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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ., 24 avril 2018, n° 16-01451

CAEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Normandy Yacht Service (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hussenet

Conseillers :

Mme Serrin, M. Brillet

Avocats :

Mes Lejard, Thill

TGI Caen, du 14 mars 2016

14 mars 2016

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant devis accepté en date du le 12 février 2008, la société Normandy Yacht Service (NYS), société concevant et fabriquant des bateaux de plaisance, s'est engagée à livrer à M. X, M. Y et M. Z un bateau de " pêche promenade " équipé d'une coque aluminium et d'un moteur de 90 chevaux, pour le prix total de 22 797 € TTC réglé par les acquéreurs à l'exception d'une somme de 3 386,36 €.

Suite à la livraison du bateau, dénommé " Pépère ", M. X, M. Y et M. Z se sont rapidement plaints de divers problèmes de conception, soit des entrées d'eau et des fuites dans la coque et le fait qu'il enfournait à la moindre vague, qu'ils ont fait constater par huissier de justice le 28 octobre 2008 et ont soutenu que l'ensemble le rendait totalement impropre à sa destination.

Par acte d'huissier de justice en date 12 novembre 2008, ils ont fait assigner la société NYS devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Caen pour voir désigner un expert. Par ordonnance en date du 18 décembre 2008, M. A a été désigné, les demandeurs étant à cette occasion condamnés à verser à la société NYS la somme provisionnelle de 3 386,36 €, avec intérêts légaux à compter de l'ordonnance, au titre du solde du prix.

Par acte d'huissier du 10 mars 2009, M. X, M. Y et M. Z ont fait assigner la société NYS devant le Tribunal de grande instance de Caen sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 25 novembre 2010 sans soumettre cependant ses premières conclusions au contradictoire des parties ni, ensuite, répondre aux sollicitations du juge chargé du contrôle des expertises.

Par ordonnance en date du 22 novembre 2011, le juge chargé du contrôle des opérations d'expertise a donc désigné M. B en remplacement de M. A. L'expert a déposé son rapport le 18 mars 2014.

Le 27 juin 2015, M. X, M. Y et M. Z ont revendu le bateau à M. W pour le prix de 11 900 €.

Dans le dernier état de leurs écritures déposées devant le tribunal, M. X, M. Y et M. Z ont sollicité la condamnation de la société NYS à leur restituer une partie du prix de vente du bateau à concurrence de 10 897 €, soit la différence entre le prix d'acquisition et le prix de revente, et à leur payer une somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance.

Par jugement en date du 14 mars 2016, auquel la cour renvoie pour une présentation plus complète des faits et de la procédure antérieure, le tribunal a :

- condamné la société NYS à payer à M. X, M. Y et M. Z les sommes de :

- 8 450 € au titre de la restitution d'une partie du prix de vente du bateau " Pépère " avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- 3 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance,

- 4 175,57 € en application l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné M. X, M. Y et M. Z à payer à la société NYS la somme de 3 386,30 € au titre du solde des factures numéro 080606 et numéro 080607 avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2008,

- condamné la société NYS aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire de M. B et M. A avec droit de recouvrement direct au profit du conseil des demandeurs,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

La société NYS a interjeté appel du jugement par déclaration en date du 11 avril 2016.

Vu les dernières conclusions récapitulatives déposées au greffe le 19 février 2018 par la société NYS,

Vu les dernières conclusions récapitulatives déposées au greffe le 6 février 2018 par M. X, M. Y et M. Z,

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 février 2018.

Il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation de leurs prétentions respectives et des moyens développés à leur soutien.

MOTIFS

- Sur la recevabilité de l'action

Mettant en avant le fait que le bateau litigieux a été revendu par les intimés, la société NYS soutient que ces derniers ne peuvent, en état des pièces produites au débat, que voir leur action sur le terrain des vices cachés déclarée irrecevable dès lors que cette action s'est nécessairement trouvée transférée au profit du sous-acquéreur à défaut de stipulation contraire dans l'acte de vente et/ou de justification d'un intérêt direct et certain à raison d'une minoration du prix de cession résultant des prétendus vices affectant le bateau.

Cependant l'acheteur qui a cédé la chose, avec laquelle est transmise la garantie, conserve la faculté de se prévaloir de celle-ci dans la mesure où il peut faire état d'un intérêt direct et certain. Un tel intérêt peut résulter du fait, soutenu en l'espèce par les intimés, qu'ils ont subi un préjudice résultant de la dépréciation de la chose revendue à moindre valeur ou encore de l'existence de troubles de jouissance subis antérieurement à la vente.

