CAA Nantes, 4e ch., 27 avril 2018, n° 17NT01719
NANTES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Signalisation France (Sté), Franche-Comté Signaux (Sté), Signaux Girod (Sté), Signature Vertical et Mobility solutions (Sté), Nadia Signalisation (Sté), Lacroix Signalisation (Sté)
Défendeur :
Département de l'Orne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Tiger-Winterhalter
Rapporteur public :
M. Bréchot
Conseillers :
Mme Allio-Rousseau, M. Bouchardon
Avocat :
SCP Calvar & Associés
LA COUR : - Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le département de l'Orne a demandé au Tribunal administratif de Caen, à titre principal de condamner solidairement les sociétés Signalisation France, Signaux Girod, Nadia Signalisation, Lacroix Signalisation et Franche-Comté Signaux, et à titre subsidiaire de condamner les sociétés Signature Industrie et Signature SAS, bénéficiaires d'apports partiels d'actifs, et les sociétés Signaux Girod, Nadia Signalisation, Lacroix Signalisation et Franche-Comté Signaux, à lui payer la somme de 2 239 819 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation du préjudice subi du fait des pratiques anticoncurrentielles caractérisées par l'Autorité de la concurrence dans sa décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010.
Par un jugement n° 1500227 du 6 avril 2017, le Tribunal administratif de Caen a condamné les sociétés Signalisation France, Lacroix Signalisation, Signaux Girod et Franche-Comté Signaux à verser au département de l'Orne la somme de 2 239 819 euros, assortie des intérêts à compter du 29 janvier 2015 et de leur capitalisation au 29 janvier 2016 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 17NT01719, le 1er juin 2017 et le 4 décembre 2017, la société Signalisation France, représentée par Me X, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Caen du 6 avril 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par le département de l'Orne devant le Tribunal administratif de Caen ;
3°) de mettre à la charge du département de l'Orne la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le département de l'Orne n'a pas émis de titre exécutoire pour recouvrer la somme qu'il estime lui être due, de sorte que sa demande de première instance était irrecevable ;
- la méthode et l'évaluation du préjudice sont erronées ;
- pour le surplus, elle s'en rapporte à ses écritures de première instance.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 5 octobre 2017 et le 24 janvier 2018, le département de l'Orne, représenté par Me Y, conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Signalisation France.
Il soutient que :
- la requête, manifestement dépourvue de fondement, devrait être rejetée par ordonnance sur le fondement de l'article R. 222-1 du Code de justice administrative ;
- en l'état de la jurisprudence la demande de première instance était recevable ;
- la méthode et l'évaluation de l'expert ne sont pas erronées.
Par un mémoire, enregistré les 22 décembre 2017, la société Franche-Comté Signaux, représentée par Me Z, demande la jonction de la requête de la société Signalisation France avec les requêtes enregistrées sous les n°s 17NT01740, 17NT01741 et 17NT01770.
II. Par une requête enregistrée sous le n° 17NT01740 le 2 juin 2017 et un mémoire enregistré le 26 mars 2018, la société Signaux Girod, représentée par Me W, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Caen du 6 avril 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par le département de l'Orne devant le Tribunal administratif de Caen ;
3°) subsidiairement de fixer sa part de responsabilité à 12,63 % du préjudice prétendument subi par le département de l'Orne ;
4°) de condamner le département de l'Orne aux dépens ;
5°) de mettre à la charge du département de l'Orne la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Elle soutient que :
- ni la faute ni le lien de causalité ne sont établis ;
- elle n'a pas candidaté aux appels d'offre lancés en 1999 et 2005, seulement à celui de 2002 et sa candidature n'a jamais été retenue, de sorte que sa responsabilité n'est pas engagée ;
- les sociétés n'ont pas concouru avec la même implication et la même gravité à la réalisation du dommage, de sorte qu'elles ne peuvent être solidairement condamnées ;
- l'existence et le montant du préjudice ne sont pas établis ;
- l'évolution de son taux de marge montre que les pratiques anticoncurrentielles n'ont pas eu d'effet sur les prix pratiqués ;
- l'évaluation du préjudice ne peut pas prendre en compte la période 2007-2008.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2017, le département de l'Orne, représenté par Me Y, conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Signaux Girod en application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Il soutient que :
- la faute de la société Signaux Girod est établie ;
- sa responsabilité est engagée solidairement avec celle des autres sociétés ayant participé à l'entente ;
- l'existence et l'étendue de son préjudice sont établies.
