Cass. com., 31 janvier 2018, n° 16-16.634
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
ABR (Sté)
Défendeur :
Kip Europe (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Avocats :
Me Le Prado, SCP Bouzidi, Bouhanna, SCP Rousseau, Tapie, SCP Spinosi, Sureau
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal n° M 16-16.634 formé par la société ABR que sur le pourvoi incident relevé par la société Kip Europe qui attaquent l'arrêt du 19 février 2016, et joignant ces pourvois au pourvoi n° Z 16-22.097 formé par la société Kip Europe contre l'arrêt du 10 juin 2016 qui répare une omission de statuer affectant celui du 19 février 2016 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société Octant architecture (la société Octant) a passé commande auprès de la société ABR d'un appareil de copie numérique ; que la société Kip Europe (la société Kip) a vendu cet appareil à la société ABR, l'a livré à la société Octant et l'a installé ; qu'elle a également conclu avec la société Octant un contrat de maintenance portant sur ce matériel ; que la société Xerox Financial Services (la société Xerox) a racheté l'appareil à la société ABR et l'a loué à la société Octant ; que faisant valoir de nombreux dysfonctionnements affectant le matériel, la société Octant a cessé de régler les loyers ; qu'assignée en paiement des loyers impayés et de l'indemnité de résiliation par la société Xerox, elle a appelé en garantie les sociétés Kip et ABR ;
Sur les premiers moyens des pourvois principal et incident n° M 16-16.634, rédigés en termes identiques, réunis : - Attendu que la société ABR et la société Kip font grief aux arrêts des condamnations prononcées à leur encontre alors, selon le moyen, que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens ; que cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date ; qu'en l'espèce, en visant " les dernières conclusions de la société Xerox Financial services en date du 2 janvier 2014 ", quand aucun des jeux de conclusions pris par cette partie ne portait une telle date, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'une partie ne pouvant se prévaloir des conclusions d'une autre partie au soutien de son grief, le moyen n'est pas recevable ;
Sur le second moyen du pourvoi principal n° M 16-16.634 : - Attendu que la société ABR fait grief à l'arrêt du 19 février 2016 de prononcer la résolution du contrat de fourniture du photocopieur, de prononcer, en conséquence, la caducité du contrat de location financière souscrit auprès de la société Xerox et de la condamner à rembourser à cette société la somme de 47 902,54 euros alors, selon le moyen : 1°) que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en l'espèce, en ne précisant pas si elle condamnait la société ABR au titre d'une responsabilité civile contractuelle pour faute ou au titre de la garantie des vices cachés, la cour d'appel, qui, ainsi, n'a pas précisé le fondement juridique de sa décision, n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a violé l'article 12 du Code de procédure civile ; 2°) que l'obligation de renseignement ou de conseil est une obligation de moyens, laquelle implique l'existence d'une faute pour que soit retenue la responsabilité de celui qui en est le débiteur ; qu'en l'espèce, à considérer que la cour d'appel ait entendu fonder la condamnation de la société ABR sur sa responsabilité civile contractuelle au titre d'un manquement à son devoir de conseil à l'égard de la société Octant, elle ne pouvait, comme elle l'a fait, s'abstenir de caractériser une faute propre de la société ABR, laquelle, à la différence de la société Kip, n'était pas le fabricant de la chose fournie et n'était pas en charge de son installation ou de sa maintenance, sans priver sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; 3°) que tout jugement ou arrêt doit être motivé à peine de nullité ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; qu'en l'espèce, à considérer que la cour d'appel ait entendu fonder la condamnation de la société ABR sur la garantie des vices cachés à l'égard de la société Xerox, acheteur du bien, elle ne pouvait, comme elle l'a fait, s'abstenir de répondre au moyen, péremptoire, tiré de ce que, dans la mesure où cette entreprise avait formulé ses demandes contre la société venderesse près de trois ans après avoir été informée de l'existence du vice, son action en garantie était prescrite, sans méconnaître les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; 4°) que tout jugement ou arrêt doit être motivé à peine de nullité ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; qu'en l'espèce, en ne condamnant que la seule société ABR au paiement de l'intégralité de la somme de 47 902,54 euros, nonobstant la faute qu'elle a imputée à la société Kip, sans répondre au moyen, péremptoire, tiré de ce qu'en raison de cette faute, commise au préjudice de l'opération de location financière souscrite, la société Kip avait engagé sa responsabilité civile et devait donc également supporter ladite condamnation avec la société ABR, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'obligation de délivrance du vendeur d'un matériel informatique s'étend à sa mise au point, et comporte une obligation accessoire d'information et de conseil du client ; qu'ayant constaté que le copieur litigieux n'avait jamais fonctionné correctement et avait nécessité vingt-et-une interventions de maintenance en moins d'un an alors qu'il s'agissait d'un matériel neuf, en raison d'un problème de compatibilité avec le réseau informatique de la société Octant, l'arrêt en déduit que le matériel était inadapté aux besoins de cette société et que la société ABR a manqué à son obligation de conseil et à son obligation de délivrance ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, rendant inopérant le moyen tiré du délai de prescription de l'action en garantie des vices cachés, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en second lieu, que l'arrêt modificatif du 10 juin 2016 ayant condamné la société Kip à garantir la société ABR de la condamnation prononcée à son encontre, le moyen pris en sa quatrième branche est inopérant ; d'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa dernière branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi incident n° M 16-16.634 et le deuxième moyen du pourvoi n° Z 16-22.097, rédigés en termes identiques, réunis : - Attendu que la société Kip fait grief aux arrêts de la condamner à garantir intégralement la société ABR de sa condamnation à rembourser à la société Xerox la somme de 47 902,54 euros alors, selon le moyen : 1°) que le vendeur de matériels