20 du contrat conclu le 15 février 2010 entre les parties est valide pour répondre aux conditions posées par l'article 48 du Code de procédure civile, de se prononcer sur la question de fond dont dépend la compétence et, en particulier, de déterminer si M. X a contracté en qualité de commerçant.
M. X soutient qu'en réalité, il n'est pas commerçant, et il revendique le statut, de nature civile, d'agent commercial.
Selon la définition énoncée par l'article L. 134-1 du Code de commerce, l'agent commercial, qui peut être une personne physique ou morale, est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.
M. X revendique la qualité d'agent commercial tandis que la société Moët la lui dénie au motif que l'intéressé n'avait, selon elle, pas le pouvoir de conclure des contrats, ni celui de les négocier mais qu'il se bornait à présenter les conditions générales par elle proposées.
L'article 2 de la convention litigieuse, qui énonce que " Sauf convention contraire expresse et écrite, le Prestataire n'est pas autorisé à négocier voire à conclure des contrats au nom de M., ni à engager financièrement ou juridiquement celle-ci à l'égard des tiers, de quelque manière que ce soit " est manifestement contraire au statut d'agent commercial qui suppose à tout le moins que l'agent dispose de la faculté de négocier les contrats.
La lettre du contrat ne permet donc pas de lui conférer la qualification de contrat d'agence revendiquée par M. X.
En revanche, M. X, qui exerçait auparavant la fonction salariée de représentant, mais ne revendique plus le statut de salarié un moment évoqué, prétend établir, contre la lettre de cette convention, qu'il disposait de la faculté de conclure des contrats pour le compte de la société Moët.
A cet effet, il produit (pièce n° 5) des contrats dénommés " Accord commercial 2010 " ou encore " Convention unique " conclus sur le secteur dont il avait la charge, avec le Club Athlétique Brive Corrèze Limousin, la SARL La Charette, la SARL Cardi Club, le Grand Hôtel, la SA Hôtel du Centre, la SARL Caves Dubech, la SARL Discothèque Les Deux Mondes, dans lesquels il est désigné en qualité de représentant de la société Moët.
Ces conventions, accompagnées d'annexes intitulées " Rémunération des prestations de mise en avant CHR " également signées au nom de la société Moët par M. X, ont pour objet la négociation avec la clientèle d'accords de coopération commerciale se traduisant par des remises et ristournes volumétriques en contrepartie de " services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente et propres à favoriser la commercialisation des produits de M. auprès des consommateurs... ". Une rémunération de l'établissement est négociée entre les parties à leur occasion.
Il est, en outre, établi que M. X a perçu des commissions au titre de ses prestations.
M. X produit également (pièce n° 9) une carte établie par la société Moët et portant la mention " X - agent commercial - Circuit de Prescription ".
Par ailleurs, il ressort de l'attestation établie par le directeur commercial du circuit de prescription de la société Moët le 19 septembre 2014 et produite par cette société, qu'après avoir rappelé le volume d'activité de M. X, l'attestant a précisé que : " Chaque contrat est signé par le client et le prestataire commercial. En fonction de l'importance du client, le contrat est également signé par le directeur national des ventes ou le directeur général M.. De plus, notre département " contrôle de gestion " effectue tous les 2 mois des contrôles sur les conditions commerciales accordées dans le cadre de ces contrats. Ces contrôles sont adressés aux prestataires commerciaux. Chaque prestataire commercial doit alors expliquer ses " validations " et/ou " non validations " à son directeur régional qui fait également de son côté un contrôle de ces conditions commerciales... "
L'ensemble de ces éléments montre que M. X a, à tout le moins, et contrairement à ce qui est indiqué dans la convention invoquée par la société Moët, négocié de façon habituelle des contrats pour le compte de cette société et que, n'étant plus son salarié, il est fondé à invoquer le statut d'agent commercial.
L'agent commercial, simple mandataire, qui n'a pas de clientèle propre, ne peut être titulaire d'un fonds de commerce et n'a pas la qualité de commerçant. Ce statut met donc obstacle à l'application des dispositions de l'article 48 du Code de procédure civile qui ne permettent de déroger par une clause contractuelle aux règles de compétence territoriale qu'entre parties ayant toutes contracté en qualité de commerçant. Et il s'ensuit que c'est à tort que le Tribunal de commerce de Brive a fait application de la clause attributive de juridiction qui, énoncée à l'article 20 du contrat, est réputée non écrite.
La société Moët prétend, néanmoins, qu'en tout état de cause, l'affaire doit être renvoyée devant le Tribunal de commerce de Nanterre dès lors que le litige porte sur l'allocation d'une indemnité de fin de contrat et que, dans un tel cas, les dispositions de l'article 46 alinéa 2 du Code de procédure civile, ouvrant une alternative à la saisine de la juridiction compétente au lieu du domicile du défendeur, ne peuvent s'appliquer.
L'indemnité compensatrice instituée par l'article L. 134-12 du Code de commerce au bénéfice de l'agent commercial en réparation du préjudice subi du fait de la cessation de ses relations avec son mandant, qui présente un caractère statutaire et d'ordre public, ne relève pas de la matière contractuelle pour être due quelle que soit la cause de la fin du mandat sauf les exceptions prévues par l'article L. 134-13 du même Code.
Il s'ensuit que M. X qui ne réclamait pas devant la juridiction consulaire d'autre indemnité que deux années de commissions à titre d'indemnité de clientèle en se prévalant du statut d'agent commercial, ne disposait pas de l'alternative ouverte par les dispositions de l'article 46 du Code de procédure civile et, qu'en application de l'article 42 du même Code, il lui appartenait de saisir la juridiction compétente au siège de la société Moët, avec pour choix, ne possédant pas lui-même la qualité de commerçant de saisir le tribunal de commerce ou le tribunal de grande instance territorialement compétent.
Le siège social de la société Moët étant établi à Courbevoie (92), c'est à juste titre que les premiers juges, saisis de l'exception d'incompétence soulevée par cette société, ont ordonné le renvoi de l'affaire devant le Tribunal de commerce de Nanterre.
Leur décision sera, en conséquence, confirmée.
M. X, qui a pris l'initiative de saisir une juridiction incompétente, supportera la charge des dépens du présent arrêt.
La représentation par un avocat ne revêtant pas un caractère obligatoire à l'occasion de l'instance sur contredit, il n'y a lieu à ordonner la distraction des dépens au bénéfice de Me Rahon, avocat.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de la société Moët.
Par ces motifs, substitués à ceux des premiers juges, LA COUR, après en avoir délibéré, statuant publiquement, sur contredit, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ; Vu l'arrêt rendu le 5 janvier 2017 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, Confirme le jugement rendu le 10 avril 2015 par le Tribunal de commerce de Brive ; Dit que le présent arrêt sera notifié aux parties par le greffier ; Condamne M. X aux dépens du présent arrêt.