Par un mémoire, enregistré le 15 novembre 2017, la société Signature Vertical et Mobility solutions, venant aux droits de la société Signature Industrie, représentée par Me V, demande la confirmation du jugement en tant qu'il la met hors de cause et que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge du département de l'Orne.
Elle soutient qu'elle n'était pas partie à l'expertise et qu'elle ne peut qu'être mise hors de cause.
Par un mémoire, enregistré le 17 novembre 2017, la société Signalisation France, représentée par Me X, conclut à l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Caen du 6 avril 2017, au rejet des demandes présentées par le département de l'Orne devant le tribunal et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge du département de l'Orne en application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le département de l'Orne n'a pas émis de titre exécutoire pour recouvrer la somme qu'il estime lui être due, de sorte que sa demande de première instance était irrecevable ;
- la méthode et l'évaluation du préjudice sont erronées ;
- pour le surplus, elle s'en rapporte à ses écritures de première instance.
Par un mémoire, enregistré le 22 décembre 2017, la société Franche-Comté Signaux, représentée par Me Z, demande la jonction de la requête de la société Signaux Girod avec les requêtes enregistrées sous les n°s 17NT01719, 17NT01741 et 17NT01770.
Par un mémoire, enregistré le 5 avril 2018, la société Nadia signalisation, représentée par Me A, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que sa mise hors de cause doit être confirmée.
III. Par une requête, enregistrée sous le n° 17NT01741 le 2 juin 2017 et un mémoire enregistré le 5 avril 2018, la société Franche-Comté Signaux, représentée par Me Z, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Caen du 6 avril 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par le département de l'Orne devant le Tribunal administratif de Caen ;
3°) subsidiairement de fixer sa part de responsabilité à 1,4 % du préjudice prétendument subi par le département de l'Orne ;
4°) de condamner solidairement les sociétés Signaux Girod, Signalisation France et Lacroix Signalisation à la garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ;
5°) de mettre à la charge solidaire du département de l'Orne et des sociétés Signaux Girod, Signalisation France et Lacroix Signalisation la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa responsabilité ne peut pas être retenue car elle ne participait pas à l'entente lorsqu'ont été passés les marchés litigieux ;
- subsidiairement, sa part de responsabilité ne peut dépasser le pourcentage de responsabilité retenu par l'Autorité de la concurrence.
Par un mémoire, enregistré le 15 novembre 2017, la société Signature Vertical et Mobility Solutions, représentée par Me V, demande la confirmation du jugement en tant qu'il la met hors de cause et que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge du département de l'Orne en application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Elle soutient qu'elle n'était pas partie à l'expertise et qu'elle ne peut qu'être mise hors de cause.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 novembre 2017 et le 5 avril 2018, le département de l'Orne, représenté par Me Y, conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Franche-Comté Signaux en application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Il soutient que :
- la faute de la société Franche-Comté Signaux est établie ;
- sa responsabilité est engagée solidairement avec celle des autres sociétés ayant participé à l'entente ;
- l'existence et l'étendue de son préjudice sont établies.
Par un mémoire, enregistré le 17 novembre 2017, la société Signalisation France, représentée par Me X, conclut à l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Caen du 6 avril 2017, au rejet des demandes présentées par le département de l'Orne devant le tribunal et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge du département de l'Orne en application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le département de l'Orne n'a pas émis de titre exécutoire pour recouvrer la somme qu'il estime lui être due, de sorte que sa demande de première instance était irrecevable ;
- la méthode et l'évaluation du préjudice sont erronées ;
- pour le surplus, elle s'en rapporte à ses écritures de première instance.
Par un mémoire, enregistré le 5 avril 2018, la société Nadia Signalisation, représentée par Me V, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que sa mise hors de cause doit être confirmée.
Les parties ont été informées le 5 avril 2018, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du Code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions d'appel en garantie présentées pour la première fois en appel.
Par un mémoire, enregistré le 5 avril 2018, la société Lacroix Signalisation, représentée par Me B, conclut au rejet de l'appel en garantie et demande en outre qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de la société Franche-Comté Signalisation au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Elle soutient que les conclusions d'appel en garantie sont irrecevables.
IV. Par une requête, enregistrée sous le n° 17NT01770 le 6 juin 2017 et un mémoire enregistré le 5 avril 2018, la société Lacroix Signalisation, représentée par Me B, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Caen du 6 avril 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par le département de l'Orne devant le Tribunal administratif de Caen ;
3°) de mettre à la charge du département de l'Orne la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la faute et le lien de causalité ne sont pas établis ;
- le préjudice n'est pas certain ;
- les coûts ont pu être répercutés ;
- la condamnation ne pouvait pas être prononcée in solidum.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 novembre 2017, le département de l'Orne, représenté par Me Y, conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Lacroix Signalisation en application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Il soutient que :
- la faute de la société Lacroix Signalisation est établie ;
- sa responsabilité est engagée solidairement à celle des autres sociétés ayant participé à l'entente ;
- l'existence et l'étendue de son préjudice sont établies.