électroniques ou informatiques est tenu à l'égard de son cocontractant acheteur à un devoir de conseil qui lui impose de se renseigner sur les besoins de ce dernier, de l'informer, lors de l'achat, de l'adéquation du matériel proposé à l'utilisation qui en est prévue, et de lui fournir un matériel et un logiciel exploitables ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations mêmes de la cour d'appel, que la société Kip avait conclu avec la société Octant un contrat de maintenance, et que c'est auprès de la société ABR que la société Octant avait passé commande du matériel informatique litigieux, que la société ABR lui avait fourni via la vente du matériel à la société Xerox, qui avait à son tour consenti à la société Octant un contrat de location financière portant sur ce matériel ; qu'il en résulte que lorsque la société Kip est intervenue dans le cadre du contrat de maintenance, fut-ce pour mettre en service le nouveau matériel, la vérification de la compatibilité de ce nouveau matériel avec l'environnement informatique existant devait déjà avoir eu lieu dans le cadre de la relation acheteur-vendeur entre la société Octant et la société ABR et n'avait en tout état de cause plus lieu d'être ; que dès lors, en déclarant cependant, pour retenir la responsabilité de la société Kip et la condamner à garantir intégralement la société ABR de la condamnation prononcée contre elle, qu'il appartenait à la société Kip, spécialisée dans les gros photocopieurs lors de la mise en service de l'appareil de s'assurer de la compatibilité de ce nouveau matériel avec l'installation informatique existante, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) que dans ses conclusions d'appel, la société Kip faisait valoir que le contrat de maintenance passé entre elle et la société Octant stipulait expressément, en son article 9.2 : " Le client s'engage à ce que tous ses logiciels et matériels destinés à fonctionner conjointement aux logiciels et matériels entretenus par E2S dans le cadre du présent contrat soient parfaitement installés, opérationnels et compatibles avec ces derniers " ; que dès lors, en affirmant que la société Kip aurait dû vérifier la compatibilité du nouveau matériel avec l'existant lors de la mise en service de l'appareil, sans répondre aux conclusions de la société Kip sur ce point, dont il résultait que la société Octant était censée avoir déjà vérifié cette compatibilité et en faire son affaire, ce qu'elle avait pu faire avec son vendeur, la société ABR, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) que le vendeur de matériels électroniques ou informatiques est tenu à l'égard de son cocontractant acheteur à un devoir de conseil qui lui impose de se renseigner sur les besoins de ce dernier, de l'informer, lors de l'achat, de l'adéquation du matériel proposé à l'utilisation qui en est prévue, et de lui fournir un matériel et un logiciel exploitables ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui a elle-même rappelé que la société Octant avait passé commande auprès de la société ABR, celle-ci s'étant alors tournée vers la société Kip pour la fourniture, ne pouvait affirmer que la société Kip aurait soutenu en méconnaissance de ses obligations contractuelles de fournisseur de matériel informatique, qu'il ne lui incombait pas de vérifier l'environnement logiciel de la société Octant, qui avait choisi le matériel sous sa seule responsabilité, cependant qu'elle constatait elle-même que la société Kip n'avait d'autre relation directe avec la société Octant que dans le cadre du contrat de maintenance, et que c'était à la société ABR, fournisseur de la société Octant, que la société Kip avait fourni le matériel litigieux, de sorte qu'elle n'avait pu conseiller la société Octant lors de la commande ni alors constater aucune incompatibilité du nouveau matériel avec l'existant ; que dès lors, s'il devait être considéré que la condamnation de la société Kip résulte également de la qualité de fournisseur que la cour d'appel lui a imputée, la cour d'appel devrait être considérée comme n'ayant pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que le manquement de la société ABR à ses obligations, retenu par la cour d'appel, n'exonère pas la société Kip de sa propre responsabilité à l'égard de la société Octant ; que le moyen, qui en sa première branche postule le contraire, n'est pas fondé ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant constaté les multiples dysfonctionnements de l'appareil résultant de son incompatibilité avec le réseau informatique de la société Octant, l'arrêt relève que la société Kip est spécialisée dans les gros photocopieurs, qu'elle est le fabricant et fournisseur de l'appareil litigieux, qu'elle l'a installé et qu'elle est intervenue à de multiples reprises au titre de son contrat de maintenance pendant près d'une année ; qu'il retient que la société Kip soutient, en méconnaissance totale de ses obligations contractuelles de fournisseur de matériel informatique, qu'il ne lui incombait pas de vérifier l'environnement logiciel de la société Octant qui avait choisi le matériel sous sa seule responsabilité ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a ainsi répondu aux conclusions prétendument omises, a pu déduire que la société Kip avait manqué à son devoir de conseil en ne vérifiant pas la compatibilité du matériel avec le réseau informatique lors de la mise en service de l'appareil ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen du pourvoi incident n° M 16-16.634, et le troisième moyen du pourvoi n° Z 16-22.097, qui est recevable, rédigés en termes identiques, réunis :
Vu l'article 1382, devenu 1240, du Code civil ; - Attendu que lorsque plusieurs personnes responsables d'un même dommage ont commis une faute, elles contribuent entre elles à proportion de la gravité et du rôle causal de leurs fautes respectives ;
Attendu que pour condamner la société Kip à garantir intégralement la société ABR de la condamnation prononcée à son encontre, l'arrêt retient qu'elle a manqué à ses obligations contractuelles en ce qu'elle ne s'est pas assurée, lors de la mise en service de l'appareil, de la compatibilité de ce nouveau matériel avec l'installation informatique existante ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait également retenu que la société ABR avait manqué à son devoir de conseil, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi principal n° M 16-16.634 ;
Et sur le pourvoi incident n° M 16-16.634 et le pourvoi n° Z 16-22.097 : Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 juin 2016, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.