Nonobstant la revente du bateau intervenue en cours d'instance, les intimés ont donc conservé intérêt et qualité pour agir en réparation des préjudices précités.

La discussion entretenue par la société NYS relative au défaut de preuve de l'existence du préjudice lié au prix de revente du bateau est le cas échéant de nature à affecter le bien-fondé de l'action indemnitaire mais pas sa recevabilité.

Le moyen d'irrecevabilité de la société NYS doit donc être rejeté.

- Sur l'existence du vice caché affectant le bateau vendu.

Il résulte du rapport d'expertise de M. B que si les différents désordres exposés par les demandeurs concernant des entrées d'eau et fuites dans la coque ont été traités par la société NYS et résolus avant le début de l'expertise, les essais du bateau effectués en mer ont montré que la coque de celui-ci tape dans les vagues et que le passage dans celles-ci entraîne des projections d'eau conséquentes dans le cockpit. L'expert a précisé que ce phénomène n'avait rien d'exceptionnel, s'agissant d'un bateau de petite taille, qui atteint des vitesses élevées, mais que, dans ce cas précis, les embruns étaient importants car la forme de la coque ne permet pas, ou de façon insuffisante, le rejet sur les côtés du bateau des paquets de mer.

L'expert judiciaire a retenu que ce désagrément ne rendait pas le bateau impropre à sa destination mais nuisait à son utilisation en réduisant les conditions de confort à bord.

Les conclusions de l'expert résultent notamment d'un essai réalisé le 29 octobre 2012, non en pleine mer au large, mais dans le chenal d'accès au port de Ouistreham et sur la rade de Caen alors que le vent soufflait de sud à environ 20 nœuds, que le plan d'eau était protégé et que la mer était belle avec un léger clapot. L'expert a indiqué que les conditions de l'essai étaient très favorables dans la mesure où le plan d'eau était calme.

Or, dans de telles conditions favorables, l'expert a constaté que lorsque le bateau passait dans la vague, il tapait sous le dessous de la partie avant de la coque, ce qui provoquait des chocs prononcés et des pulvérisations d'eau importantes dans le cockpit, le dévers de l'étrave étant pratiquement inexistant.

Ces constatations ne font que confirmer celles de l'huissier de justice mandaté par les intimés à l'occasion d'un essai en mer du bateau au cours duquel le bateau était piloté par M. X. Le procès-verbal de constat en date du 28 octobre 2008 indique ainsi : " (...) Sitôt sorti du port de Ouistreham, alors que la mer est faiblement agitée, il apparaît que le bateau Pépère ne fend pas les vagues mais qu'au contraire celles-ci éclatent contre l'avant de celui-ci en produisant d'énormes gerbes d'eau lesquelles s'abattent sur le pilote. À l'issue de cette démonstration, il apparaît que M. X est totalement trempé ".

Le désordre est lié à la conception du bateau, spécialement à la forme de sa coque qui dispose d'un dévers très peu prononcé expliquant le manque de déflexion des vagues.

En application de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

S'il aurait pu être toléré, a fortiori dans des conditions de mer formée, des projections modérées d'embruns sur les occupants du bateau et notamment le pilote compte tenu de la conception du bateau et de l'absence de cabine intérieure protégeant ces derniers, la conception même de la coque occasionne en l'espèce des projections d'eau très importantes, jusqu'à complètement tremper le pilote, alors même que les conditions de navigation sont jugées très favorables. Or, les intimés ont entendu acquérir un bateau destiné à la promenade et la petite pêche côtière (pose de casiers) et cette destination d'agrément est fortement entravée par un usage les arrosant systématiquement et copieusement à la moindre vague.

Si de tels désagréments constatés, même dans des conditions de mer calme, ne rendent pas le bateau impropre à sa destination, la cour retient dès lors qu'ils en diminuent tellement l'usage que les acheteurs ne l'auraient pas acquis, ou n'en auraient donné qu'un moindre prix, s'ils les avaient connus.

Le bateau a été construit après la vente formée selon devis accepté du 12 février 2008 et n'a donc pas été essayé avant celle-ci par les acquéreurs. Le vice, lié à la conception de la coque, était donc caché au jour de cette vente pour les intimés, acquéreurs profanes en matière de conception de navire.

A l'inverse, il doit être retenu que la société NYS, professionnelle de la conception de navire, en avait nécessairement connaissance au sens de l'article 1645 du Code civil. Elle est donc tenue de tous dommages et intérêts envers les acheteurs.