Par un mémoire, enregistré le 17 novembre 2017, la société Signalisation France, représentée par Me X, conclut à l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Caen du 6 avril 2017, au rejet des demandes présentées par le département de l'Orne devant le tribunal et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge du département de l'Orne en application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le département de l'Orne n'a pas émis de titre exécutoire pour recouvrer la somme qu'il estime lui être due, de sorte que sa demande de première instance était irrecevable ;
- la méthode et l'évaluation du préjudice sont erronées ;
- pour le surplus, elle s'en rapporte à ses écritures de première instance.
Par un mémoire, enregistré le 22 décembre 2017, la société Franche-Comté Signaux, représentée par Me X, demande la jonction de la requête de la société Lacroix Signalisation avec les requêtes enregistrées sous les n°s 17NT01740, 17NT01741 et 17NT01719.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le Code civil ;
- le Code de commerce ;
- le Code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Allio-Rousseau,
- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,
- et les observations de Me B, représentant la société Lacroix Signalisation, de Me W, représentant la société Signaux Girod, de Me V représentant la société Franche-Comté Signalisation et de Me Y, représentant le département de l'Orne.
1. Considérant qu'entre 1999 et 2005 le département de l'Orne a conclu avec la société Signature SA, devenue société Signalisation France, trois marchés publics à bons de commande en vue de l'acquisition de panneaux de signalisation routière et d'équipements annexes ; que par une décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale, l'Autorité de la concurrence a sanctionné huit fabricants de panneaux de signalisation routière verticale, dont les sociétés Signature SA, Signaux Girod, Lacroix Signalisation et Franche-Comté Signaux, pour avoir mis en place entre 1997 et 2006 une entente de répartition des marchés publics de la signalisation routière verticale ; que par un arrêt du 29 mars 2012 devenu définitif, la Cour d'appel de Paris a confirmé pour l'essentiel cette décision et minoré le montant des amendes infligées ; que, par une ordonnance du 30 juillet 2013, le juge des référés du Tribunal administratif de Caen a, sur la demande du département de l'Orne, ordonné une expertise afin de déterminer le montant du surcoût supporté du fait de la passation des trois marchés avec la société Signature SA dans ces conditions anticoncurrentielles ; que le rapport d'expertise a été déposé le 31 mars 2014 ; que par un jugement du 6 avril 2017, le Tribunal administratif de Caen a condamné les sociétés Signalisation France, Signaux Girod, Lacroix Signalisation et Franche-Comté Signauxà verser au département de l'Orne la somme de 2 239 819 euros, assortie des intérêts à compter du 29 janvier 2015 et de leur capitalisation au 29 janvier 2016 et à chaque échéance annuelle ultérieure ; que les sociétés Signalisation France, Signaux Girod, Franche-Comté Signauxet Lacroix Signalisation relèvent chacune appel de ce jugement ;
2. Considérant que les requêtes n° 17NT01719, 17NT01740, 17NT01741 et 17NT01770 sont dirigées contre un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour se prononcer par un seul arrêt, sans que le département de l'Orne puisse utilement soutenir que ces requêtes devaient faire l'objet d'un rejet par ordonnance sur le fondement de l'article R. 222-1 du Code de justice administrative, la mise en œuvre de ces dispositions consistant une simple faculté pour le juge ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
3. Considérant qu'une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre ; qu'en particulier, les collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l'encontre de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de leur créance ; que, cependant, lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge d'administratif d'une demande tendant à son recouvrement, y compris lorsque son action est fondée sur la responsabilité quasi délictuelle de son cocontractant en raison d'agissements dolosifs ;
4. Considérant que l'action introduite par le département de l'Orne devant le juge administratif est fondée sur la responsabilité quasi délictuelle des sociétés Signalisation France, Signaux Girod, Franche-Comté Signauxet Lacroix Signalisation, en raison des agissements dolosifs de celles-ci lors de la passation et la conclusion des trois marchés publics à bons de commande signés entre 1999 et 2005 en vue de l'acquisition de panneaux de signalisation routière et d'équipements annexes ; que cette action trouve son origine dans ces contrats et pouvait donc faire l'objet d'une saisine directe du juge administratif ; que la demande présentée par le département de l'Orne devant le Tribunal administratif de Caen était donc recevable ;
Sur la responsabilité :
