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Décisions

CA Grenoble, 2e ch. civ., 30 avril 2018, n° 13-04773

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Béal (SA), Gan Assurances, CPAM du Finistère

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dubois

Conseillers :

MM. Grava, Dié

TGI Vienne, du 26 sept. 2013

26 septembre 2013

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 28 janvier 2009, Yaël G., alors âgé de 12 ans, a été blessé en cours de gymnastique, lors d'une séance d'escalade. Un passant du baudrier de l'enfant s'est rompu lors de la descente et celui-ci a fait une chute d'environ 5 mètres pour atterrir sur le tapis en mousse placé au-dessous de la structure d'escalade.

Il a souffert de plusieurs fractures de la jambe gauche, au niveau du tibia, du péroné et du talon, nécessitant une hospitalisation de 3 jours, puis le port d'une botte en résine pendant près de 2 mois, avec déplacement en fauteuil roulant, prise d'antalgiques pendant plus d'un mois, injections d'anticoagulants pendant 45 jours, séances de rééducation à l'aide de cannes anglaises pendant plus de 3 mois.

À défaut d'accord amiable relatif à l'indemnisation du préjudice de l'enfant, son père, ès qualités de représentant légal, a opté pour la voie judiciaire en faisant assigner en janvier 2011, la CPAM du Finistère, la SA Béal en sa qualité de fabricant du baudrier litigieux et la SA Gan Assurances en sa qualité d'assureur de la SA Béal.

Par jugement contradictoire en date du 26 septembre 2013, le tribunal de grande instance de Vienne a :

Débouté M. G., ès qualités de représentant légal de son fils mineur Yaël, de l'ensemble de ses demandes ;

Débouté la CPAM du Finistère de l'ensemble de ses demandes ;

Condamné M. G. ès qualités à payer à la société Béal et à Gan Assurances la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Rejeté toute autre demande plus ample au contraire ;

Condamné M. G. ès qualités aux dépens avec distraction au profit de la SCP P. et de maître L. dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Le tribunal a retenu que le dommage était dû exclusivement à une erreur d'encordement de l'enfant Yaël ainsi qu'à une absence de contrôle de l'encordement des élèves par l'enseignant assurant la surveillance de la séance d'escalade.

M. Eric G. a interjeté appel de ce jugement le 8 novembre 2013.

Par conclusions notifiées le 22 juillet 2014, son fils Yaël G., devenu majeur le 29 mai 2014, est intervenu volontairement à l'instance d'appel.

Par conclusions récapitulatives et d'intervention volontaire notifiées par voie électronique le 22 juillet 2014, M. Eric G. (appelant) et M. Yaël G. (intervenant volontaire) demandent à la cour de :

Dire et juger recevables et fondées leurs demandes ;

Prendre acte de l'intervention volontaire de M. Yaël G., devenu majeur en cours d'instance ;

Réformer en tout point le jugement entrepris ;

Dire et juger que la responsabilité de la SA Béal est établie sur le fondement de l'article 1386-1 du Code civil ;

Condamner solidairement la SA Béal et la SA Gan Assurances à verser à M. G. Eric la somme de 239 € ;

Condamner solidairement la SA Béal et la SA Gan Assurances à verser à M. G. Yaël la somme de 11 707,15 € ;

Déclarer l'arrêt opposable à la CPAM du Finistère ;

Condamner solidairement la SA Béal et la SA Gan Assurances à verser à M. G. Eric la somme de 2 000 € à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Condamner solidairement la SA Béal et la SA Gan Assurances à verser à M. G. Eric la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner solidairement la SA Béal et la SA Gan Assurances aux entiers dépens qui seront distraits au profit de maître Louis-Noël C. de la SCP Louis-Noël C. & Associés.

Ils fondent leurs demandes sur les articles 1386-1, 1386-4 et 1386-10 du Code civil, s'agissant de la responsabilité des producteurs en raison de la défectuosité du produit.

Ils font valoir la défectuosité du baudrier (modèle Aeroteam II fourni par la SA Béal à la mairie de Quimperlé) en ce que l'enfant, s'est encordé à un passant de son baudrier non prévu à cet effet, passant qui s'est rompu à la descente.

Ils qualifient l'anomalie de défaut de conception.

Ils ne contestent pas que l'enfant s'est encordé à un élastique au lieu de la sangle, élastique de la même couleur que la sangle normale d'attache.

Ils précisent qu'après l'accident, la SA Béal a modifié son équipement pour remplacer l'élastique au niveau du pontet par une sangle cousue.

Ils estiment que le baudrier était dangereux pour des enfants, même s'il était homologué et ils indiquent que la société elle-même a reconnu l'existence d'accidents liés à un mauvais encordement sur harnais.

