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Décisions

Cass. 1re civ., 3 mai 2018, n° 17-13.593

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Riou du Cosquer (Epoux)

Défendeur :

BNP Paribas Personal Finance (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

M. Avel

Avocat général :

M. Ingall-Montagnier

Avocats :

SCP Ghestin, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano

Paris, pôle 5 ch. 6, du 6 janv. 2017

6 janvier 2017

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 janvier 2017), que, suivant offre de prêt acceptée le 7 avril 2008, la société Union de crédit pour le bâtiment, aux droits de laquelle vient la société BNP Paribas Personal Finance (la banque), a consenti à M. et Mme Riou du Cosquer (les emprunteurs) un prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, dénommé Helvet Immo ; qu'invoquant l'irrégularité de la clause contractuelle prévoyant l'indexation du prêt sur la valeur du franc suisse, ainsi qu'un manquement de la banque à ses obligations, les emprunteurs ont assigné celle-ci en annulation de la clause litigieuse et en indemnisation ;

Sur le premier moyen : - Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt de valider la clause litigieuse, alors, selon le moyen : 1°) que le juge est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès lors qu'il dispose des éléments de fait et de droit pour le faire ; qu'en l'espèce, il résulte des éléments de fait et de droit débattus devant la cour d'appel que la clause du crédit BNP Paribas Helvet Immo indexant le montant du remboursement du prêt sur la variation du taux de change euro) franc suisse, pouvait avoir pour effet d'allonger la durée du prêt, d'augmenter sans plafond le montant du capital à rembourser, et d'imposer à l'emprunteur une augmentation du montant de ses échéances, sans aucune limite, durant cinq années ; qu'en l'état de ces éléments, le juge devait rechercher d'office, notamment, si le risque de change ne pesait pas exclusivement sur les emprunteurs et si, en conséquence, la clause litigieuse n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des consommateurs ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, la cour d'appel a méconnu son office, en violation de l'article L. 132-1 du Code de la consommation devenu L. 212-1 du même Code en vertu de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, ensemble l'article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ; 2°) que, dans leurs conclusions d'appel, les emprunteurs avaient soutenu que moins de quatre ans après la signature du contrat de prêt Helvet Immo, ils avaient constaté qu'eu égard au caractéristiques du prêt, le capital restant dû et exprimé en francs suisses augmentait en dépit du paiement des échéances : qu'ainsi, alors que le capital initial emprunté s'élevait au 10 décembre 2008 à 472 939,91 francs suisses soit 303 360,42 euros, il s'élevait au 10 septembre 2012 à 448 042,88 francs suisses soit 371 850,67 euros... ; qu'avaient été versés aux débats la lettre des emprunteurs du 12 juillet 2012 et la réponse de la banque du 19 septembre 2012 plus des coupures de presse relatives à l'économie du contrat et ses effets ; que ces conclusions étaient péremptoires dès lors que, pour se déterminer sur le caractère abusif de la clause d'indexation, la cour d'appel devait prendre en considération les éléments de fait du dossier ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'après avoir énoncé que l'appréciation du caractère abusif des clauses, au sens de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du Code de la consommation, ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible, l'arrêt relève, d'une part, que la clause litigieuse, en ce qu'elle prévoit la conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels après paiement des charges annexes du crédit, définit l'objet principal du contrat, d'autre part, que cette clause figure dans une offre préalable qui précise que le prêt contracté est libellé en francs suisses, que l'amortissement du prêt se fait par la conversion des échéances fixes payées en euros, qu'une telle conversion s'opère selon un taux de change qui est susceptible d'évoluer à la hausse ou à la baisse, que cette évolution peut entraîner l'allongement ou la réduction de la durée d'amortissement du prêt et, le cas échéant, modifier la charge totale de remboursement ; qu'ayant ainsi fait ressortir le caractère clair et compréhensible de la clause litigieuse, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche ni de répondre à des conclusions