5. Considérant que les sociétés Signature SA, Signaux Girod, Franche-Comté Signauxet Lacroix Signalisation ont été condamnées par la décision de l'Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010, confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, à une amende de 10 millions d'euros pour violation des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce prohibant les ententes anticoncurrentielles et abus de position dominante ; qu'il résulte de ces décisions que ces sociétés ont participé au " cartel de la signalisation verticale " en France, qui a permis à huit sociétés de se répartir, entre 1997 et 2006, les marchés de panneaux de signalisation par application d'un plan anticoncurrentiel ; que, par suite, ces quatre sociétés ont commis une faute qui est à l'origine des surcoûts imposés au département de l'Orne dans la conclusion des trois marchés d'acquisition de panneaux de signalisation routière signés en 1999, 2002 et 2005, alors même que seule la société Signalisation France a contracté avec le département de l'Orne pendant la période de l'entente et qu'elles n'ont pas toutes soumissionné pour chacun des trois marchés ; que si pour apprécier la sanction devant être prononcée à l'encontre de la société Franche-Comté Signaux, l'Autorité de la concurrence a limité à quatre ans la durée de sa participation à l'entente, la décision du 22 décembre 2010 indique, après une analyse des déclarations des dirigeants de la société, au point n° 239, que : " (...) la participation de FCS à l'entente (...) a été plus durable que celle que les dirigeants de l'entreprise ont reconnue, mais sans être permanente. Elle doit être retenue pour une période de quatre ans " ; que cette participation non permanente pouvait donc agréger des périodes discontinues ; qu'il résulte également des termes de la décision de l'Autorité de la concurrence, notamment de son point n° 238 que la société Franche-Comté Signauxparticipait à l'entente pour un marché attribué en 1999 et pour un autre marché attribué en 2000 ; qu'en outre, s'agissant des marchés conclus en 2002 et 2005, cette société se borne à affirmer, sans apporter le moindre élément à l'appui de cette assertion, qu'elle s'était retirée de l'entente à ces dates, alors qu'il résulte des déclarations de ses dirigeants cités aux points 234 à 237 de la décision de l'Autorité de la concurrence qu'elle participait encore à l'entente en 2006 ; que compte tenu du faisceau d'indices ainsi dégagé, la participation de la société Franche-Comté Signauxlors de la conclusion des marchés en 1999, 2002 et 2005 doit être regardée comme établie ; que dès lors que la condamnation solidaire était demandée et que les sociétés Signature SA, Signaux Girod, Franche-Comté Signauxet Lacroix Signalisation ont concouru à la réalisation d'un même dommage, leur condamnation solidaire pouvait être prononcée et ce, quand bien même la faute de chacune serait différente ou n'aurait pas un degré identique de gravité ;
6. Considérant que ni le choix d'une procédure restreinte pour la passation des marchés conclus pendant l'entente, ni la pondération du critère du prix, qui sont des circonstances sans lien avec les agissements dolosifs des sociétés ayant participé à l'entente, ne sont de nature à exonérer partiellement celles-ci de leur responsabilité ; qu'il suit de là qu'elles doivent être condamnées à indemniser le département de l'Orne de la totalité du préjudice subi du fait des agissements dolosifs mentionnés au point 5 ci-dessus ;
Sur l'expertise :
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les parties ont eu connaissance des constatations faites par l'expert et ont eu la possibilité de les contester ; que si le greffe du Tribunal administratif de Caen n'a pas, après la communication du rapport d'expertise aux parties, invité celles-ci à présenter leurs observations dans le délai d'un mois, ainsi que le prévoit le dernier alinéa de l'article R. 621-9 du Code de justice administrative, applicable au référé instruction en application de l'article R. 532-5 du même code, le principe du contradictoire n'a pas été méconnu dès lors que les parties ont eu la possibilité de présenter des observations sur ce rapport dans le cadre de la procédure de référé provision et dans celle de l'instance au fond, et qu'elles ont d'ailleurs largement discuté de ce rapport ainsi qu'il ressort des écritures échangées en première instance et en appel ; qu'il suit de là que le Tribunal administratif de Caen pouvait fonder son jugement sur le rapport d'expertise déposé le 4 juin 2014 ;
Sur l'évaluation du préjudice :
8. Considérant que le préjudice subi par le département de l'Orne représente le montant des surcoûts générés par les agissements dolosifs constitués par les pratiques anticoncurrentielles de la société Signature SA et non seulement une perte de chance d'obtenir, en l'absence de pratiques anticoncurrentielles, des marchés à un moindre prix ; que la circonstance que, pour le marché conclu en 1999, des sociétés ne participant pas à l'entente auraient présenté des offres supérieures à celles des sociétés participant à cette entente n'est pas de nature à établir qu'aucun surcoût n'aurait résulté de l'entente ; qu'il en est de même de l'évolution des taux de marge des sociétés mises en cause pendant et après l'entente ; qu'enfin, il ne peut être déduit des éventuels dysfonctionnements de l'entente au niveau national l'absence de préjudice pour le département de l'Orne ;
9. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 7 ci-dessus, l'expertise n'a pas été réalisée en méconnaissance du principe du contradictoire, de sorte que le rapport de l'expert peut valablement servir de fondement pour évaluer le montant du préjudice subi ; que si l'expert fait état dans son rapport des difficultés inhérentes à l'exercice qui consiste à établir quel aurait été le prix d'un marché passé dans le respect de la concurrence, il explique la méthode retenue, basée sur une analyse contrefactuelle, qui prend notamment en compte les prix observés et les coûts ; qu'il résulte de ce rapport que l'expert a mené une étude des causes extérieures à l'entente susceptibles d'expliquer le niveau des prix à l'époque des marchés ; qu'il a également pris en compte l'ensemble des facteurs susceptibles de justifier les prix après l'entente ; que s'agissant de ces marchés, le département de l'Orne, en tant que consommateur final, n'était pas en mesure de répercuter les prix élevés facturés par son cocontractant ; qu'enfin, le marché conclu en 2005, pendant la période de l'entente, a été tacitement reconduit jusqu'en 2008 et a donc produit des effets pour le département, jusqu'à cette date quand bien même l'entente a été démantelée en 2006 ; que l'estimation du surprix global par l'Autorité de la concurrence, qui n'est au demeurant fondée que sur des témoignages et sur une étude réalisée à la demande de la société Signature SA, n'a servi qu'à qualifier l'importance du dommage à l'économie et ne pouvait permettre d'évaluer avec une précision suffisante le surcoût résultant des pratiques anticoncurrentielles ayant affecté des marchés publics déterminés ; que l'Autorité de la concurrence précise d'ailleurs dans les motifs de sa décision que le surprix vraisemblable de 5 à 10 % est seulement un ordre de grandeur minimum ; que par suite, cette estimation ne saurait remettre en cause l'expertise réalisée précisément pour évaluer le surcoût subi par le département de l'Orne ; que, dans ces conditions, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'existence et l'évaluation du préjudice subi par le département de l'Orne retenues par le jugement attaqué à partir des constatations et analyses de l'expert seraient erronées ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 6 avril 2017, le Tribunal administratif de Caen les a solidairement condamnées à verser au département de l'Orne la somme de 2 239 819 euros ;
Sur les demandes de limitation de responsabilité des sociétés Signaux Girod et Franche-Comté Signaux :
11. Considérant que si le montant de l'amende infligée par l'Autorité de la concurrence et la Cour d'appel de Paris à chacune des sociétés ayant participé à l'entente permet de déterminer la part de responsabilité de chacune d'elle dans l'atteinte globale à l'économie, il ne peut servir de fondement pour évaluer les fautes respectives des sociétés requérantes dans le préjudice subi par le département de l'Orne ;
Sur les conclusions d'appel en garantie :
12. Considérant que les conclusions présentées par la société Franche-Comté Signauxtendant à ce que les sociétés Signalisation France, Signaux Girod et Lacroix Signalisation la garantissent de toute condamnation prononcée à son encontre sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative :
13. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que le département de l'Orne, qui n'est pas la partie perdante, verse aux sociétés requérantes une somme quelconque au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
14. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société Signature Vertical et Mobility Solutions sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ;
15. Considérant en revanche, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de chacune des sociétés requérantes la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le département de l'Orne et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Les requêtes n° 17NT01719, 17NT01740, 17NT01741 et 17NT01770 sont rejetées.
Article 2 : Les sociétés Signalisation France, Signaux Girod, Franche-Comté Signauxet Lacroix Signalisation verseront chacune la somme de 1 500 euros au département de l'Orne sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Signature Vertical et Mobility Solutions sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Signalisation France, à la société Signaux Girod, à la société Franche-Comté Signaux, à la société Lacroix Signalisation, à la société Signature Vertical et Mobility Solutions, à la société Signature SAS, à la société Nadia Signalisation et au département de l'Orne.