Ils chiffrent les préjudices subis par le représentant légal (trajets pour soins) et par l'enfant (préjudice corporel) en se fondant sur un rapport du docteur G. du 2 février 2011.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 mars 2014, la SA Béal et la SA Gan Assurances demandent à la cour de :

Déclarer irrecevable et mal fondé M. Eric G. en ses demandes ;

En conséquence,

L'en débouter ;

Confirmer le jugement dont appel ;

Condamner M. Eric G. à leur payer la somme de 2 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel.

Elles indiquent tout d'abord que les circonstances de l'accident ne sont pas établies précisément et qu'il n'y a aucune certitude que le harnais utilisé soit celui de la SA Béal, aucun numéro de lot n'ayant été communiqué.

Elles rappellent que l'encordement se fait directement sur le harnais par un noeud d'encordement et que l'encordement sur l'élastique de guidage démontre que l'enseignant n'a pas respecté les consignes données par l'ensemble des fabricants de harnais.

Elles ajoutent que le baudrier est conforme à la norme européenne harmonisée applicable et à la directive européenne EPI.

Elles précisent que l'élastique a pour but de rendre le point d'encordement saillant et donc plus visible et plus accessible. Il permet aussi de contenir la corde au niveau du point d'encordement.

Elles produisent aux débats un exemplaire du baudrier avec la nouvelle modification.

Elles estiment que la cause de l'accident est due à une faute de la victime et à une faute de la personne chargée de l'encadrement des élèves.

La CPAM du Finistère, qui n'a pas constitué avocat, a été régulièrement assignée le 17 janvier 2014 par acte remis à une personne se disant habilitée. Le présent arrêt sera réputé contradictoire en application des dispositions de l'article 474 du Code de procédure civile.

La clôture de la procédure est intervenue le 14 novembre 2017.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'intervention volontaire

M. Yaël G., mineur au moment de l'accident (2009) et lors du prononcé du jugement (2013), est devenu majeur le 29 mai 2014.

Il a fait part de son intention d'intervenir volontairement à la présente procédure par conclusions notifiées le 22 juillet 2014.

Il lui en sera donné acte.

Sur la responsabilité

La responsabilité de la SA Béal est recherchée sur le fondement de l'article 1386-1 ancien du Code civil (devenu 1245 nouveau du même Code) au titre de la responsabilité du producteur (fabricant) du fait des produits défectueux.

En l'espèce, les principaux éléments factuels pris en compte par le premier juge pour ne pas retenir la responsabilité de la SA Béal (avec son assureur la SA Gan Assurances) sont les suivants :

- lors de sa chute d'environ 5 m, l'enfant Yaël G. utilisait un baudrier de type Aeroteam II, commandé par la commune de Quimperlé et fabriqué par la SA Béal ;

- il participait à une séance d'escalade en présence d'un enseignant ;

- le matériel est conforme aux normes européennes ;

- il a obtenu l'attestation de conformité par l'APAVE le 10 septembre 1999 ;

- des consignes de sécurité avaient été données par l'enseignant quant à la mise en place du matériel ;

- l'enfant s'est encordé lui-même sur un passant en caoutchouc non prévu à cet effet ;

- le passant en caoutchouc a été par la suite remplacé par un passant en toile cousue, mais qui n'est toujours pas destiné à l'encordement ;

- l'enseignant n'a manifestement pas contrôlé la régularité de l'encordement avant de laisser l'enfant emprunter la voie d'escalade ;

- en présence d'un public de jeunes enfants, un tel contrôle s'imposait comme une nécessité incontournable ;

- la cause de la chute réside dans un défaut de surveillance et de contrôle de la part de l'enseignant et non pas dans un prétendu défaut de conception d'un matériel homologué.

S'agissant donc de l'absence de responsabilité du fabricant du fait des produits défectueux, c'est par des motifs pertinents au vu des justificatifs qui lui étaient soumis, que le tribunal s'est livré à une exacte analyse des faits et à une juste application des règles de droit (anciens articles 1386-1 et suivants du Code civil, devenus 1245 et suivants nouveaux du même Code).

La cour, adoptant cette motivation, confirmera l'absence de responsabilité de la SA Béal du fait des produits défectueux et le rejet de l'ensemble des demandes des consorts G..

Le jugement sera confirmé par adoption de motifs.

Sur les dommages-intérêts

Agir en justice est un droit qui peut néanmoins dégénérer en abus lorsque l'action en justice est exercée de mauvaise foi ou, à tout le moins, sans aucun fondement sérieux.

En l'espèce, les intimés ne caractérisent aucune faute, ni aucun préjudice lié à l'exercice d'une voie de recours judiciaire.

Ils seront déboutés de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

M. Eric G. et M. Yaël G., dont les prétentions sont rejetées, supporteront les dépens d'appel.

Pour la même raison, il ne sera pas fait droit à la demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des autres parties les frais engagés pour la défense de leurs intérêts. Aucune condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ne sera prononcée.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi : Donne acte à M. Yaël G., désormais majeur, de son intervention volontaire ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande ; Condamne in solidum M. Erix G. et M. Yaël G. aux dépens d'appel. Prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.