que ses constatations et énonciations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le second moyen : - Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes indemnitaires, alors, selon le moyen : 1°) que, conformément à l'article 624 du Code de procédure civile, la cassation de l'arrêt sur le premier moyen relatif à la nullité de la clause d'indexation du contrat de prêt entraînera la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le second moyen, relatif au rejet de la demande en dommages-intérêts formée par les emprunteurs à l'encontre de la banque ; 2°) que, lorsque le prêt consenti revêt une nature complexe et est de nature à créer un risque particulier pour l'emprunteur, le banquier prêteur, tenu d'informer l'emprunteur, ne peut se contenter de présenter à l'emprunteur le fonctionnement du prêt mais a un devoir de mise en garde et doit attirer son attention sur les risques particuliers que lui fait encourir la spécificité du prêt envisagé ; qu'après avoir constaté que le prêt litigieux libellé en francs suisses était géré, d'une part, en francs suisses (monnaie de compte) pour connaître à tout moment l'état du remboursement du crédit et, d'autre part, en euros (monnaie de paiement) pour permettre le paiement des échéances du crédit, que l'amortissement du prêt devait se faire par la conversion des échéances fixes en euros, que l'amortissement du capital du prêt pouvait évoluer en fonctions des variations du taux de change et que la durée de l'amortissement pouvait évoluer en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels et devait être plus ou moins rapide selon qu'il résultait de l'opération de change une somme supérieure ou inférieure à l'échéance en francs suisses exigibles, de sorte que la clause d'indexation pouvait avoir pour effet d'allonger la durée du prêt, d'augmenter sans plafond le montant du capital à rembourser, et d'imposer à l'emprunteur une augmentation du montant de ses échéances, sans aucune limite, dans cinq des années du prêt, la cour d'appel devait rechercher, ainsi qu'elle y avait été invitée, si le crédit octroyé induisait un risque d'endettement excessif au regard des capacités financières d'emprunteurs non avertis, l'époux " ingénieur commercial " et l'épouse " conseillère prévoyance ", ce qui aurait justifié une mise en garde par la banque ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; 3°) que l'emprunteur averti est celui qui est à même d'appréhender les risques et l'opportunité du crédit qu'il se prépare à souscrire ; que, pour apprécier le caractère averti de l'emprunteur, le juge doit s'assurer qu'il était à même de comprendre par lui-même précisément l'ensemble des caractéristiques inhérentes au prêt envisagé ; qu'après avoir constaté M. Riou du Cosquer était " ingénieur commercial ", et Mme Riou du Cosquer, " conseillère prévoyance ", la cour d'appel devait rechercher, ainsi qu'elle y avait été invitée, s'ils avaient les compétences et l'expérience nécessaires pour appréhender les caractéristiques et les risques propres au fonctionnement du prêt Helvet Immo tel qu'elle l'avait analysé ; qu'en considérant, sans procéder à cette recherche, que l'offre de prêt était " claire et intelligible pour des personnes disposant de facultés intellectuelles comme le sont les époux Riou du Cosquer ", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

Mais attendu, d'abord, que la cassation n'étant pas prononcée sur le premier moyen, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est sans portée ;

Attendu, ensuite, qu'ayant relevé, d'une part, que l'établissement de crédit qui consent un prêt à un emprunteur non averti, est tenu à son égard, lors de la conclusion du contrat, d'un devoir de mise en garde en considération des capacités financières de ce dernier et du risque d'endettement, qu'il n'est pas contesté que la banque a rempli son obligation de se renseigner sur les capacités financières des emprunteurs, que le prêt était, lors de sa souscription, proportionné à celles-ci et n'avait entraîné aucun endettement excessif, d'autre part, que les emprunteurs incriminaient en réalité le manquement de la banque à son devoir d'information sur le risque de variation du taux de change et des conséquences de cette dernière sur l'amortissement du prêt pour dire que leur consentement avait été vicié par leur erreur et par les manœuvres dolosives de la banque, et estimé que le manquement allégué n'était pas établi, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision de ce chef ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.