Le jugement doit donc être confirmé sur tous ces points.

- Sur les demandes financières de M. X, M. Y et M. Z.

Le premier juge a condamné la société NYS à payer aux intimés la somme de 8 450 € au titre de la restitution d'une partie du prix de vente du bateau, estimée à la différence entre le prix d'acquisition et le prix de revente.

Une telle condamnation ne peut être confirmée puisque les actions rédhibitoire et estimatoire ont été transmises au sous-acquéreur à la suite de la revente du bateau le 28 juin 2015.

Les intimés demandent cependant également la condamnation de la société NYS au paiement de la même somme en faisant notamment valoir que le bateau a été revendu avec une décote liée à sa dépréciation incontestablement due selon eux aux fautes de la société NYS en terme notamment d'inconvénients d'utilisation.

Il a été précédemment considéré que l'action indemnitaire restait sur ce fondement recevable.

La société NYS soutient néanmoins que ce préjudice est inexistant.

En l'espèce, selon les pièces contractuelles versées au débat, le prix total initial (22 797 € TTC) était ventilé à concurrence de 11 797 € pour le moteur et de 11 000 € pour la coque, étant observé que le vendeur a procédé à une remise commerciale de 2 447 € pour consentir à la vente du bateau pour le prix final de 20 350 € TTC.

Le vice caché lié à la projection excessive d'eau de mer sur ses occupants est d'évidence de nature à déprécier la valeur du bateau, dès lors qu'il est retenu qu'il en diminue l'usage attendu. L'acte de revente du bateau prend d'ailleurs soin d'alerter le sous-acquéreur sur cette situation et il n'est pas concevable qu'elle n'ait eu aucun effet baissier sur le prix de vente.

Le bateau, qui avait très peu navigué, a été revendu le 27 juin 2015 pour le prix de 11 900 €, soit approximativement le coût initial de sa seule motorisation.

Dans ces conditions, la cour retient le principe d'un préjudice de dépréciation éprouvé par les intimés à la revente du bateau.

Cependant, d'une part, le vice caché ne rend pas le bateau impropre à sa destination mais en diminue uniquement l'usage attendu. D'autre part, un bateau, même régulièrement entretenu, se déprécie sur le principe dans le temps en sorte qu'il est concevable de retenir que le prix de revente d'un bateau, devenu d'occasion, est moins important que son prix d'acquisition à l'état neuf.

Dans ces conditions, hors toute prise en compte de l'argument inopérant de la société NYS sur la TVA, réglée sans récupération par les acquéreurs, il n'apparaît pas justifié de retenir que le préjudice financier éprouvé lors de la revente du bateau litigieux par les intimés s'établit à la différence entre le prix d'acquisition le prix de revente.

En l'état des éléments versés au débat, il est plus justifié de fixer ce préjudice à la somme de 5 000 €. Le jugement sera réformé en ce sens.

S'agissant d'une somme réparant un préjudice, l'intérêt au taux légal court sur cette somme depuis le jugement en application de l'article 1231-7 du Code civil (ancien article 1153-1 du Code civil) et non depuis la vente.

A l'inverse, en le fixant à la somme de 3 500 €, le premier juge a, loin de le sous estimer comme soutenu par les intimés, justement apprécié leur préjudice de jouissance éprouvé du fait de la privation de l'usage normal du bateau acquis pendant la période courue entre son acquisition et sa revente. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Pour le surplus, le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a condamné M. X, M. Y et M. Z à payer à la société NYS la somme de 3 386,30 € au titre du solde des factures numéro 080606 et numéro 080607 avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2008.

Enfin, les demandes accessoires (frais irrépétibles et dépens) ont été justement appréciées par le tribunal.

Condamnée aux dépens de l'instance d'appel, la société NYS sera condamnée à payer la somme complémentaire de 2 000 € aux intimés au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe, Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société Normandy Yacht Service à payer à M. X, M. Y et M. Z la somme de 8 450 € au titre de la réparation du préjudice de dépréciation du bateau lors de sa revente, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, Statuant à nouveau de ce seul chef, Condamne la société Normandy Yacht Service à payer à M. X, M. Y et M. Z la somme de 5 000 € au titre de la réparation de leur préjudice de dépréciation, résultant du vice caché affectant le bateau " Pépère ", éprouvé lors de sa revente, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, Condamne la société Normandy Yacht Service à payer à M. X, M. Y et M. Z la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, Condamne la société Normandy Yacht Service aux dépens de l'instance d'appel avec droit de recouvrement au profit de la Selarl Thill Langeard et Associés, avocat, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.